IV
Le contre-texte féminin
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La Fin' amors inversée
Clara d'Anduza
On ne sait presque rien sur cette trobairitz, originaire d'Anduze (Gard), comme son nom semblerait l'indiquer. On n'a conservé aucune vida à son sujet, mais elle est mentionnée — s'il s'agit bien d'elle — dans une razo relative au troubadour Uc de Saint-Circ qui la chanta d'amour (fetz mantas bonas chansós d'ela, pregant leis e lauzant sa valor e sa beutat). Ce troubadour qui est lui-même l'auteur de la plupart des vidas, mourut presque centenaire, en 1253. Clara d'Anduza devait être d'autre part apparentée à Bernard d'Anduza (mort en 1223), dont le fils se rangea aux côtés de Toulouse, lors de la croisade des Albigeois. On peut donc situer sa production dans la première moitié du XIIIe siècle.
Quoi qu'il en soit, nous ne conservons d'elle qu'une seule chanson, dont on a dit qu'elle « se signale par l'accent passionné des protestations d'amour qu'elle contient », correspondant peut-être à une « situation personnelle » dont la razo citée pourrait être un écho. En réalité, si cette pièce est effectivement une des plus affectivement marquées de la lyrique des trobairitz, les indices de sa « féminité » profonde sont très douteux et, à part les vocatifs des vers 17 et 25 (bels amics, amics) et la mention au vers 19 de quelque autr'amador masculin, cette chanson d'amour (qui contient à peu près exclusivement les seuls traits caractéristiques de la formulation habituelle de la fin'amor masculine) est littéralement bifonctionnelle et n'a rien, en profondeur, de spécifiquement féminin. C'est dans ce sens que, comme nous l'avons déjà fait remarquer, le texte « féminin » troubadouresque, qu'il s'agisse d'une féminité textuelle (texte d'homme « prêté » à une femme) ou de féminité génétique (texte de femme mais copiant les modèles masculins) demeure un contre-texte, c'est-à-dire fonctionnant à la fois dans le code (ici masculin) et hors du code, par le fait même que son auteur est une femme.
PILL.-CARST : 115/1. Texte : SCHULTZ.