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Gérard-Zai, Marie-Claire. Édition d'une romance parodique en ancien occitan: "L'altrier cuidai aber druda". "Studia occitanica in memoriam Paul Remy", ed. de H.-E. Keller. Kalamazoo: Western Michigan University, 1986, vol. 2, pp. 53-63.

461,146- Anonyme

 

Édition d'une romance parodique en ancien occitan: «L'altrier cuidai druda».

La pièce “L'altrier cuidai aber druda” présente une situation hors du commun à plus d'un titre. C'est une pièce “provençale” contenue dans un chansonnier français. Certes, depuis la parution récente de l'étude de Manfred et Margret Raupach, Französierte Trobadorlyrik. Zur Überlieferung provenzalischer Lieder in französischen Handschriften, Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, 171 (Tübingen, 1979), ce problème, loin d'être exceptionnel, est mieux connu et cerné. Il s'agit donc d'un unicum, d'une des 109 pièces recensées par M. et M. Raupach, “provençales” et conservées dans un manuscrit français, en l'occurrence, le “Manuscrit du Roi”, Paris, B.N. f. fr. 844 (sigle W pour les manuscrits occitans, M pour les manuscrits français), fol. 191r-v (nouvelle foliotation), 199 C-D (ancienne foliotation), avec notation musicale. La pièce est inédite à ce jour, elle a été reproduite diplomatiquement par Louis Gauchat (1), on décèle toutefois quelques inexactitudes de lecture dans son texte. Quelques années auparavant, Edmund Stengel, dans une note complémentaire à l'ouvrage d'August Pleines (2), reproduit le texte diplomatique du manuscrit M en réponse à une polémique ouverte entre Ludwig Römer et Oscar Schultz-Gora. Les dix-huit premiers vers de la pièce seront repris en 1979 par M. et M. Raupach dans l'ouvrage cité (p. 125). Le premier philologue, à notre connaissance, qui cite la pièce est Ludwig Römer, Die volkstümlichen Dichtungsarten der altprovenzalischen Lyrik, Ausgaben und Abhandlungen aus dem Gebiete der romanischen Philologie, 26 (Marburg, 1884); il la classe dans le chapitre intitulé “Die Pastorella”, p. 26: “L'autrier cuidai aver druda: Nur in W und mir nicht zugänglich, da das Gedicht noch ungedruckt ist”. Cette allégation et cet aveu d'ignorance soulèvent la critique très sévère d'Oscar Schultz-Gora dans le compte rendu partial du livre de Römer, in Zeitschrift für romanische Philologie 9 (1885), 156-58. Römer répond: “Das Gedicht B.Gr.462.146 hielt ich für eine Pastorella, 1. weil mir kein provenzalisches Gedicht bekannt ist, das mit L'autrier beginnt und nicht wenigstens in formaler Beziehung zur Pastorella steht, 2. weil das Ms W eine altfranz. Liederhandschrift ist, die gerade einige volkstümliche provenzal. Lieder und Lais enthält, 3. weil die Anfangszeile auf ein Liebesabenteuer hindeutet, wie es die Pastorellen zu behandeln pflegen” (3). Pour Edmund Stengel, “L'altrier cuidai aber druda” “bietet nichts als eine sirventésartige Parodie einer Canzone” (4). István Frank (5) définit la pièce comme une “romance parodique”, il relève, dans le volume, p. 42, le schéma strophique unique de la pièce:

a b a b a b a b a c c c a c a
7' 5 7' 5 7' 5 7' 5 7' 5 5 5 7' 5 7'
b b b a a a b c c a c a c a c
5 5 5 7' 7' 7' 5 5 5 7' 5 7' 5 7' 5

 

avec les rimes suivantes: a : uda
  b : or
  c : at.

Michel Zink, dans son petit livre sur La Pastourelle de 1972 (6), parlant du choix de Jean Audiau pour son anthologie de la pastourelle occitane, remarque à ce propos que “sa conception puriste du ‘genre littéraire’ le conduit par exemple à éliminer une chanson comme ‘L'autrier cuidai aver druda’ qui, pour être ‘grotesque’ et ‘parodique’, n'en est pas moins une authentique pastourelle”.
Cette pièce reste inédite et se voit attribuer trois étiquettes fort diverses: une sorte de sirventes, parodie d'une canso, une romance parodique, une authentique pastourelle. Qu'en est-il réellement? L'édition et la traduction de la pièce permettront de se faire une idée plus concrète.
Cette pièce a été étudiée pour sa notation musicale par Jean-Baptiste Beck (7); en effet, le chansonnier parisien de la Bibliothèque Nationale, f. fr. 844, est l'un des plus précieux pour ses notations musicales; il est d'autre part richement orné de miniatures, mais, malheureusement, proies du vandalisme, plusieurs miniatures ont été découpées, ce qui a par conséquent aussi endommagé le texte et la mélodie de certaines chansons. Il est intéressant de remarquer que la mélodie de “L'altrier cuidai aber druda” se retrouve avec un texte latin: Agmina militiae “als Singstimme über dem Tenor Agmina, welcher seinerseits aus dem Jungfrauenalleluja Corpus stammt (dieselbe Melodie kommt auch vor zu dem Worte Agmina in dem Responsorium Virgo flagellatur, für das Katharinenfest, nach dem Prozessionale monasticum S. 214), das in zweistimmiger Kompositon in der Handschrift Paris, Bibl. Nat. lat. 15 139 (St. Victor), fol. 186, überliefert ist” (8). Cette même mélodie est conservée également dans les manuscrits suivants: Paris, B.N. lat. 15 139 (St-Victor), fol. 292 vº, à deux voix, avec le mot du texte Agmina pour la voix du ténor et la remarque en marge “lautrier cuidai auoir”. Londres, Brit. Lib. Egerton 274, fol. 45, à deux voix, avec le texte, sur le même ténor Agmina. Florence, Laur. Plut. XXIX 1, fol. 396 vº, à trois voix, avec le texte, sur le même ténor Agmina. Wolfenbüttel, Helmst. 1099, fol. 123, à trois voix, avec le texte, sur le même ténor Agmina. Le texte français “Quand froidure trait a fin”, dont la fin seulement est conservée, après une mutilation, dans le manuscrit Wolfenbüttel, fol. 134, est répertorié dans la Bibliographie de Friedrich Gennrich, sous le numéro d'ordre 535. A propos d'Agmina (Mot. 532) - “Agmina milicie Celestis omnia Martyris victorie” - rappelons que l'auteur du texte est Philippe de Grève, M. Jürg Stenzl publia la transcription musicale de notre texte dans le cadre de son excellente étude sur le manuscrit de Saint-Victor, parue en 1970 (9); la transcription musicale de la pièce “L'altrier cuidai aber druda” et les quelques notes de commentaire, publiées à la suite de notre édition critique, ont comme auteur le musicologue Jürg Stenzl.

Les formes malastruda, truda, nous feraient penser que l'auteur n'est pas occitan, pourrait-il appartenir à une région voisine du franco-provençal? Il serait judicieux de rapprocher trace, v. 9, de l'apr. tracha, boisat, v. 14, de l'apr. bauzat et boutat, v. 58, de l'apr. botat (?).
La confusion entre b/v (aber, vv. 1, 46) nous oriente plutôt vers les parlers du Sud et de l'Ouest du domaine en ancien dauphinois.

Commentaire

Le thème de la vieille femme, odieuse et répugnante, que l'auteur anonyme de notre pièce se complaît à développer, n'est pas inconnu dans la littérature; nous nous contentons ici de renvoyer à J. Bailbé, Le thème de la vieille femme dans la poésie satirique du XIVe et du début du XVIIe siècle, Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance (Genève, 1964), Arna Pizzorusso, “Per un commento a Sigogne”, dans Studi in onore di Italo Siciliano 2 (Florence, 1966), pp. 1009-15, et pour la littérature médiévale, à la pièce d'Alphonse X Tornel novo, au sonnet de Guinizelli, Diavol te levi, vecchia rabbiosa, de Rustico di Filippo, Dovunque vai, con teco porti il cesso, de Cecco Angiolieri Deh guata, Ciampol, ben questa vecchiuzza, ou la chanson du troubadour Berenguier de Poizrenger Mal' aventura do Deus a mas mas (PC 48,1) ou encore Francisco da Sylveyra (contre une dame velha que myll anos ha), et la liste pourrait s'allonger, notamment avec Raimon de Cornet, Iratz et felz soy d'una vielha negra (cf. René Nelli, Écrivains anticonformistes du moyen âge occitan, 1 [Paris, 1977], p. 334).
Comment définir enfin le genre littéraire de notre pièce anonyme? Si l'on procède par élimination, on doit écarter la pastourelle, la canso et le sirventes. Même si ce genre lyrique est fort rare dans la littérature occitane, nous croyons qu'il faut définir notre pièce comme une romance parodique. Cette classification est d'ailleurs partagée par Erich Köhler: dans un article paru en 1978 (“Remarques sur la romance dans la poésie des troubadours”, dans Mélanges offerts à Charles Camproux, 1 [Montpellier, 1978], p. 125), il constate: “C'est également comme une parodie, apparentée au modèle de la romance par son caractère narratif, qu'il faut considérer une chanson anonyme et vulgaire, impossible à dater, dont la référence est P.-C. 461,146”.

 

Notes

(1) Louis Gauchat, “Les poésies provençales conservées par des chansonniers français”, Romania 22 (1893), 401-02. ()

(2) August Pleines, Hiat und Elision im Provenzalischen, Ausgaben und Abhandlungen aus dem Gebiete der romanischen Philologie, 50 (Marburg, 1886), p. 82. Texte diplomatique, mais correction au vers 27: aperc[ep]ude. ()

(3) Pleines, Hiat, p. 81. ()

(4) Ibid., p. 82. ()

(5) István Frank, Répertoire métrique de la poésie des troubadours, 2 vol., Bibliothèque de l'École des Hautes Études, 302 et 308 (Paris, 1953 et 1957), 2:188. ()

(6) Michel Zink, La Pastourelle. Poésie et folklore au moyen âge (Paris et Montréal, 1972), p. 31. ()

(7) Jean-Baptiste Beck, Die Melodien der Troubadours (Strasbourg, 1908). ()

(8) Ibid., p. 65. ()

(9) Jürg Stenzl, Die vierzig Clausulae der Handschrift Paris, Bibliothèque Nationale latin 15 139 (Berne, 1970). ()

 

 

 

 

 

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