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Nelli, René; Alibert, Louis; Sire, P. M.. Actualité des Troubadours (Les Troubadours de l'Aude) . "Pyrénées. Cahiers de la pensée française", 2 (1941), pp. 118-210.

PYRÉNÉES

CAHIERS DE LA PENSÉE FRANÇAISE

 

Actualité

des

Troubadours

(Les Troubadours de l’Aude)

 

                                     Ex ipsa, igitur, sapientiae Dei condescensione
ad humanam naturam per gratiam
et exaltatione ejusdem naturae ad
ipsam sapientiam per Dilectionem, fit Theophania.
Scot Erigène, De divisione Naturae

 

1er Année – Nº 2                                                                                               Septembre-Octobre 1941

 

SOMMAIRE

L'ACTUALITÉ DES TROUBADOURS

INTRODUCTION 

   I. La chanson de Sainte Foi d'Agen

   II. L'amour courtois et l'héresie

   III. Un troubadour cathare: Pierre Rogier de Mirepoix 

   IV.  Le soulèvement de 1242. B. de Rouvenac

   V. La cour de Narbonne. La bourgeoisie et les poètes

   VI. Le dernier troubadour: G. Riquier

   VII. Le consistoire de la gaie science: A. Vidal - P. Duran

LES TROUBADOURS DE L'AUDE

   I. Raimon de Miraval 

   II. Arnaut de Carcassès 

   III. De quelques « poetae minores » 

   IV. Bernart de Rouvenac 

   V. Guiraut Riquier

BOUCHARD DE MARLY AU CHATEAU DE CABARET 

 

 

L'ACTUALITÉ DES TROUBADOURS

 

On demande parfois ce que les Troubadours ont apporté de nouveau à la France et à l'Europe. Les esthètes répondent que c'est une technique extrêmement raffinée, un art hermétique tout en correspondances. Les Philosophes : une nouvelle conception de l'Amour. Et, certes, les troubadours du Moyen âge provençal ont rénové tout à la fois l'Amour et la Poésie. Mais, si je laisse de côté les problèmes purement poétiques qu'ils ont soulevés, quand je cherche à approfondir l'essence de l'amour telle qu'ils l'ont définie, il me semble qu'il s'agit moins pour eux d'une érotique —même idéalisée— que d'un sentiment plus profondément humain dont l'amour de l'homme pour la femme ne serait qu'un aspect. Les troubadours ont, les premiers, divinisé la « merci », la Pitié de l'homme pour l'homme —j'allais écrire : la Pitié de l'esprit pour le corps —l'immense charité qui « descend » du ciel sur la misérable condition humaine. Et s'ils ont adoré la femme, la reine de l'amour « descendant », c'est après l'avoir haussée jusqu'à un ciel où son amour inaccessible ne retombe sur l'homme que comme une grâce imméritée ou comme la liberté même de l'amour.

 

***

Je ne revois jamais sans une sorte d'émotion sacrée le manuscrit unique de « Flamenca » qui se trouve à la bibliothèque de Carcassonne. Je le feuilletai, pour la première fois, il y a déjà quinze ans, en présence du romaniste Joseph Anglade, qui en préparait une édition nouvelle. Et depuis, en quelques circonstances, j'ai été tenté de le consulter —comme les gens superstitieux interrogent la Bible— en l'ouvrant les yeux fermés, dans l'espoir que le hasard se substituerait à la divinité pour répondre aux vœux de mon cœur. N'est-ce point ainsi que Guilhem, le héros du roman, cherchant à pénétrer les desseins que Dieu a sur lui, entr'ouvre un psautier et tombe par hasard —ou par magique nécessité— sur le verset : « Quoniam dilexi » —parce que j'ai aimé— qui le décide à se donner à l'esprit d'amour, c'est-à-dire à l'amour de Flamenca? Dans ce mystérieux poème, la passion est tout idéale —malgré les apparences— et se dépasse elle-même par la grâce de l'Esprit. C'est bien là que M. Denis de Rougemont eût pu vérifier —mieux que dans le Tristan— la seule de ses thèses touchant les Provençaux qui ne me paraisse pas aventureuse, je veux dire l'idée qu'il a que l'amour occitanien est recherche d'un impossible bonheur, un bonheur qui fuit l'acte ou qui ne se saisit que dans ses aspirations infinies : quand Guilhem et sa maîtresse peuvent enfin jouir de la liberté de se voir comme ils veulent —le jaloux s'étant éloigné sans nulle méfiance— croyez-vous qu'ils vont bénir l'occasion qui leur est ainsi offerte de pécher? Non. « Amour et désir font bonne garde », dit le Poète, mieux —c'est moi qui l'ajoute— que l'épée nue qui, dans Tristan et Yseult, sépare les deux amants. Amour et désir font bonne garde... et les vers qui suivent ont été grattés par une main rageuse, non point qu'ils illustrassent des paillardises, mais sans doute parce qu'ils trahissaient le secret de l'amour platonique qu'il ne fallait, à aucun prix, divulguer. Je m'éloigne quelque peu de mon sujet, mais j'y reviens par un détour. C'est dans Flamenca que se pose le plus nettement le problème de la réalité métaphysique de la femme. A vous pencher sur le manuscrit, pour une première lecture, vous ne percevez tout d'abord que le parfum de l'épicurisme antique, un parfum de roses fanées qui vous monte à l'âme :

« La femme est plus vite passée que la neige ou la rosée (car dona es plus leu anadaque non es rosa ni rosada)... Et celle à qui on avait coutume de porter, pendant la nuit, « des roses sur son seuil, pour qu'elle les « accueille au matin, ne trouvera plus d'amoureux pour « oser seulement la toucher... »

Et vous direz : Ronsard, déjà ? Oui et non. Car à force de méditer sur la fragilité de la femme, le naïf romancier en vient à se demander, plus philosophe, sur ce point, que Ronsard, ce qui, en elle, est objet d'amour éternel. Et il répond par cette parole profonde qui m'a toujours paru l'expression définitive de la métaphysique amoureuse du XIIIe siècle :

          Beauté défaille, mais Merci dure
          (Car beutatz faill e Merces dura)

 

La femme est la Pitié métaphysique. Ce qui est réel, chez la femme c'est le courant d'amour divin qui la traverse et qui —encore qu'il ne soit ni de l'homme ni de la femme— resplendit un temps dans sa forme. Merci dure au delà de toute beauté. Aimer la féminité, c’est ne rien aimer, sinon la Merci.

 

***

Allons plus loin : on dirait que, cherchant à atteindre, comme tous les mystiques de l'amour, la réalité de la femme, réalité qui fuit jusqu'à l' « idée » et qui n'est ni la chair, ni l'esprit, ni la beauté, les hommes du XIIIe siècle l'aient assimilée à ce qu'ils éprouvaient de plus pur, de plus « inhumain », de plus opposé à leur moi héroïque et batailleur— et cela dans le temps même qu'ils cédaient aux pires instincts du guerrier. Imaginez que se soit formée, dans le cœur le mieux né, le mieux préparé à mourir avec joie, l'idée que l'homme pitoyable participe —comme le Christ lui-même à la fois si viril et si féminin— autant de la secrète nature féminine que de celle du mâle. Pensez, en outre, à l'attrait exercé sur lui par la beauté, en l'honneur de qui, symboliquement, il consentait à se perdre, comme si l'on ne pouvait mourir qu'après avoir « vu » sa mort sous les espèces du beau, et comme si l'amour n'était que la liberté de disparaître à l'heure la plus exaltante : Et vous aurez dévoilé le sens de cette grande idole féminine qui règne, au XIIe siècle, à la fois sur les hommes et sur les femmes, mouvant en les uns l'amour de l' « Amour-esprit » et la pitié pour les héros, matérialisant en les autres, les amants, une beauté toute formelle, rayonnant dans la mort pour attirer, au ciel des « idées », le guerrier qui a vaincu la violence.

L'Amour et la Pitié ! Certains de nos contemporains prompts à brouiller les idées claires vont encore crier à la « morale de midinette ». Qu'ils se rassurent ! nous parlons de siècles morts. En notre âge effroyable, le mot même de Pitié a disparu du vocabulaire. Je fais des vœux pour que le courage, qui n'est que son double sur le plan viril, ne retombe point, pour avoir voulu se passer d'elle, à la colère élémentaire de la brute. Jamais dans l'antique chevalerie —qui ne fut peut-être qu'idéale— la Pitié pour le vaincu n'a pris la forme d'un sentiment de lâche ; jamais elle ne se présente comme une faiblesse. Les hommes étaient durs sans être cruels et savaient que la Pitié humilie, blesse comme un carreau, quand elle n'éclaire point l'idée profondément subie que soi et l'autre ne sont qu'un seul et même être. II s'agissait toujours d'une tendresse fraternelle du héros pour le héros, d'une compassion de l'esprit captif de la chair pour les souffrances de la chair. Et parfois, si un Parzival se montrait trop lent à accueillir la plainte du roi blessé Amfortas, c'est parce qu'il s'était changé lui-même, pour avoir bien des fois bravé la mort et surtout la douleur —non pas en soudard insensible, mais en l'amant passionné de son propre destin tragique et qu'il ne savait plus où commençait, où finissait son propre tourment. Une pareille morale n'est point le fait des midinettes. Elle n'est point assez sentimentale et elle est beaucoup trop abstraite. N'aimer la femme que dans ce qu'elle n'est pas, sur cette terre. Ne saisir dans son amour que l'écho d'une Pitié éternelle qui nous guérit du malheur d'être un homme. Ne voir dans le vaincu, dans le blessé —comme dans le puissant et dans le victorieux— que le double toujours malheureux avec lequel on se confondra un jour parce qu'on le porte déjà en soi. Être assez fort, assez avancé en connaissance, pour oser entrer dans le malheur des autres : voilà en quoi consiste cette courageuse Pitié qui doit mener —sous les traits de Béatrice— Dante, des enfers jusqu'aux cercles du ciel, et —sous les traits de Gretchen— le docteur Faust, jusqu'au seuil du salut immérité.

 

***

La femme moderne —de Béatrice à Gretchen— je ne suis pas loin de penser que ce sont les rêveurs du XIIIe siècle qui l'ont créée. Je veux dire : la femme secrète, celle qui vit dans l'homme et qui hante ses pensées les plus hautes. Je m'imagine parfois que, longtemps, les sages des couvents cathares, les Parfaits perdus dans les forêts, les néo-platoniciens de l'Italie, les austères prédicateurs romains— et peut-être saint Dominique— sondant éperdument leur puissance visionnaire, tendant avec obstination leurs facultés magiques, ont fait effort pour construire —sachant bien que la femme finirait par être ce que les hommes voudraient qu'elle fût— le nouvel « égrégore » féminin sur quoi se modèlerait, plus ou moins, toute femme. On s'attendait alors, au début du siècle, à une nouvelle manifestation du Saint-Esprit, c'est-à-dire de l' « Amour », qui devait se produire vers 1265, et on ne pensait point que la divinité pût prendre d'autres traits que ceux d'une vierge. Il fallait donc, en toute hâte, préparer la féminité à cette tâche surhumaine, susciter la femme neuve. Il est de fait que jusqu'à la chute de Montségur les femmes admirables —appelées par ce qu'il y a de féminin en l'homme— ne se firent point trop attendre, du moins en Occitanie. C'est le temps où paraissent les « dames à la colombe », les Esclarmonde, les Guilhelma qui se donneront pour l'image même de l'amour spirituel. Et beaucoup plus tard, la venue sur la terre de France de Jeanne d'Arc, il n'est guère possible à un occultiste de ne pas l'interpréter comme l'apparition aux yeux humains du rêve surnaturel que toute la chevalerie —spirituellement androgyne— a réchauffé pendant trois cents ans, priant Dieu de l'accomplir enfin : un chevalier qui fût une vierge, armé de pieds en cap, va chevaucher en tête de l'armée du Saint-Esprit !

Hé bien ! Guilhelma, Esclarmonde, Jeanne d'Arc, ont leur premier modèle, leur première ébauche, dans cette femme, toujours la même, créée par les troubadours avec le plus pur de leur âme, dans l'exaltation platonicienne de l'idée d'amour. Il a fallu cette longue patience rêveuse, ce goût de la douleur d'amour qui anéantit le désir charnel, cette aspiration vers la féminité métaphysique qui se mire dans un cœur orgueilleux pour l'adoucir, dans un cœur faible pour le rendre héroïque —toute cette humilité— pour qu'elles apparaissent, enfin, les vraies saintes de la Terre.

 

***

Il en coûte, après avoir évoqué les reines du Saint-Graal, de redescendre sur le plan littéraire. Il faut bien y revenir pourtant. N'en déplaise à Louis Aragon —qui, récemment, s'alarmait à la pensée que le numéro spécial consacré au « Génie d'Oc » par les « Cahiers du Sud » pourrait couper la France en deux, et qui semblait croire qu'à préciser les contours de l'esprit occitanien, on ravissait à la France un peu de sa chair—n'en déplaise à Louis Aragon, le « secret des Troubadours » paraît avoir été très mal compris des Français et absolument trahi, —quoi qu'il en dise— par des rimeurs trop gaulois. Dans ce pays où souffle l'esprit même de l'amour « qui vainc la mort », où la féminité présente tant de mystère réel et où les modèles n'ont jamais manqué, d'Esclarmonde à Jeanne d'Arc, on compterait bien peu de grands poèmes qui nous révèlent la femme d'éternité. De nos jours, la Poésie de Paul Eluard, l'œuvre de Joë Bousquet —qui est, d'ailleurs, un héritier direct de la pensée occitanienne—   semblent me donner un démenti. Mais, avant ces deux inspirés, si je vois, à chaque siècle, la marque du génie en de très grands poètes de la femme ou de l'amour, je ne distingue que chez un tout petit nombre d'entre eux cette signature diabolique qui les apparenterait à la lointaine Provence du XIIIe siècle. Au Moyen Age —car c’est du Moyen âge qu'il s'agit— et si l'on excepte le « roman de la Rose », on ne rencontre guère que Chrétien de Troyes, dont Louis Aragon nous parle avec une admiration qui surprend. En vérité, Chrétien de Troyes, pour avoir colporté avec bonheur un certain nombre de mythes provençaux ou celtiques auxquels il n'a rien compris, n'a réussi qu'à prendre rang parmi ces rimeurs légers qui font habituellement tourner tout mystère à la gaudriole ou aux badinages charmants. L'Allemand Wolfram d'Eschenbach ne s'y était pas trompé : il déclare lui-même dans son « Parzival » s'être détourné de l'œuvre de Chrétien de Troyes, pour retourner à la véritable tradition du Graal occitanien que le Champenois n'avait su qu'affadir ... Non, le génie de Chrétien de Troyes —le génie de la France— n'était point de suivre ni de continuer les troubadours. Aussi bien, c'est moins la France que l'Europe, que les troubadours ont gagnée au culte de l' « Amour-Esprit » et de la femme. Les Italiens, les Allemands, les Catalans ont porté au plus haut point de perfection les songes qui hantaient confusément l'âme de nos plus anciens poètes d'oc. Je ne veux point faire le tour des littératures de l'Europe. Qu'il me suffise de rappeler quelques grands noms, et d'abord comment Guido Guinicelli puise dans l'idéologie amoureuse de la Provence de quoi faire dignement écho aux méditations de Wolfram sur la Merci. Quand Dieu lui dit, s'adressant à son âme :

 

« Dame », qu'as-tu présumé ?
Tu as dépassé le ciel et tu es venue jusqu'à moi,
Et tu t'es pris d'un vain amour pour mon image.
C'est moi seul qu'il faut louer
Et la reine du royaume sacré ...
 
il ne peut que répondre :
 
D'ange, elle avait apparence,
Qui serait de ton royaume…

 

affirmant par là que la femme est, à ses yeux, un être « surnaturel » qui incarne, dans sa forme même, le salut de son amant mystique. Pour les hommes du Sud, en effet, la femme habite, d'ores et déjà, le monde qui ne s'ouvre qu'à notre mort. Il faut donc que l'amour soit, ici-bas, comme l'ascèse du bonheur. Dans la Divine Comédie, en même temps qu'il est le premier moteur qui meut les étoiles, l'amour est encore cette puissance divine qui nous fait voir l'au delà des apparences. Grâce à lui, l'univers terrestre de Dante se pare déjà de ses couleurs éternelles ; grâce à lui, la jeune fille que l'on salue humblement, sous les portiques, a déjà dans son cœur toute une éternité compatissante qui, seule, peut sauver des Bêtes l'âme de son amant et lui donner la connaissance du vrai bien. Ainsi notre terre de mensonge « actualise », dans l'amour, l'éternité de la merci.

Avec Jordi de Saint-Jordi, c'est la Catalogne qui s'initie à la doctrine idéaliste selon laquelle la beauté féminine n'est que le présage d'une perfection que nous ne pouvons atteindre par nos sens de boue, mais qui tend à devenir, comme le dira Méphistophelès dans le second Faust, l'élément même de notre vie nouvelle. L'humilité du poète devant la femme n'est plus alors qu'un hommage rendu à la liberté pure de l'Esprit de Pitié qui fond sur qui il veut.

Après Jordi de Saint-Jordi, l'essentiel de la doctrine néo-platonicienne des troubadours est bien près d'être retrouvé partout, en Italie, en Espagne, en Allemagne, tandis qu'en France, dont je disais bien qu'elle -avait peu subi l'influence des pensers d'Occitanie, c'est un platonisme plus direct que Joachim du Bellay fixera dans « l'Olive » et que l'on verra cheminer, silencieusement, jusqu'à ce qu'il éclate dans les poèmes de Lamartine.

Les derniers échos de la gnose provençale, les plus retentissants, et qui ne se sont pas encore éteints, écoutez-les résonner dans le Faust de Gœthe où il me semble que les secrets des troubadours —même les gauches énigmes d'Uc de Saint-Circ— se déploient enfin explicités, au moment où l' « Éternel-Féminin », l'esprit d'une pauvre fille séduite, attire jusqu'à son ciel, pour la sauver de la damnation, l'âme du Docteur Faust :

Alles Vergängliche
Ist nur ein Gleichnis;
Das Unzulängliche,
Hier wird's Ereignis;
Das Unbeschreibliche,
Hier ist's getan;
Das Ewig-Weibliche
Zieht uns hinan.
 
Le périssable
N'est que reflet ;
L'insaisissable
Naît au réel ;
L'ineffable
Ici s'accomplit ;
L'éternel féminin
Nous attire là-haut.
(Trad. Rainer BIEMEL.)

René NELLI. ()

 

 

INTRODUCTION

 

LA LITTÉRATURE PROVENÇALE

DANS LES PAYS D'AUDE

 

I

LA CHANSON DE SAINTE FOI D'AGEN

(XIe SIÈCLE)

 

La chanson de Sainte Foi d'Agen est l'un des plus anciens textes de la littérature provençale. Elle aurait été composée dans le deuxième tiers du XIe siècle. Son auteur, demeuré inconnu, est, sans doute, le premier en date des poètes audois. M. Antoine Thomas conclut, en effet, de l'examen de la langue dont il s'est servi, qu'il devait être originaire de la région de Narbonne.

En quarante-neuf laisses, le poème nous raconte comment le Romain Dacien, envoyé tout exprès de Rome pour restaurer le paganisme et faire périr les chrétiens, condamna Fides, fille très pieuse du seigneur d'Agen, à être brûlée vive parce qu'elle refusait de l'épouser. Voici le portrait de cette jeune fille : « le corps est beau et petite la taille, plus beau encore le sens qui est en elle. Elle a les yeux jolis et la face blanche ; mais le sens de son cœur a plus de prix encore. Avant qu'elle eût douze ans passés, elle fit telle œuvre qui plaît fort à Dieu. Elle prit martyre et très terrible, tel que vous le lisez et que vous le chantez. O Dieu ! Combien ce monde en est honoré ! » (A. Thomas, La chanson de Sainte-Foi, VIII).

Furieux d'être rebuté, Dacien fit donc faire une sorte de gril que l'on plaça sur un bûcher. Et sur ce gril on étendit la jeune fille nue. Mais les anges du ciel descendirent pour voiler sa nudité. Le feu parut s'éteindre de lui-même. En réalité, c'est un ange « blanc comme un pigeon né dans l'année » qui avait soufflé dessus —Dacien, fou de rage, ordonna alors de décapiter la vierge. On la tira du bûcher et, une fois remise sur pieds, un Basque lui trancha la tête.

Au paradis, les saints et les anges attendaient Fides « De l'âme sont les anges réjouis, et avec joie, ils l'emportent et avec des rires. Tout le Paradis en est allègre et les saints qui y étaient assis. » (XXXVIII.) ()

 

II

L'AMOUR COURTOIS ET L'HÉRÉSIE

 

Quelque intérêt qu'on puisse trouver à la chanson de Sainte Foi, il faut reconnaître que ses mérites littéraires sont assez minces. Dès le XIIe siècle, on assiste à l'épanouissement d'une poésie neuve, ayant pour thème à peu près unique l'Amour, et qui dépasse de beaucoup ces premiers balbutiements. Le plus ancien troubadour de l'Aude dont nous sachions le nom est Bertran de Saissac, mais ses poèmes sont perdus. Il nous faut attendre Raimon de Miraval pour voir fleurir, dans l'Aude, l'une des œuvres de la lyrique provençale où s'exprime le mieux la doctrine d'amour.

Nous ne nous demanderons pas ici quelle fut l'origine de cette extraordinaire mystique, amoureuse qui, sous des masques divers, se prolongera en France jusqu'au XVIIe siècle. Comme, dans le temps où elle se manifestait, l'hérésie albigeoise gagnait à peu près toutes les âmes, la tentation est grande de chercher dans le catharisme l'explication de la doctrine d'Amour. Il n'est pas douteux que les dames du Cabardès, du Carcassès, du Lauragais, de Mirepoix ne fussent sinon « parfaites » du moins « croyantes ». Elles entendaient, sans cesse, les ministres cathares leur répéter que le mariage était institution démoniaque et que le seul amour qui pût les ramener au « Dieu bon » était celui qui, méprisant la chair, n'unissait que les cœurs, ne liait que les esprits.

Il serait étrange que les poètes qui ne chantaient que pour les dames, n'eussent point subi l'influence de leurs goûts et de leur métaphysique. L' « amour pur » a bien pu constituer une sorte de religion, calquée d'ailleurs sur le « service féodal », tendant à représenter symboliquement, sous la forme d'une amitié chaste, l'amour parfait que les exigences sociales ne permettaient point à ces dames, mariées souvent au gré de la politique, de pratiquer exclusivement. Raimon de Miraval dans quelques-unes de ses poésies, semble aimer dans cet esprit une Dame qu'il veut inaccessible. Il recherche en elle, comme les autres troubadours, une perfection qui n'est objet d'amour que pour l'âme et non pas pour les sens. Car c'est un des caractères fondamentaux de cette idéologie amoureuse qu'elle ne veuille connaître que la forme, c'est-à-dire : l'idée, c'est-à-dire : la beauté. C'est par là que les troubadours ont souvent retrouvé, sans peut-être les avoir jamais lues, les thèses éternelles du Platonisme. Mais on remarque, de plus, chez notre poète, une autre tendance que j'appellerai « chevaleresque» parce qu'elle me semble correspondre aux conceptions que se font de l'amour les héros de romans et de nouvelles, où l'amour, je ne sais pourquoi, n'est pas encore si épuré que dans les chansons : Raimon de Miraval, comme les chevaliers de romans, tend à n'admettre qu'une vertu première qui serait fidélité plus encore que chasteté. Pour Raimon de Miraval, la dame est tenue, « sous peine de péché mortel », de dormir avec le chevalier courtois et preux, ce qui implique tout le contraire de l'amour pur. En revanche, la Dame ne peut trahir son ami sans commettre un péché plus grave encore. Parce que l'amour est fidélité, fidélité à l'amant d'un jour ou à l'amant d'éternité. Tel est l'esprit essentiel de l'amour dans les chansons de Miraval et dans la nouvelle provençale.

Dans les romans qui ne nous ont point été conservés (ceux d'Arnaut Daniel, par exemple, s'il est vrai qu'il en ait composés), il est probable qu'on ne voyait pas d'héroïne qui ne fût mariée ni d'amant qui ne trompât un mari. L'amour, dans la littérature d'oc, est presque toujours adultère ( et le type du Roman occitanien est sans doute « Lancelot », encore qu'il n'existe plus en langue d'oc de roman de ce nom). Peut-être parce que l'hérésie albigeoise rejetait l'union légitime et n'acceptait celle des âmes qu'à la condition qu'elle s'effectuât hors des liens sociaux. Les « Castia-gilos » —la nouvelle du Perroquet, écrite dans l'Aude, appartient à ce genre— sont des contes destinés à châtier le « mari jaloux ». Car il importait à l' « amour » considéré comme une sorte de religion que les maris laissassent leurs femmes recevoir comme des prêtresses, l'hommage de leurs amants platoniques. Le mari y consentait presque toujours. Mais s'il grognait, le châtiment ne se faisait pas attendre : la Dame le trompait aussitôt —pour le punir de sa sotte jalousie et de son peu de goût pour la métaphysique— avec un amant moins « idéal ». C'est ce qui lui arrive dans le roman de Flamenca et dans la nouvelle du Perroquet —qui est non seulement l'une des œuvres les plus révélatrices de ces conceptions, mais aussi l'un des plus beaux poèmes que le Moyen âge nous ait transmis— et peut-être le plus étrange. ()

 

III.

UN TROUBADOUR CATHARE :

PIERRE ROGIER DE MIREPOIX

 

S'il est vrai que le catharisme ait influencé l'évolution de la lyrique provençale et le contenu idéologique des romans d'amour —ce qui ne nous semble pas niable— ce fut sans doute d'une façon assez confuse. On sent bien que l'hérésie plane partout dans la nouvelle du Perroquet, mais on ne la saisit directement nulle part. Que de poètes, de nos jours, se font ainsi l'écho de vérités engagées dans un système métaphysique dont ils ignorent le premier mot ! Cependant Pierre Rogier de Mirepoix, que nous rangeons parmi les troubadours de l'Aude parce qu'il possédait des terres en pays audois, est un de ces hommes du XIIIe siècle chez qui on voit le mieux que l'hérésie cathare et la doctrine d'amour pouvaient facilement voisiner sans s'exclure. Son attachement féroce à l'hérésie est bien connu. Il assistait avec les chevaliers de la contrée aux réunions hérétiques qui se tenaient à Fanjeaux et à Laurac. En tant que seigneur paréager de Montségur, il prit part à la reconstruction de cette forteresse qui devait servir de refuge aux Albigeois. Il fut enfin, et surtout, pendant son séjour à Montségur, le principal organisateur de l'expédition armée qui se termina par le massacre des inquisiteurs à Avignonet. Ainsi, pendant vingt ans, Pierre Rogier fut, sinon l'âme de l'hérésie, du moins son bras vengeur.

Mais Pierre Rogier fut-il troubadour ? Cet homme de guerre cruel, qui semblait animé d'une haine tenace contre l'Église, a-t-il composé des poèmes d'amour mystique ? Certains manuscrits lui attribuent des pièces de Pierre Rogier de Clermont. Ce qui laisserait croire qu'il jouissait d'une réputation de poète. Dans tous les cas, nous savons qu'il était fidèle disciple de l'amour courtois. Il « servait » les dames. Les biographies de Raimon de Miraval le comptent au nombre des adorateurs de la célèbre Louve de Pennautier. S'il n'a point écrit, il était, du moins, initié à la doctrine amoureuse des poètes. C'est pourquoi nous n'avons pas pu résister à la tentation de le faire figurer ici entre Arnaut de Carcassès et B.de Rouvenac. Pierre Rogier de Mirepoix, haut baron, amoureux et gnostique, est sûrement l'une des figures les plus curieuses de ces temps troublés où le fanatisme, l'amour et la haine ne cessent de flamber. ()

 

IV

LE SOULÈVEMENT DE 1242. B. DE ROUVENAC

 

La croisade contre les Albigeois porta un coup mortel à la poésie occitanienne. Les pays de l'Aude, où l'hérésie puisa longtemps le plus vif de sa force (signalons, au passage, que le rituel cathare publié par Clédat a peut-être été écrit dans notre région) furent aussi le principal théâtre de la guerre. La vicomté de Carcassonne, les seigneuries de la Montagne-Noire, des Corbières, le pays de Sault, le Lauragais furent ruinés, ravagés. Le palais de Carcassonne, qui avait été si accueillant aux troubadours, n'abritait plus que les austères bureaux du sénéchal, et la cour vicomtale de Narbonne fut seule à briller encore d'un certain éclat. Beaucoup de seigneurs audois s'étaient exilés en Catalogne. C'est dans les milieux de l'émigration que vont s'élaborer les projets de revanche, se faire jour dans les âmes les espoirs les plus fous : reprendre les armes ! s'affranchir de la domination de l'Église ! secouer le joug royal !

Le soulèvement de 1242 est marqué, dans les pays de l'Aude, par l'incursion victorieuse que fit le jeune vicomte Trencavel, revenu d'Espagne à la tête d'une petite armée, dans la seigneurie qui avait appartenu à son père. En très peu de temps, les principales villes et forteresses de la vicomté tombent aux mains de leur prince légitime. Trencavel entre même dans les faubourgs de sa ville. Succès éphémères ! Bientôt une armée royale vient délivrer Carcassonne et chasser Trencavel des places qu'il avait si aisément conquises. A ce mouvement de révolte qui emportait alors les esprits, Bernard de Rouvenac semble s'être donné, corps et âme. Petit chevalier du Carcassès, il appartenait à une famille qui avait déjà porté les armes contre Simon de Montfort, en 1209, au moment où s'organisait une tardive résistance dans le pays de Sault, montagneux et boisé, que tenaient encore les Sires de Niort. Bernart de Rouvenac ne mit pas seulement son bras, mais aussi sa véhémence de poète au service de la cause qui était la sienne. Après que le soulèvement eût été réprimé, exilé sans doute en Catalogne, il continua longtemps encore à pousser à la révolte les seigneurs méridionaux. Il fait ainsi figure de Tyrtée occitan : il apparaît comme une sorte de « héros de l'indépendance » un peu étriqué, sans doute. Qu'importe ? il a éternisé sa rage dans quelques beaux poèmes et, avec moins de talent que Bertrand de Born, il demeure cependant l'un des deux grands poètes guerriers de l'Occitanie.

 

V

LA COUR DE NARBONNE

LA BOURGEOISIE ET LES POÈTES

 

Vers 1250, l'Occitanie et les pays de l'Aude commencent à oublier les horreurs de la guerre albigeoise, mais les foyers de poésie qui rayonnaient à Carcassonne, dans le Minervois, dans le Cabardès, se sont éteints à jamais. A Narbonne, qui était demeurée à l'écart des luttes terribles qui désolaient la seigneurie des Trencavel, le vicomte continuait à protéger les poètes, mais, de plus en plus, c'est dans le sein de la bourgeoisie que vont se recruter à la fois les poètes et les protecteurs de la poésie. Les troubadours quittent les châteaux pour les villes. La bourgeoisie narbonnaise, après s'être efforcée pendant plus d'un siècle d'arracher à ses deux seigneurs : le vicomte et l'archevêque, des privilèges ou des droits nouveaux, réclame maintenant l'honneur de « faire l'amour aux dames » à la façon des nobles. C'est le moment où apparaissent ces grands bourgeois, amateurs de gaie science, qui font surtout figure de Mécènes. Guilhem Fabre, par exemple, qui a joué dans la vie municipale de Narbonne un rôle de premier plan, chante les dames et l'amour ou déplore les vices de son siècle, comme les anciens troubadours, mais avec moins de génie. Il semble avoir dû surtout sa célébrité au faste avec lequel il traitait, en sa maison, les poètes les plus pauvres.

C'est ainsi que, vers le milieu du XIIIe siècle, la bourgeoisie tente de ranimer ou de maintenir les traditions littéraires de la Provence. Elle voyait dans la gloire poétique une sorte de noblesse qui égalait le troubadour au baron. Mais malgré tous ses efforts, la lyrique occitanienne entre en pleine décadence. Le courant mystique du XIIe siècle semble tari. Il fallait peut-être l'atmosphère un peu trouble de l'hérésie pour que cette poésie conservât son charme et son mystère. Le dernier poète de cette longue tradition va paraître et, après lui, tout retombera, pour bien longtemps, aux ténèbres. ()

 

VI

LE DERNIER TROUBADOUR : G. RIQUIER

 

Guiraut Riquier avait nettement conscience d'être le dernier poète de l'amour provençal. « Je suis venu trop tard », disait-il. Sa véritable vocation eût été de chanter les dames, comme l'avaient fait les anciens troubadours, pour un auditoire sensible au mystère de la femme et préoccupé de problèmes religieux où elle tînt le premier rôle. Mais le catholicisme avait triomphé et, avec lui, le culte de la Vierge. La femme regagne le ciel. Les protecteurs de Riquier, Alphonse le Sage surtout, tournaient maintenant leur âme vers la Mère de Dieu. Pourtant rien ne ressemblait plus à cette ferveur sacrée où se complaisait Alphonse X, quand il chantait la Sainte Vierge, que l'adoration de la dame profane où s'abîmaient les troubadours. Mais pour célébrer la Vierge, il eût fallu une inspiration mystique que les troubadours n'eurent jamais et Riquier rarement. Si idéalisée que fût la Dame terrestre, elle ne laissait pas de fournir quelque image vivante à la Poésie, tandis que, la Vierge, une mystique passionnée pouvait seule la hausser au ciel. Il sera réservé aux Italiens de transformer la mystique profane des Provençaux en une poésie religieuse vraiment inspirée.

C'est parce qu'elle annonce —de loin— le « dolce stil nuovo » que les chansons de G. Riquier valent qu'on les étudie encore. En 1288, il arrive à la perfection du genre, dans une chanson à la Vierge où il emploie dans un sens religieux toute la phraséologie conventionnelle de l'amour. Quelques expressions viennent seulement en rappeler le sens allégorique. La théorie du pouvoir ennoblissant de l'amour y est exposée dans toute son ampleur et, il faut bien le dire, avec assez de profondeur. « Je ne lui suis pas encore assez soumis [à ma Dame], s'écrie-t-il, car je pense aux viles choses ... Qui veut le secours de sa dame ne doit pas se plaire au mal... » On en vient à se demander si, quand il applique à la Sainte Vierge le surnom de « Beau-Deport » qu'il avait donné à sa dame terrestre, G. Riquier ne reconnaît pas, purement et simplement, l'identité absolue qui existe entre l'amour platonicien, tel que le concevaient les premiers troubadours, et l'amour de la Vierge. On sent parfois le génie, chez G. Riquier, en même temps qu'un grand désespoir de raté. Il avait sûrement fait le rêve d'une poésie métaphysique nouvelle. Mais son peu de talent, les circonstances, peut être aussi la langue dont il se servait, ne lui permirent que de l'entrevoir. Son échec est celui de toute la poésie occitanienne qui a rêvé pendant trois cents ans d'une mystique, où elle n'a jamais su atteindre. ()

 

VII

LE CONSISTOIRE DE LA GAIE SCIENCE :

A.   VIDAL P. DURAN

 

Après G. Riquier, la poésie provençale semble morte dans l'Aude et ne se porte guère mieux ailleurs. A l'aube du XIVe siècle, c'est la bourgeoisie qui essaiera de la ranimer. En 1323 sept bourgeois de Toulouse fondèrent le Consistoire de la gaie science, qui est devenu depuis l'Académie des Jeux floraux. Il s'agissait de prolonger l'agonie d'une civilisation épuisée, d'une lyrique exténuée, qu'il eût sans doute mieux valu laisser mourir tout à fait. On organisa donc un concours poétique : le premier lauréat du Consistoire fut le troubadour Arnaut Vidal de Castelnaudary, pour une poésie à la Vierge. Cette pièce n'est pas plus mauvaise qu'une autre, ni meilleure. En voici un fragment, la dernière strophe :

 

Fleur de paradis, honorée
Par les Archanges honorés
Fleur aux cieux haut montée
Fleur qui votre ami elevez,
     Fleur de paix,
Fleur où joie s'est enchâssée,
Fleur en pureté enchâssée,
Fleur qui ne fut pas déflorée,
Par le fruit mais telle que resta fleuri
Votre corps quand Dieu fut né de vous,
Vierge sans pareille née,
Je vous prie que merci m'ayez
Si bien que je m'en aille avec les sauvés.
          (Traduction de M. Jeanroy)

 

Arnaut Vidal a écrit aussi un roman : Guillaume de la Barre, qui est meilleur, en son genre, que la pièce qu'on vient de lire.

Un autre audois, Pierre Duran, de Limoux, obtint la violette, à Toulouse, en l'an 1373, pour un « vers » à « couplets unissonnants ». Les vers de ce Pierre Duran sont plus mauvais encore que ceux d'Arnaut Vidal. L'amour y est littéralement perdu sous le verbiage le plus insipide que je connaisse :

 

Qui veut d'amour arriver à bon port,
Qu'il ne révèle à personne son vouloir
Ni déclare ce qui peut lui attirer dommage,
Car fou propos souvent procure la mort.
Sage est donc qui fuit fous propos
Et fou qui dit ce qui est bon à cacher.
Et quiconque ses joies ne sait tenir secrètes
Traverse maux et biens, en les dissimulant,
Ne suit pas la marche que doit suivre fidèle amant
Qui veut et paix souffrir les biens et les dommages ...
 
Décidément, la poésie occitanienne n'a plus rien à dire.
 

***

Telle est, tracée à grands traits, l'histoire de la poésie d'oc dans l'Aude. Elle reflète assez fidèlement l'évolution de la lyrique provençale qui fut, somme toute, impuissante à créer la poésie métaphysique de l'amour, mais qui demeure glorieuse de l'avoir suscitée en toutes les nations de l'Europe. Jusqu'à la renaissance mistralienne, si l'on excepte quelques écrivains, parfois pleins de talent, on peut dire que la littérature d'oc s'est tue dans notre pays, et je ne suis pas sûr que la renaissance mistralienne ait réveillé tout à fait son génie endormi. Pourtant il n'est pas mort et il inspire encore les poètes. Certains écrivains de langue française me semblent bien près —dans l'Aude même— de restaurer la Poésie des troubadours dans ce qu'elle a gardé de profond et d'éternel. Le temps n'est peut-être pas très éloigné où, de toute l'antique Occitanie, « les voix qui se sont tues » s'élèveront à nouveau pour célébrer le mystère de la femme et restaurer « Amour ».

René NELLI. ()

 

LES TROUBADOURS DE L’AUDE

 

I

RAIMON DE MIRAVAL

(1180-1216 ?)

 

Raimon de Miraval était un pauvre chevalier de la région de Carcassonne. Les ruines de son château —deux pans de mur et trois merlons— se dressent encore, près du village de Miraval-Cabardes, au fond d'une vallée sombre, pleine du fracas d'un torrent qui roule entre deux parois de schiste bleu. Ce château, dont le poète ne possédait que le quart, pouvait abriter, en tout, quarante hommes, si l'on en croit le chroniqueur. Après l'avoir, maintes fois, offert en hommage aux dames qu'il aimait, au doux temps de la paix, il finit par le perdre pour de bon, quand la « Croisade » fut venue. Ni le comte de Toulouse, ni le roi d'Aragon ne purent le lui faire rendre. 1209 : C'en est fini de l'indépendance des seigneurs méridionaux et de l'Amour !

Loba de Pennautier, Azalaïs de Boissezon, Brunissen de Cabaret. Miraval aima toutes les dames de son temps, mais il n'en fut pas toujours aimé. On lui prête encore plus d'aventures qu'il n'en eut. Et certaines sont amères. A certains égards, Miraval représente l'amour chevaleresque, mais l'amour chevaleresque malheureux. Je sais bien que, sur le plan littéraire, les conceptions galantes de la chevalerie coïncident exactement avec celles —plus métaphysiques pourtant— des autres troubadours. Mais, dans la réalité, il semble bien que les poètes-chevaliers se soient enhardis souvent à mener leur passion dans des voies où n'auraient point osé aventurer la leur, ni les troubadours de basse extrace, ni, à plus forte raison, les clercs. Miraval compte beaucoup plus sur sa naissance pour séduire les dames que sur ses talents de poète. C'est pour cela qu'il offre son château en hommage à ses maîtresses. Et il souffre, visiblement, de se voir préférer de plus nobles seigneurs que lui. Brûlant pour Ermengarde de Castres, d'une passion assez peu platonique, puisqu'il est prêt à se marier avec elle, il sera cruellement déçu et blessé dans son orgueil de hobereau, lorsque cette dame, après l'avoir bafoué et ridiculisé, épousera, à sa place, l'un des plus hauts barons de la contrée : Olivier de Saissac. Cette aventure, que nous raconte le chroniqueur, je sais bien qu'elle n'est point vraisemblable. Cependant, il m'a toujours semblé que, pour si mensongère qu'elle fût, elle mettait, dans sa vraie lumière, ce qu'on pourrait appeler Je « drame de Miraval ». Drame de la vanité que nous résumerons ainsi : Un mince chevalier, admis dans l'intimité des hautes dames, par la grâce de l'amour platonique et par son état de poète, se désespère de ne pouvoir obtenir en dépit de sa noblesse, des faveurs plus substantielles qui ne vont qu'aux puissants seigneurs : Notre poète était plus chevalier que poète.

Les dernières années de Miraval furent, sans doute, fort tristes. Ce que dit de lui le chroniqueur qui a écrit sa biographie, a dans le ton je ne sais quoi de touchant qui doit bien correspondre à la vérité : « Quand le comte de Toulouse eut été déshérité par la guerre contre les Français et qu'il eut perdu Argence et Beaucaire, et que les Français eurent pris Saint-Gilles, Albi et Carcassonne, et que le Biterrois fut détruit et que le vicomte de Béziers fut mort ... Miraval vécut dans une grande douleur : les dames et les chevaliers de la comté de Toulouse étaient morts ou spoliés, et il avait perdu sa femme (Gaudairenca, qui l'avait quitté pour un autre), et son amie l'avait trahi, et il avait perdu son château ..... »

Peut-être mourut-il en exil, vers 1216, en Espagne où il avait suivi le comte Raimon VI de Toulouse, dépossédé de ses états…

La gloire de Miraval fut assez grande chez ses contemporains. De nos jours, les histoires de la littérature occitanienne le citent avec complaisance. Mais les anthologies ne contiennent que rarement des poèmes de lui. Peut-être parce qu'il est un auteur difficile. Puissent les cinq poèmes que nous donnons ici, et qui sont parmi les plus beaux qu'il ait écrits, le rappeler à l'attention des Dames et des Poètes !

         Louis ALIBERT ()

 

II

ARNAUT DE CARCASSÈS

(XIIIè siècle.)

 

Arnaut de Carcassès ne nous est connu que par son nom, que l'on peut lire au dernier vers de La « nouvelle du Perroquet ». Il vécut dans la première moitié du XIIIe siècle et il devait être originaire soit du Carcassès (pays de Carcassonne) soit de Carcassès, hameau de la commune de la « Roque de Fa ». Il y avait là, au XIIIe siècle, un château qui fut pris, en même temps que celui de la Roque de Fa, par Jean de Beaumont. Ferrande de Carcassès, qui fut, par la suite, « faidide », s'y était enfermée. Il n'est pas impossible que le troubadour ait appartenu à la même famille que cette Ferrande. Mais rien n'est moins sûr.

Quoi qu'il en soit, la « nouvelle » qu'il nous a laissée est certainement l'une des plus belles œuvres de la poésie provençale. Elle reproduit le thème général du « Castia-gilos » de Raimon Vidal de Besalu : Une jeune femme trompe son mari, moins par malice que pour le punir de s'être montré sottement jaloux, la morale étant qu'il faut laisser les dames recevoir à leur guise les hommages de leurs amoureux. Mais le poème d'Arnaut est, sans aucun doute, mieux construit et mieux rêvé ; et il y a, de plus, dans sa trame même, je ne sais quelles résonances mystérieuses qui en font une œuvre beaucoup plus profonde qu'il ne paraît au premier abord.

On a émis de nombreuses hypothèses sur l'origine de la fable qu'elle développe. Bartsch, qui trouvait une allure grecque au nom d'Antiphanor, croyait le poème byzantin. Mais, comme le fait remarquer Paolo Savi Lopez, la tradition celtique renferme un grand nombre de mots en « or » qui ne sont pas grecs. Reste le personnage même du Perroquet. Si l'on trouve, assez souvent, dans la poésie occitanienne, des oiseaux utilisés comme messagers d'amour, il faut reconnaître que c'est assez rarement le Perroquet. Il est possible que celui-ci soit venu, par miracle, du fond de l'Orient jusque dans le poème où les jardins ont tous les charmes des « Paradis » persans. Je ne pense pas, d'ailleurs, que la question soit d'un grand intérêt. Bien plus émouvante est, à nos yeux, cette franche poésie du feu et de l'amour, qui remplit le conte, cette grande lueur d'incendie sur laquelle se profilent les amants.

Le Perroquet est l'oiseau de l'incendie. Il est le frère de ces oiseaux magiques —on pense au perroquet lunaire des Indiens— qui ne découvrent pas seulement le feu visible, mais aussi la flamme d'amour, avec laquelle ils ravagent ce qu'ils touchent. Frazer, dans ses « Mythes sur l'origine du Feu » et, plus récemment Bachelard, dans la « Psychanalyse du feu » ont insisté sur le rôle, toujours important, que, chez de nombreux peuples, les oiseaux sont censés jouer dans la découverte du feu réel, confondu plus ou moins avec le feu érotique. Comment ne pas souligner, dans la nouvelle d'Arnaut de Carcassès, la netteté avec laquelle le Perroquet y est représenté comme symbolisant l'identité secrète du feu amoureux et du feu physique ? N'assume-t-il pas la double tâche d'incendier les châteaux et d'enflammer les cœurs ? Ce qui, pour en revenir à la littérature, ne laisse pas de donner d'abord beaucoup d'unité au poème, et de le doter par surcroît, de cette beauté profonde, dont je parlais tout à l'heure, qui atteint l'homme, toutes les fois que d'un texte surgit un mythe.

Je ne vois rien, dans notre Moyen âge, qui approche plus de la vraie poésie, toute instinctive, toute mythique, que les vers où Arnaut de Carcassès nous peint la rencontre, si brève, au fond du parc, sous les reflets rouges du manoir en flammes, de ces deux amants qui s'aiment sans se connaître et qui ne se reverront plus. Et quand arrive l'instant de la séparation, les paroles que prononce le Perroquet « Allons, séparez-vous : le feu est mort maintenant », réveillent, dans le cœur, une amère légende, une décevante mythologie, où tout ce qui est de l'homme semble plus illusoire et surtout ses exaltations, vives et brèves comme un grand feu.

Ne dirait-on pas que tout ce beau conte n'a été qu'un rêve, le rêve plein de tentations, que le fils du roi —longeant les longs murs derrière lesquels il se plaît à imaginer que se morfond une belle captive— que le fils du roi a fait, sommeillant à demi sur son destrier ?

          René NELLI ()

III

DE QUELQUES « POETAE MINORES »

BERNAT DE SAISSAC — GAUDAIRENCA

MIR BERNAT — BERENGUIER DE POIVERT

 

BERNAT DE SAISSAC

(XIIe siècle.)

 

Bernat de Saissac —appelé parfois, à tort, Bertran de Saissac est un des plus anciens troubadours de l'Aude. Il a dû composer ses chants vers le milieu du XIIe siècle. Mais nous ne savons rien de sa vie (on peut affirmer seulement qu'il n'a rien de commun avec Bertran de Saissac, tuteur de Raimond-Roger de Carcassonne). Peut-être était-il né sur les domaines des Sires de Saissac.

C'était un homme très pauvre, si l'on en croit le troubadour Peire d'Alvernhe, son contemporain, qui, dans une pièce célèbre où il fait la satire des principaux poètes de son temps, parle de lui en ces termes :

 

E l' oites, Bernatz de Saissac
C'anc un sol bon mestier non ac
Mas d'anar menutz dons queren;
Et anc puois no·l prezei un brac,
Pos a·n Bertran de Cardaillac (1)
Ques un vieill mantel suzolen.
     (Crescini, Manualetto provenzale, 2e édition,
     nº 18, page 218, vers 49-55.)

 

Le huitième (de ces troubadours) est Bernard de Saissac

qui n'eut jamais un seul bon métier
sauf d'aller quémander de menus dons;
et je ne l'ai jamais estimé plus que fange
Depuis qu'à Bertrand de Cardaillac,
Il demanda un vieux manteau imprégné de sueur.
 

L'oeuvre de Bernat de Saissac ne nous est point parvenue. Un manuscrit (C. Reg) lui attribue toutefois la pièce 15 de Marcabrun (Grundriss. Bartsch) : cortezamen voill comensar. Cette attribution n'est plus guère admise aujourd'hui.

 

GAUDAIRENCA

(XIIe siècle.)

Gaudairenca, dont l'oeuvre est perdue, est la seule « trobairitz » des pays de l'Aude. Les « biographies » de Raim.on de Miraval nous apprennent qu'elle était la femme de ce poète, qu'elle avait composé des « danses » et qu'elle fut mêlée à des aventures extraordinaires à l'issue desquelles elle se serait séparée de son mari.

On sait qu'il ne faut pas trop ajouter foi à ces « biographies » qui, comme l'a fort bien montré M. Jeanroy, semblent reproduire des romans conventionnels. Le chroniqueur utilise, à propos de R. de Miraval, le thème qui servira pourGaucelm Faidit et Uc de Saint-Circ —et qui est à peu près ceci : « Un troubadour—écrit M. Jeanroy, soupire longtemps pour une noble dame qui le leurre de vaines espérances. Une amie de celle-ci feint de le prendre en pitié et lui offre une compensation (esmenda) à condition que renonçant à ses premières amours, il lui porte publiquement ses hommages. Le poète tombe dans le piège et quand, ayant courroucé l'une et fait « valoir » l'autre, il réclame l'exécution du traité, la perfide lui rit au nez et il devient la fable du public. »

Dans la biographie de Raimon de Miraval, voici comment l'histoire est contée. Elle ne manque pas de saveur et Gaudairenca, fine mouche, y joue un rôle de tout premier plan. Le poète aimait Azalaïs de Boissezon, qui ne l'aimait pas. Ermengarde de Castres, pour le consoler des rigueurs d'Azalaïs, lui promet de le prendre pour mari à condition qu'il répudie sa femme Gaudairenca. Miraval fut fort satisfait et joyeux, quand il apprit qu'elle le voulait pour mari (Miraval fon fort alegres et jauzens cant auzit que per marit lo volia). Il se rendit à son château et dit à la pauvre Gaudairenca qu'il ne voulait plus chez lui de femme qui sût la poésie et que c'était bien assez d'un troubadour dans la maison (E dis a sa molher que non volia molher que saupes trovar que assatz avia en un alberc d'un trobador). Mais Gaudairenca était au mieux avec un chevalier qui avait nom Guillem Bremon, en l'honneur de qui elle écrivait ses « danses ». Elle lui demanda de venir la chercher. Il vint aussitôt avec quelques chevaliers. Gaudairenca demanda alors à son mari, puisqu'il ne voulait plus d'elle, de la donner pour femme à Brémon. Miraval répondit qu'il ferait comme elle le désirait. Miraval donna sa femme à Brémon qui l'emmena chez lui (En Miraval la·l det per molher e menet la·n).

Mais c'est ici que le pauvre Miraval fut bien bafoué. Quand il eut répudié sa femme, il vit fort clairement qu'Ermengarde n'avait eu dessein que de le tromper : Elle se maria avec Olivier de Saissac. Miraval en perdit toute joie, toute allégresse, tout soulas, et toute son inspiration. Il demeura deux ans comme fou (et si perdet tot joi et tot alegrier et tot solatz, e cantar et trobar et estet com hom esperdutz bendos ans) .....

Nous n'insisterons pas sur l'invraisemblance qui s'étale dans ce récit, d'ailleurs charmant. Ermengarde de Castres était déjà mariée. Elle ne pouvait donc ni promettre à Miraval de le prendre pour mari, ni, à plus forte raison, se marier avec Olivier de Saissac. Cependant, en ce qui concerne le départ de Gaudairenca, il est possible que la biographie contienne une part de vérité. Le chroniqueur nous apprend, en effet, que Uc de Mataplana, l'un des amis de Miraval, fit contre lui, à l'occasion de cette rupture, un poème satirique. Or, dans la Tenson de Uc de Mataplana, qui nous a été conservée, il semble bien qu'il soit vraiment fait allusion à l'aventure de Gaudairenca.

Rappelons, à ce propos, que les unions légitimes étaient défaites, au XIIeet au XIIIesiècle, avec une facilité dont l'Église s'est souvent alarmée. Jourdain de Cabaret, voisin de Miraval, épouse successivement Orbria, que l'on identifie avec la Louve de Pennautier, et Mabilia, fille d'Arnaud d'Aragon, pendant qu'il était « faidit ». Il revint à Orbria sur l'ordre de l'Église. Ce n'est point là un cas isolé. On pourrait citer bien d'autres exemples d'une pareille inconstance. Il n'est donc point si étonnant, après tout, que Miraval ait répudié sa femme ni même que, plus tard, il l'ait reprise. La raison du divorce a bien pu être aussi celle que nous rapporte le biographe : « C'est déjà trop d'un poète à la maison ! » Mais, bien entendu, rien ne nous permet d'affirmer que la séparation des deux époux ait été précédée des incidents relatés dans les « razos ».

Étrange destinée que celle de la gloire de Gaudairenca, la trobairitz, dont la postérité n'a retenu qu'une aventure un peu folle et très gracieuse, qui ne lui est peut-être jamais arrivée !

 

MIR BERNAT

(XIIIe siècle.)

 

Nous ne savons presque rien de ce Mir Bernat sinon que son activité littéraire a dû s'exercer pendant la première moitié du XIIIe siècle. Il était, sans doute, originaire de Carcassonne, où l'on trouve plusieurs personnages de ce nom à partir de 1180. En mai 1186, un Arnaut Mir fait donation à son fils Raymond, du bien qu'il tenait de Pierre Mir, à Carcassonne et autres lieux. En mai 1191, on relève, parmi les chevaliers du Carcassès qui prêtent serment de fidélité à Raymond-Roger, fils du vicomte Roger de Carcassonne, les noms de plusieurs Mir : Ugo Mir, Raymond Mir, Augier Mir. Mir Bernat ne paraît jamais. Tout ce qui nous est parvenu de son oeuvre se réduit à une « tenson » avec Sifre (lequel Sifre ne nous est pas mieux connu que Mir).

Cette tenson, plus exactement : ce jeu-parti, ne se signale à l'attention des curieux que par le réalisme de son style et par la vigueur avec laquelle Mir Bernat y prend position contre l'idéologie amoureuse des autres troubadours. Il est visiblement en réaction contre cette sorte de néo-platonisme galant dont la lyrique provençale fut impuissante à vivifier les thèmes. Notre poète jouit, ainsi, de la gloire singulière d'avoir été l'un des quatre ou cinq poètes franchement « gaulois » de la littérature occitanienne. Tandis que le mysticisme d'Amour revenait à sa source première et

louait la dame d'Éternité, Mir Bernat, lui, retournait à la Nature.

 

BERENGUIER DE POIVERT

(XIIIe siècle.)

 

Le manuscrit H donne une « cobla », sous le nom de Berengier de Poivent que Chabaneau et Jeanroy s'accordent à corriger en Berengier de Poivert. Ces deux provençalistes indentifient Poivert avec Puivert (Aude).

Le troubadour appartenait-il à la famille seigneuriale de Puivert ? Nous ne pourrions l'affirmer. Nous ne savons rien des seigneurs qui possédaient Puivert, avant la croisade, et nous ignorons même s'ils portaient ce nom.

Un document du 4 juin 1284 —le texte d'une trêve conclue entre le comte de Foix et Alphonse, fils du roi d'Aragon— mentionne parmi les témoins : S (igillum.) Berengarii Podiiviridis. Il s'agit là d'un seigneur catalan qui pourrait bien être notre poète.

Ajoutons qu'il existe plusieurs Puivert en Catalogne —dans la province de Lerida et l'Évêché d'Urgel. Il y a donc à peu près autant de vraisemblance à faire naître Berengier de Puivert, en Catalogne, qu'à le faire naître dans l'Aude.

Quoi qu'il en soit, nous le maintenons parmi les troubadours de notre pays. Si nous commettons, par là, un larcin au préjudice de la Catalogne, il est de peu de conséquence : il ne reste de ce poète médiocre qu'une seule strophe (qui faisait partie, peut-être, d'une pièce plus longue). En voici la traduction :

 

Ah! vieilles trompeuses,
Ribaudes, pourquoi me suivez-vous ?
J'en suis tout honteux.
N'espérez de moi aucune récompense
Pour vos charmes ridés.
Et si vous ne vous en allez,
J'en suis tout éperdu ;
Car pour des charmes chenus,
Je ne donnerai pas mon argent,
En dépit de jeunesse.

          René NELLI. (↑)

 

IV

BERNART DE ROUVENAC

(1215-1274 ?)

 

Rouvenac est une commune du canton de Quillan. On y voit encore les ruines d'un ancien château qui appartint peut-être à notre troubadour. L'histoire ne nous apprend pas grand' chose sur les seigneurs de Rouvenac. Il est seulement question, dans les « Actes des Enquêteurs royaux » de deux frères, « G. Raimon et P. de Rovenaco qui tuèrent le curé de leur village « quod habebat rem cum matre eorum ». Ces deux personnages, « faidits » au temps où Simon de Montfort faisait campagne contre le Sire de Niort, étaient les fils de Géraude d'Escueillens et de Garrigue de Rouvenac. Quant à notre troubadour, peut-être était-il le petit-fils de ce Garrigue et de cette Géraude. Famille probablement cathare, famille de faidits, ennemie de l'Église et surtout de la domination française.

La première partie de la vie de Bernart de Rouvenac a dû se passer dans son pays d'origine. Si on le suppose né vers 1215, il était, quand éclatèrent les grands événements de 1242, dans la plénitude de sa jeune ardeur. La pièce « Ja no vuelh do ni esmenda » date précisément des premiers mois de l'année 1242 qui devait voir l'entrée en campagne du roi Henri III d'Angleterre. Il serait trop long de retracer ici par le détail, l'histoire du fameux soulèvement de 1242 qui fut sur le point non seulement de restaurer l'indépendance méridionale, mais même de ruiner la puissance française. (Nous renvoyons le lecteur à l'article de M. Jeanroy paru en 1904, dans les Annales du Midi : Le soulèvement de 1242 et la Poésie des Troubadours.) Rappelons cependant que, dès avril 1242, le Comte de Toulouse, Raimond VII, reprend les armes, reconquiert ses provinces perdues, tandis que le jeune Vicomte Trencavel de Carcassonne, accouru de Catalogne, s'empare, en une sorte de guerre éclair, de la plupart des villes ou bourgs qui avaient appartenu à son père. Dans le même temps, le comte de la Marche, le roi d'Angleterre Henri III, appuient de toutes leurs forces ce grand soulèvement méridional, en faveur duquel s'étaient déjà, plus ou moins ouvertement, déclarés, les rois de Navarre, de Castille et d'Aragon, l'empereur Frédéric II, luimême... Les premiers succès furent foudroyants. Les méridionaux tenaient la victoire. La débâcle fut plus foudroyante encore : Saint Louis bat, sans attendre, les Anglais à Taillebourg et à Saintes, force le comte de la Marche à demander la paix. Raimond VII, abandonné de presque tous ses alliés, se soumet, sans condition, au roi de France. Il n'y a plus, désormais, de Midi indépendant. Montségur même, la place de sûreté de l'hérésie albigeoise, capitulera en 1244.

Tels sont les événements auxquels se trouve mêlé le chevalier de Rouvenac, qui prit, sans doute, les armes pour défendre, mieux que par des chansons, la cause qui lui était si chère. Après l'échec de 1242, il ne cessa point d'encourager les Princes méridionaux à recommencer la lutte, tantôt flétrissant leur lâcheté, tantôt les exhortant à prendre mieux soin de leurs intérêts politiques. La pièce « D'un serventes m'es gran volontatz preza » est du début de 1254 et « Belh m'es quand vei_pels vergiers e pels pratz, de 1274. Elles sont toutes deux, d'une égale véhémence.

A cette date, le poète ne devait plus être en Languedoc. Tout de suite après la mort de Raimond VII et l'installation d'Alphonse de Poitiers, à Toulouse, il avait, sans doute, quitté son pays, où son attitude pendant la guerre, avait dû le rendre terriblement suspect aux yeux des fonctionnaires royaux. C'est vraisemblablement en Catalogne qu'il se retira, auprès du vicomte de Cardona à qui il adressa la pièce « Belh m'es ... La Cour des vicomtes de Cardona était, comme on sait, très accueillante aux chevaliers et aux poètes « faidits ». C'est peut-être là qu'il mourut, sans avoir revu ni l'Occitanie, ni sa seigneurie de Rouvenac.

         Louis ALIBERT ()

V

GUIRAUT RIQUIER

 

Guiraut Riquier, né à Narbonne vers 1235, d'une famille sans doute originaire de Nice, où le nom est fort répandu, est le seul troubadour dont l'oeuvre complète : dix mille vers environ, écrits entre 1254 et 1292, se soit transmise jusqu'à nous. Cette oeuvre, en France du moins, attend toujours un éditeur. On ne trouve dans les diverses anthologies publiées jusqu'à ce jour, qu'un assez petit nombre de pièces, presque toujours les mêmes et souvent les moins intéressantes, que les compilateurs se passent de main en main. Les « Pastourelles » de Riquier, par contre, ont été publiées intégralement et scrupuleusement par Jean Audiau (La Pastourelle dans la Poésie occitanienne). Nous donnons ici cinq pièces choisies parmi les plus belles et les moins connues.

En ce qui concerne la vie même de Guiraut Riquier, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à l'ouvrage, à peu près définitif, du regretté professeur Joseph Anglade, notre maître, auquel nous empruntons l'essentiel de cette brève notice. Que pourrions-nous dire de nouveau ? G. Riquier fut un poète malheureux : il avait conscience d'appartenir à la race des anciens troubadours. Il eût sans doute rêvé d'être leur successeur tranquille et surtout de pouvoir jouir encore des conditions sociales dans lesquelles ils avaient vécu et oeuvré ! Mais il était né trop tard. Tout changeait autour de lui. Les nobles de province ne protégeaient plus la poésie avec la même foi que jadis et ils perdaient même le goût de l'amour courtois. Sa première protectrice fut sans doute Philippe d'Anduze, vicomtesse de Narbonne, qu'il désignait sous le nom de « Belh-deport ». Mais il ne semble pas que cette belle Dame ait accueilli comme il le fallait, les hommages du poète ni qu'elle se soit montrée fort généreuse à son égard. Les petits princes féodaux ne jouaient plus guère les mécènes. C'est la bourgeoisie qui s'essayait timidement à ce rôle. Et surtout les Rois.

Guiraut Riquier comprit de bonne heure qu'il fallait s'adresser aux rois. Jacme le Conquérant, passant par Montpellier, le reçut fort aimablement et se montra même tout disposé à l'emmener guerroyer avec lui contre les Sarrazins de Murcie. Ce n'est pas du tout ce que le poète souhaitait pour sa Muse. Ilrefusa cette offre et eut l'audace de viser plus haut. Par l'intermédiaire d'un grand seigneur Narbonnais, il proposa ses services au roi de France —à saint Louis. Dessein nouveau et hardi qui montre bien que c'en était désormais fini de la Provence. Les yeux clairvoyants commençaient déjà à se tourner vers Paris. Mais saint Louis se souciait peu de recevoir à sa cour un poète de langue étrangère ... Il ne restait plus au pauvre Guiraut Riquier qu'à tenter sa chance auprès du prince le plus célèbre de cette époque, Alphonse X le Sage, roi de Castille. Le souverain dut faire un accueil favorable à sa requête, car Guiraut Riquier quitta presqu'aussitôt Narbonne pour Tolède. Alphonse X avait un goût très vif pour les chansons en l'honneur de la Vierge et il en écrivait. Guiraut Riquier en composa une aussi —peut-être pour lui plaire—et elle est fort bien tournée.

Mais ce que désirait le plus notre poète, c'était d'obtenir enfin une situation stable. Il crut que l'occasion était venue de demander au roi aide et protection pour la Poésie. Il obtint assez facilement que les poètes fussent désormais protégés —par des lois et règlements stricts—contre la concurrence des jongleurs et des bouffons qui leur ravissaient biens et faveurs. Les poètes —les « Trobadors », auraient seuls droit au titre—créé tout spécialement pour eux —de « Maîtres en Poésie », et les très grands poètes, à celui de « Docteurs ». Le roi ayant adopté cette classification des talents et cette division de la Société littéraire en quatre ordres, Riquier fut promu « docteur » en trobar. Mais il ne semble pas s'être beaucoup enrichi dans le temps qu'il devenait ainsi une sorte de poète officiel ou, plus simplement, d'homme de lettres.

En 1280, nous le trouvons auprès du Comte de Rodez, Henri II, qui continuait encore, au fond de son Rouergue, à encourager la poésie occitanienne, comme l'avaient fait ses pères. Le poète écrivit là de nombreuses « tensons » dont les personnages sont ou bien de ses confrères ou bien des amis du Comte. Poésie de salon. C'est à l'issue d'un concours organisé par Henri II —où il s'agissait de commenter la célèbre chanson de Guiraut de Calanson sur l'essence de l'amour —que Riquier obtint le prix. Son commentaire est au moins aussi obscur que la chanson elle-même.

Après un court séjour —en 1282—à la cour du petit prince gascon, le comte d'Astarac, G. Riquier, vieilli, revint dans sa ville natale. Déçu dans ses ambitions, déçu peut-être dans ses amours platoniciennes, il célèbra une dernière fois l'illustre maison de Narbonne en chantant la gloire d'un de ses membres, Aimeric V qui venait de tomber, au combat de Certomondo (1289) à la tête des Florentins qui l'avaient choisi pour Condottiere. (Rappelons, en passant, que c'est à cette bataille que Dante, tout jeune homme encore, entendit les Florentins charger au cri de « Narbona cavalière ».)

Cependant G. Riquier —encore qu'il trouvât peut-être quelque consolation dans l'amour mystique qu'il portait à la « Vierge », la dame idéale des chevaliers et des poètes, s'assombrissait toujours plus ... En 1299, il écrivit son dernier poème où l'on peut lire ces vers d'une mélancolie touchante :

 

Quand je pense au triste passé,
que je considère le présent troublé
et que j'envisage l'avenir,
je ne vois que raisons de pleurer ..

          Louis ALIBERT. ()

 

 

BOUCHARD DE MARLY

AU CHATEAU DE CABARET

 

Au XIIe siècle la civilisation du Nord et celle du Midi paraissaient irréductibles. C'est une transfusion poétique qui devait faire de la France une réalité spirituelle.

Née dans le Midi, une nouvelle conception de l'amour avait transmué les valeurs, enfanté une civilisation morale qui, au sortir de la barbarie du Moyen âge devait, en dépit des différences de race, de langue, de traditions, rayonner dans tout l'Occident.

De cette lumière, à la fin du XIIe siècle, seuls quelques poètes du Nord avaient aperçu de pâles lueurs lointaines. Conon de Béthune­­, Chrétien de Troyes, le Châtelain de Couci s'essayaient à chanter l'amour courtois ; mais leurs chansons n'étaient encore que de pâles imitations. C'est que les valeurs morales, depuis les Gaulois, avaient peu changé dans le nord de la France. L'orgueil de caste s'y opposait. Seuls les nobles et les prêtres étaient des hommes libres. Tout était soumis au culte de la force. Malgré l'intervention de l'Église, la chevalerie restait une institution à peu près exclusivement guerrière. Dans les légendes celtiques, la femme n'avait pas de place autour de la table ronde.

Dans le Midi, soumis au droit romain, les villes jouissaient des libertés politiques, connaissaient la tolérance religieuse et spirituelle. La chevalerie était accessible à tous ceux qui, nobles ou roturiers, donnaient des preuves suffisantes de bravoure, de loyauté ou de poésie. L'héroïsme n'était plus seulement la sublimation du désir de puissance : il était le fruit de l'amour. La femme était la dispensatrice des valeurs. Et, sur les routes, les purs prêchaient le détachement des biens terrestres.

Certains Trouvères avaient bien senti la nécessité de régénérer leur inspiration épique et populaire par le lyrisme méridional ; mais il s'en fallait de beaucoup que fût terminée la transfusion lorsque Simon de Montfort envahit le Midi.

Cette lutte sans merci devait-elle aider et hâter cette transfusion ? Il est difficile de répondre. Mais il nous plaît d'imaginer ce que durent être les impressions de l'un des poètes français qui prirent part à Croisade : Bouchard de Marly.

Écoutons le chroniqueur de la Croisade :

« Bouchard occupait Saissac qu'on lui avait donné. Un jour s'étant armé avec cinquante Français, il se rencontra avec ceux de Cabaret, qui étaient quatre-vingt-dix, tant à pied qu'à cheval, avec quatorze arbalétriers, qui les ont entourés et les ont assaillis de toutes parts. Mais nos Français se sont rangés serrés, sans s'épouvanter de menaces ni de cris. Il y eut bientôt, de part et d'autre, des morts et des blessés ; mais à la fin ils furent déconfits, — dont ce fut dommage et pitié,— ceux qui allaient avec Bouchard, lequel lui-même y fut pris et amené. De ceux qui y périrent le corps fut oublié. Que Dieu reçoive leurs âmes, quand le monde sera fini, dans son ciel glorieux. »

 

***

Pierre Roger de Cabaret, suivi de ses captifs, remonte la vallée qui conduit à Cabaret. Bouchard, depuis le début de la Croisade, n'a été qu'un soldat : il n'a vu dans ses ennemis que des hérétiques à combattre ; dans ce pays qu'un champ de bataille. La colonne marche lentement le long de la rivière. Une lumière ailée joue dans le feuillage. Des maisons claires aux toits de tuiles se penchent sur la transparence chantante de l'eau. Des jeunes filles passent, brunes et gaies, et leurs rires se mêlent à la chanson du vent. Bouchard évoque les ciels brouillés de son pays... Ici tout baigne dans une lumière heureuse. Tout paraît simple et léger, soumis au seul rythme des aurores et des saisons. « Comment, se demande-t-il, a pu naître ici ce goût passionné de l'ascétisme que prêchent les parfaits ? Cette conception inhumaine de l'amour ? Comment un Arnaud Daniel, sous ce ciel qui ne laisse aux formes aucun mystère, a-t-il pu écrire ses étranges chansons ? »

Et c'est soudain, à l'extrémité de la vallée refermée, enveloppées d'espace et tendues d'un élan farouche vers le ciel, les tours de Cabaret. Elles surgissent du roc nu comme un cri solitaire et désespéré. Le sentier qui y conduit rend à chaque pas la solitude plus sensible. Les murmures de la rivière, des arbres, les voix humaines, s'éteignent à mesure. Des rochers, que le temps semble avoir consumés, jaillissent, courtes flammes d'un feu intérieur, des iris...

Et Bouchard pressent pour la première fois qu'un ardent secret habite ces lieux et ces hommes.

 

***

Il devait rester deux ans dans l'une de ces tours dont les noms : Cabaret, Quertinheux, Tourégine, Fleurespine, semblaient traduire le contraste qui opposait l'ascétisme orgueilleux des châteaux à la douce sensualité de la vallée.

Roger avait trois filles, cathares comme lui. Il est permis de penser que le prisonnier reçut souvent leur visite. Comment ne lui auraient-elles pas livré peu à peu le secret de leur âme en lui parlant d'Esclarmonde, d'Adelaïde, du vieux Raymond de Miraval, qui, tout près de là, dans son château de conte de fée baigné par la rivière, continuait à composer des chansons pour la Dame de ses rêves ?

Lorsqu'elles l'avaient quitté, lorsque la nuit enveloppait la tour de silence et d'étoiles, le poète cherchait à découvrir, au coeur de ses méditations, le secret de ces femmes qui n'avaient qu'à cueillir les joies de la vie et que consumait un ardent désir de pureté. Il comprenait, peu à peu, la générosité héroïque de Roger, la passion d'un Jeoffroi Rudel, cette sublimation de l'amour charnel, ce mélange de sensualité et de mysticisme qui donnait au lyrisme des troubadours ses mystérieuses résonances.

Quelquefois, tard dans la nuit, le pont-levis s'abaissait pour livrer passage à un de ces parfaits que les soldats traquaient dans la Montagne Noire. La porte du cachot s'ouvrait. Alors, tandis qu'à la proue de la nuit s'éveillaient les guetteurs ; que s'en allaient dans le sillage du vent, des fumées de bûchers, Bouchard, Pierre Roger et ses trois filles écoutaient l'homme pâle parler de Dieu.

 

***

Bouchard devait être délivré en 1211 :

« Don Pierre Roger (nous dit le chroniqueur) s'en va un jour, de grand matin, à don Bouchard qui est prisonnier dans la chambre où il couche. « Bouchard, lui a-t-il dit, vous êtes, je le sais bien, un franc preux homme de haute nature et ne ferez jamais chose qui ne soit à faire. Je ne sais si, en vous délivrant, j'y trouverai gratitude et merci ; mais je l'essayerai. » « Je n'ai jamais fait trahison ni tenté de le faire, répond Bouchard. » « Eh bien donc, vous n'êtes plus prisonnier ; je vous livre mon château et moi-même. »

« Seigneur, tout comme je viens de vous le dire, le seigneur de Cabaret ne s'oublie pas (là où il faut agir). Il fait appeler un forgeron, tirer Bouchard de ses fers. Noblement le revêt de riche robe, et lui donne à chevaucher un palefroi ambiant tel que nul n'en vit de plus beau. Quand Bouchard est vêtu, il lui présente pour lui faire fête, trois damoiseaux à cheval lui servant de guides... »

 

***

Et Bouchard partit... Il continua à guerroyer pour son Dieu et pour son roi ; mais il savait maintenant ce que cachaient les mots de Pitié et de Merci. Il savait que la « Femme » des troubadours loin de diminuer la valeur du chevalier, exaltait au contraire ses plus hautes vertus ; qu'elle donnait son vrai sens à l'Aventure.

Et peut-être eût-il l'intuition que quelque chose de miraculeux naîtrait de la fusion du génie méridional et du génie celtique...

Ce miracle ce devait être la naissance du génie français.

          P.-M. SIRE ()

 

Notes
 
1. Crescini identifie Cardaillac avec le village de Cardaillac en Quercy.(↑)

 

 

 

 

 

 

 

 

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