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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,008a- Bertran de Born

 

Deuxième Partie.
 
LA GUERRE ET LA DISCORDE.

 

Chapitre VI.
 
L’ELOGE DE LA GUERRE.
 

Nº37 : Be·m platz lo gais temps de pascor.

 

Après une solide étude, Clédat (Rôle Historique, pp. 88-91) parvient à la conclusion que Bertran est bien l’auteur de ce sirventés, car, outre le fait que la famille de manuscrits IKD est unanime à le lui attribuer, le copiste de T, manuscrit lié à PUV qui assignent cette chanson à Blacasset, a modifié l’attribution de son modèle pour affirmer la paternité de Bertran. De plus, le manuscrit V contient une tornada adressée à Papiol, le jongleur attitré de notre troubadour.

Les conclusions de Clédat ont été confirmées par des textes qu’il ignorait : de fait le manuscrit a¹ reconnaît aussi en Bertran l’auteur de la pièce et le manuscrit Sg, qui l’attribue à Pons de Capdoill, contient lui aussi la tornada à Papiol.

Ainsi donc, si seulement cinq des quinze chansonniers qui nous ont transmis ce texte l’assignent à Bertran de Born, ce ne seraient pas moins de trois familles de manuscrits qui s’accorderaient : IKd, SgTV et a. C’est beaucoup plus que pour aucun autre des auteurs proposés.

Bartsch (Lit. Blat. nº4, 1880, p. 146) fait remarquer que l’on n’a pas assez tenu compte de la comtesse Béatrice, nommée dans la dernière strophe, qui manque à tous les manuscrits attribuant la pièce à Bertran. Comme aucune comtesse Béatrice n’est nommée dans les œuvres du poète, cette strophe, qui figure dans différentes familles de manuscrits, ne saurait être publiée en même temps que l’envoi.

On remarquera que c’est précisément ce que fait le copiste de V qui, tout en attribuant le sirventés à Blacasset, donne à la fois la strophe VI et l’envoi e’. Mieux encore, le manuscrit a assigne la pièce à Bertran et y fait figurer la strophe VI.

Il me semble d’autre part impossible de tirer des conclusions de l’absence de la comtesse Béatrice dans les autres chansons de Bertran : outre qu’elle pourrait s’y dissimuler sous un senhal, la présence de Rainier, dans la chanson nº20, ne suffit pas à mettre en cause la paternité de Bertran, même si c’est la seule occasion où ce senhal, qui figure chez plusieurs autres troubadours, apparaît dans son œuvre. En outre, on ne saurait s’étonner qu’une même chanson ait pu être envoyée à plusieurs personnes, qu’elle leur ait été dédicacée collectivement ou successivement. Rappelons les mots de Jeanroy : “Quand les tornadas nomment plusieurs protecteurs il est probable qu’elles ont été composées à des époques et en des lieux divers et correspondent à des “éditions” différentes de la pièce (1). De même, après une chanson de Gaucelm Faidit qui n’est pas envoyée à moins de cinq personnes (nº17), J. Mouzat note : “Une chanson pouvait être expédiée à divers destinataires - inspiratrice, protecteurs, amis et même une autre dame. Elles permettent de croire pour un seul poème à l’existence de plusieurs “éditions” qui peuvent être à l’origine des différentes traditions ou versions attestées par les variantes” (p. 169).

Au demeurant, nous ignorons totalement quelle est cette comtesse Béatrice ; l’héritière du Dauphiné qui épousa Albéric Taillefer, fils puîné du comte de Toulouse, puis se remaria après sa mort, entre 1183 et 1185, avec le duc de Bourgogne, que Bertran appelle ailleurs le comte de Dijon, pouvait-elle recevoir ce titre ? En outre, on rencontre une autre Béatrice à la cour de Toulouse : Dom Vaissète (O. C. t. VI) nous apprend qu’Ermesinde de Pelet, femme de Raimon, fils du comte de Toulouse, mourut en 1176. Son époux se remaria par la suite avec Béatrice de Béziers, sœur de Roger III, vicomte de Béziers. On peut enfin se demander s’il ne s’agit pas d’una valens comtessa Biatrix, citée par Gaucelm Faidit et dont Mouzat nous rapporte qu’elle “a déjoué toutes les tentatives d’identification” (nº58, v. 9 et p. 487) ; selon le même auteur, cette princesse serait morte vers 1201-1202. Il ne saurait, en revanche, être ici question de Béatrice de Savoie que Bérenger IV, comte de Provence, n’épousa que vers 1219-1220 (2).

On ne peut non plus tirer grand chose des envois de V et Sg qui accusent Richard de rester trop longtemps en paix. En effet, pour rares qu’aient été les périodes où Richard n’a pas livré de bataille, il en existe tout de même, et, de plus, nous ignorons ce que signifie “trop longtemps” pour Bertran. Notre envazidor n’aurait pu faire grief à son suzerain d’être paisible ni en 1185, quand Henri II l’avait dépouillé du Poitou, ni en 1189-90, quand le nouveau roi asseyait son pouvoir avant de partir pour la croisade (encore que la strophe V de la pièce 31 montre que le troubadour n’entrait guère dans ces détails). En revanche, Richard pouvait encourir ce reproche entre le moment de sa victoire sur la coalition angoumoise de 1179, où il était assez sûr de lui pour licencier ses mercenaires (3), et la reprise des combats pour la succession d’Angoulême, après la mort de Wulgrin, le 29 juin 1181. Ces indications sont toutefois bien trop vagues pour dater la composition de ce sirventés.

 

Chanson

Texte de base : B.

Le nombre de chansonniers où figure ce sirventés témoigne du succès qu’il a remporté. On ne sera donc pas surpris qu’il soit très difficile de démêler les liens de parenté qui unissent les divers manuscrits. Pour le tenter, nous disposons de trois instruments : la disposition des strophes dans chaque manuscrit, le nom du troubadour auquel le copiste attribuait le sirventés et enfin les indications fournies par la comparaison détaillée des chansons, ce qui, en dernière analyse, paraît le moyen essentiel.

Disposition des strophes :

ABU
1
2
3
4
5
6
-
-
-
e
-
C
1
2
3
4
-
6
-
-
-
-
-
D
1
2
3
4
-
-
-
-
-
-
-
IKd
1
2
3
4
5
-
-
-
-
e
-
M
1
2
3
4
-
6
-
8
-
e
-
P
1
2
3
4
5
6
-
8
-
e
-
Sg
1
2
3
4
5
-
-
-
9
e
e’
T
1
2
3
5
4
-
-
-
-
e
e’
V
1
2
3
5
4
7
6
-
-
e
e’
a
1
2
3
4
5
7
6
-
-
e
-
e
1
2
3
4
5
6
e
8
-
-
-

 

Attribution :

ABD
Guilhem de Saint-Gregori
Ce
Lanfranc Cigala
IKTad
Bertran de Born
M
Guilhem Augier de Grassa
PUV
Blacasset
Sg
Pons de Capdoill

 

L’étude détaillée des manuscrits AB confirme la parenté annoncée par la disposition des strophes et l’attribution commune à Guilhem de Saint-Grégori. Ils apparaissent isolés aux vers 6, 44 et 63.

Le cas de D est plus complexe : si, comme l’indique son attribution, il est parent de AB, il lui arrive de se rapprocher de IKd, comme le montrent les vers 6, 20 et 34. Lorsque A et B se séparent au vers 40, il suit A. Néanmoins, il lui arrive de s’éloigner de AB comme de IKd pour lire en cavals avec MPSg (e cavals ABIKd) au vers 10, desfronsaz avec T (defronsatç), tandis que l’on trouve esfondratz dans ABIKd au vers 17, et Car avec CMSgTUV, alors que ABIKd lisent Que, au vers 29.

L’existence d’un groupe IKd est attestée ici par une communauté de disposition des strophes et d’attribution ainsi que par une solidarité sans faille dans la lecture du texte. Ce groupe, isolé aux vers 6, 15 et 17, suit la plupart du temps l’ensemble AB, mais il arrive qu’il s’en écarte : (attention, il faudrait que dans le tableau ci-dessous les leçons de AB soient dans une même colonne)

v. 6
IKd-DMPTUV: sobre·ls
AB: per los
v. 20
IKd: seiatz   U: seiaz   D: setjaz
AB: serratz
v. 31
IK: Lanssas   d: Lassas   Ce: Lansas
AB: Massas
v. 44
IKd: erguir   U: engnir
AB: bruir

 

Au vers 34, on trouve, avec des graphies diverses, mainz vassals au pluriel dans IKd et CDMTUVe, tandis que le singulier figure dans A (maing vassal) et B (maint vassal). Lors d’une interversion de termes entre les vers 45 et 48, IKd lisent avec PSgTVe : l’erbage au vers 45 où ABUa indiquent l’ombratge, puis au vers 48 : l’ombrage avec SgTV, car Pe rejoignent ABUa pour lire l’erbatge.

Ces six manuscrits ABDIKd, malgré leurs divergences occasionnelles, présentent suffisamment d’analogies pour qu’on puisse considérer qu’ils représentent la même tradition, mais il est plus délicat de classer U, P et a.

Le manuscrit U, comme l’ordre de ses strophes l’indique, s’accorde le plus souvent avec AB et IKd. Lorsqu’il s’en éloigne, on peut remarquer que la leçon adoptée est alors commune à SgTV, CMae et même à P, ainsi qu’il ressort de l’examen des vers 8, 15, 29, 34, 41 et 55. Les vers 31 et 40 présentent des leçons communes dans SgTV, P et U, mais non dans CMe.

Dans l’ensemble de la chanson, P s’accorde avec AB et IKd. De même que le manuscrit U, il s’éloigne de ces modèles sur des points où tombent d’accord SgTV, CMae, et U. Dans la strophe VI, P suit plus rarement AB (vv. 53 et 55) et s’attache aux leçons de Ce (vv. 52, 54, 56, 57 et 59), rejoints par M aux vers 52, 54 et 57, et par a aux vers 54 et 59.

Le cas de ce dernier manuscrit est tout à fait particulier : outre qu’il présente un grand nombre de leçons isolées, il semble que son copiste ait disposé de textes lui permettant de choisir entre les diverses traditions : il adopte avec un éclectisme certain des leçons de AB, IKd ou d’autres manuscrits, avec une préférence marquée pour M. Il arrive même qu’il compose son texte en utilisant deux traditions, comme au vers 60, qui se trouve dans la strophe VI qui manque à IKd et DSgT. On trouve Que sobre totz es enansatz dans AB que suivent MPe ; avec de petites variantes, Sobre toz autres ennansaz dans U, Sobre totz autres et ensegnatz dans V et sobre totas es coronatz dans C. En empruntant à ABMPe et à C, le copiste de a écrit : Que sobre totz es coronatz. Nous le voyons adopter les leçons de AB et IKd aux vers 4, 10, 26, 38, 44, 47 et 48, choisir AB contre IKd aux vers 31, 34 et 45, et A contre BIKd au vers 40 ; mais dans la plupart des cas, il suit l’autre tradition.

L’étude de cette seconde grande branche est difficile, car les rapports entre les manuscrits paraissent inextricables. Il y a peu à tirer de la disposition des strophes : V et a proposent une strophe supplémentaire (VII) de même que MP et e (VIII), tandis que Sg et TV comportent une seconde tornada (e’) ; enfin les schémas de P et e sont bien proches.

Les indications données par les copistes ne nous sont pas non plus d’un grand secours : PUV s’accordent sur le nom de Blacasset, alors que V n’offre que des ressemblances réduites avec P et U ; T et a ne sont pas liés intimement et il est rare qu’ils s’accordent avec IKd, bien que tous reconnaissent en Bertran l’auteur du sirventés. Seule la ressemblance entre C et e est confirmée par l’étude de détail.

Celle-ci ne permet pourtant guère de découvertes : tout au plus peut-on dire qu’il existe deux ensembles : CMae et SgTV. Le groupe CMae apparaît isolé au vers 26 : en lo camp (M), es el camp (Cae) et au vers 32 : asclar (CMe), asclaz (a) ; on le trouve plus souvent accompagné par d’autres manuscrits (vv. 2, 8, 15, 28, 37, 52 et 55). À l’ensemble Ce vient parfois se joindre M (vv. 26, 29, 34, 39, 52 et 54), en revanche, il est rare que a, dissocié de M, adopte la leçon de Ce (v. 59).

Le comportement de e est curieux : de la première à la quatrième strophe, il est littéralement copié de C (vv. 6, 9, 13, 18, 20, 24, 28, 34, 36, 38 et 39), puis, lorsqu’on arrive à la strophe V qui ne se trouve pas dans C, il s’attache étroitement à P (vv. 41, 43, 44, 45, 49 et 50). Enfin, dans la strophe VI, il hésite entre ses modèles : il suit d’abord C (vv. 53, 54 et 55), puis revient à P (vv. 57 et 60) auquel il s’attache évidemment dans la strophe VIII qui manque à C, mais qu’il place curieusement après l’envoi, comme si le copiste avait ajouté celui-ci au texte de C avant de s’apercevoir que P comportait une strophe supplémentaire.

Le groupe SgTV, caractérisé par une seconde tornada, est plus constant : il apparaît isolé aux vers 37, 39, 44 et 63. Comme la composition et l’ordre des strophes de ces manuscrits sont très divers, leurs rapports en deviennent plus difficiles à saisir : Sg et T ne possèdent pas les strophes VI et VII et les vers 18-19 manquent à V, tandis que les vers 47-48 manquent à T. On peut noter des ressemblances entre Sg et T au vers 19, entre Sg et V aux vers 47-48. Enfin, on peut reconnaître dans les vers 49-50 mutilés de V la leçon proposée par SgT. Ce groupe sert le plus souvent de base à la tradition qui s’oppose à celle de AB-IKd, et d’autres ensembles le rejoignent alors : c’est le cas de CMae aux vers 26, 28 et 37, et d’autres manuscrits aux vers 8 et 63. L’ensemble SgTV s’accorde parfois avec U (vv. 1, 14, 26, 29, 39, 40, 41 et 57) et parfois avec P (vv. 8, 15, 20, 26, 31, 40, 41 et 63).

Il est intéressant de noter que dans la strophe VI, qui manque à SgT, V ressemble beaucoup à U, c’est-à-dire qu’il se rapproche de la tradition de AB plutôt que de celle que représente le groupe CMae.

En conclusion, les rapports entre les divers manuscrits paraissent d’autant plus complexes qu’ils sont parfois mouvants. Il semble qu’il y ait eu plusieurs versions de ce sirventés : peut-être correspondent-elles à des “éditions” différentes qu’expliquerait son succès. Il est possible que des imitateurs aient ajouté des strophes à un texte célèbre ou que des copistes y aient interpolé des coblas esparsas de structure et de thème similaires.

 

Notes :

(1La poésie lyrique des troubadours, Toulouse, 1934 pp. 93-94. ()

(2) Stroński : Le troubadour Elias de Barjols, introduction, p. XXII, Toulouse 1906. ()

(3) Robert de Thorigny : Chronique, éd. R. Howlett, 1964, p. 282. ()

 

 

 

 

 

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