Stroński, Stanislas. Le troubadour Elias de Barjols. Toulouse: Imprimerie et librairie Édouard Privat, 1906.
132,001- Elias de Barjols
VII. (132, 1.)
Orth. : C.
Les manuscrits. — Les variantes montrent que les manuscrits du groupe z se séparèrent très nettement des autres ; mais il est impossible de ramener tous ceux-ci à une seule source : ils se divisent en deux branches, probablement indépendantes l’une de l’autre. Nous acceptons donc trois groupes :
x (DIK) : vv. 8 (naus pour no naus), 28 (quenaissi man pour don manetz viu de z, don magues leu de y), 31 (colors de rozae cristals pour com belaroza e bels cr.), 32 (et a totz iorns creis e gensa pour pus (mas) ab nos non truepguirensa) ; à côté de ces leçons fausses, qui se concentrent dans la strophe IV, on remarquera encore quelques autres particularités communes, même graphiques, de DIK : vv. 1 et 9 (aues et aurias contre auetz et auriatz) ; pour le v. 40, les trois mss. x s’accordent à donner la leçon uostronors contre nostramor(s) de z, y, mais c’est la leçon x qui me paraît juste ; aucun des mss. x ne contient la seconde tornada, vv. 45-8, qui manque aussi à quelques-uns des mss. y et à la plupart des mss. z. — d (IK) : La parenté encore plus intime à laquelle on s’attend entre I et K est confirmée, en dehors de l’orthographe presque identique, par la faute commune du v. 42 (aitals pour naturals).
y (H²C, Ga). Tout en rapprochant les mss. Ga de H²C plutôt que des autres il faut ajouter que, strictement, Ga ne devraient pas entrer dans le groupe y. Le nœud de ce groupe et sa véritable expression, ce sont les mss. C et H². Au contraire, G et a ne sont qu’une combinaison des trois branches. Mais il semble que ce soit une rédaction y qui se trouve à la base de G et de a. Les indices en seraient : vv. 5 (que pour quei), 28 (don m’agues leu v. u. s.), 32 (pus contre mas de z), 40 (uostramor pour uostramors de z, mais à l’exception de Ef qui ont commis la même faute, et contre uostronors d’x), 41 (el contre al de z et d’x). — Ces traits-là sont au moins communs à G et a à la fois, et ils se retrouvent dans le groupe y ; au contraire, les emprunts faits soit à x soit à z par G et par a sont faits par chacun d’eux séparément, puisqu’ils sont différents dans G et dans a. Il en résulte que G et a ont eu à leur base une rédaction y que chacun d’eux a combinée avec les rédactions x et z. Quant à G, il est évident qu’il a eu plusieurs rédactions sous les yeux. On voit ce manuscrit créer des leçons et des combinaisons nouvelles précisément dans les endroits pour lesquels les différents groupes ne sont pas d’accord et où G voudrait soit les concilier soit les remplacer par une leçon toute nouvelle : vv. 15 (où il écrit eia en présence de ia plus de x et de y et de ia pueis de z), 28 (où il prit leu de y mais an pour avetz de x), 34 (où il aboutit à un non-sens syntactique combinant les mots dont l’ordre est différent dans les différents groupes), 37 (où il se décida à remplacer les deux leçons tout à fait différentes, x et y d’un côté, z de l’autre, par une troisième dont la fausseté est attestée par la rime). Quant à a, il combine au v. 16 simfessetzdaitan (y) et sol daitan mifaitz (z) en sol fezes daitan, et au v. 36 il invente un vers tout entier en présence des leçons contradictoires de xy et de z ; il n’y a toutefois pas de preuve que a dut nécessairement connaître x, puisqu’il peut n’avoir combiné dans les deux cas que y et z ; pour le v. 13, il y a sobrade dans Da pour sobrasde des autres, mais la coïncidence peut bien être accidentelle (cf. aussi, pour l’orthographe, vv. 1 et 9 aues, aurias). — c (CH²) : vv. 18 (guai cors covinen pour bel cor avinen), 23 (amicx entotz luecx ecabals pour et a. en t. l. c.), 25 (nom es desouengut pour n. son (H²Sai) d.), 27 (que·m fezetz pour qu’ieu conuc) ; cf. aussi vv. 3 (qu’anc noipuoctrobar comme Sf et contre que(eu) anc noi trobei), 19 (enten comme f contre m’enten) ; la seconde tornada, 45-8, n’est conservée que dans CH² d’une part, dans E d’autre part (cf. sous z-a).
z (Ef, H³S) : vv. 5 (efa(i)tzgran (hi) desconoissensa pour abvosper que(i) fa(i)tzfallenca de xy, ce qui est une correction due au conditionnel quezera du v. 15 et à l’oubli de si du v. 11, trop éloigné ; cette correction ayant produit un non-sens dans la strophe II tout entière, H²S ne l’ont pas débrouillée parce qu’ils avaient encore sen au lieu de si·m au v. 11, mais f a tâché de l’éviter en introduisant qu’una vetz pour ce vers), 16 (sol daitan mifaitz pour sim fessetzdaitan de xy, ce qui est une conséquence de l’erreur précédente), 32 (mas contre pus), 37 (ni comuos port benuolensa (ou temensa), avec une répétition à la rime, pour ni com tracgreu penedensa), 38 (fis e leials pour amicx corals, cf. rime 22 leials). — a (Ef) : vv. 1 (uos m’ pour ben mi), 8 (mais quieu pour H³S mas ieu, xypos ieu), 16 (sol daitan, H³S mas de tan, les autres u. s.), 29 (manque), 30 (es pour ques), 36 (maamor pour mauetz, resp. tenetz), 37 (benuolensa contre temensa de H³S). Une influence de c sur Ef se manifeste au v. 3 où Ef suit la leçon c (voy. ci-dessus) et aux vv. 45-8 qui sont la seconde tornada conservée par CH² et E seuls, tandis que f ne contient ni la première ni la seconde. — b (H³S) : vv. 5 (hi contre gran), 8 (mas ieu), 11 (sen pour sim), 12 (escondut pour esperdut), 13 (sobrada pour sobras de), 14 (me pour li), 15 (ia plus contre ia pueis), 16 (mas de tan contre sold’aitan Ef), 45-8 (manquent).
Forme. — 5 coblas unissonans de 8 vers chaque, à la suite des rimes de la cobla encadenada :
7a 8b 8b 7a 7c 8d 8d 7c
Cf. Maus, p. 119, nº 579.
Date et localisation. — La première tornada dit : Al senhoriu deProensa Es vengutzsenher naturals... Il s’agit du retour en Provence de Raimon-Bérenger V, fils d’Alfonse II. Ce prince, âgé de quatre ans environ au moment de la mort de son père, lui succéda sous la tutelle de Pierre, roi d’Aragon, qui l’emmena dans son royaume. C’est son retour qui est célébré dans la tornada d’Elias ainsi que dans une chanson d’Aimeric de Belenoi (B., Gr., 9, 17 ; publié par Suchier, Denkmäler, p. 324) qui débute : Pos Dieus nosa restauratLo pro comte proensalDe riclingnaze reial... Au commentaire que M. Suchier a donné (ibid., p. 422), d’après L’Artde vér. l. d. (8º), X, p. 406, il faut ajouter deux détails : — 1º Une des raisons de la joie que ce retour produisit en Provence fut bien le fait qu’il mettait fin aux troubles soulevés en l’absence du souverain par les princes voisins. D’une part, Alix de Forcalquier et son fils Guillaume de Sabran avaient élevé des prétentions sur le comté de Forcalquier, héritage maternel de Raimon-Bérenger ; d’autre part, peut-être, l’accession au royaume d’Arles, 8 janvier 1215 (Barthélemy, p. 46, nº 167), de Guillaume de Baux avait constitué une menace pour le comté de Provence ; enfin, plusieurs villes venaient de s’ériger en républiques (cf. Bouche, II, pp. 203-10). Mais l’autre raison, et la plus essentielle, de l’enthousiasme provoqué par le retour du jeune comte était due sans doute à la nature même de son éloignement et à la façon dont s’opéra son retour. Si, en effet, le roi Pierre avait emmené le jeune Raimon en Espagne, il y avait là un abus de pouvoir vivement ressenti par les seigneurs provençaux. On n’a pas encore remarqué que le roi Pierre avait imposé sa tutelle à Raimon et à la Provence, contre la volonté du comte Alfonse et contre les droits de sa femme Garsende. En effet, Alfonse avait échangé (octobre 1204) avec son frère Pierre un testament où il déclarait instituer « in haeredem filium infantem masculum, si quem ex legitimo matrimonio suscepero et relinquo eum sub tutella et cura praedicti fratris mei, cum omnibus iuribus suis, usque is habeat viginti annos completos » et où il faisait même Pierre son héritier au cas où il n’aurait pas de successeur (cf. Pithon, Hist. de la villed’Aix, 1666, p. 115, et Bouche, II, add. et corr., p. 1060) ; mais, après la naissance de son fils, Alfonse se décida à revenir sur son premier testament et il le remplaça (septembre 1206) par un autre par lequel il faisait Raimon-Bérenger, son fils, héritier de toutes ses terres « sous la tutelle de Garsende, sa mère, et la protection de Pierre, Roy d’Aragon, son oncle » (Pithon, ibid., pp. 115-6). La tutelle espagnole devint beaucoup plus menaçante après la mort du roi Pierre (1213), lorsque Sancho, son oncle, devenu gouverneur général d’Aragon (Zurita, Anales de la corona deAr., t. I, fol. 104 vº, col. 2) et probablement déjà auparavant gouverneur de la Provence (Bouche, II, pp. 1061-2, et cf. Blancard, Iconographie, p. 11), prit sous sa tutelle ses deux petits-neveux, Jacme, fils de Pierre, et Raimon-Bérenger, pour les tenir gardés au château de Monçon (Zurita, ibid.). Cette tutelle parut suspecte aussi bien aux seigneurs espagnols qu’aux seigneurs provençaux, qui cherchèrent les moyens d’en délivrer leurs jeunes souverains. Il est donc important de savoir que Raimon-Bérenger ne revint en Provence qu’en s’échappant clandestinement et grâce à un complot des seigneurs provençaux qui précéda un complot analogue des seigneurs aragonais et catalans. Ceci nous est raconté par le Conquistador lui-même (voy. plus bas). Ce fait explique bien l’expression d’Aimeric de Belenoi : Pos dieus nos a restauratLo pro comte proensal ; il permet peut-être aussi de rattacher la première tornada d’Elias de Barjols à la seconde, consacrée à Blacatz, et nous admettons comme naturelle l’hypothèse que Blacatz aurait été un des « rics homens de Proensa » qui facilitèrent le retour à leur jeune comte. — 2° La date exacte de ces événements peut être établie de la façon suivante : Tourtoulon (Jacme I, p. 153, n. 4, et cf. p. 444) prouve (contre Hist. gén. de Lang., VII, note XIV, p. 39) que Jacme ne quitta Monçon qu’après ou environ vers le mois de juin 1217 ; et, comme Jacme lui-même indique que la fuite de Raimon-Bérenger eut lieu sept mois avant la sienne, elle tombera vers les confins des années 1216 et 1217. Ceci est d’accord avec les autres indications du Commentari : Jacme se donne l’âge de neuf ans pour cette époque et il naquit le 2 février 1208 (Tourtoulon, ibid., p. 73) ; il donne l’âge de onze ans et demi à Raimon-Bérenger qui naquit, comme il résulte des deux testaments de son père, que nous avons mentionnés, entre le mois d’octobre 1204 et le mois de septembre 1206.
Voici, au reste, le passage de Jacme auquel je viens de faire allusion :
Chronica o commentari del... rey en Jacme... ed. Valencia, 1557, fol. v, capitol XII : « E quant nos fom de etat de nou anys e que nons podiem aturar en Monso, nos ne el comte de Prohensa, tant voliem exir, car era necessari a la terra, fo acord del Maestre, e dels altres, qe nos laxassen exir aquell lloch. E avans qe nos ne exissem, be per set meses, vench missatge al comte de Prohensa per richs homens de sa terra, que a dia sabut vendrien ab una galea a Salou, e quel traurien celadament del castell de Monso, e que s’en yrien ab ell tro en Prohença. E axi com fo cogitat se compli. E quant ell s’en volch anar, dix qe volia parlar ab nos avans descobrir son segret e pres comiat de nos. Plora ab aquells que eren vengutz per ell, e nos ploram ab ell per la dolor del partiment, mes per la sua anada playans molt. E altre dia, aprop del fos cant de la nit, exis del castell ab En Pere Auger, quel nudria, ab dos scuders seus, e tranuytaren, e passaren Leyda en semblança que altres homens eren, e desfiguratz de vestiduras. En l’altra anaren s’en a Salou e recullis en la galea, e anaren en Prohensa. E per tal que hom sapia los nostres anys e els seus, havia ell dos anys e mig mes que nos. » (Cf. pour ce fait Zurita, ibid., I, fol. 106.)