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Poerck, Guy de. Bertran de Born: Molt m'es d'iscandre car col. "Annales du Midi", 73 (1961), pp. 19-33

080,028- Bertran de Born

 

Bertran de Born:

Molt m’es d’iscandre car col

Cette publication est la troisième (1) de celles que je compte consacrer à l’interprétation et à l’étude de la tradition manuscrite des poèmes de Bertran de Born à témoins multiples. L’édition princeps d’Alb. Stimming (1879), la seule à s’accompagner d’un apparat critique substantiel, repose beaucoup moins sur la recherche et l’utilisation systématique des fautes communes, que sur la constatation de l’existence de variantes et de groupements réguliers de manuscrits. Ces groupements réguliers se manifestent dès qu’une succession d’écarts dans la tradition se signale par le retour des mêmes sigles: ADIK, par exemple, s’accordent sur les leçons a, b, c, d, etc., tandis que les variantes a’, b’, c’, d’, etc. se lisent toutes dans CRUVTa’; en bonne méthode, mis devant cette situation, le philologue conclura à l’existence d’une famille ADIK, ou d’une famille CRUVTa’, selon que la faute lui paraîtra se trouver constamment du côté de a, b, c, d, etc., ou de a’, b’, c’ d’, etc. Stimming, lui, ne cherche pas, tout au moins ne le fait-il pas systématiquement, à distinguer les mauvaises leçons des bonnes, et à en tirer les conséquences qui s’imposent pour lui, l’état de choses exposé plus haut conduit à admettre l’existence d’une famille ADIK et d’une famille CRUVTa’. Il aboutit ainsi, presque nécessairement, à des stemmas bifides. De ces stemmas Joseph Bédier a dit qu’ils restituent l’éditeur dans sa liberté d’option (2); il s’est demandé si, inconsciemment, dans son désir de recouvrer sa liberté, poussant trop loin sa chasse aux fautes communes, l’éditeur ne finissait pas par considérer comme telles de bonnes leçons. Ma familiarité avec les méthodes d’Alb. Stimming me suggère l’explication plus simple que l’éditeur se désintéresse des fautes communes, ou plus exactement qu’il met sur le même pied, pratiquement, fautes communes, reconnues pour telles, ou non, et simples variantes; la sélection des bonnes leçons ne commence que lorsque le stemma est tout constitué; il ne résulte pas du stemma lui-même, mais du goût, subjectif, de l’éditeur. Les éditions de Bertran de Born reflètent les partis-pris de leurs auteurs.

Les critiques que j’ai cru devoir adresser aux méthodes d’édition de Stimming (3) et de ses successeurs contiennent par implication les principes sur lesquels me paraît devoir se fonder une édition vraiment scientifique. Il s’agit de repérer dans la tradition manuscrite non toutes les fautes, ce qui impliquerait au départ que le problème est résolu, mais un minimum de fautes communes évidentes, qui suffiront à assurer le regroupement correct des copies. Une fois le stemma ainsi dégagé, il faut y recourir sans cesse; c’est l’outil de l’éditeur, et non un vain ornement; la correction du stemma se mesure à la qualité du texte auquel il donne lieu, et aussi, tout au moins en principe, à sa constance d’un poème à l’autre; qualité du texte: le poème doit nous apparaître, dans les cas les plus favorables, sous un jour nouveau, et avec des beautés, et une évidence, qui nous avaient d’abord échappé; il doit être comparable au tableau débarrassé de ses retouches et de ses surpeints; la constance au moins relative des stemmas est l’autre critère de la réussite; de bonnes éditions partielles constituent le plus sûr chemin vers l’étude de la composition des chansonniers, laquelle se rattache à son tour au problème de la diffusion, et, en définitive, au problème de la fonction du poème.

 

Sigles.

St1 : Alb. Stimming, Bertran de Born, sein Leben und seine Werke, Halle, 1879, nº 28.

St3 : Alb. Stimming, Bertran von Born, Halle, 1913(2), nº 15 (Romanische Bibliothek, VIII).

Th: Ant. Thomas, Poésies complètes de Bertran de Born publiées dans le texte original, Toulouse, 1888, n° 15 des poésies politiques (Bibliothèque Méridionale, I, 1).

App: C. Appel, Die Lieder Bertrans von Born neu herausgegeben, Halle, 1932, n° 24 (Sammlung romanischer Uebungstexte, XIX/XX Band).

App Bertran v B: C. Appel, Bertran von Born, Halle, 1931, pp. 17, 44, 47, 65.

Levy: E. Levy dans Archiv für das Studium der neueren Sprachen, t. 144, 1922, pp. 93-98.

Kastner: L. E. Kastner dans The Modern Language Review, t. 32, 1937, pp. 177-182.

 

Le stemma.

Le sirventés nous a été conservé, complètement ou fragmentairement, dans dix chansonniers, ACDIKRTUVa’.

Si on laisse de côté le chansonnier a’, ADUV s’opposent à toutes les autres copies par l’absence de deux strophes, l’une derrière II, l’autre tout à la fin; l’ordre des strophes communes, pour le reste, est commun à ADUV et à IK. C’est naturellement un problème grave d’implications que soulève l’absence, dans d’excellentes copies comme A, D, et UV, de deux strophes dont rien, à priori, ne permet de supposer qu’elles sont inauthentiques. Je ne puis me résoudre à voir dans cette omission une faute commune, ni, par conséquent, la preuve d’une origine commune de ADUV, qui est tout à fait exclue pour le texte même du poème. Ce problème pendant, je préfère le réserver pour l’étude de la constitution des divers chansonniers. J’inclus dans mon édition les deux strophes supplémentaires; elles y figurent à la place que leur réserve IK. C, R et T présentent par rapport à cet ordre des lacunes et des transpositions: R omet IV et VI de l’ordre adopté, qui figurent dans C, mais intervertis; T omet VI, et déplace VII entre IV et V, en outre il intervertit les deux dernières strophes. Ces divers bouleversements ne sont que le reflet de l’extrême instabilité de T, C, R.

Le chansonnier a’ présente sous le nom de Peire Vidal un poème en huit strophes de même structure et de mêmes rimes que notre sirventés; les strophes I et III de a’ sont bien de ce troubadour, v. La lauzet’ e·l rossinhol dans l’éd. J. Anglade, Les poésies de Peire Vidal, Paris, 1923, n° I, str. 4 et 1, mais elles s’y combinent avec six strophes de notre poésie, à savoir VII entre les deux strophes de Peire Vidal, et derrière celles-ci, dans l’ordre, V, II, IX, VIII mais avec une strophe supplémentaire entre V et II; cette strophe supplémentaire, que seul a’ nous a conservée, commence Pos lo coms Richartz mais vol. Absente de St1, et pour cause (4), elle a été accueillie dans les éditions ultérieures, où elle figure entre IV et V, Th St1-3, ou entre V et VI, App. Son authenticité a été contestée par Kastner. On la trouvera dans la présente édition, entre [ ], sous V bis. En ce qui concerne l’ordre des strophes dans a’, je me bornerai à faire remarquer qu’il ne respecte même pas la division très nette entre strophes de contenu politique (I-V), et strophes de contenu amoureux (VI-IX), dont tiennent compte tous les autres chansonniers.

Notre sirventés repose à deux près, à savoir F et M, sur les mêmes copies que Non puosc mudar, dont j’ai établi ailleurs le stemma. Il suffit de modifier légèrement la situation et le rapport de T et de a’ dans ce stemma pour rendre compte, de façon satisfaisante, de la tradition manuscrite dans le cas présent:

 

 

Tâchons de justifier ce stemma:

urésulte des leçons manifestement fausses de DIK que voici:

1. mout m’es desendre (d.] descendre IK); 10. ocutel; 75, tresol.

w, représenté par IK, ajoute aux fautes de u les siennes propres dans 3. chambel; 12. espers; 19. coz; 23. ardit; 24. abinverna; 26. Enuisa; 38. dinverns.

Il n’y a, d’autre part, aucune faute manifeste réunissant u avec A: 25. del seignor; 30. e; 32. car (c.] que IK) oimais; 55. s’anon; 56. que bon, que met en avant St1 pour justifier son stemma bifide ne sauraient en aucun cas être considérées comme telles. Mais les leçons alternatives ne sauraient davantage être considérées à priori comme des fautes, si bien que l’existence de l’intermédiaire v ne s’impose pas.

x(=UV) résulte de 7. autre; 10. com a; 25. Miradol; 26. Coissan U Caisson V; 34. Orgel U Orgelh V; 36. seingnier (s.] seinher V) flanc; 38. denier, 49. las denz ; 57. astor; 65. lo; sans préjudice de quelques leçons propres confirmatives du groupement: 4. no·n vi; 5. me; 16. qe tot auran; 30. se tot se fan; 39. qe perdet; 50. e; 53-54. qe ... sofra; 59. adreit e franc; 61. il; 63. riccor.

z (= CR), éventuellement accompagné de T (= y), se détache un certain nombre de fois du tronc commun, l’accord de ces mss. se faisant sur des leçons manifestement corrompues: 

1. greu m’es defendre(d.] de fendre C) car col (c.] tol R) z, ben m’es deisedre cancol T; 2.3. e sapchatz (s.] ssapxats T) que (q.] qe T) no m es belh (b.] bel R bell T) car (c.] quar C) anc (a.] ieu R) y; 18. Maurelh z Maurell T; 21. yvern (y.] ivern T) y; 22. chalor (ch.] calor T) CT verdor R; 23. doussor (d.] dosor T) CT valor R; 24. clar z; à quoi on ajoutera les variantes confirmatives 4. no vim CT no vi R; 4. passat (p.] pasat T) ha (h.] a. R om. T) y; 7. l’ (l ] li R) autre e (s] s R) ieu z, e l’autr’ estan T; 9. qui z; 19. add. n y; yrnelh C irnelh R ; 22. e z ; 23. l’ardiz ante en tr. y; 24. quan CcanR; 26. Crueissa C Cruxa T deest R; 27. onguan C ongan T deest R; 30. mas CT deest R.

Il arrive cependant que R, copie contaminée, rejetant la leçon fautive de y adopte celle de v; 11. que ten; 15. merce; 19. agran; 21. ven; 24. s’abuerna; 34. Catala; 59. franc; 61. aytal; 63. de ricor. La chose se produit aussi pourC, mais exceptionnellement: 59. franc; 67. ·m. Le comportement de a’ est curieux; il s’accorde tantôt avec R (11. senhor R segnior a’; 35. trobonqui·ls; 57. q’eu; 62. 68. ad R a a’), tantôt avec CR=z) (9. qui... aguza),tantôt avec RT (34. CatalasRa’ CatalansT; 59. cuent’ R coint’ T coindesa’), tantôtenfin avec CRT(=y) (16. ben; 40. s’enfernaC s’ifernaR sinfernaT s’emfernaa’), soit en fait toujours avec R, isolé ou en groupe; on fera doncdépendre a’ de R.

Le manuscrit-base est A, dont l’orthographe a été scrupuleusement respectée. En cas de divergence des leçons, l’accord de A avec U, ou avec V, fournit en principe la bonne leçon.

 

Notes:

1. Voir mes éditions de Pois Ventedorns e Comborns ab Segur dans Romania t. 77,  1956, pp. 436-44 (sans notes), et Non puosc mudar dans Romanica Gandensia, t. 7, 1959, pp. 49-63.()

2. Quant à l’avantage que trouverait, subjectivement, l’éditeur à travailler avec un stemma bifide, je le vois mal: un des rôles du stemma n’est-il pas précisément, lorsque l’on se trouve devant deux ou plusieurs variantes également possibles, d’aider à choisir à coup sûr la bonne leçon?()

3. Le bilan est par contre largement créditeur là où il s’agit du commentaire philologique et historique.()

4. Elle a été publiée pour la première fois par C. Chabaneau dans la Revue des Langues romanes, 3ª série, t. XI, 1885, p. 237.()

 

 

 

 

 

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