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Meyer, Paul. Les derniers troubadours de la Provence d'après le chansonnier donné à la Bibliothèque Impériale par M. Ch. Giraud. Paris: Librairie A. Franck, 1871.

322a,001=201,001- Peire

 

§ VI.

Tenson de Peire et de Guilhem.

(Peu après 1276).

 

Le sujet de cette pièce est fort obscur, bien que l’expression en soit généralement simple et claire. J’en donnerai d’abord la traduction.

La principale difficulté d’interprétation réside dans le mot pacha (vv. 4, 17, 25). Pacha est proprement un accord, un traité d’association (Lex. rom. IV, 457) ; mais le trouvant au v. 4 accompagné de l’épithète partida, et au v. 17 employé au pluriel, j’ai cru pouvoir l’interpréter par faction : une association divisée équivaut à deux partis opposés, à deux factions. Du reste, le sens général de la pièce convient bien à cette interprétation. Ainsi, au moment où la tenson a lieu, la ville de Montpellier est partagée entre deux factions ; le débat a pris de telles proportions qu’une intervention étrangère est réclamée : des messagers sont envoyés au roi (v. 7), probablement au roi de France, et il est question d’invoquer aussi l’aide des Catalans (v. 21). Tel est, en somme, l’état de choses exposé par l’un des interlocuteurs, Peire. Son correspondant, Guilhem, qui paraît être de Montpellier, croit que l’autorité des consuls suffira a rétablir la paix, espérance que Peire ne partage pas.

J’ai cherché vainement une mention de la lutte intestine à laquelle fait allusion notre tenson. Il me semble que, si le souvenir en avait été conservé, il n’eût pas été difficile d’en retrouver la trace, car, ou je me trompe fort, ou une indication précise circonscrit la recherche aux environs de l’année 1276. Les vv. 25 et 26 rappellent des malheurs récents (l’autrier) attirés sur les villes de Pampelune et de Limoges par une pacha. Or, précisément au même temps, en 1276 et un peu avant, ces deux villes furent le théâtre de troubles qui eurent pour elles de désastreuses conséquences.

À Pampelune, des rivalités entre le bourg et la cité (la Navarreria) éclatèrent à la mort du roi de Navarre, Henri (1274), et motivèrent l’intervention du roi de France, manifestée d’abord par la nomination d’un gouverneur français, Eustache de Beaumarchais, puis par l’envoi d’une armée royale qui mit à feu et à sang la cité (1).

ÀLimoges, les habitants furent à diverses reprises, en lutte avec leurs vicomtes. Ils refusaient de reconnaître aucun autre seigneur que l’abbé de Saint-Martial. En 1272, inquiétés par les garnisons que la vicomtesse Marie (ou plutôt sa mère Marguerite qui gouvernait pendant sa minorité) avait fait placer dans des localités voisines, ils appellent à leur secours Édouard Ier d’Angleterre, qui leur envoie des troupes sous le commandement du sénéchal de Guyenne. Marguerite est battue ; et se plaint au roi de France. Édouard, qui avait fait une entrée solennelle à Limoges le 8 mai 1274, est condamné par le Parlement à une amende. En 1276, ces débats, qui n’étaient pas encore calmés, donnent lieu à un arbitrage favorable à la vicomtesse. Les bourgeois appellent au Parlement qui confirme la sentence ou du moins juge dans le même sens. La querelle se termine là pour les bourgeois ; elle se poursuit quelque temps encore entre la vicomtesse et l’abbé de Saint-Martial qui, en qualité de suzerain de Limoges, prétend que la vicomtesse lui doit l’hommage. Il obtient gain de cause, et la vicomtesse, à son tour, exige de la part des bourgeois de Limoges le même acte de soumission (2).

Considérons 1° que les affaires de Pampelune et de Limoges sont contemporaines ; 2° que dans l’un et dans l’autre cas il y a accord ou ligue (pacha), à Limoges entre les bourgeois contre la vicomtesse, à Pampelune entre les habitants du bourg, d’une part, et entre les habitants de la cité, d’autre part ; 3° enfin, que dans ces deux affaires l’autorité royale intervient, ce qui complète l’analogie avec le différend dont Montpellier est le théâtre au moment où a lieu la tenson dont nous recherchons la date. Il est donc infiniment probable que cette date est de très-peu postérieure à 1276 (3).

 

Notes :

1. On sait que cette guerre civile est l’objet du poème de Guillaume Anelier, publié à Pampelune par B. Pablo Ilaregui et à Paris par M. Fr. Michel. ()

2. Voir, pour tous ces faits, l’Art de vérifier les dates, 3e édit., II, 396-7. Les sources sont le Majus chronicon Lemovicense, Bouquet, XXI, 779 à 788, et les arrêts du Parlement, voir notamment les arrêts rendus en 1273 (Boutaric, Actes du Parl., n° 1925), 1274, ibid. I, 332 (Restitution d’un vol. perdu des Olim, par M. Delisle, n°214), 1275-6, Boutaric, n° 238 ; 1276, ibid. n° 2049. ()

3. M. Germain, qui a bien voulu revoir une épreuve de ce chapitre, me fait remarquer que Johan Ymbert et Olivier, les deux juges de la tenson (vv. 55 et 58), doivent être, selon toute apparence, identifiés avec les deux personnages du même nom qui figurent dans la liste des consuls de Montpellier pour l’année 1283 (Germain, Hist. de la commune de Montpellier, I, 394). Notons que les termes de l’envoi excluent l’idée que ces deux personnages fussent consuls au moment où ils sont choisis pour juges. La limite supérieure étant fixée à 1276 au plus tôt par l’allusion aux troubles de Limoges et de Pampelune, on pourrait prendre 1283 pour limite inférieure, se tenant plus près de la première de ces deux dates que de la seconde. M. Germain m’écrit à ce propos : « Nous n’avons pas de détails précis sur l’épisode qui fait le sujet de votre tenson, mais nul doute qu’il ne s’agisse d’une des mille scènes qui se produisaient alors journellement au sein de la commune de Montpellier par suite de la division des bourgeois entre le parti français et le parti catalan. Le morcellement de la monarchie aragonaise, accompli en 1276 à la mort de Jayme 1er, avait livré Montpellier à la branche cadette de la maison de Barcelone, c’est-à-dire à des princes ou seigneurs trop faibles pour ne pas se sentir constamment tiraillés entre la domination française gagnant sans cesse du terrain, et la branche aînée d’Aragon qui aspirait à reconquérir les terres qu’avait possédées Jayme 1er. De là l’intervention dans la pièce des Français et des Catalans ». Voir au reste, pour la situation de Montpellier à cette époque, l’Histoire de la commune de Montpellier de M. Germain, t. II, chap. IX, X, XI. ()

 

 

 

 

 

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