Troisième Partie.
LES DIVERS ABOUTISSEMENTS DE LA POESIE MORALE.
Chapitre III
LE POESIE RELIGIEUSE.
Nº 43 : Can mi perpens ni m’arbire.
V. Lowinsky (1) avait admis, suivant le manuscrit E, que ce texte avait pour auteur Aimeric de Belenoi, mais il devenait dès lors très difficile d’identifier le Folquet de l’envoi, en qui le critique suggérait de voir Falquet de Romans. Maria Dumitrescu (2) écrit : “Nous n’avons aucune preuve de rapports, et encore moins de rapports prolongés, entre les deux troubadours” et affirme que “tout contribue à faire rejeter l’attribution donnée par les manuscrits”.
Stroński (3), en établissant des liens précis entre ce texte et certains passages de chansons de Folquet de Marseille (XIX, vv. 16-22 ; XVII, vv. 56-59), montre que le Folquet du texte est sans aucun doute le futur évêque de Toulouse. Il établit ensuite que notre texte répond à l’envoi de la chanson de croisade en Espagne (XIX), composée après le mois de juillet 1195, qui est adressé à Aziman, senhal sous lequel il reconnaît Bertran de Born, qui n’était pas encore entré dans les ordres : Belhs Azimans, Dieus vezem que·us aten Que·us volria gazanhar francamen ; Qu’onrat vos te tan que a mi sap bo ; No·l fassatz doncx camjar son bon talen, Ans camjatz vos, que mais val per un cen Qu’om s’afranh’ans que forsatz caia jos. De plus certains vers de notre pièce sont le simple écho des paroles de Folquet.
En outre, au vers 15 figure le senhal Fraire, qui désigne Guillem de Berguedà (4) dont on connaît les relations amicales avec le seigneur d’Hautefort (5).
Enfin, comme ce texte est évidemment le chant d’adieu d’un troubadour qui abandonne le siècle et que Bertran de Born est le seul qui se soit fait moine précisément à ce moment-là, dans le courant de l’année 1196, peu de temps après l’appel de Folquet, Stroński conclut que le faisceau de présomptions est suffisant pour attribuer cette pièce pieuse à Bertran de Born.
La démonstration a paru si solide que Stimming 3 (p. 141), Appel (Lieder p. 97), Kastner (M. L. R. Nº32, p. 219), Martín de Riquer (Trovadores, t. I, p. 748) et M. Oroz Arizcuren (6) ont accordé cette poésie au troubadour d’Hautefort. Je ne vois, pour ma part, aucune raison de la lui contester.
Il ressort de ce qui précède que cette pièce a été écrite après la chanson de croisade de Folquet, que Stroński situe après juillet 1195, et avant que Bertran ne soit devenu moine à Dalon, ce qui est accompli en 1196 (7). De plus, comme le 18 août 1196, le frère de Guillem de Berguedà confirme les donations faites à Poblet par celui-ci, Bertran n’a pu composer cette poésie qu’entre la fin de 1195 et le début de 1196 (cf. Riquer, Ibid. p. 23).
Chanson
Texte de base : Da.
Disposition des strophes :
Da
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
e
|
e’
|
E
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
-
|
-
|
Le chansonnier E attribue le texte à Aimeric de Belenuei et le chansonnier Da à Willems e N’Aimerics, mais les différences qui séparent les deux textes ne sont pas considérables.
Notes :
(1) Kunstlied, pp. 268-9. (↑)
(2) Poésies du Troubadour Aimeric de Belenoi, nº21, p. 30. (↑)
(3) Le troubadour Folquet de Marseille, Cracovie, 1910, pp. 55-58. (↑)
(4) Cf. pièce nº21 : A mon Fraire ... De Berguedan. (vv-45-6). (↑)
(5) Martín de Riquer, Guillem de Berguedà, Poblet, 1971, t. I, pp. 158-159. (↑)
(6) La Lírica Religiosa en la literatura provenzal antigua, Pamplona, 1972. (↑)
(7) Thomas : Poésies complètes, “Cartulaire de Dalon”, fol. 97, p. 159. (↑)