VI
PIERRE IV D'ARAGON
(1335-1387)
Pierre IV, dont la personnalité rappelle sur plus d'un point celle du roi de France Louis XI, fut un esprit curieux, attiré notamment par les sciences occultes : astrologie, alchimie et nécromancie (1). A. Rubió y Lluch a mis en lumière son goût pour l'histoire et les romans de chevalerie (2). Pere Miquel Carbonell, d'une façon d'ailleurs très banale, a loué les talents littéraires du souverain, mais sans faire allusion à ses essais poétiques (3). On sait enfin que Pierre IV ne fut pas étranger à la composition de sa « Chronique » (4). Une phrase du manuscrit 26 des Archives de la Couronne d'Aragon (fol. CC) porte ce bref mais éloquent jugement sur les talents du roi : « Era gran trobador e home docte en Astrologia e en altres arts ». A. Pagès (5) a consacré plusieurs pages à l’énumération des poètes, jongleurs et musiciens avec lesquels « le Cérémonieux » fut en relations. Cet érudit a justement noté : « Malgré une certaine austérité, quelque rudesse, voire même de la cruauté, Pierre le Cérémonieux ou del Punyalet, comme on l'a encore appelé à cause du petit poignard qu'il portait toujours à sa ceinture, aimait la musique et les distractions... Le goût du roi pour la littérature française se manifeste encore par le choix des livres qu'il achète ou fait exécuter et aussi dans les « histoires » qui ornent ses tapisseries... Ce sont surtout les romans en prose de la Table Ronde qui ont ses préférences, et, en particulier, le Lancelot... etc… » (6).
Il importe cependant de noter que ce royal amateur, malgré son goût pour les poètes, ne perdit jamais de vue les intérêts de sa politique. C'est en vain, en effet, que Thomas Periz de Fores adressa à Pierre IV les vers : « Trop me desplay can vey falir... », pour tenter de lui faire adopter une attitude plus clémente en faveur de son petit-cousin et beau-frère, Jacques II de Majorque (7).
« Le Cérémonieux » admirait fort son oncle, l'Infant Pere, comte de Ribagorça et d'Ampuries, qui, au témoignage du chroniqueur Ramon Muntaner, composa des noves rimades à l'occasion du couronnement d'Alphonse IV « le Bénigne » (8).
Les manuscrits nous ont conservé quelques essais poétiques de Pierre IV ; il s'agit d'ailleurs de pièces de circonstance sans grande valeur littéraire, et l'on peut regretter la perte des « chansons » que le souverain lui-même nous dit avoir composées (9).
Nous imprimons :
— deux coblas avec tornada, ayant trait à la « chevalerie » ; ces vers sont inclus dans une lettre royale datée du mois d'août 1378 (10).
— deux coblas avec tornada, relatives aux projets de mariage, désavoués par le roi, de l'Infant (le futur Jean Ier d'Aragon) avec la française Yolande de Bar, nièce de Charles V. L'union fut célébrée le 2 février 1380. Contrairement aux désirs paternels, l'Infant avait préféré Yolande à Marie, héritière du royaume de Sicile (11).
— une « sentence » donnée par le roi à propos de la tenson de Jacme March et du vicomte de Rocaberti sur les avantages respectifs de l'été et de l'hiver (12).
Milá y Fontanals (13) attribue, en outre, à Pierre IV dix vers (noves rimades) composés à propos du mariage de ce roi avec sa quatrième femme, Sibilia Forcia, et surtout à l'occasion des fêtes du couronnement de cette reine. Cependant, nous pensons, avec A. Pagès (14), qui a d'ailleurs réimprimé ces dix vers (15), que rien ne permet de les attribuer au monarque.
Notes:
(1). C'est sur les ordres de Pierre IV que des traités d'astrologie ont été rédigés par le médecin du roi, Bartomeu Tresbens, et par Dalmau Ses-Planes et Pere Gilbert (1359). (↑)
(2). La cultura catalana en el regnat de Perre III (« Est. Univ. Cat. », VIII, 219). (↑)
(3). A. Pagès, Chronique Catalane de Pierre IV d'Aragon..., Toulouse-Paris, 1942, p. LXIII-LXIV. (↑)
(4). Voir, à ce sujet, A. Pagès, op. cit., p. LXVII-LXXII. (↑)
(5). La Poésie française en Catalogne du XIIIe siècle à la fin du XVe..., Toulouse-Paris, 1936, p. 14-21. Il n'est peut-être pas indifférent de noter que l'un des hauts fonctionnaires de la cour, le majordome Bernat de So, était lui-même, comme le souverain, poète à ses heures (Voir : A. Pagès, La« Vesió » de Bernat de So..., p. 7 ss.). (↑)
(6). La Poésie fr. en Cat..., p. 16 et 19-20. (↑)
(7). Voir : Chron. Cat. de Pierre IV..., chap. III, p. 120 ss., et M. de Riquer, Thomas Periz de Fozes, trovador aragonés en lengua provenzal, « Archivo de Filología Aragonesa », vol. III, 1950, p. 13 du tirage à part. (↑)
(8). Voir : Milá y Fontanals, De los Trovadores..., p. 471 ss., et A. Pagès, La « Vesio », de Bernat de So..., Toulouse-Paris, 1945, p. 130, note IV 32. (↑)
(9). « d'Amor no çant, axi com fer solia... » (Vellan el lit...). (↑)
(10). Manuscrit n.º 26 des Archives de la Couronne d'Aragon (fol. CC). Une note marginale indique : « son en lemosi les presentes cobles ». (↑)
(11). Même manuscrit. La lettre où les coblas sont transcrites est datée du 13 novembre 1369 (il faut lire : 1379). (↑)
(12). A. Pagès, Les « Coblas » ou les poésies lyriques provenço-catalanes de Jacmes Pere et Arnau March..., Toulouse, 1949, p. 46. (↑)
(13). Op. cit., p. 474-75. (↑)
(14). La Poésie fr. en Cat..., p. 15. (↑)
(15). La Poésie fr. en Cat..., p. 67. (Milá y Fontanals, op. cit., p. 475, note 7 de la page 474.) (↑)