INDEX:
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
I. La « biographie » contrôlée par les poésies
II. Classement des chansons et critique des « razos »
III. Métrique
PIÈCES APOCRYPHES
NOTES
A M. Paul Meyer
Doyen et maître des provençalistes
AVANT-PROPOS
Il n’y a guère moins d’une dizaine d’années que j’ai commencé à réunir les matériaux de cette édition, en copiant les manuscrits de Paris ou en collationnant sur ces manuscrits les éditions antérieures (1). Et pourtant elle serait encore bien loin de pouvoir paraître si mon ami Salverda de Grave n’avait aimablement accepté d’assumer une partie de la tâche. Il n’y a ménagé ni son temps, ni sa peine. En effet, il n’a pas seulement classé les manuscrits, établi le texte, rédigé les notices métriques et les notes critiques (celles-ci se trouvent soit en tête des poésies, soit disséminées parmi les autres) ; il a encore écrit la plupart des traductions, les commentaires historiques et l’Introduction qu’on va lire (2). Seules, les notes grammaticales et quelques traductions (en dehors du travail matériel dont j’ai parlé) sont donc de moi. Toutefois, il n’est pas de difficulté importante que nous n’ayons examinée en commun, au cours de longs entretiens qui resteront, pour moi, l’un des principaux bénéfices de cette entreprise : il en a été ainsi notamment pour l’établissement des passages les plus difficiles du texte, que j’avais expliqué à deux reprises, à Toulouse en 1907, à Paris en 1910-1911, pour les interprétations les plus sujettes à controverse, enfin pour la théorie exposée dans l’Introduction au sujet de l’irréalité du roman d’amour de notre poète. Nous avons, du reste, revu le manuscrit ou les épreuves l’un de l’autre et il nous serait souvent impossible de préciser, dans le détail, ce qui revient à chacun. Notre ouvrage est donc un édifice bâti à frais communs, pour lequel nous entendons payer solidairement et indivisément le tribut dû à la critique.
Notre travail a été souvent interrompu et parfois poursuivi dans des circonstances gênantes, je veux dire à une époque qui nous tenait éloignés de la plupart de nos livres ou notes. C’est ce qui explique le nombre des « additions et corrections » qu’on trouvera à la fin du volume. Toutes les fautes que nous y avons relevées ne sont pas, au reste, imputables aux circonstances. Il est certaines omissions ou bévues dont nous nous accusons avec toute la modestie qui convient. Puisse le lecteur ne pas en trouver beaucoup d’autres.
A. JEANROY.
Saint-Jean (Haute-Garonne), 15 août 1912. (↑)
INTRODUCTION
I.
La « biographie » contrôlée par les poésies.
S’il était assuré que Uc de Saint-Circ, en dehors des biographies de Bernart de Ventadour et de Savaric de Mauléon, en a écrit d’autres, comme le supposent Chabaneau et Gröber (3), on serait autorisé à penser qu’il a aussi composé la sienne propre, et on pourrait appuyer cette hypothèse sur deux faits. D’abord, on y rencontre deux italianismes (amparet pour apres et com au sens de ab, « avec ») ; or, Uc a longtemps habité l’Italie, où probablement il est mort. Puis, nous lisons dans la Biographie : gran ren amparet de l’autrui saber e voluntiers l’enseingnet a autrui (4).
Par là, cette « autobiographie » gagnerait infiniment en autorité. D’ailleurs, nous verrons qu’elle ne contient aucun fait qui soit en contradiction formelle avec les données fournies par les pièces. Nous la suivrons point par point, en la divisant en un certain nombre de paragraphes et en essayant de la compléter au point de vue chronologique.
I. Naissance et jeunesse. — Thégra est un village du canton de Gramat, arrondissement de Gourdon, à environ 6 kilomètres à l’est de Rocamadour. Quant à Saint-Circ, dont était originaire le père du troubadour et dont celui-ci prit le nom, l’identification de ce lieu n’est pas sans présenter quelque difficulté. La seule localité qui corresponde à peu près aux indications données par la Biographie est la « grange de Saint-Cyr », portée sur la carte de l’état-major nº 194 (Gourdon) ; elle n’est très distante ni de Rocamadour (5 kilomètres environ au sud-est, à vol d’oiseau), ni de Thégra, mais elle n’est en aucune façon située al pe de l’église du célèbre pèlerinage : celle-ci est accrochée à mi-pente au rocher calcaire qui domine le cours de l’Alzou ; au fond du ravin, il n’y a place que pour quelques maisons et un château fort n’a jamais pu y être édifié. C’est cependant la seule localité à laquelle on puisse songer, Saint-Circ-la-Popie (arrondissement de Cahors, canton de Saint-Géry), Saint-Cirgues (arrondissement de Figeac, canton de La Tronquière), et même Saint-Cirq-Madelon (arrondissement et canton de Gourdon) étant beaucoup trop éloignés de Thégra et de Rocamadour (5).
Il n’y a aucune raison de douter de l’exactitude des informations du biographe sur l’éducation cléricale qu’aurait reçue notre troubadour. On sait que les poètes provençaux se recrutaient souvent dans le monde du clergé (6). Les valens homes et les valens domnas dont Uc aurait étudié les faits et les écrits pourraient bien n’être que les poètes et les poétesses d’alors.
II. Période toulousaine. — On trouvera les détails de la datation que nous allons proposer dans les commentaires que nous avons ajoutés aux pièces. Ni la mention du Dauphin d’Auvergne (V), ni celles de la vicomtesse de Benauges (XIII), ni celle de la comtesse de Montferrand (III) ne nous permettent une conclusion un peu précise ; nous apprenons par là seulement que c’est dans les trente premières années du treizième siècle que Uc a dû vivre en Languedoc. Ses rapports avec Savaric de Mauléon (voyez le commentaire du nº VI) se placent, d’après les poésies, entre 1211 et 1219. Ses tensons avec le vicomte de Turenne contiennent des allusions à la guerre contre les Albigeois, celles qu’il a échangées avec le comte de Rodez (XXXVII et XXXVIII) semblent se placer entre 1214 et 1222 (date incertaine de la mort d’Henri Ier de Rodez), tandis que le nº XLIII paraît antérieur à 1219, année incertaine de celle de Marie de Ventadour. La pièce VIII, dédiée à Sancha d’Aragon, a dû être écrite entre 1211 et 1226, et plutôt dans les environs de 1220.
Tout considéré, c’est bien entre 1211 et 1220 que Uc a dû vivre en Languedoc. On ne peut savoir quelle part il a prise aux opérations militaires ; il semblerait, d’après la pièce XXXVII, qu’il a servi sous le comte de Rodez, et les tensons échangées avec le vicomte de Turenne paraissent autoriser la même conclusion.
Par contre, les poésies ne confirment ni les phrases de la Biographie : estet lonc temps en Gascoigna paubres, cora a pe, cora a caval, ni le fait que la vicomtesse de Benauges l’aurait mis en rapports avec Savaric de Mauléon, ni enfin le séjour qu’il aurait fait en Poitou. Mais tout cela est parfaitement vraisemblable ; il a pu accompagner son protecteur dans ses déplacements.
III. Séjour en Espagne. — Ici encore, la Biographie seule nous renseigne : des poésies qui nous restent aucune n’a été écrite en Espagne. On peut se demander s’il est probable qu’étant en Espagne il n’ait pas fait de chansons ou que toutes celles qu’il y aurait faites se soient perdues. Deux fois seulement l’Espagne semble mentionnée dans ses œuvres : aux vers 15-16 de la pièce XXXVII, le comte de Rodez exprime le souhait de le voir au fond de l’Espagne ; au vers 16 du nº XL, l’interlocuteur d’Uc, Giraut, regrette que Uc ne l’ait pas accompagné « au delà de Moncat (7) ». Ces deux passages, s’ils permettent une conclusion, feraient plutôt croire que Uc, jusqu’à ce moment, n’avait pas visité l’Espagne (8).
IV. Séjour en Provence. — La tenson que Uc a échangée avec Guillaume des Baux (XXXIX) est antérieure à 1218. La chanson dédiée à la comtesse de Provence (II) est peut-être antérieure à 1219.
Si l’on pouvait savoir que c’est en se rendant en Italie que Uc a passé quelque temps en Provence, on pourrait préciser les dates de sa période toulousaine (ci-dessus, sous II).
V. Période italienne. — On ne connaît pas le motif qui a poussé Uc à s’expatrier. Casini, dans son étude sur « les troubadours dans le pays de Trévise (9) », établit des rapports entre ce départ et la guerre des Albigeois ; à tort, probablement, car nous voyons, inversement, Sordel, vers 1229, quitter l’Italie pour le midi de la France. D’ailleurs, une visite à l’Italie faisait en quelque sorte partie du programme des poètes provençaux de cette époque. Et puis Uc ne semble pas s’être intéressé beaucoup au sort des hérétiques ; nulle part, il ne parle des horreurs de la croisade, lui qui plus tard trouvera des accents indignés pour flétrir les cruautés d’Ezzelino (10).
Les poésies que Uc a écrites en Italie se placent entre 1220 et 1253. Suivant la Biographie, il épousa une femme de Trévise, et, après son mariage, il ne fit plus de chansons. Cela est confirmé par ses œuvres, car, sauf une exception (XV), toutes les poésies écrites en Italie sont des sirventés, des tensons ou des « coblas ». Or, l’étude des pièces (voyez le commentaire du nº XLI) nous apprend que c’est dans les années immédiatement postérieures à 1220 qu’il a dû être en rapport avec la cour de Malaspina, où vivait Selvaggia d’Auramala, destinataire de la chanson XV. De sorte que rien n’empêche d’admettre qu’il s’est marié peu après son arrivée en Italie, ce qui d’ailleurs s’accorde bien avec l’âge qu’il a dû avoir à cette époque ; en effet, d’après ce que nous avons constaté plus haut, il devait avoir entre trente et quarante ans lorsqu’il quitta sa patrie.
Les poésies nous apprennent que, outre un séjour à la cour d’Auramala, il a vécu à la cour des da Romano, à Trévise et dans les environs, ce qui corrobore le renseignement de la Biographie au sujet de son mariage ; il a sans doute été aussi ailleurs, peut-être à Pise (XXX), en Toscane et dans les Marches (XLI) (11). (↑)
II.
Classement des chansons et critique des « razos ».
Il y a, dans la Biographie, un passage que nous n’avons pas encore relevé : Cansos fetz de fort bonas et de bons sons e de bonas coblas et anc no fo gaires enamoratz. Mas se saup feigner enamoratz ; et ben saup levar las soas dompnas et ben decazer, quant el lo volia far, ab los sieus vers et ab los sieus digz.
N’attachons pas trop d’importance à cette dernière information ; c’est un lieu commun dans la poésie des troubadours, et c’est dans une des poésies de Uc lui-même (VII, 9-10) qu’au besoin le biographe aurait pu la trouver. Mais les premières lignes nous amèneront à discuter, pour ce qui est des poésies de Uc, la question que MM. Wechssler (12) et Strónski (13) ont remise à l’ordre du jour, celle de savoir si la poésie des troubadours est fictive ou repose sur une réalité concrète.
Les poésies de Uc ne nous renseignent pas sur la femme ou les femmes qu’il a aimées. Quand, dans la « tornada », il en nomme une, ce n’est jamais celle qui fait l’objet de la poésie ; ses envois, quand ils contiennent un nom, — ce qui n’est pas le cas pour IX, X, XI et XII, — servent à rendre hommage à un haut personnage. Aussi on ne trouve, chez Uc, guère de noms fictifs ; on n’en rencontre que dans IV, où Desir paraît cacher un nom de femme, à moins que ce nom ne soit une personnification d’Amour, et dans XXIV, où Ma Vida ou M’Ajuda doit être un « senhal » désignant un confrère. Les tornades de II, V et XIV disent expressément que celles à qui les chansons sont adressées ne sont pas celles dont il s’agit dans la pièce ; celles de VI et de VII sont envoyées à Savaric, à qui l’auteur demande conseil au sujet de ses amours.
Il serait imprudent d’expliquer par cette particularité les paroles : Anc no fo gaires enamoratz, mas se saup feigner enamoratz ; car c’est là encore une de ces phrases qu’on rencontre plus d’une fois. Ainsi Folquet de Marseille dit la même chose d’un troubadour, probablement Bertran de Born, et d’un autre, qu’on n’a pas réussi à identifier (14). Cette phrase ne prouve donc rien, ni pour ni contre la réalité des sentiments exprimés par Uc. Mais l’absence du nom, fictif ou réel, de la femme aimée dans toutes les chansons sans exception nous permettrait l’hypothèse que toutes ou plusieurs ont pour objet la même femme, fictive ou réelle, si cette hypothèse se laissait étayer par d’autres arguments. Et, si nous ne nous trompons, c’est bien le cas. Nous croyons, en effet, que treize des quinze chansons forment un groupe et représentent les différentes phases de ce qu’on pourrait appeler un roman d’amour, dont nous discuterons plus tard le rapport avec la réalité.
Les chansons I, II, III et IV présentent ce trait commun qu’elles débutent par les mêmes images, complaisamment développées, nous voulons dire la personnification des yeux et du cœur de l’amant, opposés entre eux ou à la personne même de celui-ci. Dans la troisième, les yeux et le cœur de l’amant, ainsi que lui-même, sont simplement considérés comme les victimes de l’Amour ; dans la première, son cœur et ses yeux sont pour lui des ennemis qu’il s’efforce en vain de fuir ; dans la seconde, ces ennemis, unis à deux mauvais « seigneurs » (sa dame et l’Amour), le tuent ; dans la quatrième, ses yeux triomphent de son cœur, son cœur et ses yeux réunis triomphent de lui-même, et tous finissent par succomber, car le cœur, se comportant en traître, fait tuer l’amant et ses yeux par la dame, qui finit par le tuer lui-même (15).
De ces chansons, la quatrième appartient, en outre, à un groupe formé par les neuf autres chansons de Uc et trois poésies que nous avons imprimées parmi les sirventés (XVI, XVII et XXV), et qui, ainsi que nous l’avons dit, se laissent sans effort ranger de façon à former les différentes étapes d’un amour malheureux. Il est à noter que toutes les chansons qui en font partie, à en juger par les noms que contiennent les tornades (quand elles en contiennent), se rattachent aux années où Uc était encore en France.
Nous allons maintenant résumer brièvement le contenu de ces pièces, en les plaçant dans l’ordre requis.
[I, II, III]. Le poète a longtemps été aimé de sa dame (16), mais depuis il a constaté avec douleur qu’il n’est plus seul à l’être. Il se plaint de la froideur que lui témoigne sa dame. Il l’aime éperdument et il fera son possible pour la rendre plus humaine ; il chérit la douleur qu’il éprouve à cause d’elle. Aucune autre femme ne pourra la remplacer dans son cœur (a) (17).
[VI] (18). Le poète proteste toujours de son intention de rester fidèle à sa dame. Mais dès maintenant, nous surprenons en lui un mouvement de révolte à la pensée qu’il sera obligé d’aimer toujours sans espoir de retour (vv. 10-15) ; il insiste sur l’effort qu’il doit faire pour continuer à l’aimer (vv. 28-29) ; il se décourage et demande à Savaric s’il doit porter ses hommages ailleurs.
[VII]. Le sujet est le même, mais les plaintes et les protestations d’amour sont plus violentes. Sa dame aurait tort de refuser ses hommages, parce que, comme poète, il peut lui donner la gloire. Il se dit que le seul parti à prendre, c’est de la quitter, mais il ne le peut pas. Il supplie Amour de le contenter et de ne pas le laisser mourir inconsolé ; si sa dame ne veut pas de lui, il n’en aimera pourtant pas d’autre (a). Il dit à Savaric que, quoi qu’on puisse lui rapporter d’elle, il ne la quittera pas avant de s’être assuré par lui-même que ce qu’on dit d’elle est la vérité (b).
Voilà la première allusion aux bruits défavorables qui circulent sur sa dame ; ce n’est qu’une petite égratignure ; nous verrons que les traits ne tarderont pas à devenir plus incisifs.
[VIII]. Le poète n’a pas de quoi faire une chanson gaie qui serait inspirée par des sentiments vrais ; il en fera donc une à double face (i). Les amants fidèles sont méconnus et Amour accueille bien les arrogants. Les femmes sont perfides et ne se respectent pas, de sorte que, pour avoir du succès auprès d’elles, il faudrait se prêter à leurs mensonges. Une femme peut déchoir rien qu’en faisant semblant de prendre plaisir à ce qui ne doit pas lui plaire (c), car de là naissent des bruits fâcheux (b), qui séparent ceux qui ont été liés. Que la dame ne s’attende pas à voir le poète fermer les yeux à ce qu’il aura vu. Et pourtant celui-ci ne pourra jamais ôter de son cœur celle qui le rend misérable ; la dame aura beau le maltraiter, il lui restera fidèle (a).
Mais, malgré l’énergie de ses protestations, nous voyons qu’il commence à se détacher de sa dame ; déjà il la menace au cas où il constaterait la vérité de ce que l’on raconte d’elle ; déjà il l’avertit d’éviter même les apparences d’une mauvaise conduite.
[IX]. Le poète est ballotté entre la joie et le chagrin (i). Les amantes ingrates ont fait déchoir l’amour ; elles ne peuvent plus être fidèles. Le poète a, pendant quelque temps, fermé son cœur à l’amour, mais il est à bout de forces et accourrait sur un seul signe de sa dame. Il termine par un nouvel avertissement : on reconnaît les femmes honnêtes à leur conduite dans le monde. Donc, si vous voulez rester honnête femme, évitez même de faire semblant d’aimer les folies (c). Mais il ne lui convient pas d’en dire plus long (d).
Cette dernière phrase fait sous-entendre que le poète a déjà des preuves de l’inconduite de celle qu’il aimait ; mais il suppose encore qu’elle n’est qu’étourdie ; il insiste sur son inconscience ; il ne croit pas encore à sa faute.
[X]. Il a longtemps attendu (j) pour trouver la matière d’une chanson gaie qui serait en même temps vraie ; il n’y a pas réussi ; il en fera donc une qui sera mi-partie (i). Il se rappelle avec tristesse le temps où il était aimé de sa dame. Puis, sans transition, il revient à son thème. Une folle seule croit se relever par ce qui, en réalité, l’abaisse, et pour avoir fait parler d’elles, plusieurs femmes de mérite ont perdu leur gloire, qu’elles espéraient, justement augmenter par là (c). Et si elle tombe, elle ne peut plus se relever. Mais, quoi qu’il arrive, le poète n’aimera jamais une autre femme (a).
Donc, il continue à mettre sa dame en garde contre une certaine liberté de conduite ; il lui montre les dangers que court la femme qui aime à faire parler d’elle.
[XVII]. C’est un grand malheur pour un ami que d’apprendre les mauvais bruits qui circulent au sujet de la femme aimée (b) ; il en a dit assez pour que les gens avertis le comprennent (c) ; il n’entend pas se plaindre, mais seulement avertir sa dame que c’est une grave faute d’accorder ses faveurs à un indigne (e). Il la prie donc de bien choisir son amoureux et de ne rien faire qu’on ne puisse pas excuser.
Déjà, ce n’est plus seulement d’apparences d’inconduite qu’il est question ; le poète paraît certain que sa dame se laisse faire la cour par des hommes dont la société ne lui fait pas honneur. De son amour pour elle, il ne parle plus.
[XI]. Il ferait volontiers une chanson gaie, mais il n’a aucune raison d’être gai (i). Il a longtemps été malheureux (j) et il renonce à celle qu’il aime, mais il en souffre cruellement. Et encore il se consolerait de son malheur, il cesserait de se plaindre, s’il ne s’agissait que de lui ; mais ce qui l’irrite, c’est de voir que sa dame, pour le punir de l’avoir aimée, se conduit de telle façon qu’elle perd l’estime des honnêtes gens. Lui ne saurait aimer une femme qui se promet à tous (e), car alors ce n’est plus un honneur d’être distingué par elle ; et d’ailleurs, une dame intelligente et adroite peut bien s’attacher plus d’un ami, tout en respectant son honneur et sans donner à tous de l’espoir.
Ainsi, il ne s’agit plus maintenant de bruits fâcheux causés par une certaine légèreté de sa dame. Les accusations se précisent ; le poète n’a plus foi dans l’innocence de celle qu’il a aimée. Il va briser les derniers liens.
[XII]. Désormais, il ne demande plus aucune faveur à sa dame ; il ne cherchera plus à se réconcilier avec elle ; il lui souhaite tout le mal possible. Puisse-t-elle aimer quelqu’un qui ne l’aime pas (f). Mais il ne lui convient pas de dire d’elle des choses qu’une autre pourrait lui reprocher (d).
[XVI]. Il lui rend sa liberté, mais en lui donnant le conseil de s’enfermer, parce que sa conduite dans le monde est révoltante. Cependant il ne veut pas insister (d).
[XXV]. Il maudit son amour et annonce qu’il s’est tourné vers une autre dame.
[XIII]. On ne doit pas servir un seigneur perfide (g). La dame que le poète a aimée en est la preuve. Puisse Dieu, pour la punir, lui donner un amant déloyal (f). Mais le poète a gagné les bonnes grâces d’une autre dame, belle et gaie ; il craint de la perdre et promet de ne pas être exigeant.
[XIV]. Délivré d’un mauvais amour, il s’adresse à une dame plus loyale. Cette dame, il l’avait déjà aimée avant celle qu’il vient de quitter ; qu’elle ne le lui reproche pas, car, grâce à ses malheurs, il a compris combien est fou celui qui quitte son bon seigneur (g). Il l’en aime mille fois davantage. Il sait qu’il est indigne de pardon, mais à tout péché miséricorde. Il est encore loin, et déjà il est jaloux d’elle. Il envoie sa chanson à Azalaïs d’Autier, pour qu’elle sache qu’il a quitté la mauvaise voie.
[IV]. Il aime, mais il hésite à déclarer son amour ; toutefois, il espère que sa dame aura pitié de lui. « Amour, je serai votre esclave, car celle que j’aime maintenant vous fait mettre fin, à mon profit, à tous les torts que vous aviez envers moi. »
En résumé, le poète a aimé une dame qui, peu à peu, s’est laissée aller à son penchant pour les succès mondains. Sa folle coquetterie l’a fait sortir de la réserve nécessaire et sa réputation en a souffert. Malgré les avertissements réitérés de son amant, elle a laissé courir les mauvais propos et, pour retenir les adorateurs, elle leur a accordé des faveurs non équivoques. Le poète, alors, l’a abandonnée à son sort et est revenu à celle qu’il aimait avant que la coquette se fût emparée de son cœur. Il trouvera auprès d’elle la sécurité qu’il cherche, car il reconnaît que ce fut, de sa part, une grosse erreur de la quitter pour une autre moins digne.
Il n’est donc pas douteux que ces poésies se rapportent aux mêmes faits, réels ou fictifs. Et le lien qui les unit se montre aussi dans les assez nombreuses pensées communes que nous avons mises en relief et que voici : a. Le poète n’aimera aucune autre femme ; b. des bruits fâcheux circulent au sujet de la dame ; c. une femme doit éviter même les apparences de la mauvaise conduite ; d. le poète se gardera bien de donner des détails ; e. la dame est volage ; sa conduite finit par être scandaleuse ; f. le poète lui souhaite un amoureux déloyal ; g. le poète préfère le bon seigneur au mauvais ; i. le poète ne saurait trouver dans la réalité matière à une chanson joyeuse ; il en fera donc une à double face ; j. il a longtemps souffert.
Sans doute, ces pensées ne sont pas nouvelles ; on les retrouve chez d’autres troubadours. Mais, si nous ne nous trompons, chez aucun elles ne reviennent aussi régulièrement et avec tant d’insistance.
Une autre particularité qui donne à l’œuvre de Uc une physionomie spéciale, c’est qu’elle est remplie d’allusions à des faits déterminés.
Ces poésies reflètent-elles un épisode amoureux de la vie du poète ou ne sont-elles qu’un badinage auquel on a donné l’apparence de la réalité ? Telle est la question délicate qui nous reste à aborder.
Nous exposerons d’abord les arguments qui semblent militer en faveur de la réalité.
Le plus spécieux consiste en ceci que certains détails de cette histoire semblent confirmés par les razos.
La première, celle de la pièce X, se trouve dans N² et relate ce qui suit : « Uc de Saint-Circ aimait une dame du pays de Trévise, appelée Stazailla, et il la servit et l’honora et fit pour elle de jolies chansons. Et elle agréa ses hommages et lui promit de le récompenser. Mais c’était une dame qui voulait que tous les hommes de valeur qui la voyaient fussent amoureux d’elle, et elle acceptait leurs hommages et leur faisait des promesses. Uc se brouilla avec elle. Mais elle ne craignait ni le blâme ni les mauvais bruits. Et Uc attendait chaque jour qu’elle se réconciliât avec lui et lui donnât matière à une chanson gaie. Et voyant qu’elle ne venait pas, il fit la chanson qui dit : Lonjamen ai atenduda. »
On sait que les razos de N² ont été faites d’après les poésies auxquelles elles servent d’introduction (19). En effet, tout le récit qui précède a pu être tiré de la poésie X, sauf la mention du nom de la dame. Cette mention suffit-elle à nous faire admettre, contrairement à ce que nous savons de l’origine des razos de N², qu’ici l’auteur a puisé à des sources différentes ? Remarquons que la pensée de localiser à Trévise un épisode amoureux de la vie de Uc a pu être suggérée à l’auteur de la razo par la biographie, qui dit que Uc habita ce pays et s’y maria.
Quant au nom de la dame, il est obscur. Casini (20) croit que Stazailla pourrait être une déformation d’Ostasiella, diminutif d’Ostasia. Mais c’est là une supposition gratuite et peu probable, à cause de la diversité des noms ; d’ailleurs, elle ne permet aucune identification. Comme on s’attendrait à trouver le titre de Na devant le nom, on pourrait supposer que Stazailla est une faute d’écriture pour N’Azailla, qui pourrait être une altération de celui d’Azalaïs d’Autier, dont il sera question plus loin. Quoi qu’il en soit, jusqu’à plus ample informé, cette razo ne saurait être un obstacle à notre groupement.
Maintenant, voici ce que nous raconte la razo de XIV, contenue dans P : « Uc de Saint-Circ aimait une dame d’Anduze appelée Clara, qui aimait à ce qu’on parlât d’elle de près et de loin, et désirait avoir l’amitié et jouir de l’intimité des bonnes dames et des hommes de valeur. Et Uc sut la bien servir en ce qu’elle désirait le plus, et fit en sorte que Clara entra en relations avec toutes les bonnes dames de ces contrées, si bien que toutes lui envoyèrent des lettres et des « salutz » et des « joias ». Et Uc faisait les réponses. Elle agréait les hommages de Uc et lui promit de lui être agréable. Uc fit à son sujet beaucoup de belles chansons, et elle y prit grand plaisir. Leur amour dura longtemps, et il y eut entre eux beaucoup de querelles et de réconciliations. Or, elle avait une voisine très belle, appelée Ponsa, qui était jalouse de la célébrité de Clara et de l’honneur que Uc lui avait fait acquérir. Pour attirer Uc, elle lui fit dire que Clara avait un autre amant qu’elle aimait mieux que lui, et elle lui promit de faire et de dire ce qu’il voudrait. Uc, n’étant ni fidèle ni constant, se sépara de Clara et commença à dire du mal d’elle et à louer dame Ponsa. Dame Clara fut très irritée, mais ne se plaignit pas de lui. Uc fut longtemps l’ami de Ponsa, mais elle ne tint pas sa promesse. Uc, se voyant trompé, fut triste et s’en alla chez une amie de Clara et lui fit connaître les raisons pour lesquelles il s’était éloigné de Clara et la pria instamment de faire la paix entre elle et lui. Cette amie lui promit de faire son possible ; elle parla à Clara, et elles convinrent que Uc serait admis à parler avec elles deux ; et ainsi la réconciliation eut lieu. Au sujet de quoi fut faite la chanson : Anc mais non vi tems ni sazo ».
Ici, la question est plus compliquée, car l’auteur de P nous donne des détails qu’il n’a pu trouver ni dans la poésie ni dans la biographie. On ne saurait nier qu’entre ce récit et le roman tel que nous l’avons reconstruit au moyen des poésies, il y ait une ressemblance frappante. Il est vrai qu’il y a aussi des différences. Car le reproche de coquetterie est adressé, dans la razo, à la première amante, à laquelle le poète revient, tandis qu’il ressort des poésies que c’est la seconde qui serait coupable. On pourrait se tirer de cette difficulté en mettant en relief la phrase de la razo qui dit, de Ponsa aussi, qu’elle était jalouse de Clara et de l’honneur que Uc lui avait fait acquérir. Quoi qu’il en soit, des rapports entre les deux versions sont indéniables, et cette concordance pourrait être un argument en faveur de l’authenticité de l’histoire. De plus, parmi les détails qu’ajoute la razo, il y en a qui semblent confirmer que nous avons affaire à une histoire réelle. En effet, cette Clara d’Anduze a pu être identifiée avec une poétesse dont il nous reste une poésie (21) qui se signale par l’accent passionné des protestations d’amour qu’elle contient ; on dirait une femme qui, poussée à bout par les calomnies, oublie tout pour sauver son amour. Et ces vers trouveraient tout naturellement leur place dans notre roman : la dame, injustement accusée, aurait taché de convaincre le poète qu’elle l’aime toujours ; rappelons-nous que Ponsa, d’après la razo, avait répandu le bruit que Clara avait pris un autre amant.
Enfin, ce qui semble devoir appuyer encore l’hypothèse de la réalité de toute cette histoire, c’est le fait qu’Azalaïs d’Autier, à qui, dans la tornada de XIV, le poète dit qu’il est guéri de son erreur, et qui est sans doute l’amie que la razo fait entrer en scène, pourrait bien être une personne en chair et en os. On sait, en effet, que Crescini (22) a découvert qu’une lettre en vers, que Bartsch (23) considérait comme anonyme, a été écrite par Azalaïs d’Autier, qui se nomme au vers 6. Cette lettre est adressée à une certaine Clara (v. 99) qu’Azalaïs supplie de pardonner à un amoureux désespéré ; elle se qualifie de son « amie » (24).
En résumé, s’il s’agit ici d’un amour réel, les poésies de Uc doivent attaquer Ponsa, et Uc a dû revenir à Clara, qu’auparavant il aurait laissée pour Ponsa.
En dépit de ces arguments, nous avons de la peine à admettre la réalité de cette histoire, surtout parce que, à chaque pas, nous nous heurtons à des situations traditionnelles.
C’en est une d’abord que nous trouvons dans les chansons XIII et XIV et dans la cobla XXV. La chanson de « change » (pour employer un mot qui, du moyen-âge au XVIIe siècle, a désigné l’inconstance en amour) eût dû être, au même titre que le « comjat », classée comme variété de la chanson. Les troubadours entendaient-ils flatter la dame de leurs pensées en lui protestant qu’ils la préféraient à une rivale longtemps adorée, ou piquer sa jalousie en lui faisant croire qu’elle était déjà remplacée dans leur cœur ? Cherchaient-ils simplement à introduire un peu de nouveauté dans une forme poétique envahie par la banalité ? Cette dernière hypothèse nous paraît la plus vraisemblable, à cause du retour fréquent de ce thème dans leurs œuvres (25). Le plus souvent, ils allèguent simplement l’intraitable cruauté de leur dame ; parfois, ils nous révèlent qu’ils ne font que suivre l’exemple qu’elle leur a donné (26). Mais le fond de ces pièces est, en somme, le même : « Je suis découragé de courtiser une femme cruelle, ou coquette, ou avide, et je me pourvois ailleurs, où j’ai l’espoir d’être mieux traité. » On voit que c’est, à peu de chose près, celui des deux chansons de notre poète.
Son histoire, il est vrai, se distingue de celle de ses confrères par deux traits particuliers :
1º Uc prétend revenir (ceci résulte du texte même de la chanson XIV), après une expérience malheureuse, à l’objet de ses premières amours, qui consent à lui pardonner son équipée ;
2º Ce pardon (et ce détail, qui ne trouve aucun appui dans les œuvres mêmes du poète, ne nous est relaté que par une razo) lui aurait été accordé à la suite de la bienveillante intervention d’une tierce personne.
Mais ces deux traits eux-mêmes ne sont pas sans précédents ou sans parallèles : Pons de Capdeuil reconnaît que, pour éprouver son amie, il a porté ses hommages ailleurs (Qui per neci cuidar, c. 2 et 4) (27), et G. d’Ussel se félicite que sa dame lui ait pardonné une faute qui ne pouvait guère être différente de celle-là (Ges de chantar, c. 1). La Biographie enfin de G. Faidit raconte de lui, avec force détails, une histoire tout à fait analogue (28).
Quant à l’intervention de tierces personnes procurant une réconciliation entre amants, elle est aussi attestée par des textes et mentionnée par les Biographies. Une cobla bien connue (29), une tenson récemment imprimée (30), nous montrent Iseut de Capnion et une donzela anonyme jouant ce rôle de bienveillante intermédiaire, qu’une cobla de Giraut de Borneil demande à une autre donzela d’assumer auprès de sa maîtresse (31). Ce rôle est tenu par un homme dans la Biographie de Guillem de Balaruc (32), par trois dames dans celle de Pons de Capdeuil (33). Est-il besoin, enfin, de rappeler la chanson où Ricaut de Barbezieux implore l’aide de la « cour du Puy » et des « loyaux amant », et le petit roman qui commente et explique si gracieusement ce texte ?
Mais c’est surtout le parallèle qui s’impose entre l’histoire amoureuse de Raimon de Miraval et celle de Uc qui nous rend sceptiques. Les reproches que le premier adresse à Mais d’amic sont très analogues à ceux dont Uc de Saint-Circ accable la femme qu’il va quitter (34). D’après M. Andraud (35), une seconde dame aurait intrigué pour le brouiller avec Mais d’amic et il aurait invoqué le secours d’une troisième dame pour le réconcilier avec sa première amante. Andraud ajoute : « Il semble bien que cette intrigue échappe, avec ses incidents suggestifs et variés, à la banalité ordinaire des histoires d’amour dont, trop souvent, nous entretiennent les poètes provençaux. » Il ajoute : « C’est bien un épisode authentique dont les acteurs nous sont presque tous connus, une page curieuse à ajouter définitivement à l’histoire des mœurs du temps. » Nous ne savons ce qu’il faut penser du roman de Miraval ; mais en ce qui concerne celui de Uc, nous sommes d’autant moins portés à le croire véridique qu’il ressemble plus à celui de son confrère.
Enfin, la lettre d’Azalaïs a bien l’air d’avoir été faite après coup. La circonstance que l’auteur s’y nomme a de quoi nous étonner (36) ; et nous nous demandons si nous n’aurions pas affaire à l’œuvre d’un poète qui, connaissant la poésie de Uc et la razo, se serait amusé à mettre en action les personnages du roman (37). D’ailleurs, remarquons que ce pourrait être aussi le cas pour la poésie de Clara, car nous ne connaissons cette dame que par cette seule poésie et la mention de son nom dans la razo.
Il reste en somme ceci : Uc est le seul des troubadours qui ait fait un recueil de poésies se rapportant au même sujet (38) et que rien n’empêche d’attribuer à la même époque, très restreinte, de sa vie (39).
Burdach, dans une étude sur « Reinmar le Vieux et Wallher von der Vogelweide », caractérise la poésie provençale par ces mots : « Das absichtliche Nachleben eines Liebesromans », et c’est bien comme cela que se présente à nous cette partie de l’œuvre de Uc : c’est bien un « roman vécu ». (↑)
III.
Métrique.
Nous résumerons ici les renseignements sur la métrique de Uc, qu’on retrouvera sous une forme plus détaillée dans les notes ajoutées à chaque poésie. Cette métrique donne lieu à trois remarques générales :
I. D’abord, Uc a plus d’une fois employé le même mètre pour plusieurs poésies. L’identité est la plus complète pour les numéros VI et XII, qui ont jusqu’aux mêmes mots à la rime. On trouve le même ordre des rimes, les mêmes rimes et le même nombre de syllabes dans II et XXVI et dans XVIII et XXI ; le même ordre des rimes et le même nombre de syllabes dans I et X, VII et XXX, XIX et XLII (aussi dans XIV et XXXV, avec une légère différence) ; le même ordre des rimes dans I-X-XV, II-III-XXVI, VI-XII-XXII, IV-XXIX-XXXVIII. Enfin, l’ordre des rimes dans I-X-XV présente une grande analogie avec celui de IV-XXIX-XXXVIII.
II. Dans trois pièces, Uc a employé un schéma compliqué ; ce sont : V, XIII et XXVII.
III. Uc montre une certaine indépendance dans le choix des formes. Ainsi six pièces sont construites sur un schéma original, dont on ne trouve pas d’autres exemples ; ce sont : IX, XIII, XXIV, XXVII, XL et XLIII. Dix-neuf pièces ont le même ordre des rimes, et quelques-unes le même nombre de syllabes, que d’autres pièces antérieures, mais des rimes différentes : I, III, IV, VII, VIII, X, XI, XIV, XV, XVI, XIX, XXVIII, XXIX, XXX, XXXI, XXXIII, XXXVII, XLI, XLII. Voici enfin les pièces qui présentent des rapports plus étroits avec des poésies d’autres poètes (40) : XVII (Peirol), XVIII-XXI (P. Vidal), XX (G. de Borneil, 32, non admis par Kolsen ; cf. B. Zorzi, 15), XXII (Arn. Plagues), XXIII (mélodie de Gui de Cavaillon), XXV (Arn. Daniel), XXXII (Gauc. Faidit), XXXIV (P. Vidal, P. de Capdeuil, Sordel XXXIII), XXXVI (Eble d’Ussel), XXXVIII (P. de Capdeuil), XXXIX (tenson de G. Figueira, Aim. de Peguilhan et Bertran d’Aurel ; Gui de Cavaillon ; Gui d’Ussel ; Sordel, avec légère différence). (↑)
PIÈCES APOCRYPHES
I.
Bartsch, 457, 37 : C’est une strophe commençant par : Tal dompna sai q’es de tant franc usatge. Elle se trouve dans H et est imprimée dans Chrestom., 4e éd., col. 299. Comme elle y suit la strophe 4 de la pièce IX de Uc et est suivie de la pièce XXXIII de Uc, on pourrait être tenté de la lui attribuer. Seulement, dans ce cas, le copiste de H n’aurait pas inscrit à nouveau le nom de Uc avant la pièce XXXIII. C’est la strophe 6 d’une pièce de Gaucelm Faidit (167, 5a), imprimée dans Choix, III, 294.
II.
Bartsch, 37, 2 : Per vos bela douss’ amia, imprimé dans P. O., 397, et dans Choix, III, 104. Attribué à Augier Novella dans D, à Augier Niella dans C, à Ugiers de Viena dans F, et enfin à Uc de Saint-Circ dans E. La paternité d’Augier, d’après cela, est assurée.
III.
Bartsch, 46, 1 : Ab joi et ab joven m’apais, imprimé dans Schultz, Dichterinnen, p. 17. Des huit manuscrits, un seul (T) l’attribue à Uc, les autres à la comtesse de Die.
IV.
Bartsch 133, 1 : Abril ni mai non aten de far vers, imprimé dans Mahn, Gedichte, nº CLXXXVI. Un seul ms. (G, et non H, comme le dit Bartsch ; voyez Gröber, Liedersammlungen, p. 663) l’attribue à Uc, huit la donnent sous le nom d’Elias Cairel ; dans un dixième, elle est anonyme.
V.
Bartsch, 133, 14 : Totz mos cors e mos sens, imprimé dans Archiv, XXXIII, 441. Un seul ms. (G) l’attribue à Uc, les dix autres à Elias Cairel.
VI.
Bartsch, 194, 15 : C’est une erreur de Bartsch. Aucun ms. ne l’attribue à Uc.
VII.
Bartsch, 273, 1 : S’ira d’amor tengues amic jauzen, imprimé dans Archiv, XXXV, 451, P. O., 202. Cinq ms. l’attribuent à Jordan Bonel, trois à Jordan de Cofolen (Cofenolt), un seul ne donne pas le nom d’auteur, et un seul (T) nomme Uc.
VIII.
Bartsch, 326, 1 : Tot francamen, domna, veing denan vos. Un seul ms. (T) l’attribue à Uc, neuf autres à différents poètes ; trois ne donnent pas de nom d’auteur. (↑)
NOTES :
1. Les copies ou collations des manuscrits D, G, a1 m’ont été fournies par mon très obligeant ami G. Bertoni, qui n’avait pas encore à ce moment publié les deux derniers de ces manuscrits. (↑)
2. Une première rédaction de celle-ci a été lue, en hollandais, devant l’Académie royale des sciences d’Amsterdam et a paru dans les actes de cette Société (1912). (↑)
3. Chabaneau, Biographies des Troubadours, p. 3 ; Gröber, Die Liedersammlungen der Troubadours, p. 494. (↑)
4. M. Gröber, dès 1884, a supposé que la grammaire dite « de Uc Faidit » était l’œuvre de notre troubadour, alors exilé (faidit) en Italie. (Zeitschrift f. rom. Philol., VIII, 112 ; cf. Romania, XIII, 630.) Ce n’est toujours qu’une hypothèse. (↑)
5. [M’étant livré à une exploration des lieux, voici ce que j’ai constaté : La « grange de Saint-Cyr », composée de deux bâtisses où on abrite les troupeaux, est située dans la partie la plus désolée du causse de Gramat ; on n’y trouve aucune trace de constructions féodales et l’emplacement, sur un plateau découvert de tous côtés et aisément accessible à l’est, eût été très peu favorable à l’édification d’un château fort. Ces masures, situées à 270 mètres d’altitude environ, sont au reste plus élevées que la partie supérieure de Rocamadour (250 mètres environ). Il y a bien, à 2 kilomètres de là, au sud, le château moderne de la Pannonie, mais il est dans une situation très analogue et ne paraît pas non plus édifié sur l’emplacement d’une ancienne forteresse. Ce que dit le Biographe au sujet de la destruction du château de Saint-Circ a pu lui être inspiré par les vers 4-5 de notre pièce XXXV. En ce qui concerne Thégra, qu’il aurait pu confondre avec Saint-Circ, cette localité, située elle aussi en plein causse (à 18 kil. nord-est de Rocamadour), n’est pas davantage « au pied » du sanctuaire.
Il semble donc bien que l’auteur de la Biographie ignorait tout des lieux qu’il a mentionnés, ce qui exclut l’hypothèse que cet auteur se confondrait avec le poète. Il suffirait, pour avoir une marge beaucoup plus étendue, de supposer que al pe est une faute pour al prep (on trouvera dans Levy quelques exemples anciens de cette forme) ; mais j’avoue que la correction me paraîtrait bien hardie. — A. J.] (↑)
6. Stengel, Grundriss der romanischen Philologie, II², pp. 18 et 19. (↑)
7. Moncat doit probablement être identifié à Moncada (Catalogne). Cf. note à XL, 16. (↑)
8. Les renseignements donnés par Milà y Fontanals, De los Trovadores en España, pp. 111, 137, 152, reposent uniquement sur la Biographie. (↑)
9. Propagnatore, XVIII (1885). (↑)
10. Il est vrai que, dans les œuvres de Miraval, qui vivait sur le théâtre même des événements et dut assister aux scènes les plus sanglantes, on ne trouve qu’une seule allusion, et très vague, à la guerre. (Voy. Andraud, Raimon de Miraval, pp. 74-6.) (↑)
11. De Lollis, Sordello, p. 4, n. 3. — La Marche dont il y est question peut être celle de Trévise, très fréquentée par les troubadours. (↑)
12. Das Kulturproblem des Minnesangs, Halle, 1909. (↑)
13. Le troubadour Folquet de Marseille, Cracovie, 1910. (↑)
14. Édition Strónski, XII, vv. 47-48 ; XIII, 48-49. Les raisonnements de Wechssler (op. cit., p. 195) sur se fenher amorat sont peu probants. (↑)
15. Pour obtenir ce sens, il a fallu corriger le vers 2 d’une manière qui, espérons-le, ne paraîtra pas trop arbitraire. (↑)
16. Voy. VI, 13 ss. (↑)
17. Les lettres placées entre parenthèses servent à mettre en relief les pensées communes aux différentes poésies et renvoient à la liste de la Introduction, Classement des chansons et critique des « razos ». (↑)
18. On pourrait placer avant cette pièce la chanson V, que nous avons exclue du groupe, parce que le lien qui la relie aux autres n’est pas évident. On y remarquera aussi l’insistance avec laquelle Uc proteste qu’il n’aimera jamais une autre femme (v. 23). (↑)
19. Zingarelli, Su Bernart di Ventadorn, p. 4 (Studj medievali, 1905, I, 309). (↑)
20. I Trovatori nella Marca Trivigiana, déjà cité. (↑)
21. Chabaneau, Biographies, p. 5 ; Schultz, Provenzalische Dichterinnen, p. 26. (↑)
22. Per gli studi romanzi (Padoue, 1892), p. 71 (Zeitschrift f. rom. Philol., XIV, 128). (↑)
23. Jahrbuch, VI, 60-61. (↑)
24. Crescini suppose que la lettre s’applique à une brouille de Uc et de Clara, antérieure à celle dont parle la razo, parce que celle-ci qualifie Azalaïs d’« amie », tandis qu’il résulte de la lettre qu’Azalaïs n’a jamais vu Clara. Mais on constate par la lettre qu’Azalaïs, sans avoir jamais vu Clara, l’adore tout de même (d’un « amour lointain »), de sorte que la razo peut très bien l’appeler une « amie » de Clara. (↑)
25. Nous connaissons une vingtaine d’exemples. Il y en a au moins quatre dans les œuvres de G. Faidit (De faire ; Gen fora ; Jamais nul tems ; Tant ai); deux dans celles de Gui d’Ussel (Ja non cuidei quem desplagues ; Si bem parletz). Les autres sont de A. de Pegulhan (Qui soffrir), E. Cairel (Quan la freidors), P. de Capdueil (Si cum celui), R. de Miraval (Chansoneta), B. de Palazol (Ab la fresca), G. de la Tor (Quant hom), G. de Calanson (Ara s’es), G. de Salignac (Aissi cum cel), Peirol (Camjat m’a), Sordel (Si col malautz), Peire Vidal, Per ces dei et Atressi col perilhans (éd. Bartsch, nos 10 et 16), et un auteur incertain (Longa saso, dans Mahn, Ged., nº 943). Plusieurs de ces pièces sont certainement antérieures à celles de Uc. (↑)
26. Ainsi G. d’Ussel, dans la seconde des pièces citées plus haut. (↑)
27. Ce passage est amplement commenté clans la Biographie (Chabaneau, p. 61). (↑)
28. Chabaneau, p. 30. (↑)
29. Chabaneau, Biogr., p. 74. (↑)
30. Selbach, Streitgedicht, p. 102 ; Schultz, Dichterinnen, p. 29. (↑)
31. Édition Kolsen, I, 366 ; Schultz, p. 13. (↑)
32. Chabaneau, p. 72. (↑)
33. Ibid., p. 61. (↑)
34. Il ne s’y agit pas simplement de reproches à une femme aimée antérieurement, comme par exemple dans Folquet de Marseille, II, 44, V, 34, XV, 70. (↑)
35. Andraud, Raimon de Miraval, pp. 97 et 98. Cf. Annales du Midi, XV, 76. (↑)
36. Les anciens troubadours le font quelquefois. Voyez Strónski, l. l., p. 42. (↑)
37. Il y a aussi certaines contradictions de détail entre la razo et la lettre ; dans la lettre, Azalaïs révoque en doute les torts de Uc (v. 35 s.) que la razo avoue nettement. Cf. la note aux v. 64-5 de la pièce X. (↑)
38. Tout autre chose sont les pastourelles de Guiraut Riquier, que Diez (Leben und Werke, p. X) a comparées avec les Ballades de la Meunière de Gœthe. Voyez Anglade, Guiraut Riquier, pp. 220 et suiv. (↑)
39. Voyez ce que nous avons dit plus haut (p. Introduction, Période toulousaine) des personnes nommées dans ces poésies. (↑)
40. Quelques-unes paraissent postérieures et ont pu être calquées soit sur la pièce de Uc, soit sur le modèle commun ; ces rapports compliqués seraient trop longs à étudier ; nous nous bornons à mentionner en bloc toutes les identités de forme constatées. (↑) (↑) |