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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,035- Bertran de Born

 

Deuxième Partie.
 
LA GUERRE ET LA DISCORDE.

 

Chapitre II
 
LES GUERRES DES PLANTAGENETS
 
LE CYCLE DU ROI D'ARAGON.
 

En 1183, Bertran et Alphonse II d’Aragon n’étaient pas des inconnus l’un pour l’autre et l’on peut penser que leur goût commun pour la poésie avait dû les rapprocher lorsque le souverain catalan était venu à la cour d’Henri II à Limoges, en 1173.

On peut même penser, sauf à lui prêter une capacité plus que chrétienne de pardonner les offenses, qu’Alphonse avait formulé avant 1184 le “piquant éloge” (Jeanroy) que l’auteur de la Vida II place dans sa bouche : E·l reis d’Arago donet per moiller las chansos d’En Guiraut de Borneill a sos sirventes (p. 3).

Peut-être cette amitié avait-elle subi un premier accroc en 1181, lorsque, pour répondre à une commande du comte de Toulouse, ennemi permanent du roi d’Aragon, Bertran avait appelé à la lutte contre Alphonse et ses alliés, se laissant aller à proclamer pour acquise d’avance la défaite du roi d’Aragon, dans un combat qui n’eut jamais lieu.

Dans l’affaire de 1183, dès que Raimon V s’était rallié aux rebelles, Alphonse ne pouvait que se ranger au côté d’Henri II, et, après la mort du Jeune Roi, lorsque le vieux souverain quitta le Limousin, Alphonse resta auprès de Richard qu’il accompagna sous les murs d’Hautefort. Une semaine plus tard, nous dit le prieur de Vigeois, dehinc Rex Arragonensis rediit Barcinonem (O. C. p. 337). Benoît de Peterborough est beaucoup plus explicite : et ipse regem Arroganiae (sic), qui auxiliaturus ei venerat, multis et magnis donis, prout regiam decebat excellentiam, ditando honoravit, et cum gratiarum actione dimisit (O. C. p. 303).

Nous ne savons pas exactement quel fut le rôle d’Alphonse pendant le siège d’Hautefort ; comment ne pas hésiter à faire confiance à la razon du sirventés nº 23 qui lui fait jouer le rôle d’un traître de mélodrame et à Bertran celui d’un ingénu ? Il n’est guère vraisemblable qu’un assiégé ait fourni des vivres à des troupes qui accompagnaient les assiégeants ; de plus l’auteur de la razon se trompe en faisant paraître Henri II sous la muraille d’Hautefort : le vieux roi n’a pas participé à ce siège.

Néanmoins, même si l’exposé des griefs personnels de Bertran contre son ancien ami n’est pas détaillé : Del rei tafur Pretz mais sa cort e son atur No fatz cella don fui trahitz Lo jorn qu’el fon per mi servitz, la trahison, pour ne pas être mise au compte du roi lui-même, mais à celui de sa cour, n’en est pas moins proclamée bien haut, avec la circonstance aggravante qu’elle s’est produite le jour même où Bertran avait rendu service à Alphonse. Le romanesque épisode de la razon trouvait déjà de solides bases dans le sirventés.

Il est en tout cas certain que, après la chute de la forteresse, si minime qu’ait pu être la part du roi d’Aragon dans son siège, Bertran ne pouvait éprouver que de la rancune envers Alphonse : si la prudence et l’intérêt le poussaient à se concilier Richard, rien ne retenait la colère du troubadour contre le Catalan sur qui elle retomba tout entière.

D’autre part, selon Martín de Riquer (Guillem, t. I. pp. 112-113), “Por lo que afecta a Guillem de Berguedà, nuestros documentos presentan una laguna, entre noviembre de 1183 y la segunda quincena de abril de 1185, lapso durante el cual nuestro trovador está en relación con Bertran de Born, relación que es directa y personal al principio de la primavera de 1184”, Bertran aurait rencontré Guillem de Berguedà, qui, dès cette époque, était en mauvais termes avec son suzerain, comme le montre fort bien la cobla citée dans la razon de Cant vei pels vergiers. C’est probablement grâce à cette rencontre que Bertran put réunir l’extraordinaire ramassis d’attaques personnelles, de médisances et de calomnies qui composent ces deux sirventés.

Ainsi que l’indiquent les razos et que le suggère la première strophe, il semble que Pois lo gens terminis floritz ait été composé au printemps 1184 et Quan vei pels vergiers desplegar un peu plus tard. Il fallait une bonne connaissance des affaires internationales pour composer la première poésie, seule la pratique de la cour d’Alphonse II pouvait permettre d’écrire la seconde (1).

 

Nº 24 : Cant vei pels vergiers desplegar.

 

Razon

Cette razon se trouve dans trois manuscrits : F (70-72), I (179 vº-180) et K (165-165 vº).

Texte de base : K.

1
Ben avetz entendutz los mals q’En Bertrans de
 
Born remembret que·l reis d’Aragon avia faitz de
 
lui et d’autrui. Et a cap d’una gran sazon qu’el
 
n’ac apres d’autres mals qu’el avia faitz, si lo·l
5
volc retraire en un autre sirventes. E fon dig a·N
 
Bertran c’un cavallier avia en Aragon que avia nom
 
N’Espaignols, et avia un bon castel molt fort que
 
avia nom Castellot et era proprietatz d’En Espaignol
 
et era en la fronteresa de Sarazis, don el fazia
10
grant guerra als Sarrazis. E·l reis si entendia molt
 
en aquel chastel, e venc un jorn en aquella encon-
 
trada, e N’Espagnols si·l venc encontre per servir
 
lo e per envidar lo al seu chastel, e menet lo
 
charament, lui ab tota soa gent. E·l reis, quant
15
fon dedinz lo castel, lo fetz penre et menar deforas
 
e tolc li lo castel.
 
E fon vertatz que cant lo reis venc al servizi
 
del rei Enric, lo coms de Tolosa si·l desconfis en
 
Gascoigna e tolc li ben cinquanta cavaliers ; e·l
20
reis Enrics li det tot l’aver qe·ill cavalier devian
 
pagar per la reenson, et el no·l paget l’aver als
 
cavalliers, anz l’en portet en Aragon. E·ill
 
cavallier isseron de preison e pageron l’aver.
 
E fon vertatz c’uns joglars, que avia nom
25
Artuset, li prestet .cc. marabotins ; e menet lo ben
 
un an ab si e no·ill en det denier. E cant venc un
 
dia, Artusetz joglars si se mesclet ab un Juzeu,
 
e·ill Juzeu li vengron sobre e nafreron Artuset
 
malamen, lui et un son conpaignon. Et Artusetz e·l
30
compaigns aucisseron un Juzeu, don li Juzeu aneron a
 
reclam al rei e pregeron lo qu’el en fezes vendeta e
 
que lor des Artuset e·l compaignon per aucire, e
 
q’ill li darian .cc. marabotis. E·l reis los lor
 
donet amdos e pres los .cc. marabotis. E·ill Juzieu
35
les feiron ardre lo jorn de la nativitat de Crist,
 
si com dis Guillems de Bergadan en un seu sirventes,
 
dizen en el mal del rei :
 
“E fetz una mespreison
 
Don om no·l deu razonar,
40
Q’el jorn de la Naïsion
 
Fetz dos crestias brusar :
 
Artus ab autre, son par.
 
E non degra aisi jutgar
 
A mort ni a passion
45
Dos per un Juzieu felon.”
 
Don us autre, que avia nom Peire Joglar, li
 
prestet deniers e cavaus ; et aquel Peire Joglars si
 
avia grans mals ditz de la veilla reïna d’Englaterra,
 
la quals tenia Font-Ebrau, que es una abadia on se
50
rendon totas las veillas ricas. Et ella lo fetz
 
ausire per paraula del rei d’Aragon.
 
E totz aquestz laitz faichs remembret En Ber-
 
trans de Born al rei d’Aragon en aquest sirventes
 
que dis : “Quant vei per vergiers despleiar los
55
cendaus grocs, indis...” etc.


Argument :

Vous avez entendu Bertran de Born rappeler les méfaits que le roi d’Aragon avait commis envers lui et envers d’autres.

Au bout d’une longue période pendant laquelle il avait appris d’autres méfaits que celui-ci avait commis, il voulut les lui reprocher dans un autre sirventés.

On avait dit à Bertran qu’il y avait en Aragon un chevalier appelé Espagnol qui possédait un bon château bien fortifié nommé Castellot. C’était la propriété d’Espagnol et il se trouvait sur la frontière avec les Sarrazins et, de là, Espagnol menait contre eux une grande guerre. Ce château faisait extrêmement envie au roi. Il vint un jour dans la contrée, et Espagnol alla à sa rencontre pour le servir et l’inviter à son château où il le conduisit avec dévouement, lui et tous ses hommes. Une fois dans le château, le roi le fit arrêter et mettre à la porte, et il lui prit le château.

Il est vrai également que, lorsque le roi vint au service du roi Henri, le comte de Toulouse lui infligea une défaite en Gascogne et lui captura bien cinquante chevaliers ; le roi Henri lui donna tout l’argent que les chevaliers devaient payer en rançon, et lui, au lieu de donner l’argent aux chevaliers, l’emporta en Aragon. Les chevaliers sortirent de prison et versèrent l’argent.

Il est vrai aussi qu’un jongleur nommé Artuset lui avait prêté deux cents maravédis ; il l’emmena bien pendant un an dans sa suite et ne lui en versa pas un denier. Puis, un jour, Artuset le jongleur se battit avec un Juif, et les Juifs l’attaquèrent et le blessèrent grièvement, lui ainsi qu’un de ses compagnons. Et Artuset et son compagnon tuèrent un Juif ; aussi les Juifs allèrent-ils se plaindre au roi et ils le supplièrent de les venger en leur livrant Artuset et son compagnon pour les mettre à mort ; en échange, ils lui donneraient deux cents maravédis. Le roi les leur livra tous les deux et prit les deux cents maravédis. Les Juifs les firent brûler le jour de la Nativité du Christ, comme le dit Guillem de Berguedà dans un sirventés où il attaque le roi :

“Et il commit un forfait dont on ne doit
pas l’excuser, en faisant brûler deux chrétiens
le jour de la Nativité : Artus et son compagnon.
Il n’aurait pas dû condamner ainsi à la mort et
au supplice deux personnes pour un Juif félon.”

Un autre homme, appelé Peire Joglar, lui prêta de l’argent et des chevaux. Ce Peire Joglar avait dit beaucoup de mal de la vieille reine d’Angleterre qui dirigeait Fontevraud, une abbaye où se retirent toutes les grandes dames quand elles sont vieilles. Et elle le fit tuer avec la permission du roi d’Aragon.

Et toutes ces vilaines actions, Bertran de Born les rappela au roi d’Aragon dans ce sirventés qui dit : “Quand je vois par les jardins déployer les oriflammes de soie, jaunes, indigo...” etc.

 

Apparat critique :

1) en avez entenduz F, qe B- F, qu’ I. 2) recordet qe·l F, Arragon I, faich F. 3) q’ F. 4) faich si los F, -tz li lo I. 5) vol F, fo dich F. 6) q’un cavalier F, Arragon I, qui F. 7) Espagnols F, Espaingnols I, qui F. 8) proprietat IK, Espagnol F, Espaingnol I. 9) in F, forteresa FK, forteressa de Sarrazins I. 10) gran F, Sarazis F. 11) aqel castel F, dia en aqella F. 12) e N’Espagnols si·l venc encontra manque à IK. 13) sieu I, castel FI, e menete lo F. 14) dinz lo castel lui e t- sa gen F, qan F. 15) fo dintre fez prendre e m- F. 16) lo lo c- K, li manque à I. 17) fo v- qe qan F. 18) Henric F, descomfis IK. 19) Guascogna F, Gascoingna I, cinqanta cavaliers F, cincquanta K, cavalliers I. 20) Henrics F, q·ill cavalier F, que·ill cavallier I. 21) p la prexon F, no p- F, paguet I. 22) cavaliers F, Arragon I. 23) cavalier eissiren de preson e pageren F, preisson I. 24) fo v- q’us j- qui F, us I, goglars K. 25) Artusetz F, dozenz F, marabotis FI, menete F. 26) cossi F, qan v- una F. 27) Artuset IK, meslet IK, con un Judeo F. 28) Judei si·ll forn sobra e si·l naffreron F, Juzieu I, Artuset manque à F. 29) compagnon F, conpaingnon I, Artuset et us sos c- IK. 30) compaingz si auciseron un dels Judeus F, conpaings accusseron un Juzieu I, Judei F, Juzieu I. 31) a reclam manque à IK, pregueron I, q’ F, e manque à F. 32) qe F, Artus IK, compagnon F, conpaingnon I. 33) qe·ill F, qu’ ill I. 34) donec F, tolc F, Judei F. 35) lo feron brusar lo dia F. 36) con F, Bregadan in F, Berguedam I, Bregadan K, sieu I. 37) en el manque à F. 38) En fez u- mespreson F. 39) hom FI. 40) Qe F, 41) Fez d- cristians F. 43) no degr’aissi juzar F, aici IK. 45) Judeu F, fellon IK. 46) qui F, Joglars F. 47) diniers e cavals et aqel F. 48) granz m- dich F, regina d’Angleterra F. 49) qals F, Ebraus q’es un’abdia F. 50) rendian F, fez F. 51) Arragon F. 52) aqestz laichz faitz recordet al rei F, laich f- remenbret I. 53) d’Aragon Bertrans en aqest s- F, Arragon I. 54) qi F, qui s’arrête après dis.

 

Chanson

Manuscrit de base : K.

Dispositions des strophes :

A
1
2
3
4
5
6
-
-
e
C
1
2
3
4
5
6
7
-
e
DR
1
2
3
4
5
6
-
-
-
FIK
1
2
3
4
5
6
7
8
e
TV
1
2
8
3
5
4
6
7
e

 

Le vers 7 est incomplet dans TV, le vers 39 manque à AD, le vers 51 à V, le vers 63 à IK et les vers 30-31 sont intervertis dans TV.

L’apparat critique rend compte des nombreuses leçons communes à TV qui présentent la même composition strophique et sont les seuls manuscrits à se différencier fortement des autres.

Toutefois, parmi les manuscrits ACDFIKR, on peut distinguer deux ensembles : les chansonniers qui ne se séparent jamais des autres pour rejoindre TV et ceux qui présentent quelques leçons communes avec ces deux textes. On obtient d’une part une famille ADIK, où l’on retrouve IK (vv. 3, 6, 49, 55, 56 et 65), mais où D semble s’attacher davantage à A (vv. 22 et 39) qu’à IK (vv. 13 et 19), et, de l’autre, un ensemble CFR.

Si ces derniers manuscrits présentent généralement le même texte que ADIK, il arrive pourtant qu’ils s’opposent à eux, s’unissant à TV (vv. 17 et 46). Il est fréquent de rencontrer l’un ou plusieurs d’entre eux adjoints à TV : CTV (v. 35), FTV (vv. 21, 29, 30, 38, 43, 45, 46 et 66), RTV (vv. 2, 6, 14 et 47), CFTV (vv. 29 et 45) ou FRTV (v. 48). Parfois leur leçon n’est commune qu’avec C ou T : CV (v. 13), RV (v. 8) ou RT (v. 18).

 

Notes:

(1) On trouve des accusations du même type dans le sirventés de Giraut del Luc : Ges sitot n’ai ma voluntat fellona (éd. Riquer, Trovadores, nº 99). ()

 

 

 

 

 

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