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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,011- Bertran de Born

 

Deuxième Partie.
 
LA GUERRE ET LA DISCORDE.

 

Chapitre II
 
LES GUERRES DES PLANTAGENETS
 
LE CYCLE D’HAUTEFORT.
 
 
À côté des grands débats qui mettaient aux prises le comte de Poitou et ses grands vassaux aquitains, de nombreux petits conflits, qu’on pourrait appeler privés, s’ils ne finissaient pas par s’imbriquer dans les grandes questions, dressaient les uns contre les autres des seigneurs moins importants. Ces conflits étaient multipliés par le système de l’héritage qui faisait parfois d’un seul château la propriété de plusieurs seigneurs, comme c’était le cas pour Raimon de Miraval, uns paubres cavalliers de Carcases que non avia mas la quarta part del castel de Miraval ; et en aquel chastel non estaven .XL. home (1) et des frères d’Ussel : Gui d’Uisel si fo de Limozin, gentils castellans ; et el e sei fraire e sos cosins N’Elias eron seingnor d’Uisel, qu’es un rics castels (Martín de Riquer, Trovadores, t. II, p. 1011).

Comment s’étonner dès lors que Bertran, parmi les divers malheurs de son Escondich, ait mis au nombre des plus graves la situation d’un seigner... d’un castel parsonier (6. 25) ?

Si trois chansons de notre troubadour contiennent d’assez claires allusions à la dispute qui l’opposa à son frère Constantin (chansons 15, 16 et 18), l’histoire ne pouvait être que fort discrète sur un tel sujet, et c’est une grande chance que Geoffroy de Vigeois nous informe que, une fois que Richard eut pris Hautefort, eum Constantino de Born, Olivarij de Turribus genero, quem frater eius Bertrannus de Born per proditionem expulerat, reddidit (O. C. p. 337). Il nous présente d’ailleurs cette inimitié comme un fait durable, car, à propos d’événements ultérieurs, il écrit : Constantinus vero oderat Seguinum eo quod Seguinus erat gener Bertranni de Born, fratris simul & inimici sui (Ibid. p. 341).

On connaît mal la succession ultérieure des faits (cf. pp. IX-XII de l’Introduction) : l’auteur de la razon a-t-il inventé de toutes pièces l’histoire de Bertran, traîné devant le vieux roi et retournant la situation à son avantage ? Un tel renversement psychologique ne doit pas nous surprendre chez les hommes de cette époque, Benoît de Peterborough ne nous dit-il pas qu’à la nouvelle de la mort de son fils rebelle, Henri II semel et secundo et tertio in extasim cecidit ; et cum ululatu magno et horribili fletu planctus funiferos emisit (O. C. p. 301) ? L’objection la plus sérieuse vient du silence du prieur de Vigeois : ne nous aurait-il pas parlé d’une scène si propre à frapper l’imagination de ses contemporains, même si elle a pu se dérouler à une certaine distance du Limousin ? Peut-on penser que “la sympathie que portait Geoffroy de Vigeois à Constantin” dont parle M. Paden (O. C. p. 202) aurait pu conduire le prieur à passer sous silence un épisode qui illustrait de façon trop éloquente le sen de Bertran ? Ce serait s’avancer exagérément.

Nous n’en savons pas davantage sur les raisons pour lesquelles Bertran se retrouva seul maître d’Hautefort (cf. pp. XVI-XVII de l’Introduction), toujours est-il que le troubadour, par un remarquable rétablissement de sa fortune, retrouva la faveur du duc d’Aquitaine et du roi d’Angleterre et régna seul sur son château.

 

Nº 15 : Corz e gestas e joi d’amor.

 

Pour dater la composition de ce sirventés, nous ne possédons qu’un indice assuré : l’envoi adressé au Jeune Roi prouve que la poésie a été écrite avant le 11 juin 1183. On peut même dire que le parallèle entre Henri et Richard que mentionnent les tornadas, où le Jeune Roi est accusé de trop dormir, ne se conçoit qu’avant le déclenchement des opérations de janvier 1183.

Cette idée est confirmée par la strophe III qui nous fournit des renseignements un peu vagues : elle nous apprend que le pauc rei de Terra Maior... vencut... a vas Aratz... seill que·ill devon son feu servir, c’est-à-dire que le tout jeune roi Philippe a vaincu près d’Arras ses vassaux rebelles. L’allusion se rapporte évidemment aux luttes qui opposèrent le nouveau roi de France aux grands feudataires du Nord entre la réunion de Provins, le 14 mai 1181, où ces barons se liguèrent, et le traité de Boves qui mit fin, en juillet 1185, à ce long épisode. Dans cette affaire, le roi d’Angleterre joua un rôle de médiateur.

Appel (Bertran von Born, p. 26), qui propose de dater ce sirventés de 1182, pense que le traité qui fut alors conclu n’était pas si avantageux pour Philippe qu’on pût parler de victoire : les menaces de l’empereur allemand, longuement sollicité d’intervenir par les barons alliés, semblent avoir pesé dans cet accord. Aussi, Appel, suivi en cela par M. Ehnert (O. C., Möglichkeiten politischer... p. 422-423), cherche des explications psychologiques et politiques à l’attitude de Bertran.

Si nous en croyons M. Boussard (O. C. p. 540) qui, parlant d’Henri II, dit : “À la fin de l’hiver, il passa de nouveau en Normandie et une nouvelle conférence à la Grange-Saint-Arnoul, près de Senlis, lui permit de faire cesser la guerre entre Philippe Auguste, le comte de Flandre et les princes français. Tous les rebelles firent leur soumission au roi de France et revinrent dans sa ligeance ; le comte de Flandre s’engageait à réparer les dommages qu’il lui avait causés, lui livrait Amiens et renouvelait l’assurance de lui remettre la dot d’Isabelle de Hainaut, c’est-à-dire l’Artois et toute la terre bordée par la Lys”, le traité ne paraît pas trop désavantageux pour le jeune roi de dix-sept ans. En outre, il avait, en face de lui le comte de Flandre, le comte de Hainaut, l’archevêque de Reims, le comte de Champagne, le comte de Blois et de Chartres, le comte de Sancerre, le comte de Nevers, le duc de Bourgogne, en compagnie de barons de Belgique et de Lorraine, du comte de Namur et du duc de Louvain, sans parler de l’appui de l’empereur d’Allemagne (2). Tout compte fait, il me semble que les contemporains n’étaient pas si mal fondés à considérer que le petit roi avait remporté une belle victoire, même si elle n’était ni totale ni définitive, comme le marquent d’ailleurs les vers 20-21 où Bertran engage Philippe à continuer de rétablir ses droits.

Il est malheureusement impossible de préciser quelle est la bataille à laquelle le vers 19 : pois vencut los a vas Aratz fait allusion. Luchaire (Ibid. p. 87) se contente de dire que “Philippe Auguste et Philippe d’Alsace ne se trouvèrent jamais qu’une fois ou deux face à face, avec le gros de leurs armées respectives. La grande bataille attendue n’eut jamais lieu”. D’ailleurs, selon la Chronique de Gilbert de Mons (éd. Vanderkindere, Bruxelles, 1904, p. 137) : Armatis itaque ad bellum domino rege Francorum ex una parte et comite Flandrensi ex alia, Deo volente, ad bellum nequaquam pervenerunt. Tout au plus peut-on rappeler que, peu avant le traité, Philippe avait dégagé Senlis et failli bloquer le comte de Flandre dans Crépy-en-Valois.

Clédat (O. C., Du Rôle, pp. 36-37) voudrait placer ce qu’il considère comme un “sirvente d’essai, précédant la grande ligue de 1181” en cette même année. On ne verrait plus dès lors à quel fait important de la guerre de Flandre ferait allusion la strophe III.

Si l’on place avec Raoul de Dicet (L. C.) l’entrevue de Senlis après le 4 avril et si le dernier envoi, fort obscur, signifie que Richard est en paix, ce qui n’est pas si fréquent à cette époque, il, semble bien que seule la période de mai à juin 1182 corresponde aux indications que fournit le sirventés.

 

Chanson

Texte de base : K.

Disposition des strophes :

IKD
1
2
3
4
5
6
7
-
e
e’
A
1
2
3
4
8
5
6
7
-
-
a
1
2
3
4
8
-
6
7
-
-

 

Il semble que le copiste A, ne comprenant pas que le sixième vers de chaque strophe n’avait que quatre pieds, ait commencé par le supprimer dans les cinq premières strophes, puis l’ait rétabli dans les trois dernières. Ce vers manque d’ailleurs également dans la strophe II du manuscrit a.

Deux traditions opposent nettement IKd et Aa, comme l’indique la disposition des strophes. Le groupe IKd est très homogène ; on peut néanmoins trouver quelques divergences entre d et IK (vv. 1, 6, 9, 53 et 54). L’étude de détail montre que ce groupe s’oppose fréquemment à Aa (vv. 1, 3, 7, 11, 13, 16, 17, 18, 19, 39, 42 et 45) qui se séparent eux-mêmes dans les vers 1, 12, 15, 22, 23, 37 et 43.

 

Notes:

(1) Boutière-Schutz : Biographies des Troubadours, Toulouse-Paris, 1950, p. 285. ()

(2Cf. Luchaire : Histoire de France de Lavisse, t. III, 1ère partie, pp. 85 sq. ()

 

 

 

 

 

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