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Cluzel, Irénée. Princes et troubadours de la maison royale de Barcelone-Aragon. "Boletín de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona", 27 (1957-1958), pp. 321-373.

92.1- Reina de Mallorca

 

VII
CONSTANCE REINE DE MAJORQUE
(reine en 1325)

Nous croyons, avec Milá y Fontanals (1), que le manuscrit n.° 7 de la Bibliothèque Centrale de Barcelone (Pillet, Chansonnier Ve Ag) porte bien, au folio 97, la suscription : La Reyna de Mallorques. La lecture : La Domna est, selon nous, tout-à-fait inadmissible ; quant à la leçon : La Femna, outre son manque de probabilité paléographique, elle n'est guère acceptable, aucune poétesse d'oc n'ayant été, à notre connaissance, désigné par ces mots dans les manuscrits médiévaux. Les arguments présentés par A. Jeanroy contre le bien-fondé de l'attribution sont loin d'être convaincants (2) ; il écrit : « L'attribution à « la reine de Majorque » pourrait être du fait d'un scribe, séduit, comme Milá lui-même, par l'analogie des situations ». C'est bien évident ; mais il est bien évident aussi que le scribe des premières années du XVe siècle (3) pouvait disposer de sources que nous n'avons pas ; en tout état de cause, le scepticisme purement subjectif du grand provençaliste n'est pas scientifiquement fondé. On ne peut, en effet, attribuer une grande valeur à la variante donnée par le texte du Décaméron catalan de 1429 (4) ; à vrai dire, il s'agit plutôt là d'une citation (les treize premiers vers seulement) dont le dernier mot est précisément le terme contesté. Or, détachée du reste du poème, la citation, avec Ffrança, n'offre guère de sens ; l'auteur (ou le scribe) du Décaméron a donc substitué : dança. Au contraire, dans le texte complet, c'est le mot : dança qui paraîtrait insolite. Les probabilités sont, on le voit, en faveur de l'authenticité du texte de « Ve Ag ». Nous admettons donc, avec Milá, suivi par J. Massó-Torrents (5), que la pièce est bien d'une reine de Majorque, et que cette reine était Constance d'Aragon (1313-1346), arrière petite-fille de Pierre III, et sœur du « Cérémonieux ». Elle avait épousé en 1325 l'infortuné et téméraire Jacques II de Majorque, roi de 1324 à 1344, date où l'île fut annexée, à l'instigation de Pierre IV, aux domaines de la Couronne d'Aragon par le Parlement catalan (6). On sait comment, après avoir vendu en 1349 la seigneurie de Montpellier au roi de France, Jacques II tenta vainement de réoccuper Majorque (7) ; il trouva la mort au cours de cette expédition (25 août 1349). Nous savons qu'à partir de 1333, et jusqu'en 1336, Jacques II séjourna plusieurs fois en Languedoc ; il n'est donc pas interdit de conjecturer que la charmante pièce de Constance a été composée par la jeune reine à l'occasion d'une absence de son mari. Les événements historiques peuvent, on le voit, confirmer l'attribution du scribe de « Ve Ag ».

Avant de mettre un terme à cette brève notice, une remarque nous paraît s'imposer. Les tendres sentiments exprimés avec passion par Constance d'Aragon opposeraient un démenti à l'attitude que la Chronique de Pierre IV prête à cette princesse. Suivant ce document (8), c'est elle-même qui aurait dévoilé à son frère, le « Cérémonieux », les projets de trahison nourris (?) par le roi de Majorque à l'occasion de l'entrevue de Barcelone.

Il n'est pas inutile enfin d'examiner une opinion d'A. Pagès (9) sur la sincérité des sentiments de la reine. Il écrit : « Il est peu conforme aux pratiques de l'amour courtois qu'un mari ait été l'amant de sa femme ». Il conjecture, en outre, que le mot : mairitz (vers 29) pourrait être une forme, avec aphérèse, de : amairitz (amante) ; toutefois il n'évoque cette hypothèse que pour l'écarter, puisque le poème est l'œuvre d'une femme. Nous sommes évidemment d'accord avec Pagès sur ce point. Mais nous ne pensons pas, comme lui, que l'expression d'un sentiment personnel « peu conforme aux pratiques de l'amour courtois » ait été impossible, même au XIVe siècle. Constance, reine et catalane, n'était pas une poétesse professionnelle strictement attachée à des conventions « de métier ». Au demeurant, est-il rationnel de voir toujours et systématiquement dans une œuvre lyrique médiévale un simple exercice de style et de versification ? Pour nous, cette attitude découle d'une de ces « légendes érudites » dont on a parlé. Conservons donc la leçon : mayritz = maritz ; elle s'accorde parfaitement avec l'inspiration générale du poème, et les séjours de Jacques II en France peuvent logiquement la faire admettre.

 

Avertissement : Nous acceptons l'appellation de « descort » proposée par A. Pagès (La poésie fr. en Cat., p. 145, note 2), tout en notant avec A. Jeanroy (Hist. litt. de la France, tome XXXVIII, fasc. I, p. 17, note 2) que « le descort n'est jamais terminépar une tornade ». L'essai de restitution de la structure métrique tenté par A. Pagès (« Annales du Midi », tome XLVI, 1934, p. 203-204 et 206-208) demeure, comme l'avoue cet érudit lui-même, entièrement et purement conjectural, malgré toute son ingéniosité ; « il est impossible — écrit justement Jeanroy — de ramener à la même forme les deux couplets dont se compose la pièce, et la tornade ne correspond à la fin ni de l'un ni de l'autre ». Devant cette incertitude, nous respectons strictement la présentation du manuscrit.
Texte : VeAg.

 

Notes:

(1). « Revue des Langues Romanes », tome XIII, 1878, p. 66, note. ()

(2). Histoire littéraire de la France, tome XXXVIII, fasc. I, Paris, 1941, p. 17-18. A. Jeanroy ne discute pas d'ailleurs la lecture : Reyna. ()

(3). Sur la date du chansonnier Ve Ag, voir notamment M. de Riquer, Jordi de Sant Jordi, Granada, 1955, p. 105. ()

(4). Nous donnons les variantes du Décaméron à la suite du texte de Ve Ag. Voir la note de Jeanroy, Hist. litt., p. 18 (note 2). ()

(5). Repertori de l’Antiga Literatura catalana, La Poesia, Barcelona, 1932, p. 307. ()

(6). Cronica cat. de Pierre IV..., chap. III, p. 120 ss. ()

(7). Voir : D'Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier..., I, p. 211, ss. ()

(8). Cronica cat. de Pierre IV..., p. 124. Ce document doit, à ce sujet, être utilisé avec précaution, puisqu'il a été inspiré — sinon rédigé — par Pierre IV. ()

(9). Les poésies lyriques de la traduction catalane du Décaméron, « Annales du Midi », tome XLVI, 1934, p. 204. ()

 

 

 

 

 

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