V
L'hypertrophie du trobar
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Chanson à rimes onomatopéiques
Raimon de Cornet
Cette chanson représente un autre tour de force de Raimon de Cornet. Elle consiste à utiliser des rims estramps (rimes orphelines) monosyllabiques dont le timbre concerté fait succéder, à deux reprises dans chaque cobla, la séquence vocalique a - e - i - o (on eût aimé un cinquième vers en /u/). De plus, la consonne d'appui de la voyelle est également la même chaque quatre vers, ce qui a pour effet une succession de rimes onomatopéiques assez extravagantes (tan - ten - tin - ton, pac - pec - pic - poc, etc.). Il faut ajouter que la séparation du mot-rime du reste du vers est la disposition même du manuscrit.
Encore une fois, des procédés voisins mais peut-être moins raffinés ont été utilisés par les Grands Rhétoriqueurs français, comme dans cette chanson unisonante, aux rimes rares, de Jean Molinet, dont voici la première strophe :
Adieu Vénus et Mars ; de moy est pic.
Je suis proscript et ja passé au bac :
Car quant je veulx, à bauldryer ou à cric,
Tendre l'engin, j'ay mal en l'esthomac ;
Les reins me tirent ; les nerfs me dient crac.
Je décline par hic et hec et hoc.
J’en lairray faire à Lancelot du Lac :
Car plus ne puis de taille ne d'estoc (
1).
Texte : NOULET-CHABANEAU, Deux Manuscrits provençaux, p. 102 (avec quelques retouches).
Note :
1. Cf. ZUMTHOR : Anthologie, p. 104, et LOTE : Vers français, II, p. 43 et 173-74.