§ XX.

Plainte d’un lépreux.

 

Les quatre couplets qui suivent ne sont point une chanson d’amour. C’est la plainte d’un infortuné qu’une inexorable maladie, sans doute la lèpre, a séparé du monde à tout jamais. Chacun de ses vers révèle une douleur. « J’ai perdu celle que j’aimais », écrit-il à un ami, « j’ai perdu votre compagnie », et il invoque la mort. Réfugié dans l’île d’Embiès (1), privé de la société polie dans laquelle il avait accoutumé de vivre, il voudrait s’enterrer vif ou du moins porter bien loin « de ce pays » les maux qu’il souffrira jusqu’à l’heure de la délivrance. « Moi qui chantais pour me tenir en joie et pour ma dame que j’aimais tant, maintenant je chante et je pleure ma ruine, car je suis en proie à la plus grande maladie. Que m’importe si j’ai le corps perdu ; j’ai rendu mon âme à Jésus-Christ, et je veux toujours souffrir avec crainte les maux et la dure pénitence que je subis ».

De ce que ce malheureux, s’étant réfugié aux Embiès, semble regretter de ne pas s’être éloigné davantage du pays où étaient ses relations (v. 11), on peut conclure qu’il était provençal. Quant à l’Austor à qui la pièce est adressée, nous devons nous résigner à ne connaître que son nom. Il n’y a pas de raison pour l’identifier avec aucun des deux troubadours du même nom, Austorc d’Orlac et Austorc de Segret.

Le texte de cette pièce est assurément l’un des plus corrompus que contienne le ms. Giraud.

 

Note :

1. Du moins il ne me semble pas qu’on puisse entendre autrement le vers 11. Dans un document de 1197, cette île est appelée : « insula delz Embers » (Cart. de St-Victor de Marseille, nº 1023) ; elle est située le long de la côte occidentale de la presqu’île qui forme du côté de l’ouest la rade de Toulon et contient une centaine d’habitants. (↑)