LA TENSON DE TAUREL ET DE FALCONET
II
Sur la date de la tenson, on a exprimé différentes opinions. M. Chabaneau l'a rapportée à 1250 (1); MM. Schultz-Gora (2) et Selbach (3) à 1237 ou peu après; M. Torraca la croit «un peu postérieure à 1225».
M. Chabaneau n'a pas justifié son opinion; il l'a du reste exprimée, comme il le fait souvent, sous une forme hypothétique. A vrai dire, la pièce n'offre rien qui puisse se rapporter aux événements politiques de 1250; on verra, au contraire, que tout nous éloigne le cette année.
MM. Schultz-Gora (4) et Selbach (5), bien qu'ils ne se citent pas l'un l'autre, reconnaissent tous deux Boniface II, qui régna de 1225 à 1254 (6), dans le marquis de Montferrat mentionné au vers 43; l'emperaire nommé au dernier vers serait Frédéric II, et les mots conquis Milan feraient allusion à la victoire de Cortenuova, remportée par lui sur les Milanais le 27 novembre 1237. J'ai déjà dit que MM. Selbach, Tobler et Levy croient voir dans le vers 29 le nom d'un protecteur de Falconet, Guillem Rentin.
M. Torraca, quoique reconnaissant Guillaume IV de Montferrat dans le personnage nommé au vers précité, voit, lui aussi, son successeur Boniface II dans le marquis au sujet duquel s'engage le débat entre les deux auteurs. Il est d'accord avec ses devanciers pour identifier Frédéric II avec «l'empereur»; mais il s'éloigne d'eux sur un point. Il n'admet pas que les mots conquis Milan puissent se référer à la bataille de Cortenuova; ils se rapportent plutôt, d'après lui, à la diète que Frédéric réunit à Crémone en 1226. Ce serait également à cette réunion qu'il serait fait allusion au deuxième couplet.
Je n'ai pas besoin de longs développements pour démontrer que toutes ces identifications sont fautives.
Les mots conquis Milan ne peuvent absolument pas s'appliquer à la bataille de Cortenuova. La journée de Cortenuova fut une victoire remportée par l'empereur et non une conquête; le vieux rêve de Frédéric II ne se réalisa pas là non plus! On sait qu'après la bataille l'empereur ne poursuivit pas les Milanais en déroute; il rentra à Crémone, puis se rendit à Lodi, à Pavie, et enfin rentra en Allemagne (7). Ce ne fut que l'année suivante, avant le mois de juin 1239, qu'il retourna sous les murs de la capitale lombarde et, même alors, il fut obligé de repasser le Pô après un siège inutile d'environ quatre mois (8).
M. Torraca a été entraîné à penser à la diète de Crémone (1226), probablement par la nécessité de concilier la mention de Guillaume IV, mort en 1225, avec celle de Frédéric II. En 1226, les villes lombardes avaient formé une nouvelle ligue, à laquelle adhéra le marquis Boniface. Frédéric se proposa de les pacifier et, sans renoncer intérieurement à en tirer vengeance, il les reçut en grâce. Comme on le voit, il ne s'agissait à Crémone que d'une réunion tout à fait pacifique. Malgré l'amertume que n'y cachèrent pas les représentants de plusieurs villes, personne néanmoins ne mit la main à l'épée (9).
C'en est assez déjà pour que nous puissions nier toute relation entre ce fait et celui qui est rappelé dans la tenson. Dans celle-ci, il est très clairement question d'une expédition guerrière contre Crémone, expédition à laquelle l'un des deux partenaires aurait pris part. M. Torraca a, de plus, proposé d'identifier notre auteur avec un «messer Torello» qui paraît avoir été en rapports personnels avec Frédéric II. Je discuterai plus loin la vraisemblance de cette identification. Maintenant je demande: si Taurel servait dans l'armée de l'empereur, comment pouvait-il participer à une entreprise contre cette ville même qui était le boulevard le plus puissant de Frédéric II dans la Haute-Italie?
Je crois qu'on n'a pas fait suffisamment attention au vers 47. C'est celui-ci, ce me semble, qui contient la clef de la question.
Taurel vient de louer le seigneur de Tartarona; Falconet fait, à son tour, l'éloge du marquis de Montferrat. Celui-ci, dit-il, mérite bien de porter la couronne parce qu'il a conduit sa guerre à bonne fin, ainsi que Renart conduisit la sienne contre Isengrin, car ab fiansa destruis passiian. De quelle guerre s'agit-il? Et que signifie ce vers? M. Torraca a traduit: «guida [le marquis] la sua guerra a fine, come fecero Rainardo e Isengrino, che non si perdevano d'animo soffrendo danni». Je ne vois pas comment cette traduction se rapporte au texte. M. Torraca traduit par un verbe au pluriel, précédé d'une négation, un verbe au singulier exprimant une idée positive (destruis); il semble que ce soit passiian qu'il traduise par «soffrendo danni». Mais il est impossible de regarder passiian comme un gérondif; un verbe *PASSIIAR, quelle qu'en puisse être l'étymologie (*PASSIJARE, * PASSIDJARE, etc.) ne se trouve nulle part. En outre, le verbe destruis réclame nécessairement un régime, tandis que la désinence -an ou -ian nous incline à voir là un nom de lieu ou de pays.
Ce pays existe-t-il? Les dictionnaires topographiques de l'Italie n'enregistrent aucun nom qui puisse avoir été rendu par Passiian en provençal et qui ait, en même temps, eu des rapports politiques avec les marquis de Montferrat. Ce sont tout simplement des considérations d'ordre phonologique qui nous obligent à écarter le Passignano de l'Ombrie et celui de la Toscane, aussi bien que le Passirano de la Lombardie. Passiano près de Cava do' Tirreni, les trois Passiano du Frioul, Pacigliano près de Macerata, sont trop éloignés du Montferrat et n'ont joué aucun rôle dans l’histoire de ce pays (10). Je n'ai trouvé ce nom que dans des cartulaires, et il s'agit d'une bourgade depuis longtemps disparue.
J'en ai rencontré la première mention dans des chartes de 893, 942, 996, 997 et 998, recueillies dans le Codex diplomaticus Langobardiae (11) et concernant l'archevêché de Saint-Ambroise de Milan. Le nom y paraît sous la forme de Pacilianum; Pasilianum et de Paxilianum. Malheureusement les éditeurs se sont grandement trompés en l'identifiant avec telles et telles autres localités de la Lombardie, qui n'ont rien à faire avec elle, car elles ont des étymologies tout à fait différentes (12). La véritable situation de ce lieu se dégage d'autres documents. Un diplôme du 15 mars 1198 nous montre les Vercellais, les Astésans et les Alexandrins faisant alliance contre le marquis de Montferrat avec des villes du Piémon; parmi celles-ci figure Pacilianum (13). Un instrument dressé le 2 mai 1199 par Boniface I et les hommes de Novare, de Verceil et d'Asti, concernant la restitution de prisonniers aux Milanais et aux Plaisantins, instrument auquel furent présents Albert et Guillaume Malaspina, porte la date suivante: «Actum est in loco Paciliano, in ecclesia sancti Germani, unde plures cartule uno tenore scribi rogatae sunt (14). Il s'agit donc de ce Paciliano qui est représenté aujourd'hui par San Germano, à 3 kilomètres et demi au sud de Casale. Paciliano fut abandonné par ses habitants vers la fin du XIIIe siècle; San Germano, bâti au XVIe, tira son nom de l'ancien patron de Paciliano (15).
Cette bourgade joua un rôle fort important pendant la guerre entre le marquis Guillaume IV de Montferrat et Verceil et Alexandrie réunies. L'histoire de cette guerre, comme presque toute l'histoire du Montferrat, pendant la période qui nous occupe, est très peu connue. Galeotto del Carretto et Benvenuto di San Giorgio, les deux plus grands historiens du Montferrat, l'ignorent complètement. Si j’en puis parler, c'est seulement grâce à des documents tirés des archives de Verceil, étudiés par Mandelli (16), et à la chronique d'Alexandrie (17). Voici, d'après ces documents, quel fut le motif de la guerre:
Le marquis Boniface I, par un instrument dressé le 20 juillet 1202, avait rendu aux Vercellais quelques places déjà précédemment occupées par lui, parmi elles Trino et Pontestura (18). Il ne tarda pas à se repentir de ce contrat, et il essaya de l'annuler en recourant à Rome. La mort de Boniface, survenue en Orient (1207), retarda l'affaire. Elle fut reprise par Guillaume IV, son successeur, qui s'était auparavant emparé de vive force du château de Pontestura. Pendant ce temps, l'empereur Othon III vint à Milan (avril 1210), puis à Verceil (juin). Les Vercellais eurent recours à lui contre le marquis, et Othon ordonna a celui-ci d'abandonner toute prétention contraire aux Vercellais. Le marquis resta sourd à cette injonction et se prépara à la guerre. D'une part, il souleva Casale contre les Vercellais; d'autre part, ceux-ci firent alliance avec les Alexandrins et les Milanais. La guerre éclata enfin en 1213; elle dura jusqu'en 1214. Les détails nous en sont malheureusement inconnus, de sorte que Mandelli est obligé d'écrire: «Con quale fortuna procedesse questa guerra negli anni 1213 e 1214, non vi ha documento che lo spieghi.»C'est dommage, car ce serait d'après ces documents qu'on pourrait préciser la date de la destruction de Paciliano. Nous ne pouvons donc que nous borner à indiquer les limites chronologiques qui l'enserrent.
Leterminus a quo est le 17 octobre 1213. Avant les débuts de la guerre, au mois de février de cette année, les Vercellais et les Alexandrins firent un traité préliminaire d'alliance, qui fut transformé en traité définitif au mois d'avril, et enfin ratifié par la «credenza» d'Alexandrie le 17 octobre. Parmi les conventions, il y en eut une concernant Paciliano, inspirée par la crainte des contractants que ce pays ne s'alliât avec le marquis. On y disait, en effet, qu'on devait tâcher de le faire entrer dans l'alliance. Il est donc clair que, jusqu'au jour du traité, non seulement Paciliano n'avait pas encore été rasé, mais même n'avait pas fixé son orientation politique.
Le terminus ad quem est le 15 novembre 1214. C'est ce jour-là, en effet, que fut signée la paix à Verceil, grâce à l'entremise de l'évêque, et c'est dans ce traité que les Pacilianais figurent comme alliés des Vercellais. Une clause de ce traité établit que le marquis devait permettre «qu'ils pourraient retourner dans leur pays, rebâlir leur ville et recouvrer leurs possessions». Cinq jours après, la «credenza» de Verceil promit aux Pacilianais de les aider dans des guerres éventuelles, en les regardant comme des concitoyens.
Ainsi l'époque de la destruction de Paciliano est comprise dans les treize mois qui s'écoulèrent du 17 octobre 1213 au 15 novembre 1214. Que ce soit le marquis Guillaume qui en ait été l'auteur, il était facile de le deviner, même d'après nos renseignements fragmentaires. Toutefois, c'est Falconet qui le dit expressément; et remarquable, au point de vue historique, est le renseignement qu'il donne au sujet des procédés employés par le marquis pour accomplir son dessein. Ces procédés furent déloyaux, «renardesques»;il recourut à la trahison; c'est ce que signifie l'expression ab fiansa (19). Et, comme celui qui porte ce jugement est un jongleur attaché à sa cour, ou du moins jouissant de ses faveurs, cette façon de louer Guillaume a cet intérêt incontestable de nous donner, en quelque sorte, la mesure du milieu moral où il écrivait.
La tenson, postérieure à la destruction de Paciliano, est-elle antérieure à la fin de la lutte? Falconet, en disant trais, montre, il est vrai, qu'il écrivait après la guerre. Cependant, il en parle comme d'une chose arrivée tout récemment (ben li tanh). Il faut remarquer que dans cette guerre, il y eut deux périodes très distinctes. La première se termina justement par le traité de Verceil (15 novembre 1214). La deuxième s'ouvrit immédiatement, car le traité fut aussitôt déchiré que conclu et la nouvelle guerre ne tarda pas à s'engager. Les Vercellais, les Alexandrins et les Milanais fondirent sur Casale, et ce fut la prise de cette ville qui mit fin aux hostilités, le 2 août 1215. D'après Mandelli, la participation du marquis à cette nouvelle guerre ne paraît pas assurée. Raffaello Lumelli, un chroniqueur d'Alexandrie qui eut à sa disposition au XVIe siècle nombre de documents que nous ne connaissons plus, en parle de manière à écarter tout doute. Je me permets de reproduire ci-dessous son récit, car il s'agit d'un texte qui n'est pas facile à consulter (20). Quant à Paciliano, malgré le traité de 1214, il ne fut rebâti que l'année suivante par les alliés (21).
La tenson ne peut pas être postérieure à la prise de Casale. Dans cette mémorable journée, le parti du marquis fut définitivement écrasé, et notre jongleur n'aurait pas songé à en parler avec tant d'enthousiasme, dans la chaleur de la discussion, sans s'exposer, lui et son maître, aux railleries de son contradicteur.
III
Essayons maintenant d'expliquer les autres allusions historiques contenues dans la pièce.
J'ai déjà dit que c'est d'une guerre contre Crémone que Falconet parle au deuxième couplet. De laquelle? Nombreuses furent les guerres entre Crémone et les villes de la Haute-Italie à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe; on connaît le rôle joué par Crémone contre la ligue lombarde (22). Si je ne m'arrête pas à les énumérer, c'est que la guerre rappelée dans la tenson est assez nettement indiquée, ce me semble, pour qu'il vaille la peine de procéder par exclusion.
J'appelle l'attention du lecteur sur le dernier vers du couplet. Falconet reproche à son partenaire de ne pas avoir eu le temps de se trouver à la «boucherie», parce que, lui dit-il, totz prumers fugitz vostre vedel. Le sens de ce vers est difficile à saisir au premier abord. Raynouard, Rochegude, Azaïs, Mistral ne donnent naturellement du mot vedel que la traduction «veau». M. Torraca traduit ainsi tout le passage: «però del macello non aveste colpa, perché primo di tutti fuggi i vostro vitello.» Il s'explique cette étrange expression en supposant qu'il y a un jeu de mots entre «veau» et «taureau». Le taureau aurait été l'emblème de Taurel.
C'est là une hypothèse ingénieuse, mais je crois qu'on n'a pas besoin d'y recourir. Le mot vedel n'aura ici qu'une valeur métonymique: n’étaient-ce pas des veaux, voire des boeufs, qui traînaient le carroccio des communes italiennes? Si l'on donne ce sens au mot, tout le passage s'éclaircit tout à coup. Le jongleur a voulu dire: «Vous n'eûtes pas le temps de vous trouver à la mêlée et d'y risquer d'être tué, parce que vous vous mîtes à fuir dès le commencement (de cette mêlée), en abandonnant votre carroccio.»
Or, il arriva une seule fois, pendant la période qui nous occupe, que les Crémonais s'emparèrent du carroccio de leurs ennemis. Ce fut à la bataille de Castelleone, livrée le
2 juin 1213 contre les Milanais et leurs alliés. Celle-ci ne fut pas une escarmouche, mais une grande bataille qui se termina par la défaite complète des Guelfes. Les Milanais laissèrent leur carroccio sur le champ de bataille et cette perte fut regardée naturellement comme un très grand malheur. Presque tous les chroniqueurs de la Haute-Italie en parlent (23); le récit le plus détaillé se lit dans les Annales Placentini guelfi (24) J'en reproduis en note quelques passages, capables de représenter à notre imagination les phases de cette mémorable journée, à laquelle prit part aussi notre Taurel, sans y jouer le rôle d'un héros, bien que ce récit, en comparaison des autres, se décèle comme partial en ce qu'il tâche d'atténuer la portée de la débâcle des Guelfes. D'après ce récit, la bataille passa par deux
phases distinctes. La première fut défavorable aux Crémonais, qui furent mis en déroute. La deuxième, au contraire, le fut aux Milanais. Il paraît bien que ce soit justement à ces deux phases qu'il est fait allusion dans la pièce. Dans la première, Taurel aurait tué maint «chevalier et pièton»; dans la seconde, il se serait enfui.
Ce n'est donc pas un fait imaginaire ni lointain que rappelle Falconet, mais bien un fait rézen! et encore présent à la mémoire. Il rend son arme plus terrible en la trempant dans l'ironie. A l'accusation vague et purement injurieuse de son adversaire contre la dame Guillelmono, il répond en rappelant un événement réel et précis qui montre la couardise de son accusateur. Ainsi, il finit par l'emporter sur lui.
Le passage le plus difficile de toute la pièce est celui qui concerne le seigneur «de Tartarona».
J'ai cherché inutilement ce pays de Tartarona dans tous les dictionnaires géographiques de l'Italie et de ses anciens Etats, dans les index de tous les recueils diplomatiques que j'ai pu consulter, dans les cartes militaires du Piémont, de la Lombardie, de la Ligurie, de l'Emilie et en partie de la Toscane, que j'ai examinés table par table. Ce n'a été qu'après ces recherches infructueuses que j'ai fini par supposer une faute d'écriture dans l'original des deux manuscrits.
Mais quelle peut avoir été la leçon primitive? On peut se livrer à de nombreuses conjectures, mais on n'aboutit pas à un résultat qui résiste à la critique. Je ne veux pas importuner les lecteurs en leur faisant connaître toutes les hypothèses qui se sont présentées à mon esprit et que j'ai dû écarter l'une après l'autre. Voici celle qui me paraît avoir quelque fond de vérité.
Il se peut que le mot Tartarona doive être coupé en Tar et Tarona. Chacun de ces mots, pris isolément, s'explique très bien. Le premier signifierait le Taro, qui ne serait pas nouveau, étant rendu par Tar en provençal; d'ailleurs, il ne pouvait être rendu que par cette forme. Quant à Tarona, ce serait une autre forme de Tar. On déclinait au moyen âge Tarus Tari autant que Taro Taronis (25), et ce serait ce dernier régime qui aurait donné lieu à une formule adjectivale féminine, Tarona. La difficulté consiste à mettre d'accord le substantif Taro avec l'adjectif Tarona. A part le genre, il ne ferait que répéter, au fond, le même mot et signifier la même chose. Ils s’excluent donc l'un l'autre. Etant donnée la stabilité de la désinence ona, assurée par la rime, on ne peut qu'imaginer une faute d'écriture au premier mot. La pensée va tout de suite à Tor ou à Cort. Le long de la vallée du Taro, je n'ai trouvé aucune localité appelée Cort- : de noms de lieux formés avec corte, il y en a beaucoup dans la Haute-Italie, mais, à ma connaissance, tous sont situés hors de la vallée du Taro. Il y a bien, au contraire, des lieux appelés Torre (26); le pays, du reste, est tout semé de ruines de tours et de châteaux. Il n'est donc pas invraisemblable qu'il faille lire lo seigners de Tor Tarona. Si un pays appelé effectivement ainsi au moyen âge n'a jamais existé, on pourrait entendre «la tour du Taro» tout simplement. En ce cas, la localité resterait indéterminée.
Quoi qu'il en soit, il ne me semble pas impossible que le Taro entre dans ce mot énigmatique. Et le Taro éveille immédiatement la pensée des Malaspina, qui, comme on sait, étaient maîtres de son cours supérieur. Le seigneur dont parle Taurel vient de s'enrichir; il est en train de bâtir des châteaux et de creuser des fosses; il fait des guerres; enfin, il s'est mis à dévaliser les marchands le long des routes et fait part de son butin aux jongleurs. Tous ces traits conviennent parfaitement à Albert Malaspina. On peut supposer évidemment que des coutumes pareilles aient été communes à plusieurs barons; toutefois, pour Albert Malaspina nous en sommes certains, car nous avons sa propre confession. Je n'ai qu'à me reporter à la célèbre tenson entre lui et Rambaut de Vaqueiras, où il trouve tout à fait naturel de justifier les faits de brigandage dont celui-ci l'accuse par la générosité dont il use en vers les jongleurs (27).
Celui-là est certainement un jongleur auquel le seigneur de Tartarona vient de promettre le palefroi du premier marchand qu'il dévalisera. Comment s'appelle-t-il? Dans mon texte, j'ai préféré écrire al fol de Gallian; mais le nom du personnage ne se dégage pas clairement de cette expression. Je me suis demandé si Gallian était son nom de baptême ou bien celui de sa patrie. Si l'on prend Gallian comme nom de personne, il faut entendre «ce fol qu'est Gallian»; ce serait un nouvel exemple de de employé en apposition, à mettre à côté de ceux qui ont été déjà signalés par MM. Tobler (28) et Jeanroy (29), ce qui, d'ailleurs, est normal en italien. La deuxième hypothèse est peut-être la plus probable, en raison des pays portant le nom de «Gallianum» des deux côtés des Alpes (30). Toutefois, on reste hésitant à écrire fol ou Fol. J’ai préféré garder la minuscule, en considération de l'article qui précède ce mot, article que l’accord des deux manuscrits empêche de supprimer. Puis, il peut s'agir d'un sobriquet. Mais il ne faut pas repousser la deuxième hypothèse; on pourrait lire: a Fol de Gallian. Les personnels Follis et Follus ne sont pas rares au moyen-âge (31). Je trouve un «Guillelmus Follus de Calliano» parmi les Astésans qui, le 19 avril 1227, jurèrent le traité d'alliance avec Boniface II de Montferrat au nom de la commune (32). Est-ce une homonymie fortuite?
Étant démontré que l'emperaire ne peut pas être Frédéric II, on a le choix entre Frédéric Ier et Othon III. Les plus grandes probabilités sont, au premier abord, pour celui-là; les mots conquis Milan se rapporteraient à sa fameuse destruction de Milan de 1160. Toutefois il faut remarquer que l'expression employée par Falconet ne peut s'appliquer qu'à un empereur vivant. Le fait rappelé doit donc être arrivé tout récemment, ce qui nous amène à proposer Othon III. C'est le 15 avril 1210 — comme je 1’ai dit plus haut, — que celui-ci se rendit à Milan, après avoir été couronné empereur à Rome. Il y demeura quelques jours, et à cette occasion, sut gagner la sympathie des Milanais, les attacher à sa cause et en faire les auxiliaires des desseins qu'il méditait contre l'Église (33). Ses contemporains ont bien pu regarder cela comme une conquête, justement parce qu'ils se rappelaient la célèbre lutte soutenue par la ville contre Barberousse.
IV.
L'examen que nous venons de faire de la tenson nous amène à apporter quelques modifications à ce qui a été dit jusqu'à présent au sujet de la personnalité des deux auteurs.
Je parlerai brièvement de Falconet. Sa qualité de jongleur se dégage de la simple lecture de la pièce. Cet en, dont son nom est précédé dans la rubrique de 0, lui a été donné indûment par le copiste. Dans le texte, il est appelé toujours Falconet tout court. C'est pourquoi je crois acceptable la distinction faite par M. Chabaneau (34) du Falconet dont il s'agit ici avec un autre Falconet qui échangea une tenson avec Faure. Celui-ci, en effet, est toujours mentionné avec la particule honorifique. Il n'y a, dirai-je en terminant, qu'une ressemblance de nom entre Falconet et Falco (35), l'auteur d'une autre tenson avec Gui de Cavaillon. Falco, comme on le voit d'après ce texte, est, lui aussi, un jongleur; mais son identité avec l'interlocuteur de Taurel n'est nullement prouvée.
M. Chabaneau et, après lui, M. Levy (36), ont admis l'identité de notre Taurel avec ce Taurel qui est mentionné dans la pièce de Guilhem Figueira: Un nou sirventes ai en cor que trameta. M. Torraca, ne doutant pas de cette identité, a proposé, à son tour, leur identification avec un «dominus Taurellus de Strata de Papia», qui fut en relation avec Fréderic II et à qui aurait emprunté son nom «messer Torello d'Istria», l'un des personnages d’une nouvelle célèbre du Décaméron (37) (identification qui a, au reste, été combattue par M. Schultz-Gora (38).
Voyons si désormais ces identifications sont possibles.
Je crois que rien ne s'oppose à ce qu'on regarde comme un seul personnage le «dominus Taurellus de Strata»et celui de Guilhem Figueira. Mais il n'est nullement possible que le deuxième soit celui qui a tensonné avec Falconet.
Ce qui rend vraisemblable la première hypothèse, c'est l'époque où Torello de Strata et le Taurel de Guilhem Figueira ont vécu, aussi bien que leur condition sociale. Ce sont d'ailleurs ces mêmes faits qui nous engagent à repousser la deuxième.
M. Torraca cite nombre de documents qui montrent Torello de Strata podestat à Parme en 1221 et encore en 1227, à Florence en 1233, à Pise en 1234, à Avignon en 1237. On le trouve parfois à la suite de Frédéric II: en 1226 probablement à Crémone, à Parme, à Borgo San Donnino, et certainement à Mantoue en 1220 et à Trent en 1236. Ces dates coïncident à peu près avec celle du sirventés de Figueira. Celui-ci, en effet, a été composé en 1228, suivant M. Levy, et plus précisément aux premiers mois de cette même année, suivant M. Torraca. On peut hésiter, je crois, à accepter cette date comme définitive; mais, en tout cas, on ne peut pas la faire descendre plus bas que 1240 (39).
La poésie de Figueira est toute vibrante d'enthousiasme pour Frédéric II. L'empereur vient d'atteindre l'apogée de sa puissance. Il a soumis l'Eglise mieux que son aïeul n'avait su le faire (vv. 21-22); les Lombards sont allés jusqu'à Barlette lui rendre hommage (v. 27); Gênes l'a remis en possession de la Rivière (vv. 29-30). Il est redouté de tous, car il tire inexorablement vengeance de ses ennemis; de tous il est obéi (v. 13 et suiv.). D'où vient cet enthousiasme? On se tromperait en croyant qu'il procède purement des sentiments politiques du troubadour: ce sont, au contraire, de purs intérêts professionnels qui le font parler. Figueira débute en disant qu'il veut se mettre désormais au service du puissant seigneur, parce que celui-ci peut maintenant mieux récompenser les troubadours. Il ne so1licite de lui que des faveurs. Gaspary (40) a soutenu depuis longtemps, et M. Levy (41) a confirmé son opinion contre Bartoli (42), que le fait l'avoir chanté Frédéric II n'engage pas à croire nécessairement qu'un troubadour ait vécu à sa cour. Le sirventés de Figueira paraît appuyer cette théorie, qui, du reste, est très juste, même à priori. Figueira, il est vrai, emploie le mot vengut en parlant des Lombards qui ont été trouver l'empereur, mais cela ne prouve pas la thèse contraire. La vérité est que Figueira ne put arriver jusqu'à l'empereur que par un intermédiaire. Et, d'après le sirventès, c'est justement Taurel qui joue ce rôle. C'est seulement ce sens qui me semble ressortir des trois passages où il est mentionné, et plus particulièrement de ceux de la tornade (43).
L'époque à laquelle Figueira composa sa pièce est ainsi postérieure d'environ vingt-cinq ans à celle où Taurel tensonna avec Falconet à la cour de Montferrat. Un tel intervalle ne pourrait rien prouver, je le sais, contre l'identité des deux homonymes. Mais il se combine, comme on le voit, avec d'autres faits. C'est que l’ami da Figueira est un personnage puissant, probablement attaché à la cour; en effet, quand celui-ci s'adresse à son ami, il l'appelle, par deux fois, en Taurel. Le contradicteur de Falconet est au contraire un pauvre jongleur. M. Torraca dit que Falconet lui parle «comme à un seigneur, à un guerrier qui déploie son emblème de bataille... et qui, s'il voulait, pourrait accueillir agréablement les jongleurs», et que «le ton de Falconet est soumis, même lorsqu'il écoute les injures les plus cruelles». Je me permets de ne pas partager là-dessus 1'opinion du savant professeur (44). Le quatrième couplet, tel que je l'ai ponctué, montre que c'est bien à un collègue que parle Falconet, à un roncinier joglar, à un pauvre hère qui, comme lui, court le monde, va de pays en pays, d'hôtellerie en hôtellerie, monté sur un roussin. Il sollicite les dons des grands, spécialement le don d'un cheval, le rêve de tout jongleur; il raille l'avarice des seigneurs et ne leur épargne pas parfois les injures les plus vulgaires; il loue leur libéralité, même lorsqu'elle a sa source dans le vol.
Cette interprétation ne rencontre qu'une difficulté. Dans le ms. O, Taurel est appelé en une fois (v. 10); dans a, il est toujours appelé ainsi (vv. 10, 26, 42). Mais M. Jeanroy a déjà montré (45) que cette syllabe fausse tous les vers où elle apparaît et doit, par conséquent, être supprimée.
Taurel était-il italien ou provençal? Quelques uns ont cru à son origine italienne (46), et, à vrai dire, cette hypothèse pourrait s'appuyer sur sa participation à la bataille de Castelleone. Mais comme à cette bataille ne combattirent pas seulement les Milanais, mais aussi les Plaisantins, les Lodésans, les Novarais et les Brescians, on ne serait pas autorisé à le croire milanais. Falconet aurait pu dire fugitz vostre vedel, aussi bien s'il combattait parmi les Milanais que s'il était parmi leurs alliés. Le carroccio, dans cette rencontre, n'était pas seulement l'emblème des Milanais, mais de toute l'armée. D'autre part, rien n'empêche d'admettre qu’un jongleur provençal aurait pu se trouver à une bataille livrée entre deux communes italiennes.
Falconet loue les exploits du marquis de Montferrat contre Verceil, Milan et Alexandrie; c'est justement dans l'armée de ces villes que Taurel, de l'autre côté, a combattu. Les deux partenaires sont donc, l'un, gibelin et, l'autre, guelfe. Mais ce ne sont pas leurs sentiments politiques qui trouvent un écho dans ces couplets, uniquement inspirés par des intérêts professionnels. La dispute roule tout entière sur la libéralité du marquis et sur la question de savoir s'il faut aller chercher d'autres protecteurs. On dirait que Taurel est un de ces jongleurs mécontents qui, pendant le règne de Guillaume IV, rappelaient sans cesse les beaux temps de la cour de Boniface I; un de ceux qui, suivant l'expression de Folquet de Romans, étaient obligés alors d'aller mendic e paubre per Lombardia. Falconet a été plus heureux: il a trouvé à la cour du marquis les faveurs et, mieux encore, l'amour de Guillelmona.
C'est au sujet de cet amour que Taurel attaque Falconet, et voici, en résumé, les passes de ce duel poétique. Taurel dit: «Guillelmona est une femme publique et vous un lépreux»; Falconet répond: «Vous êtes un lâche.» Taurel: «Le marquis est avare.» Falconet: [«Vous n'avez qu'à mettre à l'épreuve sa libéralité.»] (47) Taurel: «Il est mieux de se mettre au service d'un autre seigneur.» Falconet: «Il vaut encore mieux rester chez soi.» La tenson est ainsi un tissu de calomnies sanglantes et d'injures grossières: elle est l'expression de la vie jongleresque dans ce qu'elle a de plus bas et de plus utilitaire. Elle constitue un curieux spécimen de ce genre qui, dû à la dégradation de la tenson aristocratique, paraît s'être développé surtout en Italie.
Notes
1. Biographies, p. 348.(↑)
2. Le Epistole del trovadore Rambaldo di Vaqueiras, etc., trad. Del Noce, Firenze, Sansoni, 1898, p. 158.(↑)
3. Das Streitgedicht in der altprovenzalischen Lyrik, Marburg, 1886, p. 62.(↑)
4. Loc. cit.(↑)
5. Loc. cit.(↑)
6. De Mas Latrie, Trésor de Chronologie, p. 1718.(↑)
7. De Cherrier, Hist. de la lutte des papes et des empereurs, Paris, 1858, II, p. 158 et suiv.; Giulini, Memorie spettanti alla storia, al governo ed alla descrizione della città e campagna di Milano, Milano, Colombo, 1855, IV, p. 389.(↑)
8. Giulini, op. cit., p. 399.(↑)
9. Cf. Winkelmann, Kaiser Friedrich II, I, p. 272 et suiv.(↑)
10. V. Amati, Dizion. corogr. dell' Italia, V, p. 791 et 986.(↑)
11. Monum. Hist. Patriae, Augustae Taurinorum, MDCCCLXXIII, p. 596, 973, 1622, 1636, 1662, 1680.(↑)
12. Le nom Paciliano vient très évidemment du nom de la famille romaine PACILIA, dérivé du personnel PACILIUS. C'est donc tout autre chose que Basiano (près de Gorgonzola; Cod. dipl. Lang., p. 973 n. et 1622 n.), Bassiano (près de Lodi; ibid., p. 1942) et Passirano (près de Vimercate; ibid., p. 1940). Ceux-ci ont pour base respectivement les noms de personne BASILIUS (cf. G. Flechia, Di alcune forme di nomi locali dell' Italia superiore, dans Memorie della R. Accademia delle scienze di Torino, t. XXXII, p. 289), BASSUS ou le nom adjectival lui-même BASSIANUS (Bassian est un nom très fréquent à Lodi, à cause du patron saint Bassian), et PACIRIUS.(↑)
13. Q. Sella, Codex Astensis qui de Malabayla communiter nuncupatur, Roma, Lincei, 1880, nº 993.(↑)
14. Q. Sella, op. cit., n° 997.(↑)
15. Cf. Casalis, Dizion. geogr. e stor. degli stati sardi, Torino, 1836, p. 740. — Un diplôme de Frédéric II, de 1248, donne faculté aux hommes de Paciliano de pouvoir se transférer à Casale (Huillard-Bréholles, Hist. Diplom. Friderici II, vol. VI, partie III, p. 694). — En 1252, Paciliano, possédé par le marquis Boniface II, fut pris par les Alexandrins, conduits par Manfredi Lancia, pendant la guerre qui éclata après la mort de Frédéric II (v. Benvenuti Sangeorgii, Chron., dans Mon. Hist. Patriae, III, D, 1323).(↑)
16. Mandelli Vittorio, Comune di Vercelli, Vercelli, 1857. Les faits en question sont racontés au 1er vol., p. 44 et suiv. Voir aussi Dionisotti, Memorie storiche della città di Vercelli, Biella, 1864, II, p. 152 et suiv.(↑)
17. Voir plus loin.(↑)
18. Voyez aussi J. Durandi, Ricerche sopra il diritto pubblico nel Vercellese e nella Lombardia, publ. par F. Rondolino dans Miscellanea di storia italiana, XXV, Torino, Bocca, 1887, p. 73.(↑)
19. D'après le fragment historique découvert par Durandi (op. cit., p. 91) et publié sous le titre Bellum Vercellense, il paraît que les exécuteurs matériels des desseins du marquis auraient été les habitants de Casale: «Idcirco, quum de anno MCCXIV Vercellensium res in varia viderentur incidere discrimina, ob bellum quod cum marchione Montisferrati exardebat, et ob favorem Federici II, in quo ipsi maxime confidebant, Casalenses aliquot actus hostiles contra illos de Paciliano huic civitati subdites facere conati sunt, et clericum praesertim in carcerem detruserunt; ob quod facinus cum a curia Vercellensi essent excomunicati, majora in dies praevenientes mala futura in primordiis anni MCCXV rennovaverunt nostris juramentum submissionis.»(↑)
20. «MCCXV. Nicolaus de Andito cum praetor esset Alexandriae, discordiarumque illae faces inter marchiones Montisferrati et Alexandrinos numquam extinctae essent, sed adhuc maxima praeberent bellorum semina, Alexandrini delectu habito confoederatis Mediolanensibus et Vercellensibus uti, ut aliquam insignem cladem marchionibus Montisferrati afferrent, Casale S. Evasii obsiderunt manganis et omni instrumentorumad oppugnandum genere ad id adhibitis; quod die secunda augusti post multas oppugnationes obtinuerunt civitatemque igne et ferro consumpserunt, multis Casalensibus ac eorum praetoribus desideratis, ac penitus excisa et eversa urbe corporibus ss. Evasii, Natalis et Projecti Alexandriam delatis. Edicto insuper praeceperunt ut nemo hominum Casale inhabitaret. illud reaedificare auderet, qui id facere conaretur, hostis populi Alexandrini haberetur, quod ea mente ab Alexandrinis factum fuit, ut marchiones hac urbe nudati, ansam in futurum nec tam facile neque tam propinquam haberent iniuriam inferendi Alexandrinis. Quare Casatenses hinc et illinc palantes ac dispersi veluti ferae vagabantur. Sed cum ad Honorium III summum pontificem accessissent, illiusque pervoluti pedibus calamitates miseriasque suas eidem exposuissent, jussit Ticinensi episcopo, ut omni animo et corpore contentione conaretur, pacem inter utrosque populos conciliare sin minus operam daret ut Alexandrini saltem permitterent instaurationem civitatis, quod in pontificis gratiam Alexandrini concesserunt.» (Raphaelis Lumelli, De Origine atque Historia Civitatis Alexandriae, dans Moriondi, Monumenta Aquensia, I,- p. 565.) Voir aussi le Bellum Vercellense, cité, p. 93 et suiv.)(↑)
21. Le fait est rappelé par deux chroniqueurs milanais: «12 kal. nov. 1216 [= 21 oct.]. Mediolanenses transierunt Padum cum Vercellensibus et redificaverunt Paxilianum.» (Annales Mediol. breves, Notae S. Georgi, dans Mon. Germ. Hist., XVIII, p. 388.) L'éditeur Jaffé a confondu à tort lui aussi Paxilianum avec Bassignano; il suffit de remarquer que ce nom vient de BASSINIUS, pour s'apercevoir de l'erreur. Dans les Memoriae Mediolanenses (ibid., p. 401), il y a aussi une erreur. Elles écrivent: «redificaverunt Baxilicam Petri.»C'est la forme latine bien connue de Bescapé ou Barsegapé, la patrie de l'ancien poète lombard.(↑)
22. Il suffit de renvoyer aux Annales Cremonenses (dans Mon. Germ. Hist., XVIII, p. 805-6).(↑)
23. Annales Mediol. Breves, Notae S. Georgi (dans Mon. Germ. Hist., XVIII, p. 388); Annales Mediol. Minores (ibid., p. 392 et 398) ; Memoriae Mediolanenses (ibid., p. 401); Annales Bergomates (ibid., p. 809); Annales Brixienses (ibid., p. 817) ; Annales Parmenses Majores (ibid., p. 666); Ogerii Panis Annales [de Gènes] (ibid., p. 133); Chronic. Placent. (dans Script. Rer. Ital., XVI, col. 458); Annales Cremonenses (ibid. p. 806).(↑)
24. «Eodem anno [1213] ultima ebdomada mensis madii, Cremonenses, cum carrocio et cum universa gente eorum et fortia apud Castrum Leonem equitaverunt... Mediolanenses cum carocio et universa gente eorum et cum militibus Placentie et Laude et aliquibus Novarie militibus, et cum militibus extrinsecis Britie, apud Cremam perexere. Deinde die sabbati, primo mensis Junii, versus Cremonam ivere et non multum longe ab eis fuere castramentati. Die vero dominico in festo Pentecostes armati et ordinati iverunt ad bellum; et cum pervenissent cum carocio circa fossata et munitionem in qua Cremonenses aderant, accerimo et fortissimo eos agrediuntur impetu et vi maxima in illa conantur intrare munitione. Ipsi vero Cremonenses cum suis ordinatis actiis [l. aciebus] illis se obviam ante munitionis portas se prebuerunt; et tubis bellicis sonantibus ab utrisque certatur. Qui cum deficerent et crebra ac fortissima hostium tella ferre minime possent et intus ipsam munitionem per vim intrarent Mediolanenses, perterriti et pavore comoti, terga vertentes fugam petierunt. Partem quoque eorum gladio interfecerunt, partem vero in ipso flumine submerserunt, alios vero, qui per pontem et per vada Serii insequentes, omnibus tentoriis et spoliis, equis et bobus et cariolis ablatis, nichil reliqui preter fugam fecerunt; et ultra Serium amplius quatuor milibus usque ad Nucem Casale eos fugaverunt, excepto circa trecentos milites, qui ad Cremone carrocium fugerunt. In ipso vero prelio fere mille milites de Cremona et eius distructu ceperunt et habuerunt de peditibus vero tantos, quod nescio dicere quantos. Et cum illis militibus ultra Serium captis Mediolanenses ab illa parte Serii iverunt alii quoque milites et magna pars populi, que circa Mediolani carocium adesse debebat, cum militibus et aliis hominibus in prelio captis et cum temptoriis, spoliis, robis, bobus, equis et cariolis Cremonensium ad sua venerant castra, fere omnes de prelio recedentes, preter Placentie milites; qui in ipso bello egregie steterunt et cum Cremonensibus acriter pugnaverunt, et ipsis viriliter et bellicose restiterunt. Videntes interim milites et populus Cremone, qui ad Cremone carrocium derelicti erant, recepisse militiam Mediolani, cum eis preliaverunt. Percipientes autem Mediolanenses qui ad carrocium remanserant, minime resistere posse, carocio in quodam palude relicto, in quo per vim illud impulserant, recesserunt et versus castra redierunt. Quod carrocium Cremonenses postea de palude extractum habuerunt, et Cremonam illud duxerunt; et in ipso bello ceperunt circa triginta milites Mediolani et eius partis, de perdibus et hominibus Mediolani et eius districtus fere mille homines,» (Mon. Germ. Hist., XVIII, p. 427).(↑)
25. Il suffit de renvoyer à l'index du t. XVIII des Mon. Germ. Hist., s. TARUS. V. aussi les Mon. Hist. Parm., II,p. 137, 159, 207, etc., où des formules comme «castrum altra Taronem», «pons Taronis», etc., sont fréquentes. Borgotaro y est appelé «Burghetus Taronis». Je remarquerai encore que du régime Tarone on a tiré des noms de famille: un «Federicus Turonus» fut juge à Crémone en 1273 (Laterculi Magistratuum Cremonensium, en Script. Rer. Ital., VIII, p. 649). Le Taro, ajouterai-je enfin, reçoit dans son haut cours la Tarodine, une petite rivière. Si ce nom était rendu en provençal par Tarona (d'après le dialectal Tarodna), on pourrait penser à la leçon Tar e Tarona;mais il en résulterait un vers hypermétrique. La région de Tar e Tarodine s'identifierait avec celle où dominaient les Malaspina.(↑)
26. V. Molossi, Vocabolario topografico del ducato di Parma, Piacenza e Guastalla, Parma, 1832-1834, s. vv.(↑)
27. En 1211, Albert Malaspina avait été dépossédé du château de Gavi par les Génois, parce qu'il n'avait pas voulu venir habiter Gènes (Ogerii Panis, Annales, dans Mon. Germ. Hist., XVIII, p. 131). Le mot meilluratz pourrait être entendu dans le sens que, après cette perte, il avait rétabli ses affaires.(↑)
28. Vermischte Beitrâge, etc., I, n° 20.(↑)
29. Un sirventés en faveur de Raimon VII (dans Bausteine zur rom. Philol.; Festgabe für A. Mussafia, Halle, 1905, p. 635).(↑)
30. Gaillan, département de la Gironde, près de Lesparre; pour l'Italie, voy. Amati, op. cit., s. vv.(↑)
31. Dans le Rigestum Comunis Albe, publié par E. Milano, Saluzzo, 1903, figurent: «Henricus Follis, consiliarius Albensis» entre 1209 et 1217; «Follus Johannes, homo de Manciano»entre 1207 et 1218; «Gamundus Follus armatus, consiliarius Alexandriae» en 1208.(↑)
32. Q. Sella, op. cit., III, n° 914. D'autres «de Caliano» figurent dans le même recueil, à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe. Voy. les n° 84, 242 , 941, 1039.(↑)
33. Voyez Giulini, op. cit., IV, p. 173 et suiv.(↑)
34. Loc. cit.(↑)
35. L'identité a été supposée par Bartsch, Grundriss, 148, 1.(↑)
36. Guilhem Figueira, Berlin, 1880, p. 96.(↑)
37. Emeric-David, Hist. littér., XVII, p. 529, a confondu à tort notre Taurel avec Bertrand d'Aurel. Cette faute a été justement relevée par M. Torraca.(↑)
38. Ein sirventes von Guilhem Figueira gegen Friedrich II, Halle, 1902, p. 60.(↑)
39. M. Torraca n'a pas encore donné 1a justification de la date proposée par lui. M. Levy se base sur les v. 53-54 de la pièce: «E Genoalh ren la Ribeira E totas terras qu'ilh te.» Cette restitution eut lieu, en effet, au printemps de 1238. Toutefois, les deux vers immédiatement précédents font allusion à un fait postérieur: «Qu'eras son Lombart vengut tro en Barleta Per rendre a lui totz los dregz de la corona.» Cet eras écarte tout doute sur la contemporanéité du voyage des Lombards à Barlette et de la composition du sirventés. Or, d'après l'itinéraire diplomatique de Frédéric II, une seule fois l'empereur se rendit à Barlette, après la bataille de Cortenuova, et ce fut entre le 30 mars et le 1er avril 1240. A vrai dire, il n'y a aucun diplôme daté de Barlette; mais il y en a plusieurs datés des environs de cette ville: quatre du 30 mars, «apud Tres Sanctos» (ferme à côté du lac de Salpi); deux du lendemain, «apud Salpas», c'est-à-dire plus près de Barlette, et trois de Orta du 1er avril. Les premiers montrent Frédéric en route pour Barlette, les derniers déjà en retour vers Lucera. (Böhmer, Regesta Imperii, V, p. 536.) C’est Guilhem Figueira qui nous apprend que des ambassadeurs lombards ont été reçus par Frédéric pendant son séjour à Barlette. Il se peut qu'ils fussent allés chez lui pour traiter de la restitution des prisonniers du nord, que Frédéric avait répandus dans le midi en les donnant en consigne à ses barons. (Voyez-en le catalogue dans Huillard-Bréholles, Hist. diplom. Frederici II, t. V, P. I., p. 610 et suiv.) En effet, c'est justement dans le diplôme expédié d'Orta que l'empereur ordonnait à quelques barons de lui remettre les prisonniers lombards demeurant chez eux. Il est de même question d'eux dans un diplôme expédié de Foggia peu de jours après.(↑)
40La scuola poetica siciliana nel sec. XIII, trad. par M. Friedmann Livorno, 1882, p. 8.(↑)
41. Op. cit., p. 3.(↑)
42. I primi due secoli della letterat. ital., p. 90.(↑)
43. Bels amies Taurel, vostra mercadaria
vos la vent hom mal, e vos vendetz a be
Belhs amics Taurel, vos e madona Dia
Devetz ben amar selh c'a nom de ric fre.
Ce personnage que Taurel et son amie doivent aimer est Frédéric II, comme l'ont remarqué MM. Tobler et Levy (op. cit., p. 99). Mais quelle est la mercadaria?M. Levy avoue ne pas avoir compris le sens des deux premiers vers. La mercadaria qu'un jongleur pouvait vendre était la poésie, et, en ce cas, ce sirventés lui-même. Figueira l'envoyait à Taurel et celui-ci devait le présenter à l'empereur, afin de le faire largement récompenser.(↑)
44. M. Schultz-Gora (loc. cit.) avait déjà protesté énergiquement contre cet argument; cf. Jeanroy, loc. cit.(↑)
45. Annales du Midi, XV, 221.(↑)
46.La pièce vient d'être reproduite dans le petit recueil: Poesie provenzali di trovadori italiani, de la collection Testi romanzi per use delle scuole a cura di E . Monaci. Roma, Loescher, 1905. Son italianité est donc admise par l’éditeur de ce recueil.(↑)
47. Le sens de cette réplique est douteux.(↑)
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