I

 

La « fin'amors » marginalisée

 

8

 

Amour du con ou amour du don ?

 

Raimon Rigaut

 

Nous ne savons rien du troubadour Raimon Rigaut, qui ne figure pas dans la Liste bio-bibliographique d'Alfred Jeanroy, et les trois coblas que nous donnons ici représentent tout ce que nous avons conservé de lui. On peut présumer qu'il s'agit d'un poète assez humble et probablement du XIIIe siècle. Quoi qu'il en soit, ses thèses érotiques sur la relation entre sexualité et fin'amor ne manquent pas d'intérêt.

On remarquera tout d'abord que, contrairement à ce que semble penser R. Nelli, il ne s'agit pas ici d'une seule pièce mais de trois coblas esparsas, différentes par leur contenu, voire leur doctrine, et aussi par leur structure prosodique (seule, la troisième cobla reprend le mètre et les rimes de la première).

Dans la première cobla, comme l'avait fait avant lui Raimon de Miraval, Rigaut inverse pour ainsi dire l'ordre des récompenses amoureuses : c'est-à-dire qu'il demande à sa dame de lui accorder d'abord le « surplus » (à savoir l'amour physique), et ensuite seulement, son affection et ses marques d'honneur.

Dans la deuxième cobla, au contraire, il proclame qu'il ne saurait demander son amour à une dame pour la seule satisfaction sexuelle, et qu'il préfère l'amour « d'en haut » à l'amour « d'en bas » qui tue le désir.

Dans la troisième cobla enfin, le troubadour se situe sur un tout autre plan en se mettant à la place de la dame, ce qui est rare. La dame doit en effet se méfier de la vigueur physique des trop jeunes amants qui, une fois assouvis, ne sont plus à même de lui accorder l'amor coral, cet amour parfait que seul, bien entendu, notre troubadour est capable de lui donner.

Il paraît donc difficile de voir dans ces trois coblas l'expression d'une « doctrine » cohérente et suivie. Il s'agit plutôt à notre sens, de trois points de vue indépendants sur une érotique un peu marginale et tardive et dont R. Nelli a excellemment fait la synthèse.

 

PILL.-CARST. : 407/1.