Ce nou sirventes a inspiré de nombreuses réflexions aux chercheurs qui ont voulu le dater. En effet, Frédéric qe sobre totz reigna (v. 22) y est salué du titre d’Emperaire (v. 55), ce qui conduit O. Schultz-Gora à placer sa rédaction entre 1220 et 1228, Ein Sirventes von Guilhem Figueira gegen Friedrich II, Halle 1902, 34.
Il semble bien que l’on puisse parvenir à plus de précision, et c’est ainsi que Zenker, éd. cit., 21-22, fait observer que le texte se réfère au couronnement de Frédéric, à la cour duquel il aurait été composé.
À propos des circonstances qui entourèrent ce couronnement, A. Jeanroy écrit : “Quand il traversa l’Italie en 1212, allant combattre son rival en Allemagne, il fut peut-être aperçu ou salué au passage par quelques poètes ; mais il n’avait guère le loisir de les écouter. Quand il revint huit ans après et qu’il fit la même route en sens inverse, les circonstances paraissaient plus favorables : vainqueur, tout-puissant, il allait ceindre à Rome la couronne impériale ; à chaque étape, il était rejoint par ses partisans et notamment par les seigneurs gibelins qui, en son absence, avaient soutenu sa cause. Dans le cortège de ceux-ci, il y avait des poètes, Peguilhan avec Guilhem Malaspina, Falquet de Romans avec Azzo d’Este ou Ot del Carret ; aux hommages de leurs maîtres, ils ne manquèrent pas de mêler leur propre encens”, La Poésie lyrique des Troubadours, Toulouse-Paris 1934, I, 255.
Dans “Il “conselh” di Falquet de Romans a Federico II imperatore”, Memorie della R. Accademia delle Scienze dell’Istituto di Bologna, Cl. di Sc. morali, Sez. Stor., Filol., s. l., VI, 1911-1912, 81-88, V. de Bartholomaeis est revenu sur les conclusions de Zenker, les précisant et les nuançant. Les remarques qui suivent proviennent de son travail.
Falquet a écrit sa poésie pour une razon granda, c’est-à-dire dans des circonstances exceptionnelles ; il exhorte Frédéric à manifester sa reconnaissance à Dieu qui l’a placé à un rang élevé et lui a dat corona. Frédéric, qui était déjà larcs, doit, maintenant qu’il est devenu rics, se montrer plus larcs encore. Ces indices seraient déjà suffisants pour permettre de reconnaître l’occasion à laquelle a été composé ce texte, mais un autre élément, encore plus convaincant, provient du genre même qu’il suit. On peut en effet y reconnaître un conselh, car, si le verbe conseillar n’y figure qu’une fois, au v. 46, Falquet n’en prodigue pas moins à Frédéric toute une série de conseils, particulièrement à partir de la strophe IV.
La pièce de Falquet peut utilement être rapprochée du conselh écrit par Raimbaut de Vaqueiras, lors de l’élection de Baudoin de Flandre comme empereur de Constantinople, en 1204 ; v. V. Crescini, “Rambaldo di Vaqueiras a Baldovino imperatore”, Atti del R. Istituto Veneto, LX, 2, 1900-1901, 871-917 (et depuis J. Linskill, dans son édition de Raimbaut de Vaqueiras, 229-230). Ce troubadour, soutenant les vues de Boniface de Montferrat, ou à son instigation, avait alors conseillé à Baudoin d’accorder à son allié italien les compensations que lui devait le nouvel empereur.
Il va de soi que de telles pièces auraient perdu toute efficacité, sinon tout sens, si elles n’avaient été divulguées à un moment où leur destinataire, parvenu au pouvoir suprême, avait la possibilité et, d’un certain point de vue, le devoir, de récompenser ses partisans, c’est-à-dire au lendemain de son couronnement. On peut donc retenir, pour la chanson de Falquet, la date de 1220 : le couronnement de Frédéric est du 22 novembre de cette année.
Mais si Raimbaut servait les intérêts de Boniface, pour qui donc écrivait Falquet de Romans ? Cette question resterait probablement sans réponse, n’était le précédent d’Aimeric de Pegulhan. En effet, si les deux troubadours recommandent à Frédéric la générosité envers ses amis, il ressort de la poésie de Falquet qu’il ne s’agit pas de liens personnels, mais d’alliés politiques : on ne pourrait parler, à propos d’amis privés, d’un doble faillimen ni d’un tel renversement de la roue de la Fortune. En fait, il n’y a pas loin entre le conseil de Falquet et un avertissement. Ces amis sont évidemment les personnes auxquelles, après Dieu, Frédéric doit manifester son affection : Guillaume de Montferrat, le cousin de l’empereur, assez puissant pour que les faveurs que lui dispenserait le Hohenstaufen soient largement payées de retour, même si l’on ignore comment ; puis Azzo VII d’Este et le comte de Vérone dont les prédécesseurs ont, dans le passé, prouvé leur dévouement ; et enfin Othon del Carret qui reçoit du troubadour les plus brillants éloges, nous laissant supposer qu’il pourrait bien être l’inspirateur de Falquet.
Schéma strophique :
ABéDHIK
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1
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3
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8
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CERT
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5
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6
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7
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-
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PS
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1
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3
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4
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5
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-
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On peut répartir en trois familles les manuscrits qui contiennent ce texte : A-D.BéIK / CER-H / PS-T, comme cela ressort des vers 28 et 43.
Dans l’ensemble ABéDIK, les relations les plus étroites unissent BéIK (5 & 46). Si Bé ne recopie pas l’erreur de IK en 36, son copiste a mal compris celui de I (teĩgª = teingna) en notant teinga (22) et il lui arrive de se singulariser (37, 43 & 60) ; le ms. D leur est lié de près (1, 9, 17, 24, 26 & 60), même s’il contient des leçons originales (31 & 61). Les rapports de A avec ces trois mss sont moins aisés à délimiter : si leurs rencontres sont fréquentes (4, 8, 12, 15, 19, 23, 24, 28, 31, 37, 39, 42, 43, 44, 48, 49 & 58), A se rapproche une fois d’un autre groupe (50) et, plus souvent, propose des leçons isolées (6, 9, 26 & 37).
Dans l’ensemble PST (1, 17, 19, 20, 21, 24, 34, 37, 40 & 44), on peut parler de manuscrits parents pour PS (v. chanson II) ; ils se distinguent souvent de tous les autres chansonniers (6, 10, 12, 13, 15, 17, 18, 20, 24, 25, 29, 36, 41, 44 & 45). Dans les cinq premières strophes, le ms. T est très proche de PS, mais il peut néanmoins présenter des leçons isolées (4 & 42) et même se joindre à un autre groupe : il s’unit ainsi à CEHR, alors que PS se rapprochent de ABéDIK (15) ; il se range, avec quelque originalité, aux côtés de EHR au v. 15 où l’on a une conjonction de C avec ABéDIK et une leçon isolée dans PS.
Comme la dernière strophe et les deux envois manquent à PS, on n’est pas surpris de constater que T y présente un plus grand nombre de leçons isolées (46, 47, 50 & 51), mais il devient difficile de préciser les liens entre les mss dans la strophe VI et l’envoi VIII. Au v. 50, T rejoint CR et A, en s’opposant à BéDIK et EH. Au v. 58, T rejoint ABéIK et EH, en s’opposant à CR et D. Comme on le voit, les groupes définis au début de la chanson semblent manquer de cohérence à la fin. Il faut encore noter que le groupe PST semble plus proche de ABéDIK (8, 19, 39 & 44) ou de BéDIK (16) que de la dernière famille (23 & 24) ; néanmoins, à deux reprises, lorsque PST se rapprochent de BéDIK ou ABéDIK, le ms. H fait de même (8 & 16).
De fait, dans le dernier ensemble CEHF (19, 23, 24, 28, 39, 42, 43, 44, 52, 53 et peut-être 56), H fait figure d’original ; ses leçons isolées sont nombreuses (1, 6, 8, 25, 31, 37, 51, 58 & 60) et il lui arrive de s’unir aux autres groupes de mss : ABéDIK (4), ABéDIK-PST (8), BéDIK-PST (16) et PS (33).
C’est que les relations à l’intérieur du groupe CEHR sont difficiles à déterminer : C et R semblent fortement liés (21, 26, 28, 41, 44, 45, 52 & 57) ; on les rencontre unis à d’autres manuscrits : A-T (20) et, de façon surprenante, D (58). Ces deux chansonniers ont de fréquentes leçons communes avec E, seuls (4, 8, 37 & 54) ou avec d’autres mss : BéDIK (6). E est souvent encore lié à H, seuls (24, 26 & 44) ou avec BéDIK (50) ; on les rencontre tous deux unis à R, seuls (48 & 49) ou avec T (15). Si, dans ces deux groupes CR et EH, il arrive que C ou R soit en accord avec E, en revanche il ne semble pas que l’un d’eux se joigne à H si la leçon de celui-ci diverge de celle de E.
On notera enfin que le copiste de C s’accorde parfois avec des manuscrits d’un autre ensemble : ABéDIK (15) ou ADIK-T (48 & 49).
Texte de base : A.
Sirventés de six strophes de neuf vers, avec deux tornadas, en coblas singulars.
a
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b
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a
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b
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a
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b
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c
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c
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b
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7
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5’
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7
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5’
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7
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5’
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5
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7
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5’
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V. I. Frank, Rép. Métr. type 271, nº 1. Il existe sur ce schéma une chanson en coblas doblas de Peire Raimon de Tolosa (Pessamen ai e cossir).