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Cluzel, Irénée. Princes et troubadours de la maison royale de Barcelone-Aragon. "Boletín de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona", 27 (1957-1958), pp. 321-373.

325,001- Peire rei d'Arago

 

III
PIERRE III D'ARAGON
(1276-1285)

La renommée de Pierre III, que les Catalans ont appelé « le Grand », fut, au cours du Moyen Age, celle d'un prince aimable, bien fait de sa personne, vaillant et généreux. Dante écrit à son sujet :

« Quel che par si membruto...
D'ogni valor portó cinta la corda.» (Purgatorio, chant VII, vers 112-14.)

Sa gloire, célébrée par les chroniqueurs, a trouvé de nombreux échos dans la littérature européenne. On sait que Shakespeare a fait de Pierre III un personnage de la comédie : Much ado about nothing (1598). Toutefois, le grand dramaturge anglais ne présente pas le roi sous un jour aussi favorable que Boccace. Bornons-nous, en effet, à transcrire l'argument de la Nouvelle VII de la Xº Journée du Décaméron : «Il re Pietro, sentito il fervente amore portatogli dalla Lisa inferma, lei conforta, e appresso ad un gentil giovane la marita, e lei nella fronte basciata, sempre poi si dice suo cavaliere» (1). Cette romanesque histoire n'est d'ailleurs peut-être pas de pure invention. On lit, dans la Crònica de Desclot (2), qu'une dame de Messine, épouse du capitaine Alaimo de Lentini, « molt bela, e gentil, e molt prous e valent de cor e de cors », s'éprit du roi d'Aragon « com de valent seyor e agradable, no gens per negun malvat enteniment ». On peut voir là le fondement historique de la charmante nouvelle du conteur florentin.

Ce roi chevalier fut aussi poète, mais les témoignages de son talent sont malheureusement peu nombreux. La bibliographie de Pillet-Carstens ne lui attribue que deux coblas (Pillet, 325, 1), dont nous allons reparler. Mr. de Riquer, dans un travail récent (3), démontre qu'il faut voir, en outre, dans Pierre III, alors Infant, l'interlocuteur, dans une tenson, d'un certain Peyronet (Pillet, 322b, 1).

Les coblas font partie d'un « chapelet » de vers échangés entre le roi d'Aragon et Peire Salvagge, d'une part, et, d'autre part, Bernart d'Auriac, le comte Roger Bernart III de Foix et un anonyme, peut-être italien. Les coblas ont été échangées au moment de la guerre franco-aragonaise de 1285 ; elles constituent un ensemble de défis et de menaces entre partisans (Peire Salvagge) et ennemis de Pierre III. Avec juste raison, nous semble-t-il, Mr. de Riquer n'admet pas l'ordre d'intervention des personnages proposé par A. Jeanroy (4). Selon l'érudit espagnol, le débat a été ouvert par Bernart d'Auriac, avant le 10 juin 1285, c'est à dire avant que les troupes françaises aient franchi les Pyrénées (vers 23 des coblas de Bernart d'Auriac), et même vraisemblablement avant même que la « croisade » ait été définitivement constituée (vers 16-18). Ces constatations peuvent faire admettre la date de mars 1285. La riposte de Pierre III est plus tardive : il est évident que les troupes françaises se sont alors mises en mouvement (vers 4 des coblas du roi). Mr. de Riquer date donc les coblas royales du mois de juin ; les autres interlocuteurs seraient ensuite intervenus dans l'ordre suivant : Peire Salvagge (juillet), le comte de Foix (fin juillet), et l'anonyme.

Les vers de Pierre III sont d'une facture et d'un mouvement remarquables ; ils attestent la virtuosité de leur auteur et sa maîtrise de la koiné provençale. On ne peut y voir l'œuvre d'un troubadour occasionnel, et Jeanroy en fait un éloge mérité (5).

En ce qui concerne la tenson avec Peyronet, elle doit avoir été composée vers le mois d'octobre 1268, date à laquelle la présence d'un jongleur de ce nom est attestée dans l'entourage de l'Infant (6). Les allusions de Peyronet concernent sans doute la rébellion du comte de Foix et du vicomte de Cardona contre Jacques le Conquérant (septembre-décembre 1268).

 

Texte : C (Les variantes données par I sont négligeables). A. Jeanroy introduit sans nécessité quelques légères corrections au texte des vers 16 (contar), 21 (ab sos t.), 25 (cor), 30 (qu'ieu vis la soa plazen f.).

 

Notes:

(1). Le sujet a été porté à la scène par A. de Musset (Carmosine, 1850) ; Swinburne s'en est aussi souvenu (The Complaint of Lisa). Il est vraisemblable que Shakespeare avait emprunté le thème de sa comédie à M. Bandello (Novelle, Parte prima, XXII). ()

(2). Crònica, a cura de M. Coll i Alentorn, Earcelona (Els Nostres Clàssics), 1949-51, 5 vol., III, p. 114 ss. La dame qui s'éprit du roi s'appelait Macalda Scaleta. Mr. Coll i Alentorn (p. 115, note) signale que, suivant certains chroniqueurs, elle aurait tenté « d'atraure's el rei amb malvat enteniment, però que el rei es desentengué d'ella. El despit per aquest refús la porta més tard a revoltar-se contra Pere ». ()

(3). Un trovador valenciano : Pedro el Grande de Aragón, « Revista valenciana de filología », tomo I, fasc. 4.°, 1951. ()

(4). Les « coblas » provençales relatives à la croisade aragonaise de 1285, « Homenaje ofrecido a Menéndez Pidal », III, Madrid, 1925, p. 77 ss. Mr. de Riquer, avec des arguments sérieux et convaincants (p. 26-32 du tirage à part de l'article cité dans la note précédente), établit que les coblas ont été échangées entre mars et juillet 1285. ()

(5). La poésie lyrique des troubadours, I, p. 201 : « ...il adressa à un de ses compagnons d'armes... deux couplets d'un style sobre et ferme, tout vibrants d'ardeur guerrière, qui valent mieux à eux seuls que les plus savantes élucubrations de ses protégés ». ()

(6). Mr. de Riquer, Un trovador valenciano..., p. 15 du tirage à part. ()

 

 

 

 

 

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