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Appel, Carl. Poésies provençales inédites tirées des manuscrits d’Italie (Suite). "Revue des langues romanes", 39 (1896), pp. 177-216

335,035- Peire Cardenal

 

Bartsch, Grundriss, nº 335, 35. - Ms. D 241.

Ces deux couplets nous sont donnés comme l'œuvre de Pere Cardenal. Lui appartiennent-ils en effet? Peir Cardenal est pour nous l'auteur de véhéments sirventés contre une noblesse dégénérée et contre un clergé avide et immoral. Il est vrai que cette pièce-ci commence à peu près comme un sirventes moralisant; mais c'est une note qui n'y est touchée que très légèrement; ce sont plutôt les vers d'un amoureux élégiaque, qui pleure la perte de sa dame. Nous ne savons pas grand'chose de la vie de Peire Cardenal; nous savons pourtant bien qu'il n'a pas toujours été le rigide censeur des mœurs d'autrui. Sa biographie nous le dit: cant era petitz, sos paires lo mes per quanorgue en la quanorguia major del Puei; et apres letras, e saup ben lezer e chantar. E quant fo vengutz en etat d'ome, el s'azautet de la vanetat d'aquest mon, quar el se sentit gais e bels e joves (Hist. de Languedoc X 270.) Et s’ïl n'y avait pas sa biographie pour nous le dire, nous l'apprendrions par ses poésies. Le couplet suivant n'est certainement pas d'un sévère moralisateur (Mahn, Gedichte 1254 C, 1255 R) :

Qui·m fizava la renda e·l pezatge
de Polomnhac, ges non ai en coratge
que ieu n'embles lo pretz d'una fivella;
mas qui iovensella
mi comandava bella,
paor ai piuzella
no fos al cap del an;
……………… (1)
qu'ans que aur ni vayssella
ni denier ni bezan
……………… (2)
penria piuscella
tozeta ben estan,
trepan
aital iarbaudella (3)
que m'anes embrassan.
 

1-2. 8 et 11. Il manque un vers de deux syllabes en -an.

3. 15. larbaudella n'est qu'en C; R a une lacune. Il paraît que le mot. qui sera dérivé de qirbaut, signifie une danse.

 

Dans deux autres poésies, Peire Cardenal nous donne à entendre qu’il a connu l'amour. Mais il est bien aise de lui avoir échappé (Mahn, Werke II 209, Raynouard, Choix III 438):

«A présent je puis me louer de l'amour, puisqu'il ne m'empêche ni de manger ni de dormir. Je ne sens ni froideur ni chaleur. Je ne bâille hi ne soupire ni ne rôde pendant la nuit. Je ne suis ni conquis ni tourmenté. Je ne suis ni triste ni affligé. Je n'engage pas de messagers. Je ne suis ni trahi ni trompé, puisque je m'en suis échappé avec mes dés.»

«Et j'ai d'autres plaisirs plus grands: je ne trahis ni ne fais trahir: je ne crains pas que traîtresse ni traître ni furieux jaloux me causent du chagrin. Je ne suis pas en fou vassellage. Je ne suis ni battu ni jeté en bas. On ne m'emprisonne ni ne me pille. Je ne fais pas de folle attente. Je ne dis pas que je sois forcé d'amour ni qu'on m'ait volé mon cœur.»

 

Il parle à peu près de la même manière dans la pièce Ben tenh per folh e per muzart (Rayn. III 436, Mahn Werke II 210). Certes, l'amie que Peire Cardenal est si content d'avoir quittée n'est pas celle dont on pleure la perte dans les deux couplets en question.

Il y a beaucoup plus d'affinité de sentiments entre ces couplets et une autre pièce de Peire Cardenal (Mahn, Gedichte 1248-49) :

Lo plus fis druiz q'anc nasqes
seri 'eu, s'ami 'ages,
qe, ia plaiser no·m feses,
ben fora sos hom ades;
c'una ves amei
e per aizo sai
d'amor consi vai,
ni con amarai
autra ves, qan mi volrai.
 
Amors, qi la semenes,
nasqera aitan espes
qe per un gran n'agr'om tres
e d'un plaiser mais de des
e vint d'un demei,
e d'un iai verai
naisseran cen iai,
tro disses: ieu n'ai
mil tanz q'ieu non semenai.
 

On ne dira peut-être pas que l'auteur de: cette pièce ne puisse pas être celui des deux couplets.

 

Voyons si la métrique des couplets peut nous éclairer. Leur compas est celui-ci: aabaabbbaab, b est féminin; les vers sont de 6 syllabes. Il ne paraît pas qu'il nous soit parvenu une pièce d'un compastout à fait identique et avec exactement les mêmes rimes. Il est pourtant évident que quelques poésies que nous possédons ont des rapports métriques avec celle-ci. Il y a deux pièces qui ont le même compas, augmenté de deux fois bbaab. Ce sont: Gui d’Uisel N'Ebles pas endeptatz (MG 530, Suchier Denkm. p. 328) et Fraire menor, Cor ai e voluntat (Choix, IV, 469, Mahn Werke III 295).

La rime b de ces deux pièces est identique avec la rime b des deux couplets; la rime a est en ar dans ceux-ci, en atz dans ceux-là; ce sont donc des rimes qu'on pourrait dire apparentées. Mais ce qui est plus évident encore, c'est que les deux couplet sont des rapports avec la pièce Lo segle m'es camjalz de Bertran d'Alamano (Choix IV 330, Mahn Werke III 146). Il est vrai que le compas de cette poésie a encore trois vers (aab) de plus que est celui des pièces de Gui d’Uisel et de Fraire menor et que la rime a est aussi en atz.Mais les couplets et cette pièce se ressemblent par le sujet et par le ton, et les deux poésies commencent presque par les mêmes mots. Il est clair que l'une des deux est l'imitation de l'autre. Laquelle est l'original? On ne doutera guère, en les lisant, que ce ne soit ta pièce de Bertran d'Alamano. Si, pourtant, on ne veut pas se fier à la sûreté de ce jugement de première vue, on demandera laquelle des deux formes métriques, qui, nous l'avons vu, diffèrent par le nombre des vers et par la rime a, est la forme originale. Il ne paraît pas probable que ce compas soit inventé pour aucune des quatre pièces. Celle de Gui d'Uisel est une tenson, celle de Fraire menor est une prière à la Vierge, on appellera sirventes la pièce de Bertran ainsi que les deux couplets.

Il est tout d'abord vraisemblable que les trois pièces, dont rien ne prouve que deux en soient faites sur la troisième, ont conservé la rime originale plutôt que la pièce isolée. Ce serait donc la rime -atz qui aurait appartenu au prototype. En effet, la poésie de Gui d'Uisel a toutes les chances d'être la plus ancienne des quatre. S'il en est ainsi, il faut encore conclure que la pièce de Bertran est antérieure aux deux couplets. Peire Cardenal serait donc l'imitateur de Bertran d'Alamano, non seulement pour la forme métrique mais aussi pour le contenu et pour le ton de cette poésie (1). Il est difficile, et même impossible de le croire, parce que ces deux couplets appartiendraient certainement au commencement de la carrière poétique de Peire Cardenal, c'est-à-dire au commencement du XIIIe siècle, tandis que Bertran appartient au deuxième tiers de ce siècle (O. Schultz, Zeitschrift IX p. 134 s.).

Il est donc de toute vraisemblance que les deux couplets ne sont point l'œuvre de Peire Cardenal.

 

1. La rime via=vida v. 11 ne serait pas une preuve contre Peire Cardenal. La même rime se retrouve chez lui p. ex. dans la pièce Ben tenh per folh e per muzart cobla 4.

 

 

 

 

 

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