V
L'hypertrophie du trobar
49
Chançon replicada en las fis (rimes couronnées)
Raimon de Cornet
Cette chançon replicada en las fis correspond à une technique qui, curieusement, n'est pas décrite dans les Leys d'Amor. Comme on peut le voir, ce jeu de rimes en écho consiste à annoncer phoniquement la rime dans la syllabe qui la précède, ce qui conduit à n'employer presque exclusivement que des rimes monosyllabiques. Ce procédé a été fréquemment utilisé par les Grands Rhétoriqueurs sous le nom de rimes couronnées (1). La encore, les troubadours tardifs les ont précédés de quelque 150 ans. Voici tout d'abord un exemple de rime couronnée pris dans Le Grand et Vrai Art de pleine rhétorique de Pierre Fabri, traité édité six fois entre 1521 et 1544 :
Moy, malheureux, qui suis de complains plains,
Confit en dueil et en ordure dure,
Et pou ou neant, les maulx dont suis plains plains
Et voy en moy toute laidure dure,
Par quoy d'enfer j'atens morsure seure,
Car c'est le lieu où sans pardon ardon.
Hélas ! Jésus, mon âme impure pure :
Mère de Dieu, pour moy procure cure,
De mes péchés que j'aye par don pardon (
2) !
Enfin, voici un spécimen de Triples équivoques pris dans le Traictie de l'Art de Rhétorique (anonyme ; second tiers du XVe siècle), où le poète a combiné à la fois les rimes couronnées et des rimes équivoques à triple récurrence phonique (« ryme couronnée par equivocque en triple unisonance »).
Quant du gay bruyt d'Amours souvent vent vente,
Et l'amant, qui son cueur sçavant vend, vante
S'amour, lors font telz cas, venuz nudz, nue
Trouble, doncq en plaisir Vénus n'euz nue,
Car elle trop ceulx telz goustans temps tempte ... (
3).
(Pour Raimon de Cornet, cf. nº 22.)
Notes :
1. Cf. LOTE : Vers français, II, p. 159 sq.
2. Cf. ZUMTHOR : Anthologie, p. 277-78.
3. Cf. ZUMTHOR : Anthologie, p. 275.