IV
JACQUES Ier DE SICILE (1285-91), II D'ARAGON (1291-1327)
Comme tous les princes de sa famille, Jacques II « le Juste » protégea les Arts et les Lettres, et fut lui-même poète. C'est au cours de son règne que se développa une école lyrique catalane, indépendante de celle de Toulouse, et dont le manuscrit 129 de Ripoll nous a transmis quelques témoignages (1). On peut conjecturer que la plupart des poètes dont les noms figurent dans ce « chansonnier » ont été des « clients » de Jacques II ; la chose est assurée tout au moins pour Jofre de Foixà, auteur de quatre pièces lyriques et des Regles (de trobar) destinées à faire suite aux Razos de trobar de Raimon Vidal de Besalú (2). Le traité de versification et de grammaire de Jofre de Foixà est, en effet, selon l'auteur, composé « per manament del noble e alt senyor en Ja[cme], per la gracia de Deu rey de Sicilia, qui en trobar pensa e s'adelita grantmen... » (3).
Un autre protégé de Jacques II fut le célèbre polygraphe catalan Arnau de Vilanova, médecin, alchimiste et théologien (vers 1235-1311), dont les sermons contre la corruption de l'Eglise et les prophéties au sujet de l'Antéchrist et de la fin du monde ont fortement ému l'opinion de son temps (4). C'est d'ailleurs dans un manuscrit des œuvres d'Arnau qu'a été conservée la seule poésie provençale, parvenue jusqu'à nous, de Jacques II. La déclaration de Jofre de Foixà prouve que ce monarque avait composé d'autres pièces de vers. La poésie conservée porte le nom de « dancia » (5). Elle a pour objet l'état de l'Eglise, comparée par le souverain à un vaisseau battu par la tempête. Le troubadour royal, incriminant la faiblesse du Pape (lo nauchier), supplie la Vierge Marie de venir au secours de l'esquif, menacé de toute part et démuni de gouvernail.
Cette allusion permet de conjecturer que la dancia peut avoir été composée sous le pontificat de Célestin V, saint homme sans énergie (1294). Il faut, en effet, écarter Boniface VIII (1294-1303), qui fut un protecteur de Jacques II, et dont le caractère et la personnalité étaient particulièrement énergiques. Mais l'allusion pourrait aussi concerner Benoît XI (1303-1305) ou même Clément V, qui transféra le Saint-Siège en Avignon (1305-1314). En tout état de cause, le terminus a quo est l'année 1291, puisque Jacques II est désigné sous le titre de roi « d'Aragon », et le terminus ad quem ne peut être recherché au-delà de 1311 (date de la mort d'Arnau de Vilanova). La date extrême de 1320 proposée par J. Massó Torrents (6) est évidemment à rejeter.
Texte : C. de Lollis, avec quelques modifications.
Notes:
(1). Voir : J. Rubió, Del manuscrit 129 de Ripoll (Arxiu de la Corona de Aragó) del segle XIV, « Revista de bibliografia catalana », V, Barcelona, 1905, p. 285-378. On trouve dans ce recueil quelques pièces anonymes, et des poésies de Pere Alamany, Dalmau de Castellnou et du Capellà de Bolquera. On peut notamment consulter à ce sujet : J. Massó Torrents, L'antiga escola poètica de Barcelona, Barcelona, 1922, p. 24 ss., et M. de Riquer, Resumen de Literatura catalana, Barcelona, 1947, p. 48 ss. Ce dernier érudit a justement noté l'influence de Cerveri qui pèse sur les productions transmises par le manuscrit de Ripoll. (↑)
(2). E. Li Gotti, Jofre de Foixà, Vers e Regles de trobar, Modena, 1952. (↑)
(3). E. Li Gotti, op. cit., p. 69. (↑)
(4). Arnau de Vilanova a laissé un grand nombre d'ouvrages écrits en latin, en arabe et en catalan. Ses œuvres catalanes sont en cours de publication dans la collection « Els Nostres Clàssics », Barcelone. (↑)
(5). La dancia est largement représentée dans le manuscrit de Ripoll. Sept poèmes portent ce titre (Amorosa mayhorquina ; No·m pux d'aymar vos estrayre ; Fis vos suy ayman ; Dompna, de mi merce·us prenya ; Gentil dompna sens erguyl ;Xi con la flor ben olen ; Ay senyer, saludar m'ets). A. Jeanroy a consacréau manuscrit de Ripoll quelques pages dans un article de l'Histoire Littéraire de la France(tome XXXVIII, fascicule I, Paris, 1941, p. 23 ss). Jeanroy déclare qu'on trouve douze exemples de dansa, mais sept pièces seulement, comme nous l'avons dit, portent ce titre. (↑)
(6). L'antiga escola..., p. 24. (↑)