TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos
Table de concordance
1. INTRODUCTION
2. MÉTRIQUE
Notes
A la Memoria de mon Paire,
A ma Maire et a m’Avia,
Que·m mezeron el cor
L’Amor e·l Colemen del Paes Lemozin
AVANT-PROPOS
Il nous a semblé que l’œuvre poétique des quatre Troubadours d’Ussel, déjà partiellement publiée en Allemagne ( 1), méritait d’être connue tout entière et d’être éditée sous une forme qui, tout en restant accessible à la plupart des lecteurs, pût servir en même temps aux exercices universitaires. Telles sont les origines de l’ouvrage que nous présentons au public : elles en expliquent le caractère.
Pour répondre au double but que nous nous sommes proposé, nous avons, en effet, réduit au minimum l’appareil critique et les notes ; mais, pour faciliter l’intelligence du texte, nous avons fait suivre chaque pièce d’une traduction, et nous avons réuni dans l’Introduction, l’Index et le Glossaire, tous les renseignements indispensables.
Je tiens à renouveler ici à mes bien chers maîtres MM. J. Anglade, A. Jeanroy et A. Thomas, Membre de l’Institut, l’expression de ma vive gratitude pour leurs encouragements et leurs conseils. Qu’il me soit permis également de témoigner ma reconnaissance à M. le Comte Jacques d’Ussel, auquel je dois la communication d’un certain nombre de documents inédits dont on trouvera plus loin des extraits, et de remercier de leur concours dévoué mes amis Jean Muller et Léon Branchet. ( ↑)
17 mai 1921.
TABLE DE CONCORDANCE (2)
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Editions
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Grundriss de Bartsch.
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Carstens.
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Audiau.
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Ades on plus viu, mais apren.
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[194], I
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manque
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V
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Ara·m digatz vostre semblan.
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— 2 et [136], I
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I
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XIV
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Ben feira chanzos plus soven.
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— 3
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manque
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I
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En Gui, digaz al vostre grat.
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— 4 et [129], I
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II
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XVII
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En Gui, digaz la qal penriaz vos.
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— 5 et [129], 2
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V
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XVI
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En Gui d’Uisel, be·m plai vostra canços.
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[361], I
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VIII
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XXV
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En tanta guisa·m men’ amors.
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[194], 6
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manque
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III
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Estat aurai de chantar.
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— 7
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manque
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IV
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Gaucelms, eu mezeis garentis.
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[136], 2
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XVI
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XXIII
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Ges de chantar no·m faill cors ni razos.
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[194], 8
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manque
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VII
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Gui d’Uissel, be·m pesa de vos.
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— 9 et [295], I
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X
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XV
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Gui, e·us part mon essienz.
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— 10 et [129], 3
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VI
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XX
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Ja non cudiei trobar.
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— 12
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manque
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VI
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Ja non cugei que·m desplagues amors.
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— 11
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manque
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VIII
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L’autre jorn, cost’ una via.
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— 13
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manque
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IX
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L’autre jorn, per aventura.
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— 14
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manque
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XI
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L’autrier cavalcava.
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— 15
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manque
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X
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Manenz fora·l francs pelegris.
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[136], 3
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XIII
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XXII
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N’Eble, er chauzetz la melhor.
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[128], I et [218], I
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XVIII
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XXVI
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N’Eble, pus endeptatz.
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[194], 16
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VII
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XVIII
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N’Elyas, a son amador.
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— 17 et [136], 4
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III
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XIII
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N’Elyas conseill vos deman.
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[136], 5 et [10], 37
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XI
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XXIV
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N’Elyas, de dos amadors.
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[131], I et [52], 4
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XII
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XXI
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N’Elyas, de vos voill auzir.
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[194], 18 et [136], 6
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IV
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XIX
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Segner Rainaut, vos qi·us faitz amoros.
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— 20 et [413], I
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IX
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XII
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Si be·m partetz, mala domna, de vos.
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— 19
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manque
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II
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LES POÉSIES DES QUATRE TROUBADOURS D’USSEL.
INTRODUCTION
Contemporains de Gaucelm Faidit et de Marie de Ventadour, femme d’Eble V, les troubadours d’Ussel tiennent une place relativement importante dans l’histoire de la littérature occitane. Leur vie nous est assez exactement connue, grâce aux renseignements nombreux que nous fournissent sur eux les Biographies anciennes et qu’un certain nombre de documents ou de témoignages historiques permettent souvent de préciser.
« Gui d’Ussel, lisons-nous ( 3), était un noble châtelain du Limousin ; lui, ses frères et son cousin étaient seigneurs d’Ussel ( 4), qui est un bon château, et ils en avaient aussi beaucoup d’autres. L’un de ses frères se nommait Eble, l’autre Pierre, et le cousin Elias ; et tous les quatre étaient troubadours. Gui trouvait de bonnes chansons, Elias de bonnes tensons, et Eble de mauvaises, et Pierre chantait tout ce qu’ils trouvaient. Gui était chanoine de Brioude ( 5) et de Montferrand ( 6), et il courtisa longtemps Mme Marguerite d’Aubusson ( 7) et la comtesse de Montferrand ( 8), en l’honneur desquelles il composa maintes bonnes chansons ; mais le légat du pape ( 9) lui fit jurer de ne jamais plus faire de chansons et, pour lui, il cessa de trouver et de chanter.
Avant d’y renoncer, il s’énamoura d’une noble dame de Provence qui avait nom Gidas de Mondas ( 10), nièce de Guillaume de Montpellier ( 11) et cousine germaine de la reine d’Aragon ( 12). Il l’aima et la servit longtemps ; et il fit, en son honneur, maintes bonnes chansons, et la couvrit de gloire et de louanges. Et, tandis qu’il la courtisait, elle lui dit : « Gui d’Ussel, vous êtes un fort gentil homme, tout chanoine que vous êtes, et vous êtes fort apprécié et fort estimé, et je vous aime tant que je ne peux m’empêcher de faire tout ce qu’il vous plaira. Je suis une dame riche, et je veux me marier. Aussi vous dis-je que vous pouvez m’avoir, soit pour maîtresse, soit pour femme ; dites vous-même à quel titre vous me voulez prendre ( 13). » Gui d’Ussel en fut fort joyeux, et demanda conseil à son cousin Elias auquel il dit dans une chanson :
Ara·m digatz vostre semblan... (XIV).
Et Elias, son cousin, lui répondit qu’il aimait mieux être le mari de la dame que son amant ; mais Gui ne la voulut point pour femme, et dit en sa tenson qu’il préférait être l’amant que le mari. La dame, dépitée de cette réponse, épousa un chevalier de Catalogne qui s’appelait Renardon, congédia Gui d’Ussel, et l’éloigna d’elle, disant qu’elle ne ferait pas son amant d’un homme qui ne fût pas chevalier. C’est la raison pour laquelle Gui d'Ussel composa, après avoir fait la tenson ci-dessus, la méchante chanson qui dit :
Si be·m partetz, mala domna, de vos... (II).
Vous venez d’entendre qui fut Gui d’Ussel et d’où il était, et comment il fit une tenson avec son cousin Elias, au sujet de l’alternative que lui avait laissée sa dame ; vous connaissez le parti qu’il choisit et vous savez que la dame s’en fâcha et prit pour mari Bernardon de Catalogne ; Gui d’Ussel, à la suite de ces événements, renonça à la poésie et fut longtemps marri et soucieux. Et maintes gens, les dames et les chevaliers, étaient mécontents de le voir dans cet état. Aussi, pour le distraire de son chagrin et de sa tristesse, Madame Marie de Ventadour le défia-t-elle de tenson, disant, comme vous l’entendrez :
Gui d’Uissel, be·m pesa de vos... (XV).
Après que Gui d’Ussel eut fait la méchante chanson dont je viens de vous parler, et qui commence ainsi :
Si be·m partetz, mala domna, de vos...
et dans laquelle il blâmait ce qu’il avait loué, Peire d’Ussel, son cousin ( 14), pour reprendre Gui d’Ussel, fit ce couplet et le lui manda :
En Gui d’Ussel, be·m plai vostra canços... (XXV). »
A ces renseignements il convient encore d’ajouter ceux que le biographe nous donne sur Gui d’Ussel, à propos de Marie de Ventadour, et sur Elias, à propos de Gaucelm Faidit. Voici, en effet, ce qu’il nous dit du premier :
« Vous avez bien entendu dire de Mme Marie de Ventadour ( 15), qu’elle fut la dame la plus estimée qu’il y eût jamais en Limousin, celle qui fit le plus de bien, et qui se garda le plus du mal. Son bon sens l’aida toujours, et elle ne mérita aucun reproche par des folies. Dieu l’avait douée d’une belle personne, gracieuse, avenante, et sans pareille.
Gui d’Ussel avait perdu sa dame, comme vous l’avez appris par sa chanson, qui dit :
Si be·m partetz, mala domna, de vos...
et vivait, par suite, plongé dans une douleur profonde et dans la tristesse. Depuis longtemps il n’avait plus chanté, ni trouvé, ce qui affligeait beaucoup toutes les nobles dames de cette contrée, et Mme Marie plus que toutes les autres, parce que Gui d’Ussel la louait dans toutes ses chansons. Le comte de la Marche, qui s’appelait Hugues le Brun ( 16), était son chevalier, et elle lui avait accordé autant d'honneur et d’amour qu’une dame peut le faire à un chevalier. Un jour qu’il devisait d’amour avec elle, ils échangèrent une tenson ; le comte de la Marche disait, en effet, que tout amoureux sincère, puisque sa dame lui donne son amour et le prend comme chevalier et comme ami, doit, tant qu’il est loyal et fidèle envers elle, avoir autant de pouvoir et d’autorité sur elle qu’elle en a sur lui. Et Mme Marie soutenait que l’ami ne devait avoir sur sa dame ni pouvoir ni autorité. Gui d’Ussel se trouvait alors à la cour de Mme Marie ; et celle-ci, pour le ramener aux chansons et à la gaieté, fit un couplet dans lequel elle lui demanda s’il convenait que l’ami eût autant de pouvoir sur sa dame que la dame sur lui. Et Mme Marie le défia de tenson sur ce sujet, et dit :
Gui d’Ussel, be·m pesa de vos... (XV).
Nous apprenons, d’autre part, à propos de Gaucelm Faidit, quelques détails piquants sur Elias d’Ussel : « Gaucelm Faidit franchit la mer ( 17), emmenant avec lui Mme Guillelma Monja, sa femme ; c’était une ancienne fille de joie, et elle était plus grosse que lui. Il croyait en avoir un fils ( 18), qui était, en toutes choses, un être fort désagréable. Il revint de là-bas fort pauvre et fort mal en point ; et Elias d’Ussel fit à ce sujet le couplet que voici :
Manenz fora·l francs pelegris... (XXII).
Elias d’Ussel avait un château, du nom de Charlus ( 19), qui était pauvre et dépourvu de blé et de vin ; si bien que lorsqu’il venait un chevalier ou quelque haut personnage, Elias les amusait et les accueillait fort aimablement, et, au lieu de leur offrir de somptueux festins, leur disait ses chansons, ses sirventes et ses couplets. Gaucelm répondit à Elias, en lui rappelant la pauvreté de son château, et il en fit ce couplet :
Ben auria ops pans e vis,
A Casluz, tant es ses humor,
Merce del paubre peccador
Qu·es manens de gabs et de ris :
Que sei solatz son gran copas d’argen,
E·ill sirventes, segalas e formen,
E sas cansos es vestir vert ab var ;
A lui s’en an qui vol ben sojornar (20) !
Elias d’Ussel répondit au couplet de Gaucelm Faidit :
Gaucelms, eu mezeis garantis... (XXIII).
Tels sont les renseignements que nous trouvons dans les anciennes Biographies en langue occitane. Ils nous permettent, au moins, d’assigner à chacun des membres de cette famille de poètes la place qui lui revient, et de déterminer d’une manière tout approximative l’époque à laquelle les quatre troubadours d’Ussel ont vécu ; un tel résultat ne saurait, il est vrai, nous satisfaire entièrement ; mais il nous est fort heureusement donné d’en corriger l’imprécision et l’insuffisance.
Nous nous bornerons à mentionner, en passant, l’étrange récit que Jean de Nostredame fait de la vie de Gui d’Ussel, de ses frères et de son cousin ( 21) ; tout, dans cette relation, porte la marque d’une imagination excessive et d’une insigne mauvaise foi. Dans son désir de rattacher à la Provence, au détriment des autres provinces, la plupart des poètes méridionaux, il n’en coûte guère à Jean de Nostredame de déformer les noms propres et d’altérer les faits. On s’en rendra compte en lisant cette étonnante narration, qui, du reste, ne nous apprend rien de nouveau.
Il n’en est pas de même de l’œuvre des quatre troubadours. On y trouve, en effet, quelques allusions à des personnages connus et à des événements historiques, et l’on peut arriver ainsi à préciser quelques détails importants. La mention du « Roi d’Aragon, galant et généreux », dans une tornada de la mala chanso, permet de placer la rupture entre Gidas et son soupirant, en 1203 ou 1204 ; c’est en 1204, en effet, que Pierre II épousa Marie de Montpellier, cousine de la mala domna, et il semble bien, comme le fait remarquer Carstens ( 22), que les paroles « Continuez comme vous avez commencé » s’adressent à ce souverain, peu d’années après son avènement (1196).
D’autre part, dans la pièce XII, Gui d’Ussel a vraisemblablement pour interlocuteur Rainaud VI, qui fut Vicomte d’Aubusson de 1201 à 1245. Enfin, ce que nous savons de la vie de Marguerite d’Aubusson, de la comtesse de Montferrand et de Marie de Ventadour, et l’allusion qu’Elias fait à la quatrième croisade, permettent d’affirmer que les troubadours d’Ussel chantaient déjà dans les premières années du treizième siècle. On pourrait donc, en supposant que Gui eût une trentaine d’années à l’époque de la mala chanso, placer sa naissance vers 1170 ( 23).
Le cartulaire de l’abbaye de Bonaygue ( 24) renferme un certain nombre de pièces qui permettent de confirmer et de compléter quelques-unes des indications précédentes. Par une heureuse fortune, Messire Marc Antoine, marquis d’Ussel, l’un des descendants de nos quatre poètes, eut l’idée de faire copier en 1766, dans ce cartulaire aujourd’hui disparu, toutes les pages qui se rapportaient à sa famille. J’emprunte à ce précieux document, que M. le Comte Jacques d’Ussel a bien voulu me communiquer, les extraits, jusqu’à présent inédits, dont on trouvera plus loin le texte ( 25).
Dès 1190, Eble et Pierre d’Ussel, son frère, sont mentionnés dans un acte ; et, en 1195, Eble et Gui font à l’abbaye une nouvelle donation, pour laquelle Elias d’Ussel est témoin. D’après ce texte, on serait tenté de croire que Pierre d’Ussel était mort déjà en 1195. Or, le biographe lui attribue une cobla écrite peu de temps après la mala chanson (Cf. ci-dessus page 11), c’est-à-dire vers 1203. Le biographe qui fait de Pierre d’Ussel — dont on ne signale pas ailleurs l’activité poétique — le cousin, et non le frère de Gui, n’aurait-il pas confondu Pierre et Elias ? La pièce XXV serait bien de la manière de celui-ci. D’autre part, Eble seul est cité dans une autre pièce en 1225. Il serait donc bien légitime de supposer que Gui, né vers 1170, était mort en 1225, ainsi que son frère Pierre, et qu’Eble et Elias leur auraient survécu pendant quelques années. En effet la Gallia Christiana reproduit une charte datée du 30 mars 1220, dans laquelle Eble dit en propres termes qu’il a « fait enlever du cimetière et transporter dans le cloître, où ils furent enterrés en grande pompe, son père, sa mère, ses frères et son fils Eble ( 26) ».
Le même personnage est encore vivant en août 1233 ( 27). Quant à Elias, l’auteur du vidimus Edme Bonnotte, « déchiffreur en titre », faisant allusion à une pièce du cartulaire (page 64), la résume ainsi : « Elie mentionné en 1240 comme témoin, dans une transaction entre le père abbé de Bonaygue et Armand, un des frères du couvent. »
Le plus important de ces quatre poètes au point de vue littéraire est, sans contredit, Gui d’Ussel. Cette supériorité explique l’ordre dans lequel nous avons classé dans cette édition les différentes poésies qui sont généralement attribuées à ces troubadours ; les chansons de Gui viennent en tête, puis les tensons auxquelles il collabora, enfin les morceaux dont Elias et Pierre sont les auteurs ; dans chacune de ces divisions, nous avons, autant que possible, suivi l’ordre chronologique.
L’œuvre de Gui comprend vingt pièces, sur les vingt-six qui composent cet ouvrage : huit chansons, trois pastourelles, neuf tensons ou partimens . Toutes se distinguent par leur originalité, leur grâce et leur fraîcheur, — surtout les pastourelles, — et toutes séduisent par la sincérité de leur ton. Pätzold se trompe, à notre avis, lorsqu’il porte sur Gui d’Ussel, à propos des premiers vers de sa chanson Ben feira chanzos plus soven (I)
Mas enoja·m tot jorn a dire
Q’eu plang per amor e sospire,
Qar o sabon tuit dir comunalmen,
le jugement suivant : « Ce troubadour même ne tire pas de son observation tous les fruits qu’il aurait dû en tirer, s’il avait été véritablement poète. Au lieu de créer une poésie nouvelle qui s’appuie sur l’art et la sincérité, il tombe dans la même erreur, lorsqu’il tente, par une expérience nouvelle, de donner à son œuvre une couleur originale ( 28). » Il serait facile de montrer, au contraire, combien Gui d’Ussel se distingue parfois de ses rivaux par le caractère personnel de son œuvre. Il suffirait de rappeler, par exemple, avec quelle spontanéité et quelle grâce un peu mélancolique le poète se laisse aller aux confidences, dans ses pastourelles.
Quoi qu’il en soit, Gui d’Ussel semble avoir joui d’une assez grande renommée, si l’on en juge par le nombre des manuscrits qui nous ont transmis ses chansons, par les nombreuses anthologies où son œuvre est représentée, et par les citations que certains de ses contemporains et successeurs immédiats lui ont empruntées. Le florilège de Ferrarin de Ferrare (Ms Dc) donne des extraits de trois pièces de Gui d’Ussel : VII, str. III ; I ( 29), str. II, III, IV ; II, str. V, VI ; III, str. III et IV. L’ Anthologie de la Biblioteca Chigiana (Ms. F) contient de même des fragments de trois chansons : I, str. II, III, V ; II, str. V, et VII, str. III.
Raimon Vidal de Besalu, d’autre part, reproduit, dans sa nouvelle So fo el tems c’om era jais ( 30) (Jugement d’amour), la strophe V de la mala chanso, et Matfré Ermengau, dans son Breviari d’amor ( 31), cite le même passage.
Enfin un chansonnier français du treizième siècle, conservé à la Bibliothèque nationale (Ms. W.), contient la première strophe d’une des pièces de Gui d’Ussel, Ges de chantar no·m faill cors ni razos, et sa mélodie. M. Léon Branchet a bien voulu faire à notre intention la transcription en notation moderne, que nous donnons en appendice. Nous avions l’intention de publier les trois autres mélodies qui se trouvent dans un manuscrit italien de la Biblioteca Ambrosiana, à Milan (Ms. G.) : Si be·m partetz, mala domna, de vos (f° 58a) ; Ben feira chanzos plus soven (fº 59a) et En tanta guisa ·m men’ Amors (fº 59d). Nous regrettons bien vivement de ne pouvoir donner suite à ce projet.
En ce qui concerne Eble, si l’on admet son identification avec Eble de Saignas ( 32), il est au nombre de ceux que Pierre d’Auvergne raille dans sa satire célèbre contre les Troubadours : « Et le dixième, dit-il, est Eble de Saignas, à qui nul bien ne vint jamais d’Amour, bien qu’il chante comme s’il avait mal de dents (?) ; c’est un vilain prétentieux et chicaneur, dont on raconte que, pour deux pougeois ( 33), il se loue d’un côté et se vend de l’autre :
E N’Ebles de Sagna·l dezes,
A cui anc d’amor non venc bes,
Sitot se canta de coiden ;
Us vilanetz enflatz plages,
Que dizon que per dos poges
Lai se loga, e sai se ven (34). »
***
Vers 1209, à la veille de la croisade des Albigeois, Gui d’Ussel dut jurer au légat du pape Innocent III de ne plus jamais faire de chansons ; peu de temps après, la poésie méridionale allait être fauchée dans sa fleur. Cependant rien, ni dans les chansons des poètes d’Ussel, ni dans celles de Gaucelm Faidit et de Maria de Ventadour, ne laissait prévoir cette fin ; les derniers troubadours du Limousin étaient dignes de leurs glorieux aînés, Bernard de Ventadour, Giraut de Borneil et Bertran de Born ( 35). ( ↑)
MÉTRIQUE
On a pu remarquer que les Troubadours d’Ussel ont employé fréquemment les mêmes combinaisons de rimes ; on retrouve en effet dans un certain nombre de leurs pièces les deux dispositions a bb aa cc dd (I, VII, XIII, XXIV) et a bb a cc dd (II, XII, XV, XVI, XXII, XXIII, XXV).
Il semble bien, d’autre part, que pour trois de ses chansons (III, IV, VI) et pour deux de ses pastourelles (X et XI) Gui n’ait eu ni modèles, ni imitateurs. De même la tenson d’Eble d’Ussel et de Bernard est l’unique exemple cité par MAUS au nº 670 (I). ( ↑)
(1). Cf. Carstens, Die Tenzonen aus dem Kreise der Trobadors Gui, Eble, Elias und Peire d'Uisel (diss.), Kœnigsberg, 1914. (↑)
(2). Les numéros placés entre crochets sont ceux par lesquels les troubadours sont désignés dans la liste alphabétique de Bartsch (Grundriss zur Geschichte der provenzalischen Literatur). Voici, du reste, le nom des poètes auxquels se rapportent ceux que nous employons ci-dessus : [10] : Aimeric de Peguillan ; [52] : Bernart ; [128] : Eble de Signa (ou Saignas) ; [129] : Eble d’Ussel ; [131] : Elias ; [136] : Elias d’Ussel ; [194] : Gui d’Ussel ; [218] : Guillem Gasmar ; [295] : Marie de Ventadour ; [361] : Peire d’Ussel ; et [413] : Rainaut (d’Aubusson). (↑)
(3). CHABANEAU, Biographie des Troubadours in Hist. Générale du Languedoc, tome X, page 247 sq. Nous donnons en appendice le texte original de tous les passages que nous traduisons ici. (↑)
(4). Ussel-sur-Sarzonne, chef-lieu d’arrondissement de la Corrèze. (↑)
(5). Brioude (Haute-Loire). (↑)
(6). Montferrand (Puy-de-Dôme) ; cette ville fut réunie en 1633, par Louis XIII, à Clermont ; cf. Tardieu, Histoire de Clermont-Ferrand, Moulins, 1872. (↑)
(7). Marguerite d’Aubusson était la femme de Rainaud VI, Vicomte d’Aubusson, avec lequel Gui d’Ussel fit peut-être une tenson (cf. pièce XII de cette édition). (↑)
(8). Il s’agit de la première femme de Robert I, Dauphin d’Auvergne (1169-1234) ; cf. Baluze, Histoire de la Maison d’Auvergne, I, p. 158 sq. (↑)
(9). Vraisemblablement Pierre de Castelnau, légat d’Innocent III. Cet ordre pourrait donc avoir été donné à Gui d’Ussel, comme le fait justement remarquer M. Carstens (op. cit., page 13), avant 1209, c’est-à-dire avant la croisade des Albigeois. (↑)
(10). Peut-être cette dame est-elle, suivant l’hypothèse de Chabaneau, Biogr. p. 248, la même qu’une certaine « donna Monas d’Egitto » mentionnée plusieurs fois par Barberino, dans les gloses des Documenti d'amore et dans le Reggimento di Donne, et « dont le nom et le surnom auraient été intervertis et estropiés par les copistes ». (↑)
(11). Guillaume VIII, mort en 1202. (↑)
(12). Marie de Montpellier, femme de Pierre II, qui l’épousa en juin 1204. (↑)
(13). Sur cette razo, cf. Jeanroy, La Tenson provençale in Annales du Midi, II, page 442 : « Dans la biographie de Gui d’Ussel, nous lisons que Guida de Montpellier, longtemps priée d’amour par le poète, lui laissa le choix de devenir son amant ou son mari. Gui, embarrassé, consulte à ce sujet son cousin Elie , dans un partimen. Elie lui conseillant d’épouser, il soutient naturellement le parti contraire ; mais, outre qu’il serait bizarre, comme le remarque M. Zenker, de faire dépendre une résolution de cette nature du caprice d’un tiers, l’auteur de la razo s’est trahi lui-même ; en effet, dans le VIIe couplet, Gui, pour prouver combien un amant est supérieur à un mari, s’écrie : « Que je sois honni, si je n’aime ma dame plus que ne le fait son mari ! » Donc, la dame dont il est question dans le partimen n’avait rien de commun avec celle que courtisait le poète (il est probable, même, que celui-ci avait inventé cette histoire de toutes pièces, pour engager la discussion), et la razo est un pur roman. » (↑)
(14). Pierre était, en réalité, le frère de Gui, comme le biographe lui-même le dit plus haut. (↑)
(15). Marie de Ventadour, l’une des « trois sœurs de Turenne », avait épousé Eble V, vicomte de Ventadour, avant 1183, époque où Geoffroy, prieur de Vigeois, de qui nous l’apprenons, achevait sa chronique ; cf. Bonnélye, La Chronique de Geoffroy de Vigeois (ch. XXIV). « Elle mourut en 1219, la même année que son chevalier Hugues le Brun, » écrit Chabaneau, d’après la Chronique de Bernard Itier : « Anno gracie M°CC°XIX° obiit Hugo de Lesina senior... Anno gracie M°CCºXIX° obierunt vicecomitissa de Ventedor, Maria... » Mais on trouve aussi, dans la même chronique, une indication différente : « Anno gracie MºCC°XXij° obierunt Maria de Ventedor... » (Chroniques de Saint-Martial de Limoges, édit. Duplès-Agier, pages 105 et 113.) La première de ces dates, admise, on l’a vu, par Chabaneau, est repoussée par G. Clément-Simon, suivant lequel Marie de Ventadour comparaît, dans un acte passé en 1221, sous le nom, il est vrai, de Marguerite. « Cette différence, ajoute-t-il, tient peut-être à ce que le prénom de Marguerite s’écrivait parfois en langue limousine Maria Garida. » (Notice de quelques manuscrits, page 56.) Il semble bien difficile de se prononcer. (↑)
(16). Hugues IX ; Barbieri, d’après des manuscrits aujourd’hui perdus, en fait un des poètes méridionaux. « Uc lo brus, che fu cavaliere di madonna Maria di Ventadorno, di cui si leggono alquante canzoni nei libri provenzali. » (Dell’ Origine della poesia rimata, p. 115.) Aucune des pièces auxquelles le savant italien fait allusion ne nous est connue. (↑)
(17). Gaucelm Faidit, d’Uzerche, prit, en effet, part à la quatrième croisade (1202-1204). Pour cette raison, nous avons cru devoir corriger, au vers 4 de la pièce XXII, Saladis en Safadis. Il s’agit en effet de Saif Heddin al Adil, frère de Saladin, qui dominait d’abord en Mésopotamie, mais avait, à l’époque de cette croisade, supplanté ses neveux à Damas et au Caire. Peut-être, d’ailleurs, la leçon Saladis est-elle une erreur du copiste, car Gaucelm Faidit mentionne Saif Heddin dans l’une de ses pièces : « Le roi de France, dit-il, aime mieux, là-bas en Normandie, conquérir des sterlings, que tout ce que Saif Heddin possède et tient sous sa garde. » (Ara nos sia guitz, vers 60.)
Que tot quan Safadis
(18). Nous trouvons dans le Cartulaire de l’Abbaye d’Obazine, jusqu’à présent inédit, le texte d’une concession faite à l’abbé Guillaume par un certain « Ancelmus faidiz et filius ejus et G. suus frater, audientibus Ademaro de Brax, B. de Perols cellerariis, Bartolomeo, Petro de la Chaminada et Petro d’Usercha, anno ab Incarnatione Domini MCXCIII... » (Bibl. Nat. Mss N. a. l. 1560, fº 309 recto). S’il s’agit bien, comme nous le supposons, du Troubadour Uzerchois, la formule du biographe « e cresia aver un fil d’ella » semble faire plutôt allusion à une paternité que Gaucelm revendiquait sans aucun droit qu’à l’espoir d’être bientôt père, et le mot « eretar » au vers 8 de la pièce XXII, serait pris alors dans son sens propre. (↑)
(19). Il ne s’agit, en effet, ni de Chaslus, arrondissement d’Issoire, comme Chabaneau le suggérait non sans réserves (Biogr., page 247, note 2), ni de Chalus-Chabrol, près de Limoges, comme du Boys et Arbellot l’ont écrit dans leur Biographie des hommes illustres du Limousin, mais bien de Charlus-le-Pailloux, près d’Ussel. Sur ce château, cf. Champeval, Le Bas-Limousin seigneurial..., page 260, et la Chronique du bon duc Loys de Bourbon, Paris, 1876, pages 94 et 104. (↑)
(20). « On aurait bien besoin de pain et de vin à Charlus, tant il y fait sec, grâce au pauvre malheureux qui n’a pour toute richesse que les plaisanteries et les rires : ses amusements tiennent lieu de grandes coupes d’argent, ses sirventes de seigle et de froment, et ses chansons sont des vêtements verts ornés de fourrure : que celui qui veut un séjour agréable s’en aille le trouver ! » (↑)
(21). JEAN DE NOSTREDAME, Vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux ; cf. ci-dessous, Appendice, II. (↑)
(22). Op. cit., page 9. (↑)
(23). Carstens remarque fort à propos que Gui pouvait parfaitement avoir déjà le titre de chanoine, puisqu’il suffisait d’avoir quatorze ans pour l’obtenir, du moment que le bénéficiaire n’exerçait aucun ministère spirituel. (↑)
(24). Commune de Saint-Fréjoux, canton d’Ussel (Corrèze). (↑)
(25). Cf. ci-dessous, Appendice, III, 1, 2, 3 et 6. (↑)
(26). Chabaneau a cru pouvoir identifier Gui d’Ussel, le troubadour, avec un prévôt d’Eymoutiers : « Le troubadour Gui d’Ussel, écrit-il, qui fut, comme nous l’apprend sa biographie, chanoine de Brioude et de Montferrand, parait avoir été aussi prévôt d’Eymoutiers. Parmi les prévôts de cette église figure en effet, de 1231 à 1237, un Guido de Ussello. » (Cf. La Langue et la littérature du Limousin, 1892, page 13.) Les documents que nous venons de citer détruisent cette hypothèse. Il s’agit, sans doute, d’un autre personnage que notre troubadour : les prénoms de Gui, Eble, Pierre et Guillaume sont, en effet, très répandus dans la famille d’Ussel. (↑)
(27). Cf. ci-dessous, Appendice, III, 5. (↑)
(28). PAETZOLD, Die individuellen Eigenlümlichkeiten einiger hervorragenden Trobadors im Minneliede, page 5 sq. (↑)
(29). En réalité, cette pièce est inscrite sous le titre Ges de chantar... (↑)
(30). Edit. Max Cornicelius (diss.), Berlin, 1888, vers 422-32. (↑)
(31). Edit. Azaïs, Paris-Montpellier, s. d. [1862-81 ?], vers 32605-616. (↑)
(32). Cette identification, soutenue par Zenker (Die Lieder Peires von Auvergne, page 202), Jeanroy (La Tenson provençale, in Annales du Midi, II, page 295), Pakscher et Schultz-Gora, et adoptée par Carstens, a été très énergiquement combattue par Carl Appel (Literaturblat f. rom. Phil., X, col. 109). Cf. également, La Salle de Rochemaure, op. cit., tome I, p. 371 sq. Nous avons admis dans cette édition la pièce XXVI, N'Eble, er chauzetz la meillor, sans toutefois l’attribuer absolument à Eble d’Ussel. (↑)
(33). Petite monnaie que faisaient battre les évêques du Puy ; elle était la moitié d’une obole et le quart d’un denier ou d’un toulousain ; cf. Le Blanc, Traité historique des monnoyes de France, Amsterdam, 1692, page 172. (↑)
(34). Die Lieder Peires von Auvergne, édit. Zenker, XII, vers 61 et sq. Nous adoptons sous toutes réserves la traduction que Bartsch a proposée pour coiden. (↑)
(35). La tradition poétique s’est longtemps conservée dans la famille d’Ussel : Antoine au seizième siècle, Pierre au dix-huitième siècle, et, plus récemment, le comte Philibert d’Ussel (1841-1918), ont été bien souvent des poètes dignes de leurs ancêtres. (↑)
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