Grundriss, 349, 4. - Ms. a 245.
La forme métrique de ces deux pièces [349,004 et 349,005] n'est pas dépourvue d'intérêt. Le compas de la première est assez simple:
a7 b7 a7 b7 c7 c7 d7 d7 c3,
mais, en revanche, les couplets se trouvent liés par un curieux changement de rimes. La rime qui est la deuxième dans un couplet, est toujours la première dans le couplet suivant, la troisième devient la deuxième, la quatrième la troisième, et la première la quatrième. Le dernier vers, enfin, celui de trois syllabes, reçoit chaque fois une nouvelle terminaison et n'est jamais rimé à aucun autre. Il y a quelques exemples d'un pareil déplacement de rimes. Arnaut de Marueill 26 et Elias Fonsalada 2 présentent le même système. Mais les compas de ces pièces sont différents. D'autres, et de plus nombreuses poésies font voir un système opposé, mais pourtant semblable: la première rime de chaque couplet y devient la deuxième dans le couplet suivant, la deuxième devient la troisième, et ainsi de suite.
L'autre pièce de Peire Milon [=349,005] a la forme:
a b c d e f g d, vers de dix syllabes; les rimes a c d f sont féminines. Mais les vers l 2 3 de chaque couplet correspondent aux vers 5 6 7, en ce que a et e, b et f, c et g sont des «rimes grammaticales». Si nous désignons la rime féminine par la lettre grecque correspondant à la lettre latine qui désigne la rime masculine, la forme sera:
αb γ d a β c d.
Je ne vois pas qu’il y ait aucune autre pièce de la mème forme. Il paraît donc que Peire Milon est un troubadour qui s'étudie à composer dans des formes assez compliquées. Nous sommes d'autant plus surpris de voir ce troubadour faire quelquefois ses poésies sur des formes simples qui ne lui appartiennent pas. J'ai déjà fait remarquer, dans mon édition de Peire Rogier, p. 91, que Peire Milon 1 a la même forme métrique et les mêmes rimes que Belh Monruelh,aisselh que·s part de vos, attribué à Bernart de Ventadorn, et que le numéro 7 est identique, pour la forme et les rimes, à Peire Raimon de Toloza 16, nº 9 à 461, 77, auquel il faut ajouter encore Peirol 9. Je ne connais pas de modèles pour les autres pièces de Peire Milon (1), mais après avoir constaté l'imitation dans quelques cas, l'originalité de Peire Milon nous sera suspecte aussi dans les autres.
Mais il y a dans les deux poésies de Peire Milon ce qui nous intéresse beaucoup plus que leur forme métrique: c'est la langue dans laquelle elles ont été écrites. Nous sommes frappés d'abord, dans la première pièce, par les rimes mon (monde), respon avec chanzon, razo, mession, etc. Ces rimes pourraient, toutefois, appartenir aux cas exceptionnels, mais point bien rares, où une terminaison avec n stable rime à une autre avec n instable, cas dont parle M. Lienig dans son consciencieux travail Die Grammatik der provenzalischen Leys d'Amors verglichen mit der Spracheder Troubadours, p. 97. Mais nous sommes bien plus surpris de trouver dans l'autre pièce des rimes eu -ea ou -eia qui, s'il y en a des exemples dans la littérature épique, ne se trouvent guère chez les troubadours. Il est vrai qu'il serait aisé de remplacer presque toutes ces formes en -ea, -eia par des formes en -ada; mais, en continuant l'examen des poésies de Peire Milon, on ne sera pas long à s'apercevoir que ce poète ne s'est point servi de la pure langue littéraire des troubadours, et on se gardera bien d'introduire dans un texte soi-disant critique les formes de cette langue.
Il faut donc étudier la langue ou le dialecte de Peire Milon. Pour faciliter cette étude, j'ai abandonné l'idée de donner les deux pièces ci-dessus dans un texte critique, ce qui, du reste, me paraîtrait assez difficile à faire. Je les ai reproduites, sauf quelques petites corrections, exactement comme elles se trouvent dans le msc. a. Et je vais ajouter à ces deux pièces toutes les autres de Peire Milon, à l'exception des nº 2 et 8, qui ont été publiés, il n'y a pas longtemps, dans mes Provenzalische Inedita aus Pariser Handschriften, p. 239 et 242.
1. Nº 2 a la mème forme que Guillem de Cabestanh 7 et que la pièce anonyme qui est publiée dans Suchier Denkmaeler, p. 320. mais les rimes sont différentes.(↑)