POÉSIES DU TROUBADOUR PERDIGON
Perdigon a été singulièrement délaissé jusqu'ici par les provençalistes : il a, pourtant, écrit au moins quatre pièces qui le plaçaient jadis au premier rang des troubadours, à en juger par le nombre des manuscrits qui les contenaient. De plus, les citations de ses œuvres ou les allusions qui y sont faites par d'autres troubadours, ainsi que les imitations ou traductions que nous en ont laissées les poètes italiens, nous montrent qu'il a joui d'une renommée assez étendue (1). Le rôle qu'il joua pendant la guerre albigeoise et ses relations intimes avec Pierre II d'Aragon, avec le Dauphin d'Auvergne et avec Guillaume d'Orange — à supposer qu'il faille, sur tous ces points, accepter le récit de son ancien biographe (2), — mériteraient qu'on fit une étude approfondie de sa vie. Mais cette étude demanderait des recherches que je n'ai pas les moyens d'entreprendre. Mon effort s'est donc borné à donner un texte critique des poésies de Perdigon, dans l'espoir que quelque autre sera tenté de combler une lacune à laquelle je ne suis que trop sensible.
Quant au bagage littéraire de notre troubadour, Bartsch (Verzeichniss, 370) lui attribue quinze pièces. Mais le nº 7 (Fis amics sui) est de Bernart Arnaut Sabata (voir Annales, XVII, 470), et le nº 6 est un fragment (strophes 4-6) du nº 9 (Los mals d'amor). La tornade du nº 10 (Mais nom cug) contient une allusion qui rend l'attribution à Perdigon assez sùre; nous en sommes d'autant plus heureux que cette pièce ne se trouve que dans V. Quant au nº 15 (Verges en bon'ora), j'en considère l'attribution à Perdigon comme assez douteuse: elle ne repose que sur les témoignages des mss. C et R, qui, en ce qui concerne Perdigon, sont fort sujets à caution. Ainsi, 70.9 est de Bernart de Ventadour ; 30.5 d'Arnaut de Maroill, 404.3 de Raimon Jordan. De plus, le schéma rythmique du nº 15 est de ceux que Perdigon n'a pas favorisés : mais, faute d'autres prétendants, on est obligé de le laisser en possession libre.
Bartsch a eu raison d'attribuer 70.11 à Bernart de Ventadour. Une rédaction mutilée de cette pièce est attribuée à Perdigon par CR, mais je ne crois pas que notre troubadour fût capable d'écrire la strophe, ab chans d'auzels comença ma chanso. L'amour de la nature et de ses beautés est un trait qui est rare dans les poèmes de Perdigon. Peut-être vaut-il la peine de remarquer que cette pièce n'est pas attribuée directement à Guillem Ademar par S, comme Bartsch le donne à entendre. Dans ce ms., chaque poème est précédé d'un nom d'auteur ; or, il n'y en a pas en tête de cette pièce, qui se trouve à la suite de celles qui sont attribuées à Guillem Ademar et sont certainement de lui.
Pour d'autres poèmes douteux, les indications des mss. se trouvent presque renversées. Cette fois, ce sont CR qui nient l'attribution à Perdigon, et V seul qui donne un faible témoignage en sa faveur. Nous donnons la suite des poèmes, à partir du fol. 106a de V (Archiv., XXXVI, 447), d'après la numérotation de Bartsch:
30. 9. Arnaut de Maroill CR. Perdigon V.
47. 4. Berenguier de Palazol CER. Perdigon V.
370. 3. Perdigon en 15 mss.
155. 2. Folquet de Marselha en 7 mss.
370. 13. Perdigon en 14 mss.
366. 7. Peirol CR. anonyme V.
370. 14. Perdigon en 15 mss.
370. 4. Perdigon en 4 mss.
370. 10. V, sans attribution.
Toutes ces pièces se trouvent dans V sans titre et, si l'on considère le désordre qui règne dans ce manuscrit, la suite des poèmes est sans valeur et ne donne sur les auteurs aucune indication. Quant à 370.10, une allusion nous permet de l'attribuer à Perdigon ; mais pour 366.7, le témoignage de V est totalement dépourvu d'autorité: il en est de même pour 30.9 et 47.4. N'ayant rien trouvé dans ces pièces qui puisse indiquer la main de Perdigon, nous avons toute raison de croire qu'il n'en est pas l'auteur.
Il résulte de ce que je viens de dire que quatorze pièces peuvent être attribuées à Perdigon avec plus ou moins de certitude. Sur ces quatorze pièces, deux ont été déjà publiées critiquement (dans la Chrestomathie de M. Appel). Pour la première (370.11, Perdigon, ses vassalatge : op. cit., nº 95), j'ai les leçons de Qc 33 b, que M. Appel n'a pas pu utiliser. Dans ce ms., le partimen est mélangé avec la tenso de Jaufre de Pons (261.1) et ne commence qu'au vers 23, précédé de douze vers de cette tenso. Q se rattache au groupe ADGJK, avec des relations plus intimes avec G. Je donne les vers 57-59, tels qu'ils se trouvent dans Q; ils peuvent être utiles, M. Appel ayant renoncé à donner un texte critique de ces vers difficiles :
Car sil son ric et pro cor an
E dompna que chascus deman
Ausi se gardaz sel ner sors.
De même, le partimen Senher n'Aymar (4.1) se trouve chez Appel, Chrest. n° 98. Les leçons de Qc 42 a sont celles de DEGIM. Les strophes 7 et 8 manquent dans ce ms.
Il me reste à ajouter que j'ai fait les traductions aussi littérales que possible, afin de pouvoir me passer de notes et d'explications. J'adresse ici l'expression de ma vive reconnaissance à M. Benedetti, de Florence, qui m'a fait des copies très soigneusement collationnées de Q, (3) et à M. Jeanroy, qui a bien voulu m'envoyer les copies des mss. de Paris et qui a eu la bonté de revoir et de corriger mon travail.
Notes:
1. J'ai mentionné ces allusions en tête des pièces auxquelles elles se rapportent. Citons aussi les vers de Uc de Lescura (Annales, XVII, 477): ni'n Perdigon de greu sonet bastir, «[je ne crains pas] Perdigon pour bâtir un rythme savant», d'après la traduction de M. Jeanroy. Je laisse aux lecteurs la tâche de déterminer quelles sont les qualités «savantes» qui ont attiré l'attention de Uc de Lescura.
2. La plus récente édition de ce document est celle de M. Chabaneau, (Biographies des troubadours, p. 71).
3. On sait que depuis, M. Bertoni a donné une édition de ce mss. (Rornanische Gesellschaft, nº 8.) |