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Ricketts, Peter T. Les poésies de Guilhem de Montanhagol, troubadour provençal du XIIIe siècle . Toronto: Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1964.

TABLE DES MATIÈRES:

AVANT-PROPOS

INTRODUCTION

I. LA VIE

II. L’ŒUVRE

III. LES MANUSCRITS

IV. LA MÉTRIQUE

NOTES

 

LES POÉSIES

DE

GUILHEM DE MONTANHAGOL,

TROUBADOUR PROVENÇAL DU XIIIe SIÈCLE

 

 

A mes parents

 

AVANT-PROPOS

 

Pendant les quelques soixante années qui se sont écoulées depuis la publication du livre de Jules Coulet, (*) les études sur les troubadours provençaux ont fait d’énormes progrès. D’autres manuscrits, d’autres idées sont venus apporter une meilleure connaissance de leur langue et de leur poésie.

La préparation d’une deuxième édition de l’œuvre de Guilhem de Montanhagol, suggérée par mon maître, M. John Hathaway, apparaît d’autant plus souhaitable qu’il y a comme base de ce travail non seulement la tradition manuscrite de l’œuvre de Guilhem mais aussi l’excellente édition de Coulet, qui m’a beaucoup encouragé par sa pénétrante étude. Il était resté cependant bien des problèmes à résoudre, bien des domaines à explorer. Y aurait-il d’autres documents qui nous révéleraient d’autres poésies de ce troubadour ou d’autres transcriptions des pièces déjà publiées par Coulet ? Mes recherches n’ont rien révélé de neuf quant au premier élément ; le second n’a pas été des plus féconds.

Je me suis donc efforcé, en me rabattant sur les quatorze pièces publiées, de les reconstruire aussi fidèlement que possible d’après tous les manuscrits, ceux dont s’était servi Coulet et d’autres documents découverts depuis sa publication.

Cette édition est le remaniement d’une thèse de Ph.D., soutenue à l’Université de Birmingham en 1960. Que le Pontifical Institute of Mediaeval Studies trouve ici l’expression de ma gratitude pour avoir publié cette modeste contribution à l’étude des troubadours.

Je ne saurais trop remercier M. John Hathaway, maître de conférences à l’Université de Birmingham, qui a généreusement dirigé mes recherches et a mis à ma disposition toute son érudition, MM. Daniel de Montmollin, Pierre Spriet et Robert Harden, professeurs à Victoria Collège, qui m’ont été d’un précieux secours dans la préparation du manuscrit en vue de la publication, et toutes les bibliothèques qui m’ont fourni des manuscrits et des livres : la Biblioteca Central de Barcelone ; la Biblioteca Civica de Bergame ; la Bibliothèque de l’Université de Birmingham ; la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras ; la Biblioteca del Monasterio de San Lorenzo el Real de l’Escurial ; la Biblioteca Mediceo-Laurenziana de Florence ; la Biblioteca Nazionale Centrale de Florence ; la Biblioteca Riccardiana de Florence ; le British Muséum de Londres ; la Biblioteca Central de Madrid ; la Biblioteca Ambrosiana de Milan ; la Biblioteca Estense de Modène ; la Bibliothèque de l’Université de Montpellier ; la Bibliothèque Nationale de Paris ; le Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto ; la Bibliothèque de l’Université de Toronto ; la Biblioteca Apostolica Vaticana ; l’Institut de Recherche de Paris.

En terminant, il ne me reste qu’à rappeler tout ce que je dois à Jules Coulet, qui, à travers son édition, m’a guidé et encouragé. ()

 

 

INTRODUCTION

 

I

LA VIE

 

Vida.

C. Chabaneau, Biographies des Troubadours (Notes sur l’Histoire de Languedoc, au tome X de l’Histoire générale de Languedoc), p. 303 et (dans l’édition de Toulouse, 1885), p. 303 ; J. Boutière et A. H. Schutz, Biographies des Troubadours (Toulouse, 1950), p. [175],

Deux Mss. a II, f. 36 recto (RlR, XLV, 269 ; MB, p. 55 ; Stengel, La première Partie du Chansonnier de Bernart Amoros (Leipzig, 1902), p. 322) ; a¹ p. 379 (p. 221).

Baseet Orthographe : a.

 

Guillem de Montanghaguout si fo uns cavallers de Proenza e fon bon trobador e grant amador e entendia se e madona Jauseranda del castel de Lunel e fes per leis maintas bonas chanzos.

Variantes du ms.  : montangnhagout, chavaliers.

 

La Forme du Nom.

Il semble préférable d’écrire Guilhem, tout en gardant dans la vida provençale la forme Guillem.

Le nom de famille du troubadour présente plus de difficultés. Coulet l’avait nommé Guilhem Montanhagol, qu’il considère comme le “nom véritable,” quoiqu’il n’ait rien établi. (1) En effet, les mss. présentent une diversité de formes. Coulet justifie la forme Guilhem Montanhagol par les leçons de C et de R. Mais d’abord, R ne donne que le nom de famille, ce qui ne prouve rien, puisqu’il était habituel dans ce cas de faire tomber la particule ainsi qu’en français. C, en revanche, tout en l’appelant “Guillem Montanhagol de Tholoza,” donne, au titre du planh pour Guilhem : “So es us planchs que fes Pons Santolh de Tholoza d’En G. de Montanhagol...” (cf. Appendice II).

Il faut d’abord déterminer la forme du nom de famille. La plupart des mss. donnent Montanhagol. (2)

Pour ce qui est de la particule de, on ne peut considérer que les mss. où se trouve le nom complet, c’est-à-dire, précédé du prénom. Il n’y a que C (et, comme on l’a vu, C n’est pas toujours d’accord), C Reg., F et e, qui donnent le nom sans particule, tandis que E, T, U, a, a¹ et les mss. du Breviari d’Amor, (A), (C), (D), (F), (K), (L), (M), (N) la présentent. (3)

Son nom, Guilhem de Montanhagol, établi, passons à sa vida telle qu’elle se trouve dans la deuxième partie du ms. 2814 de la Biblioteca Riccardiana (a) pour y relever les détails qui concernent l’origine du troubadour et sa carrière. Ce ms. est considéré, comme le dit Coulet, comme une copie du chansonnier de Bernart Amoros. (4) On sait qu’il était chevalier de Provence, qu’il fut bon troubadour et grand amoureux, qu’il fit la cour à dame Jausserande de Lunel (5) et qu’il composa pour elle beaucoup de belles chansons.

Pour ce qui est de la valeur des biographies provençales, les indications de M. Bruno Panvini, dans son opuscule, (6) sont intéressantes. C’est grâce à son résumé qu’il a été possible de découvrir les éléments contradictoires de la vida de Guilhem. (7) L’auteur inconnu de celle-ci n’a pas lu toutes les poésies du troubadour ni reçu de sa source d’information de détails précis sur sa vie. L’auteur voulut sans doute écrire cette biographie d’après le seul poème qu’il connaissait, puisque plusieurs des renseignements se trouvent dans le poème “A Lunel lutz una luna luzens.” (8) Comme on le verra, il n’y a aucune raison de croire qu’il était chevalier, ni qu’il était de Provence. Laissons de côté les deux indications suivantes qui sont tout au plus conventionnelles. Il supposa l’existence d’autres pièces dédiées à la même dame. Coulet, en notant les erreurs du biographe, va cependant un peu loin. (9) Enfin, l’auteur de la vida l’appelle Guillem de Montanghaguout, ce qui, selon toute vraisemblance, n’était pas son nom. L’utilisation de cette forme conduit à des conclusions intéressantes et mène à une tradition manuscrite du XVIe siècle dans les Vies des plus célèbres et anciens poètes provensaux de Jehan de Nostre Dame. (10)

En effet, Coulet fait mention de Nostre Dame à propos de cette forme, car celui-ci avait employé la vida de Guilhem pour servir la famille d’Agoult et pour faire l’éloge d’un Sieur d’Agoult, qui s’appelait Guilhem lui aussi. Il s’agit bien de deux personnages différents, le poète et le seigneur, auquel Nostre Dame attribue les dons de poète du premier. (11)

Il est donc intéressant d’examiner l’édition des Vies, préparée par Chabaneau et publiée par Anglade, où ils présentent le premier jet des Vies imprimées, et, en plus, divers autres documents d’importance. (12)

La base de ces nouvelles données est un ms. de Carpentras (ms. 534-535 [anc. 520]) qui présente la première rédaction des Vies, dont les “sources principales... paraissent être les biographies contenues dans le chansonnier de Sault et celles des commentateurs italiens de Dante et de Pétrarque.” (13) Le texte de ces biographies devait être assez semblable à celui du ms. a de Bartsch, et selon Chabaneau, “les biographies inscrites au recto des 18 premiers feuillets qui restent du ms. de Carpentras... étaient des traductions à peu près exactes des biographies assez brèves contenues dans le ms. a.” (14) C’est le cas pour celle de Guilhem.

Nostre Dame aurait donc pris ses indications dans le chansonnier de Sault, et, puisqu’il est possible de se fier pour une fois à ses renseignements, (15) il apporte quelque chose de plus sur la carrière littéraire de Guilhem. La vida, selon les indications du premier jet des Vies, se trouvait au f. 191 verso du chansonnier de Sault, et il est important de noter que Jehan consacre une biographie au poète lui-même. Donc, au f. 16 recto du ms. de Carpentras, on trouve :

 

Vie de Guilhem de Montagne Agoult (Fol. 191 vº)

Guilhen de Montagne Agoult fut ung chevalier de Provence, bon trouveur et grand amoureux. S’entendit avec Madame Jausserande de Chastel Lunel, pour laquelle feit maintes bonnes chansons. Il adresse ses chansons au Roy de Castille. Il a escrit doctement et a faict un petit livre intitulé : Lou Tractat dels Vycis et Vertus. (16)

 

Il est évident que les renseignements des deux dernières phrases ne sont pas donnés dans la vida telle qu’elle est conservée dans le ms. a. (17) Il est vrai qu’il adresse ses chansons au roi de Castille. N’importe qui, d’ailleurs, aurait pu le savoir en lisant ses poèmes. Ce fait est signalé dans les Vies imprimées.

Ce qui intéresse surtout, c’est l’allusion à l’opuscule, Lou Tractat dels Vycis et Vertus. Serait-ce une invention de Nostre Dame ? Il est probable que non. Quel avantage y aurait-il à fournir des renseignements faux sur un troubadour inconnu dans ce premier jet, ce brouillon, qui n’était pas destiné au public ? Il y a autre chose. Ce n’est pas la seule référence qu’on trouve à cet opuscule de Guilhem.

Un article d’A. Thomas (18) étudie quelques citations de troubadours contenues dans un opuscule de la seconde moitié du XIIIe siècle. (19) Ce livre d’un auteur inconnu, mais, d’après Thomas, probablement italien, (20) est conservé dans deux mss. (21) Il contient des citations de philosophes et de certains troubadours que l’auteur place au même rang que ceux-là. (22)

On retrouve, à la fin du chapitre III (de la deuxième partie), qui commence : “De nobilibus secundum corpus plurium ordo philosophorum...,” une citation d’un “Odantagalus” :

 

Odantagalus dicit quod promptitudo corporis vel levitas dominium habet pedum, sed laus erit si pedes absque stultitia moveantur.

 

Suit une remarque générale :

 

Omnes generaliter virtutes corporee perfecte corpus nobilitant, si recta ratione in suis operibus regulentur. (23)

 

D’après Thomas — et il n’y a aucune raison de rejeter son interprétation — il s’agit ici d’une mauvaise transcription du ms. original pour la majuscule M, ce qui donne une forme Adantagalus, (24) que Thomas commente de la façon suivante :

 

je vois la latinisation maladroite et tronquée du nom du troubadour bien connu, Guilhem Montanhagol. (25)

 

Le chapitre IV de cette deuxième partie contient encore une citation, également omise dans le travail d’Hauréau. Thomas la reproduit dans son contexte sans lequel le sens ne serait pas complet :

 

Et est adhuc quedam vilitas corporis que causatur magis ex complexione cordis. Reperiuntur enim aliqui optime formati et complexionati in exterioribus membris et in tempore necessitatis nullum habent vigorem ; et tales dicuntur communiter pulcri et mali. De istis dicit Montaneolus quod pulcri corpore sine cordis vigore sunt ymagines sine vita. Quod optime dictum est : utrobique apparet quod non existit. (26)

 

Comme Thomas le fait remarquer : (27)

 

On ne saurait douter que sous ‘Montaneolus’ il ne faille voir le troubadour Guilhem Montanhagol, dont il vient d’être question. (28)

 

Pour ce qui est de la vida, elle ne nous a rien appris à part quelques détails imprécis. Il s’agit donc de reconstruire d’après les poèmes du troubadour quelque chose de sa vie et de préciser autant que possible les dates de son activité poétique à défaut de détails plus précis sur sa naissance et sa mort.

Il semble sûr qu’un premier poème, (29) dirigé contre l’Inquisition, date de 1233 ou 1234, époque où Guilhem se trouvait vraisemblablement en France. Il adresse son poème au comte de Toulouse, Raimond VII. Voilà donc une première référence historique certaine.

Par ailleurs, un document historique, datant du XIIIe siècle et mis en lumière par Coulet, (30) parle d’un “G. de Montaynagol” qui aurait appartenu à l’entourage de Jacques Ier d’Aragon lors de la prise de Valence (1238). Le “Ripartimiento” parle de certaines donations faites à ce Montaynagol. (31) Il est vraisemblable qu’il s’agit de Guilhem. (32)

Par la suite, il a dû revenir en France, jusqu’en 1248 environ, comme l’attestent les pièces suivantes de cette édition. Elle montre la part qu’il a prise dans la lutte contre les Français et contre l’Église. Il semble s’être voué à la cause de Raimond VII, comte de Toulouse, et rien, en effet, n’empêche qu’il ait été toulousain lui-même. (33) Certes, la lecture de ses poésies ne donne qu’une idée assez vague de sa vie, mais les quelques éléments qu’elles nous apportent ne sont pourtant pas négligeables. (34)

Vers 1241, par exemple, il écrit une pièce à une Jausserande de Lunel, poème peu significatif, contenant au plus des formules plutôt banales, mais qui indique la présence possible de Guilhem à Lunel à cette époque. Il aurait très bien pu y accompagner Raimond VII, à l’occasion de l’entrevue entre Raimond et Jacques Ier d’Aragon. (35) La suivante, le partimen entre Montanhagol et Sordel, par sa date et les circonstances de sa composition, semble appartenir à la même période : c’est en 1241 que Raimond VII rencontre, à Montpellier, Raimond-Bérenger, comte de Provence, et projette de divorcer afin d’épouser Sancie, fille du comte. Les circonstances de cette pièce, écrite avec le concours de Sordel et adressée à Raimond-Bérenger, semblent suggérer la présence de Guilhem à cette réunion où se trouvait certainement Sordel. (36)

La pièce IV montre le poète mêlé de près au soulèvement de 1242. Il professe une grande admiration pour Raimond VII et se répand en invectives contre ceux qui ont trahi son maître. Ses alliés l’ont abandonné et Guilhem s’en prend aux Anglais de leur inactivité. La composition de la pièce se place vers le milieu du mois d’octobre 1242, entre la soumission du comte de Foix et celle du comte de Toulouse.

Le seul poème qui aide encore à préciser les mouvements de Guilhem est la pièce X, qui se rapporte aux années 1246-1249. Guilhem fait allusion au mariage de Béatrix de Provence avec Charles d’Anjou, frère du roi Louis. Cette réunion marque le succès de la domination française dans le Midi. Il est naturel que, comme vassal fidèle de Raimond VII, il se plaigne de la situation, car le comte avait lui-même l’intention d’épouser Béatrix et c’est pour cette raison qu’il s’était allié avec Raimond-Bérenger. Celui-ci mourut le 19 août 1245, par malheur pour Raimond VII, et l’annulation attendue de son premier mariage avec Sancie d’Aragon ne vint pas, à cause, sans doute, de l’entrevue significative qu’avaient eue le roi Louis et sa mère à Cluny avec Innocent IV. Le roi d’Aragon, qui tenait Béatrix assiégée, est menacé par l’armée de Charles d’Anjou, qui tente en même temps de faire entendre raison au comte de Toulouse. (37) Dans son poème, Guilhem, tout en rappelant les exploits du roi d’Aragon, fait montre d’un certain scepticisme.

Les autres pièces que des allusions historiques permettent de situer approximativement dans la période d’activité poétique de Guilhem, renseignent sur les personnages avec qui Guilhem aurait été lié ou à qui il aurait adressé ses poèmes comme vassal de Raimond VII.

Tel est le cas de la pièce V, dont la première tornade est adressée à l’empereur Frédéric, mentionné aussi dans la pièce VI. (38)

Quatre pièces, (39) toutes adressées à Alphonse de Castille, paraissent former un groupe et s’étendent sur les années 1252-1257. (40) Comme le suggère Coulet, ce groupe daterait d’un séjour possible à la cour d’Alphonse. (41)

Quatre pièces ne renferment aucune allusion à des faits précis qui permettent de les dater. (42) Mais il est possible de les rapprocher, comme l’avait fait Coulet, (43) des poèmes qui renferment les mêmes noms. Or, comme on trouve le nom d’Esclarmonde et celui de Guise dans les pièces qui sont datées, l’une de 1242-1250, (44) l’autre de 1246-1249, (45) il est possible de rapporter les pièces VI, VII et VIII à cette période de 1242-1250. La pièce IX, qui seule renferme le nom Alcaya (46) ne permet pas de la dater, mais si cette dame est en effet la femme de Raimond-Bernard de Toulouse, (47) on peut vraisemblablement la rattacher aux années 1242-1250, période de la plus grande activité poétique de Guilhem.

La pièce XIV, qui parle de l’invasion mongole et de l’élection d’Alphonse à l’empire, donne la dernière allusion historique et la dernière date sûre de la vie de Guilhem, 1257.

Voici donc, brièvement résumés, les renseignements concernant sa vie qui semblent assez sûrs. Il était de Toulouse, où on le trouve d’abord à critiquer l’Inquisition et les clercs. Il serait allé en Espagne pour faire partie de la cour du roi d’Aragon au moment de la prise de Valence. Mais il revint au Toulousain et soutint par ses sirventés le comte de Toulouse, Raimond VII, contre l’Inquisition, l’Église, les alliés lâches et les Français. Il assista au déclin de la puissance méridionale, après que le mariage de Béatrix de Provence avec Charles d’Anjou eut consacré la perte de la Provence. Il serait passé en Espagne à la cour d’Alphonse de Castille après 1249, année de la mort de son maître, Raimond VII, et de l’avènement d’Alphonse de Poitiers et de Jeanne de Toulouse, la fille du comte et son héritière. (48) Quelle liaison Guilhem, en tant que vassal de Raimond VII, aurait-il eue pour rester en France ? Son maître est mort et le Toulousain est entre les mains du frère du roi Louis. Il a dû aller en Espagne où il s’est installé pendant quelque temps, jusqu’en 1257 peut-être ou même plus tard.

On ignore la date de sa mort. Le planh de Pons Santolh de Toulouse (49) ne nous renseigne guère. On sait seulement que Guilhem avait épousé la sœur de Pons. Mais les circonstances de ce mariage restent complètement voilées.

On peut donc placer son activité poétique entre 1233 et 1257. Il passa une grande partie de cette période dans le Toulousain. Il ne semble pas avoir appartenu à la noblesse ; sa critique de l’idée de rang, qu’a notée Coulet, (50) montre assez à quel point il voulait se justifier comme amant en montrant à sa dame les avantages qu’il y a à aimer quelqu’un de petite naissance. (51) Il semble donc assez certain, vu son rang social, que Guilhem fit partie de la cour de Raimond VII en tant que vassal et troubadour. (52)

Dans ses poèmes, en effet, ces deux aspects se trouvent constamment voisins. Ses sirventés et ses poésies d’amour moralisatrices reflètent nettement son époque. La seconde partie de cette étude abordera brièvement l’analyse de ces deux aspects de l’œuvre de Guilhem. ()

 

 

II

L’ŒUVRE

 

La tradition manuscrite, telle qu’elle existe aujourd’hui, a laissé quatorze poèmes de Guilhem. Ces pièces ont permis de préciser des éléments de sa vie et de les dater approximativement par les renseignements historiques qu’elles donnent. Et pourtant, il reste toujours à savoir si d’autres poèmes sont nés de l’esprit de Guilhem, et si ces poèmes existent encore aujourd’hui. Il serait intéressant de jeter plus de lumière sur sa vie et sur son œuvre. Que ces poèmes existent ou non, qui le sait ? Il n’y en a aucune preuve. La remarque de Pons Santolh dans la deuxième tornade de son planh sur la mort de Guilhem, son beau-frère, ne prouve rien, contrairement à ce que pense Coulet, sinon que c’est Pons qui avait écrit des pièces en l’honneur de la Vierge. (53)

Qu’est-ce qui reste, en effet, à part ces quatorze pièces, qui, tout en montrant une diversité d’idées, ne s’élèvent qu’à un nombre plutôt limité ? (54) Le fait que Guilhem écrivit un opuscule intitulé Lou Tractat dels Vycis et Vertus confirme ce que nous savons de lui comme poète moralisateur. (55) Les deux citations de Montanhagol dans le Liber de Nobilitate Animi (56) viennent sans doute de cet opuscule et jettent un peu de lumière sur les idées de Guilhem. Mais l’œuvre du troubadour, telle qu’elle est, est intéressante, sinon importante.

Il n’y a rien d’original dans la forme. Comme Coulet, (57) je n’y vois que des procédés plutôt communs. Rien ne frappe quant à la versification. Il a souvent imité la forme des poèmes d’autres troubadours, mais il se sert souvent de rimes qui sont bien à lui. Sa langue est simple et il ne se pique pas d’inventer des formules rares ou de se servir d’une langue très colorée. Il se tient à des formules plutôt sèches dans la partie moralisatrice de son œuvre et, d’autre part, à des expressions habituelles de la langue des troubadours pour exprimer les idées conventionnelles et les idées personnelles de son œuvre. Mais là, nous sommes bien chez les troubadours du XIIIe siècle, car pour eux la forme importe moins que le fond. (58) C’est précisément le cas de Guilhem.

On peut dater la période d’activité poétique de Guilhem des années 1233 à 1257.

Juste avant cette période, le Languedoc était toujours dans le même état qu’en 1209. Les massacres de Béziers restent dans les mémoires et villes et petits seigneurs s’empressent de faire leur soumission devant la menace d’une nouvelle ruée des seigneurs du Nord sous les drapeaux du roi Louis. Les hérétiques ont reparu et l’Église ne renonce pas à exhorter ses seigneurs fidèles à les poursuivre. Le Midi veut une paix qui lui sera interdite tant que l’hérésie subsistera. Tous abandonnent Raimond VII à l’exception des comtes de Foix, de la Marche et de Rodez, qui, plus tard, se retireront et se réconcilieront avec un roi qui se montre trop grand et trop puissant pour qu’on s’oppose à lui. Les événements historiques qui se termineront par la saisie de la Provence par Charles d’Anjou et, à la mort de Raimond VII, par l’acquisition du Toulousain par Alphonse de Poitiers, mari de Jeanne de Toulouse, marquent le déclin de l’indépendance méridionale et sont pour cela importants. Il ne serait pas sans intérêt de dire quelques mots des allusions à Raimond VII qui se trouvent dans la poésie politique de Guilhem et des références à d’autres événements qu’il a cru bon de faire dans le but de satiriser ou de flatter.

Il est très important de faire remarquer que les commentaires de Guilhem sur les activités d’une Église autoritaire sont le résultat de ses préjugés de Méridional. Dans son esprit, comme dans celui de bien des Méridionaux, la haine de l’Église, de l’Inquisition et des Français formait un tout. C’est la haine d’une autre civilisation qui venait renverser la société brillante du Midi pour en faire une province de la France dans un but de domination politique. L’hérésie est un fait accepté jusqu’à un certain point et l’invasion française qui ne distingue pas les innocents des coupables, et qui détruira toute cette société, ne peut être considérée que comme une violation de leurs droits. Dès lors, il est possible de montrer chronologiquement, en étudiant les événements politiques traités par Guilhem, ses opinions sur une Église et un clergé en même temps décadents et intolérants.

Le Traité de Paris marque la première étape de la domination des Français. Le comte Raimond VII, comme son père, qui s’était soumis à Saint Gilles, va s’incliner devant le roi à Notre Dame. Mais, à la différence de son père, Raimond VII s’était épuisé en attaques et en conquêtes. Le roi ne le dépouille pas de son vivant, mais Raimond sera toujours hanté par le fait qu’à sa mort le Toulousain tombera aux mains d’Alphonse de Poitiers, frère du roi ; Alphonse se fiancera avec Jeanne, la fille de Raimond, à cette époque-ci, c’est-à-dire, en juin 1229. (59) Quelle est la réaction de Guilhem ? Il n’attaque pas les Français, mais rappelle à Raimond ce que lui a fait le clergé. Dans l’esprit du poète, l’humiliation de Raimond est due à la politique de l’Église et sa haine des clercs apparaît nettement :

 

Sirventes, vay al pro comte dese
de Toloza ; membre·l que fag li an
e guart se d’elhs d’esta ora enan. (60)

 

En effet, Raimond s’était vu obligé de promettre de purger le pays de l’hérésie et de soutenir le travail des clercs qui dénoncent les hérétiques aux baillis. (61)

En 1234, l’Inquisition est établie de façon sûre. Rome, tout en voulant écraser l’hérésie, aimerait conserver sa puissance dans le Midi, en y maintenant le comte Raimond, de caractère assez faible. Dès lors, les Frères Prêcheurs sont autorisés à attaquer l’hérésie. (62) Sans doute, Guilhem voit leurs actions de près et comprend dans sa plainte contre le matérialisme de ses contemporains et la perte de la valeur, la cupidité des clercs qui se cache sous un air de détachement. (63) D’une façon ironique, il reproche aux Inquisiteurs leurs jugements et critique leurs méthodes, tout en les rassurant sur son orthodoxie. (64) Il suggère beaucoup plus de modération et des décisions impartiales. (65) Il critique en même temps leurs mesures disciplinaires :

 

Enquer dizon mais de folor
qu’aurfres a dompnas non s’eschai.
Pero si dompna piegz no fai,
ni’n leva erguelh ni ricor,
per gent tener no pert Dieu ni s’amor. (66)

 

Comme il le fait remarquer, la dame ne doit en concevoir ni orgueil ni hauteur. L’amour des vêtements ne détourne pas un homme de Dieu, si sa conduite est bonne, et, ajoute-t-il avec un trait de sarcasme, le froc ne suffit pas seul à conquérir le ciel. (67) La conduite est importante chez Montanhagol. Le prix et la vertu plaisent à Dieu, qui lui-même se fit homme. Voilà, semble-t-il, une expression d’orthodoxie sans feinte, où il rapproche l’attitude religieuse de l’attitude morale. (68)

Voilà donc, une critique cohérente et pondérée de l’Inquisition dans son principe et sa pratique, liée à une expression d’orthodoxie, qui se manifeste dans cette piemière pièce de Guilhem. Les cœurs sont tournés vers la richesse et le clergé interdit aux gens de pratiquer la courtoisie. La vie chrétienne et morale ne défend rien de tout cela, dit Guilhem. La cupidité des clercs se cache sous un extérieur de désintéressement.

Plusieurs années s’écoulent pendant lesquelles le peuple méridional réagit vivement contre l’Inquisition et ses mandataires, les Frères Prêcheurs. Malgré leurs promesses, Raimond VII et ses familiers ne font rien pour les soutenir. Mais les évêques eux-mêmes sont peu favorables à l’établissement des Inquisiteurs dans leurs diocèses.

En 1239, Raimond reprendra la guerre contre Raimond-Bérenger de Provence. Mais le roi Louis intervient et repousse Raimond VII vers Toulouse. En route, il essaie de se faire élire à Avignon mais sans succès. Cependant, Raimond prend conscience des activités politiques de la régente, Blanche de Castille, et note l’opposition interne qui croît dans le Nord. Ce désarroi apparent mêlé à la colère des seigneurs méridionaux contre les envahisseurs sera la cause du soulèvement de 1242. La première révolte a lieu en 1240 sous l’inspiration de Trencavel, qui va jusqu’à Carcassonne et attend la décision de Raimond VII. (69) Mais Raimond, pris entre Trencavel et le sénéchal du roi, qui lui rappelle les engagements du Traité de Paris, ne bouge pas. La révolte continue, mais en octobre, l’armée royale descend sur le Languedoc, trop puissante pour les petits seigneurs et comtes, et les comtes de Toulouse et de Foix s’entremettent auprès du roi pour Trencavel et ses alliés et obtiennent pour eux une capitulation honorable. (70) Au printemps de 1241, Raimond VII se rend à la cour où il se réconcilie avec le roi, non pas par repentir, mais pour chercher à endormir Louis dans une fausse sécurité, tandis que le complot d’insurrection se trame. (71) Dans le but d’écarter Jeanne et par là aussi son fiancé, Alphonse de Poitiers, Raimond décide de se marier avec Sancie, fille de Raimond-Bérenger, dans l’espoir d’en avoir un fils. Raimond pense toujours, malgré les clauses du Traité de Paris, que, d’après la loi féodale, un héritier mâle a toujours le pas sur une fille. Il faut évidemment qu’il prépare son divorce avec sa femme, Sancie d’Aragon. Mais celle-ci se refuse à toute démarche, sur quoi Raimond fait nommer deux commissaires pour examiner la validité de son mariage. Tout est sur le point de se conclure ; le deuxième mariage est célébré par procuration, sous réserve que la dispense nécessaire du pape arrive dans un délai prescrit. On apprend par la suite la mort de Grégoire IX, ce qui retarde l’envoi de la dispense, et Sancie de Provence, entretemps, épousera le prince Richard, frère du roi d’Angleterre. (72)

Raimond se tourne vers d’autres affaires. Il se rapproche du comte de la Marche dont il espère épouser la fille, Marguerite ; les deux comtes se liguent ensemble. Au printemps de 1242, Raimond, sûr de l’aide du roi anglais, s’empare des bourgs et des villes de la région. Mais Henri III se fait battre par Louis IX à Bordeaux, ce qui pousse Raimond à aller y conclure un traité avec le roi anglais. (73) Au mois d’octobre, le comte de Foix se soumet. Voilà l’état des choses au moment où Guilhem écrit ses impressions sur ce soulèvement. Il se réjouit de cette lutte contre les Français. (74) Il met son seigneur au-dessus des puissants mais il connaît son caractère faible et l’avertit contre ceux qui l’ont trahi : “La Marcha, Foys e Rodes.” (75) Comme l’a dit Coulet, (76) il est lucide sans que cela ébranle sa fidélité à Raimond. Il s’en prend en même temps à Jacques d’Aragon, qui n’a pas fait son devoir, “segon qu’auzim.” (77) On remarque qu’il n’était peut-être pas sûr de la validité de son accusation, et qu’il laisse la place au doute. Il se moque de l’inactivité des Anglais et des défaites qu’ils ont essuyées aux batailles de Saintes et de Taillebourg. (78)

Même à cette date, il croit toujours en la puissance de Raimond VII, tandis qu’il constate la défection des alliés, la neutralité de Jacques d’Aragon et l’inaction des Anglais. Raimond, cependant, sera forcé à se rendre peu de temps après et l’année suivante à prêter serment de fidélité au roi Louis.

Pendant les quelques années qui suivent jusqu’en 1246 environ, Guilhem ne perd pas tout à fait espoir. La Provence est devenue française avec l’avènement de Charles d’Anjou et de Béatrix. (79) Il se plaint de voir tant de perversité dans le monde, mais rien ne l’effraie tant que la domination de la Provence. (80) Toutefois, si Jacques et Raimond VII attaquaient les Français, ils pourraient libérer le Midi, mais s’ils ne le font pas, leur inactivité coupable mènera les Français encore plus loin. (81) Et pourtant, il n’y aura pas de guerre, dit-il, car l’honneur a disparu ; d’après lui, celui qui reçoit un affront patiente trop s’il ne cherche pas à s’en laver. (82)

A cette époque encore, Guilhem multiplie les allusions aux événements. Les deux grandes tâches de Raimond après 1244 sont de déchirer le Traité de Paris et d’inhumer son père en terre sainte. Or, il devient probable après 1246 et certain après le début de 1247 que les possibilités d’accomplir la première diminuent de jour en jour et que Raimond n’est même pas sûr de pouvoir s’acquitter de la seconde. (83) Toujours est-il que, jusqu’à la fin, il garde l’espoir de renverser son destin. Mais, d’après ce que nous avons pu voir, son troubadour y voit aussi clair que lui, sinon plus.

Il y a enfin, dans ses poèmes, quelques remarques politiques d’ordre plus général. Vers 1241, Guilhem fait un éloge assez conventionnel du comte Raimond-Bérenger, à l’occasion du partimen qu’il a écrit avec Sordel. (84) Il en adresse un autre à l’empereur Frédéric pour servir les intérêts de Raimond VII. (85) A la même époque et dans le même but, sans doute, il adresse des louanges au roi d’Aragon, tout en lui suggérant de la prudence :

 

qu’elh es reys que sap ben regnar,
vas Dieu, vas pretz, si no·s cambia;

 

mais sa leçon donnée, il ajoute :

 

mas d’aysso·s sapcha·l reys gardar. (86)

 

Finalement, datant de son séjour supposé à la cour du roi de Castille, il reste le groupe de quatre poèmes où Guilhem loue, dans le premier son prix et sa libéralité, (87) dans le second (88) et dans le troisième (89) sa largesse. Le quatrième, cependant, critique les hésitations et l’inertie du roi. (90) Il paraît par là que la deuxième partie de la pièce s’adresse particulièrement à Alphonse lui-même. (91) Guilhem dit que le seigneur ne devrait pas asservir ses gens, mais qu’il doit, au contraire, les soutenir et les protéger. Les gens du seigneur doivent l’aimer véritablement mais il faut que le seigneur les aime aussi. Il semble y avoir quelque chose de personnel dans ces vers ainsi que dans toute la pièce XIII, où il critique le monde et Alphonse non pas tellement de ne pas donner mais de ne pas donner de façon courtoise. Ce qui indique peut-être qu’Alphonse ne donnait pas assez à Montanhagol ! (92)

Nous avons constaté que Guilhem, tout en voulant rester orthodoxe, attaque acerbement l’établissement de l’Inquisition dans le Midi de la France. Il se plaint qu’elle aille trop loin en interdisant le luxe des vêtements, (93) ainsi que la courtoisie. (94) Plus tard, vers 1244 sans doute, lors du relâchement partiel de l’Inquisition, Guilhem remarque que l’on tolère les beaux vêtements, (95) mais qu’à l’égard de la vie courtoise, il n’y a pas d’amélioration. (96)

Il critique surtout le clergé dans la dernière période de son activité poétique. Il accuse les laïques comme les clercs. Ils sont en désaccord continuel, et il les avertit des dangers qui peuvent venir de l’étranger pendant qu’ils luttent entre eux. Ils sont avides de richesse, surtout les clercs, qui veulent une vie fastueuse, qui sont tous dévorés de convoitise et qui suivent l’Écriture Sainte en enlevant de l’argent à ceux qui n’en ont pas, ajoute-t-il ironiquement. (97)

Somme toute, la leçon qui se dégage de ces remarques diverses, c’est que Montanhagol aborde les problèmes politiques et religieux en moraliste. Il en ressort que, malgré sa fidélité à la cause de Raimond, il est prêt à le critiquer et va jusqu’à lui reprocher son inertie à un moment où la domination française semble probable, c’est-à-dire après 1246, et où le seul espoir des Méridionaux se trouve dans l’action. (98) De même, tout en adressant à divers rois ses louanges, il les critique quand il trouve qu’ils méritent sa désapprobation. Il adopte une attitude analogue vis-à-vis du clergé et de l’Inquisition : s’il les critique, il les rassure de son orthodoxie, (99) et n’insiste que sur la nécessité d’une vie vertueuse. (100) Mais au fond, il est méridional, et comme tel, il ne peut pas se débarrasser de sa haine pour les Français et pour les Inquisiteurs, qui sont responsables de la destruction de cette société, bien que ceux-ci la croyaient menacée par les hérétiques, s’ils n’intervenaient pas énergiquement. Si Guilhem est méridional, il est encore plus troubadour, et ce qu’il y a de plus intéressant dans son œuvre, ce sont ses idées à ce titre.

La partie courtoise et morale de l’œuvre nous offre un mélange de la cortezia conventionnelle et de la morale de son siècle. Guilhem écrit à une époque où, après la croisade contre les Albigeois, la société du Midi de la France est bouleversée. La libéralité n’existe plus, et ce qui importe davantage pour un troubadour, la joie s’est perdue et les dames ne savent ni ne veulent aimer. La courtoisie est morte.

Coulet a avancé l’idée que Montanhagol a proposé une nouvelle conception de l’amour courtois, faite pour s’accommoder à la morale chrétienne, mise en valeur par l’action de l’Église et, particulièrement, de l’Inquisition. Selon Coulet, la base de cette nouvelle doctrine repose sur l’idée de l’amour conçu comme source de chasteté. (101) Il est à remarquer que l’interprétation de cette chasteté comme principe chrétien aussi bien que principe courtois présente une hypothèse séduisante, vu le ton de plusieurs des poèmes de Guilhem contre l’Inquisition et l’Église. Il n’y a qu’un pas à faire, et cette hypothèse, devenue vite thèse, pourrait nous mener loin, et, probablement, trop loin.

Examinons, en effet, la partie courtoise et morale de l’œuvre de Guilhem. On distingue deux parties. Les poèmes de la période qui va jusqu’en 1250 environ présentent du point de vue courtois une image assez claire des idées du poète, mais du point de vue moral, pour le moment, ils ne semblent marquer que sa désapprobation de la vie contemporaine. (102) Il faut attendre la deuxième partie, curieuse, formée de quatre pièces adressées toutes au roi de Castille. Ici, dans trois de ces pièces, (103) il développe une morale positive.

Dans la première partie de son œuvre, l’attitude de Guilhem, en matière d’amour, apparaît nettement. Le poète se réjouit de la présence de sa dame. Il l’assure qu’il l’aime et qu’il l’honore et que pour elle il délaisse les plaisirs que d’autres dames lui accorderaient. (104) Et c’est justement pour garder son honneur à elle qu’il veut la servir. (105) Pour lui, elle est la plus belle et la meilleure, (106) et sa beauté et sa grâce ne semblent pas être de ce monde. (107) La dame qu’il aime est libre de toute trahison et, comme elle est la plus belle et la meilleure, c’est pour son bien que l’amour l’attire vers elle. (108)

L’amour a fait au poète l’honneur de le choisir pour réjouir ses servants. Il lui a fait placer son cœur très haut et sa joie en grandit. (109) Et en même temps, sous son influence, il ne sera pas égaré par la folie. (110)

Sa dame et l’amour qu’elle lui inspire lui donnent donc de la joie. C’est un sentiment personnel, que l’amour lui apporte, par lequel le poète veut réjouir les amants courtois. Il se sent heureux quand d’autres personnes sont mornes. Et Guilhem de se plaindre de la perversité des puissants et des riches. Malgré qu’on l’en blâme, il ne veut pas renoncer à la joie, si cela peut plaire à sa dame. (111)

Tout sentiment courtois est étranger aux riches. Ils sont même devenus hostiles aux poètes. Dans un poème plein des critiques qu’il adresse à la société, il dit les craintes qu’il éprouve de voir l’amour disparaître, (112) abandonné par les riches et les puissants ; cet abandon va gagner les zélateurs les plus fervents du culte de l’amour courtois comme dans la fable de la pluie. (113) Si le mal ne disparaît pas, le haut prix sera perdu. Pour cela, tout amant courtois doit se garantir de la folie et choisir une personne haut placée et noble d’esprit. (114) Mais il y a pire, car les dames elles-mêmes, dit Guilhem, ne veulent pas se laisser aimer. Elles imposent des délais, même quand elles savent que leur soupirant ne les trompera pas. (115) Mais, dit-il, il faut aimer dès aujourd’hui, car plus on tarde, moins il y aura d’occasions de goûter l’amour. (116) Ce n’est pas tout ; il y en a qui donnent leur amour non aux amants courtois, mais à d’autres dont les mœurs laissent à désirer. Et c’est à cause de ces femmes que l’amour déchoit et s’avilit. (117)

Ce sont des idées essentielles à la lyrique courtoise et Coulet a tort de leur donner peu d’importance. (118) Ce que Guilhem regrette en fait, ce n’est autre chose que la disparition d’un tel idéal. On voit donc l’importance qu’il donne non seulement dans la première partie de son œuvre, mais aussi dans la seconde, à la joie et à la courtoisie qui caractérisaient l’époque antérieure à la croisade albigeoise.

Si les dames voulaient seulement aimer, et d’après les règles courtoises, le monde serait gai comme autrefois et les chevaliers seraient guidés par l’honneur. (119) Tel était, avant la croisade, l’âge d’or qu’il compare avec amertume à l’état présent des choses. Mais il a la certitude que la situation peut s’améliorer. Dans le domaine de la composition, les troubadours de son époque peuvent faire des chansons dont l’inspiration soit neuve et sincère. (120) Jadis, les nobles chevaliers ne recherchaient dans l’amour que l’honneur et les dames ne faisaient rien de repréhensible. Mais de nos jours, dit-il, l’honneur est méprisé, ce qui nuit à beaucoup de gens. (121)

C’est dans la pièce d’où est tiré l’extrait sur le regret du passé qu’on trouve les déclarations de Guilhem sur la valeur morale du principe courtois. Il est temps qu’on justifie cet amour aux yeux de la nouvelle société. Que dit Guilhem là-dessus ? Il faut qu’on s’efforce d’être courtois, si l’on veut avoir du mérite. Et pour cela, il faut qu’on tourne son cœur vers l’amour, principe de la morale aussi bien que de la joie. (122) Celui qui entre dans l’amour par tromperie n’est pas un vrai amant ; au contraire, l’amant courtois doit se garder de toute faute, quelle que soit sa passion. (123)

L’amant sincère a la mesure, qui se place entre le trop et le trop peu. (124) Rien n’est si honoré que la mesure qui consiste essentiellement en une sagesse (conoyssensa) à égale distance du trop et du trop peu. (125) En recherchant la juste mesure, tout homme doit être réservé et indulgent et c’est par là que, dans la crainte de Dieu, il fera grandir sa dignité morale et trouvera mesure et sagesse qui le feront vivre selon l’idéal courtois et lui inspireront de bonnes actions. (126)

Dans l’amour, il faut tout le temps veiller à l’honneur de sa dame. Les faux amants mènent faux amour et font du mal, mais celui qui a la mesure recevra son bonheur de Dieu à sa mort, sinon avant. (127)

Il sait qu’il sera blâmé par les mauvais amants mais, pour lui, tolérer le mal, c’est en devenir complice et son rôle de sage est de tenter de détourner le fou de son erreur. (128)

L’amour n’est pas un péché mais une vertu qui rend les hommes meilleurs et leur inspire de bonnes actions. De l’amour provient la chasteté, puisque celui qui le comprend bien ne peut pas ensuite mal agir. (129)

La poésie courtoise présente deux aspects bien différents : d’une part, une joie pour ainsi dire pure, et, d’autre part, un ensemble de règles qui gouvernent la conduite courtoise dans ses manifestations extérieures et dans son fond moral.

De tout temps, les troubadours avaient emprunté au système féodal des expressions et des formules pour marquer la relation entre le troubadour et sa dame. Au début du XIIIe siècle, les troubadours moralistes sont encore des troubadours, mais, de plus en plus, à mesure que le siècle avance, ils deviennent membres d’une société où se développe une conscience sociale et surtout morale. Les qualités courtoises et morales sont requises. (130) Ces troubadours essaient en effet de sauver la courtoisie à une époque où, comme l’a vu clairement Guilhem, elle commençait à dégénérer. (131)

Comme les troubadours de la joie se servent des formules de la féodalité, les moralistes se servent de celles de la pensée chrétienne. La courtoisie doit sa profondeur d’expression à la présence de l’élément religieux, mais tandis que le sage chrétien cherche le monde, l’amant courtois le fuit et l’humilité du sage est remplacée sur le plan courtois par l’orgueil de l’amant, inspiré par la joie. Toujours est-il que, sur les deux plans, le fond des deux aspects, c’est la mesure.

Et comme on l’a vu, Guilhem dit que la mesure est la chose la plus honorée du monde, formée par la sagesse.

Le manque de juste mesure est appelé desmezura : c’est l’absence de toute vertu, de toute sagesse. Cette conduite vertueuse est à la base de l’amour courtois et se trouve être le lien entre l’amant et sa dame. Guilhem rassure sa dame, en lui expliquant qu’une fois qu’elle sait que son amant est sans feinte, elle peut l’aimer et trouver sa joie dans cet amour.

Comme idéal chevaleresque, la ricor, élément de la mesure, peut signifier la noblesse de rang ou de caractère. A la belle époque, la classe noble était identifiée avec la vertu et la largesse. Or, Guilhem se plaint de la perversité qui existe chez les nobles de son époque et qui est d’autant plus déplorable que c’est précisément chez eux que la courtoisie devrait se montrer. Cette ricor peut s’incorporer aussi à l’idéal moral où il s’agit de noblesse de caractère et de largesse d’esprit.

Montanhagol apparaît donc comme un esprit clair et sincère. L’amour qu’il chante est un amour conventionnel, en ce qui concerne sa joie personnelle et l’excellence de sa dame. C’est le fin’amors des troubadours qu’il interprète comme source de la chasteté. Il veut garder l’honneur de sa dame, ce qui lui donnera encore du prix. Cependant, il demande à sa dame de ne pas tarder à l’aimer, se servant, comme excuse, de la disparition de l’amour et de la courtoisie. Il approuve entièrement les actions des chevaliers du passé chez qui les qualités courtoises étaient respectées. Mais Montanhagol voit le déclin de ces idées dans la société de son époque et il tâche de les renouveler. La mesure est pour lui le principe central de la courtoisie et s’inspire de la sagesse, qualité courtoise elle aussi.

Si Guilhem offre quelque chose de nouveau, c’est parce qu’il proclame plus nettement que d’autres à son époque que la doctrine des premiers troubadours contient un principe moral.

Mais telle qu’elle est, son œuvre lui assure une place chez les troubadours, non seulement comme représentant de cette période du XIIIe siècle, qui voit le déclin de la société méridionale, mais encore comme poète des dernières générations de troubadours, annonçant un autre esprit et une autre dialectique. ()

 

 

III

 LES MANUSCRITS

 

Dans la plupart des cas, j’ai obtenu des photocopies, des microfilms ou bien j’ai consulté les mss. eux-mêmes. Là où il y a une édition diplomatique, je l’ai aussi utilisée. Dans le cas de deux mss. (Ch. et w), j’ai procédé autrement. Pour le ms. Ch., je me suis servi de la reproduction photographique qui a paru dans Archivum Romanicum, II, 340. Quant à celui de Bergame, w, j’ai constaté que ce ms., qui faisait partie de la bibliothèque de Paolo Gaffuri, ne se trouve plus à Bergame. Malheureusement, je n’ai pu le retrouver, malgré les recherches généreuses et les bons soins du Conservateur de la Biblioteca Civica de Bergame. Je me suis donc servi de l’édition diplomatique de ce ms. (cf. plus bas).

Je désigne à l’aide de sigles particuliers le genre de document consulté et place ce sigle à la fin de la description de chaque ms.

(P) = photocopie.

(M) = microfilm.

(MS) = là où j’ai consulté le ms. lui-même.

(ED) = là où j’ai consulté l’édition diplomatique.

 

Les poèmes de Montanhagol se trouvent dans les mss. suivants (les pièces qui ne se trouvent que dans un seul ms. sont précédées d’une croix) :

A = Rome, Biblioteca Vaticana, 5232. Éd. dipl., Pakscher et de Lollis,Studj di Filologia romanza, III, 1-670. (P) 1 poème : XI (f. 215 b-d).
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 856. (P)
11 poèmes : VIII (f. 260 a, b) ; XI (f. 260 c, d) ; I (f. 260 d-f. 261 a) ; X (f. 261 a, b) ; VII (f. 261 b, c) ; VI (f. 261 c-f. 262 a) ; XIII (f. 262 a, b) ; + IV (f. 262 b, c) ; XIV (f. 262 c-f. 263 a) ; V (f. 263 a, b) ; + III (f. 389 a-c).
 
Dc = Modène, Biblioteca Estense, R, 4, 4, ff. 243-60. Éd. dipl., Teulié et Rossi, AdM, XIII, 60-73, 199-215, 371-388 et XIV, 197-205, 523-38. (P) 2 poèmes (dont un fragmentaire) : XIII (f. 260 a, b) ; XII (f. 260 b) — 1re strophe.
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 1749. (P)
2 poèmes : XI (p. 145 a - p. 146 b) ; XIII (p. 146 b).
 
= Rome, Biblioteca Chigiana, L.IV.106. Éd. dipl., Stengel, Die provenzalische Blumenlese der Chigiana (Marburg, 1878). (P)
5 poèmes (dont un fragmentaire) : XI (f. 54rº - f. 55rº) ; XIII (f. 55 rº et vº) ; XII (f. 55 vº - f. 56 rº) ; I (f. 56 rº) — les strophes II et IV ; II (f. 56 rº et vº).
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 854. (P)
3 poèmes : XIII (f. 124 b) ; XIV (f. 124 b, c) ; XI (f. 124 c, d).
 
= Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Conventi Soppr., F. 4.776. Éd. dipl., Savj-López, Studj di Filologia romanza, IX, 489 sq. (P)
4 poèmes : XIII (f. 68 d, f. 69 a) ; V (f. 69 a, b) ; VIII (f. 69 b, c) ; XI (f. 69 c, d).
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 12473. (P)
3 poèmes : XIII (f. 110 a) ; XIV (f. 110 a, b) ; XI (f. 110 b, c).
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 12474. (P)
2 poèmes : XI (f. 34 c-f. 35 a) ; XII (f. 35 a-c).
 
= Florence, Biblioteca Laurenziana, Plut. XLI, cod. 42. Éd. dipl., Stengel, Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen, XLIX, 53-88, 283-324
et L, 241-284. (P)
1 poème (fragmentaire) : V (f. 64 d) — 1re strophe.
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 22543. (P)
7 poèmes : X (f. 38 d) ; XIII (f. 38 d) ; VIII (f. 38 d, f. 39 a) ; VII (f. 39 a) ; VI (f. 39 a, b) ; XI (f. 54 a) ; I (f. 54 a).
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 15211. (P)
2 poèmes (dont un fragmentaire) : XI (f. 203 vº-f. 204 vº) ; II (f. 280 rº et vº) — 1re strophe.
 
= Florence, Biblioteca Laurenziana, Plut. XLI, cod. 43. Éd. dipl., Grützmacher, Archiv, XXXV, 363-463. (P)
1 poème : + IX (f. 132 vº-f. 133 vº).
 
VeAg = Barcelone, Biblioteca Central, Biblioteca de Catalunya, Ms. 7 et 8. (P)
1 poème : XI (f. CXXVII vº-CXXVIII rº).
 
= Florence, Biblioteca Riccardiana, 2814. Éd. dipl., Stengel, RlR, XLI, 349-380 ; XLII, 5-43, 305-44, 500-508 ; XLIII, 195-214 ; XLIV, 213-44, 328-41, 423-42, 514-20 ; XLV, 44-64, 120-51, 211-75. (P)
Vida(II 36 rº).
 
a¹ = Modène, Biblioteca Estense, Càmpori, N. 8.4 ; 11, 12, 13. Éd. dipl., Bertoni, Il Canz. prov., Compl. Càmpori, p. 221. (P)
Vida(p. 379).
 
= Modène, Biblioteca Estense, relié à D, ff. 262-346. (P)
3 poèmes : XIII (f. 309 a, b) ; XIV (f. 309 b-d) ; XI (f. 309 d, f. 310 a).
 
= Rome, Biblioteca Vaticana, Barb., Lat., 3965. (P)
3 poèmes : XI (pp. 242, 244, 246) ; XIII (pp. 246, 248) ; XII (pp. 248, 250, 252).
 
= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 12472. (P)
2 poèmes : XIII (f. 5 rº) ; XI (f. 38 vº, f. 39 rº).
 
= Rome, Biblioteca Vaticana, Barb., Lat., 3953. Éd. dipl., de Bartholomaeis, AdM, XVII, 71-5 et Il Canzoniere vaticano Barberino latino 3953 (già Barb. XLV, 47), publicato per cura di Gino Lega (Collezione di Opere inedite o rare, Bologna, 1905). (P)
1 poème : XI (f. 25 b, c).
 
= Bergame, Biblioteca de Paolo Gaffuri (anc). Éd. dipl., C. de Lollis, Studi Medievali, I, 561-579. (ED)
2 poèmes (fragmentaires) : XI (58 (p. 572)) ; XIII (58 (p. 572)).
 
Ch. = Chantilly, Musée Condé, 703. Éd. dipl., Studi Romanzi, XII, 190, A2 et Archivum Romanicum, II, 340. (P)
1 poème (fragmentaire) : XI (sur la garde du ms.) — 1re strophe.
 
= Les Citations du Barbieri dans Dell’ Origine della Poesia rimata, opera di Giovinaria Barbieri Modenese, pubblicata ora per la prima volta e con annotazioni illustrata dal cav. ab. Girolamo Tiraboschi. In Modena. MDCCLXXXX, p. 118. (MS)
1 poème (fragmentaire) : XI (p. 118) — vv. 1, 2.

 

Des citations de l’œuvre de Montanhagol sont comprises dans le Breviari d’Amor de Matfré Ermengaud de Béziers. J’ai consulté tous les mss. de cette œuvre et je me suis servi de l’édition de G. Azaïs (Le Breviari d’Amor de Matfré Ermengaud, publié avec Introduction et Glossaire par G. Azaïs en deux volumes (Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers, 1862-1881)) dans le cas du ms. (A). Je donne par la suite les mss. qui présentent les citations (c’est-à-dire, tous, sauf le ms. Vienne 2583), en me servant des mêmes signes explicatifs que ci-dessus. J’ai cru bon de me servir des sigles, employés par Brunel (Bibliographie des mss. littéraires...), entre parenthèses, pour ces mss., afin de pouvoir les distinguer des autres.

 

(A)= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 857. Éd. dipl., Azaïs, ibid. (M)

(B)= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 9219. (M)

(C)= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 858. (M)

(D)= Paris, Bibliothèque Nationale, franç., 1601. (M)

(F)= Vienne, K. K. Hof. Bibliotek, 2563. (M)

(H)= Lyon, Bibliothèque Municipale, 1351. (M)

(I)= Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, 380. (P)

(K)= Londres, British Museum, Harleian, 4940. (MS)

(L)= Londres, British Museum, Royal, 19, c.l. (MS)

(M)= Escurial, Biblioteca de San Lorenzo, S, I, nº 3. (M)

(N) = Leningrad, Bibliothèque Publique, Ms. Prov., F. v. XIV, I. (M)

 

Groupement.

D’après cet inventaire, le ms. qui se trouve être le plus riche des poèmes de Montanhagol est le ms. C (11 poèmes). Il est suivi par R (7 poèmes), qui présente une tradition voisine, mais qui est en général moins correct. Dans 10 des 11 poèmes conservés par C, je me suis servi de ce ms. comme ms. de base. Dans le poème XI, j’ai préféré le ms. A, puisque C ne donne pas la strophe IV (cf. les notes de classement du poème XI). Pour les trois poèmes qui restent, II, IX et XII, j’ai pris pour le numéro II le ms. qui donne le texte intégralement, c’est-à-dire, F, pour le numéro IX, U seul l’a conservé, et dans le cas du numéro XII, il est conservé intégralement par M et la copie de M, le ms. e.

Il ressort de l’étude de la table précédente que CJR apparaissent étroitement liés d’après les poèmes qu’ils présentent. Ils remontent tous à la même tradition, mais il est impossible de savoir leur relation exacte. C contient tous les poèmes donnés par J (V, VIII, XI, XIII) et par R (I, VI, VII, VIII, X, XI, XIII). Mais J contient un poème (V), qui ne se trouve pas dans R, qui, à son tour, donne quatre poèmes (I, VI, VII, X) inconnus à J. C seul donne les deux poèmes III et IV.

Il serait peu prudent de poursuivre l’étude des relations entre ces trois mss. par les poèmes qu’ils donnent — car un poème d’un chansonnier peut bien présenter une tradition différente de celle des autres poèmes dudit chansonnier — si l’examen des variantes n’assurait pas un accord constant entre C, J et R. Toutefois leur relation ne semble pas certaine, car il est évident que le scribe de C s’est servi de diverses traditions pour former le recueil éclectique qui est le chansonnier C, tout comme l’avait montré Gröber (Die Liedersammlungen der Troubadours (Romanische Studien herausgeg. von E. Boehmer, Strassbourg, 1877), t. II, pp. 574-576). C ne contient que onze des quatorze poèmes qui forment l’œuvre de Montanhagol. Il reste trois poèmes, montrant encore une tradition ou même autant de traditions que de pièces. On verra par l’étude de chaque poème que des traditions sont formées par DEFIKd et, d’autre part, par MTe, mais ces groupements sont, à la fin, des plus généraux et proviennent de l’étude des variantes de chaque poème plutôt que de celle de l’œuvre en entier.

Je donnerai en tête de chaque poème son numéro dans cette édition, suivi de son numéro dans la Bibliographie der Troubadours de Pillet et Carstens (Halle, 1933) qui est le même que dans l’édition de Coulet. Suivra la liste des œuvres où se trouve le poème en question. Quant aux mss. qui présentent le poème, on trouvera après la lettre d’identification (A, C, etc.,...) la place exacte du poème dans le ms. La page de l’édition diplomatique, donnée dans cette section, est indiquée, tout de suite après, entre parenthèses. ()

 

 

IV

LA MÉTRIQUE

 

Je suis pour l’organisation de ces tableaux le système adopté par M. K. Almqvist dans Les Poésies du Troubadour G. Adémar (Uppsala, 1951), p. 76 sq. Les traits horizontaux sont placés au-dessus des vers par lesquels commencent les tornades. Leur nombre indique le nombre des tornades. Les rimes féminines sont désignées par le sigle ’ (e. g. a’, b’, etc...), comme partout dans cette édition.

 

Schémas des Strophes :

 

I

5 str. un.

II

2 str. un.

III

6 str. un.

IV

5 str. un.

8a or

10a ens

7a en

8a im

8b ai

10b ors

7a en

8a im

8b ai

10b ors

7a en

4a im

8a or

10a ens

6b’ ia

4b or

10a or

10c’ ensa

7a en

4b or

10c e

10c’ ensa

6b’ ia

6c’ uelha

10c e

10d os

7c atz

4d alh

10d an

10d os

7c atz

4d alh

10d an

 

7c atz

6c’ uelha

 

 

6b’ ia

 

 

 

7c atz

 

 

 

6b’ ia

 

 

Du point de vue technique, on doit considérer les tornades de la pièce III comme une double tornade.

 

V

5 str. un.

VI

5 str. un.

VII

5 str. un.

VIII

5 str. un.

7a’ ensa

10a an

8a ar

10a or

7b ir

4a an

8b’ ia

4a or

7a’ ensa

6b or

8a ar

6b ais

7b ir

10b or

8b’ ia

10a or

7b ir

4b or

8a ar

4a or

7c en

6a an

8b’ ia

6b ais

7c en

10c’ ia

 

10c’ ia

7d an

10d er

 

10d is

7d an

10d er

 

10d is

 

10c’ ia

 

10c’ ia

 

 

IX

6 str. un.

X

5 str. un.

XI

6 str. un.

XII

5 str. un.

10a i

7a’ eya

10a atz

7a or

10b ar

8b’ ensa

10b en

7a or

10b ar

7a’ eya

10a atz

7b atz

10a i

8b’ ensa

10b en

7b atz

10c at

8c’ ara

10b en

7a or

10c at

7c’ ara

10c’ ansa

5c’ ia

10d ir

5b’ ensa

10c’ ansa

5c’ ia

10d ir

 

10b en

7b atz

10e’ ia

 

10b en

7d en

 

 

 

7e enh

 

XIII

6 str. un.

XIV

5 str. un.

 

 

10a ens

10a’ ura

 

 

10b ors

10b en

 

 

10b ors

10a’ ura

 

 

10a ens

10b en

 

 

10c’ ensa

10b en

 

 

10c’ ensa

10b en

 

 

10d os

10b en

 

 

10d os

10a’ ura

 

 

 

Les tableaux suivants montrent les caractéristiques détaillées de la métrique de Montanhagol :

 

Nombre de strophes par pièce

Nombre de pièce

Nombre de tornades par pièce

Nombre de pièce

2 str. : Nº II.

1

1 tornade : I, II, IV, VI, VIII, IX, XI, XII, XIII.

9

5 str. : Nºs I, IV, V, VI, VII, VIII, X, XII, XIV.

9

2 tornades : III, V, VII, X, XIV.

5

6 str. : Nºs III, IX, XI, XIII.

4

 

Nombre de vers par tornade

Nombre de pièces

Nombre de vers par strophe

Nombre de pièces

3 vers : I, VII (2 vv. à la 2e torn.), X (double torn.), XIV (2 vv. à la 2e torn.).

4

7 vers : VII, X.

2

4 vers : II, V (double torn.), VI, VIII, IX, XIII.

6

8 vers : II, XIII, XIV.

3

5 vers : IV, XI, XII.

3

9 vers : I, IV, V, IX, XI.

5

6 vers : III (double torn.).

1

10 vers : VI, VIII, XII.

3

12 vers : III.

1

 

 

Nombre de syllabes par vers

Nombre de pièces

7 syll. : V.

1

7 et 6 syll. : III.

1

7 et 5 syll. : XII.

1

7, 8 et 5 syll. : X.

1

8 syll. : VII.

1

8, 6 et 4 syll. : IV.

1

10 syll. : II, IX, XI, XIII, XIV.

5

10 et 8 syll. : I.

1

10, 6 et 4 syll. : VI, VIII.

2

                  

Proportion de rimes masc. et fém.

Nombre de pièces

Rimes masc. uniquement : I.

1

Rimes fém. Uniquement : X.

1

Rimes mélangées : VII, XIV (1 rime fém. sur 2) ; III, IV (1 rime fém. sur 3) ; II, V, VI, VIII, XI, XIII (1 rime fém. sur 4) ; IX, XII (1 rime fém. sur 5).

12

  

Nombre de rimes par strophe

Nombre de pièces

2 rimes : VII, XIV.

2

3 rimes : III, X, XI.

3

4 rimes : I, II, IV, V, VI, VIII, XIII.

7

5 rimes : IX, XII.

2

        

Disposition des rimes dans les pièces : toutes unissonans.

D’après ces tableaux, il est possible de juger combien la versification de Montanhagol reflète l’art poétique de l’âge classique et à quelle distance elle s’en trouve. Vu que Montanhagol appartient à une période qui se trouve entre l’époque de Bernart de Ventadour et la période des derniers troubadours, où furent écrites Las Leys d’Amors, on ne peut guère considérer ce livre comme un critère absolu, puisqu’il contient des règles de poétique qui pouvaient ne pas s’appliquer à la période de Guilhem. La méthode la plus valable me semble la suivante. Il s’agit de comparer la versification de Montanhagol avec celle des poètes de l’époque classique, avec celle des poètes de la fin du XIIIe siècle et avec celle des contemporains de Montanhagol. L’étude de Jeanroy (La Poésie lyrique des Troubadours (Toulouse-Paris, 1934), t. II, pp. 69-94) donne les caractéristiques de la poésie de l’époque classique, dominée par Bernart de Ventadour et continuée jusque dans les premières années du XIIIe siècle. Il est donc intéressant de noter les conclusions de M. Almqvist au sujet de la versification de Guilhem Adémar (cf. son édition, p. 76 sq.). Finalement, on pourrait utilement comparer la versification de Montanhagol avec celle d’un poète prolifique de son époque, Sordel (cf. Boni, Sordello, pp. CLI-CLIX).

Les poésies de l’époque classique ont d’ordinaire cinq ou six strophes, chez Guilhem Adémar également, mais on note un nombre aussi grand de pièces de sept strophes que de six. Chez Sordel, il y a une prédominance de pièces de cinq strophes. Aucune canso n’a six strophes et seulement deux sirventés comportent ce nombre de strophes. Chez Montanhagol, les pièces à cinq strophes dominent (9 sur 14). Quatre pièces seules ont six strophes dont une est un partimen. On constate, donc, un accord avec l’usage du stade classique.

Pour ce qui est des tornades, Jeanroy suggère que, vu les divergences des mss., il n’est guère possible de formuler des règles qui n’existaient peut-être pas (cf. La Poésie lyrique..., t. II, p. 94). Sans bases de comparaison avec le stade classique, il semble peu prudent de suggérer des critères d’après l’étude de la versification de trois troubadours. Mais, dans un but de statistique, j’ai établi des tableaux pour les tornades chez Montanhagol (cf. supra).

A l’origine, les strophes sont composées, en moyenne, de huit ou neuf vers. En effet, chez Guilhem Adémar, les strophes à huit vers prédominent (8 pièces sur 16). Chez Sordel, il en est de même (27 pièces sur 42), tandis que Montanhagol préfère les strophes à neuf vers, suivies à égale distance des strophes à huit vers et à dix vers (3 exemples de chaque formule). Tous s’en tiennent, donc, aux formules préférées de l’époque classique.

Les strophes sont composées de vers d’un seul type ou de deux ou plusieurs types. Adémar préfère les vers de longueur uniforme. Sur seize pièces, il y en a dix composées de vers d’un seul type. Parmi ces vers-ci, ceux de huit syllabes prédominent. Chez Sordel aussi, on voit une prédilection pour les vers d’un seul type (27 sur 42). Les vers de dix syllabes se trouvent seuls dans 19 pièces. Sept des quatorze pièces de Montanhagol sont composées de vers d’un seul type. De ces sept, cinq sont en décasyllabes.

Pour les vers à plusieurs types, Adémar montre une prédilection, comme les troubadours classiques, pour ceux de sept et de huit syllabes, mais le décasyllabe est assez fréquent. Chez Sordel, le décasyllabe entre dans la plupart des combinaisons. Montanhagol a tendance à se servir des vers de 5, 6, 7, 8 et 10 syllabes. Mais ces résultats ne sont pas très concluants, puisque le nombre de poèmes qu’on peut consulter est plutôt restreint. Il en résulte que, à mesure qu’on s’éloigne du stade classique, on se sert de plus en plus du décasyllabe dans les deux types de vers. Comme l’a suggéré M. Boni (p. CLIII), cet aspect caractérise nettement les troubadours du XIIIe siècle et ne se trouve guère chez les anciens (cf. aussi, Jeanroy, La Poésie lyrique..., t. II, p. 74).

A l’époque classique, les rimes féminines sont assez fréquentes. Cependant, les poésies de G. Adémar sont composées, pour la plupart, de vers à rimes masculines, chez Sordel aussi et également chez Montanhagol. Chez Adémar, six pièces sont composées uniquement de vers à rimes masculines, chez Sordel aussi. La plupart des pièces de Montanhagol ont des rimes mélangées, mais qui comprennent une majorité de rimes masculines.

Chez les trois troubadours, le nombre des rimes varie, mais les combinaisons de quatre rimes prévalent.

Finalement, en ce qui concerne la disposition des rimes dans les pièces, Jeanroy nous apprend que le système des rimes singulars, employées par les plus anciens troubadours, diminue en fréquence à mesure que l’on arrive au stade classique. Chez Bernart de Ventadour déjà, il n’y a plus que deux pièces à rimes singulars sur 37 (cf. p. 75). Ce système est remplacé par celui des coblas unissonans, qui, “dès la fin du XIIe siècle, l’emporte très sensiblement sur tous les autres” (cf. p. 76). Les poésies de G. Adémar sont toutes composées de coblas unissonans à part une, son seul sirventés. Sordel se sert de ce système dans 21 sur 29 pièces et Montanhagol dans toutes ses pièces.

Quant à l’allitération, Jeanroy avait suggéré dans sa critique de l’œuvre de Coulet (AdM, X, p. 348, A3) qu’elle était très fréquente, mais qu’elle semblait due “moins à un système qu’au redoublement de mots issus d’un même thème, recherche qui est fréquente à cette époque.” Mais, chez Montanhagol, l’allitération n’est pas fréquente ; on trouve à peine quatre ou cinq exemples où la répétition de mots de même dérivation forme la base de cette allitération, comme l’avait démontré Jeanroy (cf. I, 45 ; V,42-44 ; IX, 20 ; XI, 5 ; XIII, 49, 50). Le seul exemple d’un tel système se trouve à la pièce II aux vv. 1-8, formé par la répétition de lu. Ce manque de recherche provient du type de poème préféré par Montanhagol, le genre didactique, où quelques jeux de mots ou répétitions provenant de la même racine sont les seuls artifices utilisés.

La césure dans le décasyllabe tombe très souvent après la quatrième syllabe accentuée, selon la règle de l’art poétique codifiée dans Las Leys d’Amors (éd. Anglade, II, 68, 69). Cependant, on trouve chez Montanhagol bien des cas de césure lyrique, c’est-à-dire, là où la césure tombe après la quatrième syllabe inaccentuée. J’ai relevé les exemples suivants : I, 6, 17, 44, 47 ; II, 6, 11, 14 ; VI, 5, 53 ; VIII, 11, 38, 60 ; IX, 4, 17, 22 ; XI, 4, 12, 29, 39, 45, 48 ; XIII, 16, 19 ; XIV, 7.

On trouve des exemples de césure après la cinquième syllabe accentuée :

I, 43 ; II, 19 ; VIII, 44, 64 ; XI, 16, 54 ; XIII, 2. Très souvent, on remarque la piésence de la césure après la sixième syllabe accentuée (dans I, 36 ; II, 13 ; VI, 18, 50 ; IX, 28, 30 ; XI, 17, 38, 58, 59) et même quelques exemples de césure après la sixième syllabe inaccentuée, qui, dans ce cas, a la valeur d’une syllabe accentuée (I, 35 ; VI, 49).

On trouve dans les octosyllabes cinq cas seulement de césure après la quatrième syllabe accentuée (I, 4, 10 ; VII, 16, 27, 32).

Il est intéressant de noter un cas de césure enjambante (XIV, 12) et deux cas d’enjambement (VII, 25, 26 ; IX, 40, 41).

Laissant de côté les cas d’hiatus et d’élision permis par Las Leys d’Amors (cf. éd. Anglade, II, p. 36 sq.), notons ceux qui n’entrent pas dans ce cadre. D’abord, hiatus entre deux mots dont le premier se termine par la voyelle qui commence l’autre mot : II, 13 : cui ill. Ensuite, hiatus à la rencontre de deux voyelles différentes : I, 17 : fassa en ; I, 48 : esta ora ; VII, 21 : torna en ; VIII, 25 : que a la flor ; VIII, 29 : sembla obra ; XI, 17 : ama e vol ; XIII, 11 : vengua en cor.

Quant à l’élision, on remarque celle de l’i dans li datif du pronom personnel dans le cas suivant : I, 13 : e Dieus l’a fait aitan d’onor. Il aurait été plus conforme à la règle d’écrire li a fait. En effet, on constate que dans d’autres cas, cet i est respecté (e. g. bel li es —VIII, 44). ()

 

 

NOTES

 

*. Le Troubadour Guilhem Montanhagol, éd. par Jules Coulet (Bibliothèque Méridionale, lre série, t. IV ; Toulouse, 1898). ()

1. P. 17. ()

2. A - Montangnagol, C - Montanhagol, J - Montanagol, M - Montainhagol, R - Montanhagol, U - Montangnagol, e - Montanhagol. Des autres mss., D - montagnagout, E et T - Montanago,F- Montagnagot, I - Montagnaçot, K - Montaignaçot, a - montanghaguout, a¹ - montangnhagout, d - Montagnazot, f - montainha agout. Il est à remarquer que dans le cas de E et T on n’est pas loin de la première forme. Les mss. suivants ne donnent pas son nom : P, Ve Ag, j. Les mss. du Breviari d’Amor offrent des formes intéressantes : (A) - Montanhagol, Montanagut, (C) - Montanagols, mot magarol, mont magarol, montanagol, montainagol, (D) - montanhagol, (F) - Montanagut, montanhagol, montanhgol, montanhagols, (H) - Montanhagols, motanhagol, montanhagol, (K) - montanagol, montanegol, montanegal, (L) - montanagol, mantanagol, montagol, (M) - Montanhagols, montanhaguol, monthaneguols, (N) - Montanhagols, montanhagol. ()

3. Coulet propose une explication intéressante du nom. Il le décompose en Montagnac -ol, où le suffixe marque l’origine. Meyer, dans sa critique de l’œuvre de Coulet (Rom. XXVIII, 318) doute que ce nom signifie ‘de Montanhac’. Il ajoute que l’emploi du suffixe -ol pour marquer la provenance n’est pas attesté en ancien provençal. On ne peut donc rien affirmer à ce sujet. Meyer ajoute aussi que dans le “Registrum Donationum Regni Valentie,” document historique datant de 1238, on lit “G. de Montaynagol” (pour ce document, cf. p. 14). Schultz-Gora (Lit. Zent., Jahrgang 1899, p. 969) jette des doutes sur la dérivation ‘de Montanhac’, puisque dans beaucoup de témoignages on trouve le nom précédé de de. Il avait donné comme titre à son article : “Le Troubadour Guilhem de Montanhagol,...”. Bien des critiques et provençalistes sont d’accord sur cette question. Dans beaucoup d’études littéraires, l’auteur donne à Guilhem le nom de famille de Montanhagol, sans même chercher à le justifier (par exemple, J.-J. Salverda de Grave, Le Troubadour Bertran d’Alamanon (Bibliothèque Méridionale, 1re série, t. VII, Toulouse, 1902), p. 80, la note à XII, 9 ; H. Springer, Das altprovenzalisches Klagelied (Berlin, 1895), pp. 25 et 100 ; cf. aussi, I. Frank, Répertoire métrique de la Poésie des Troubadours (Bibliothèque des hautes Études, t. I, 302e fasc, Paris, 1953 et t. II, 308e fasc., Paris, 1957 [Sciences historiques et philologiques]), II, 128). ()

4. Coulet (p. 12) renvoie à Bartsch (Jahrbuch für romanische und englische Litteratur, XI, 19). Mais il y a comme source aussi le ms. a¹ (cf. Introduction III), qui est une copie complémentaire du chansonnier de Bernart Amoros, qui aurait contenu la vida de Montanhagol et en même temps certaines de ses poésies. Cf. là-dessus, Stengel, RlR, XLII, 305-344 et G. Bertoni, Il Canzoniere provenzale di B. Amoros, Sez. Riccardiana (Friburgo, 1911) pour le ms. de la Biblioteca Riccardiana et, pour le fonds Càmpori, du même, Il Canz. prov., Compl. Càmpori. ()

5. Il est certain que castel ne signifie pas exactement ‘château’, comme le traduit Coulet (p. 12). Le terme comprend toute la ville et se traduit plus exactement par ‘place-forte’ (cf. K. Almqvist, Les Poésies du Troubadour Guilhem Adémar (Uppsala, 1951), p. 13). ()

6. Le Biografie provenzali, Valore e Attendibilità (Firenze, 1952). ()

7. Ibid., pp. 10 et 11. ()

8. Pièce Nº II. ()

9. Critiquer l’affirmation que Guilhem fut “gran amador” est un peu extrême. Coulet dit : “ce dont il [sc. le biographe] ne savait rien” (p. 13) et ajoute que le biographe affirme “qu’il [Guilhem] ne composa que des chanzos dédiées toutes à la même Jausserande, ce qui était une double erreur” (ibid.). Mais le biographe dit tout simplement que Guilhem composa beaucoup de belles chansons, ce qui n’exclut pas l’existence d’autres chansons écrites pour d’autres dames et de sirventés, pièces morales et autres. On note que Coulet avait parfaitement bien compris le sens de la phrase dans sa traduction (p. 12). ()

10. Cf. Appendice III. ()

11. Il semble nécessaire de corriger l’interprétation des confusions voulues de Nostre Dame. Pour ce qui est du nom, Coulet rapporte que Nostre Dame transforme “Guilhem Montanhagol en Guilhem d’Agoult” (p. 14). Mais la forme qu’on trouve dans la vida n’est certainement pas tellement différente de celle du nom du seigneur, puisqu’on y lit “Guillem de Montanghaguout.” La vida est une copie de celle qui se trouvait dans le chansonnier de Bernart Amoros et Nostre Dame se servit d’un deuxième ms., lui aussi perdu aujourd’hui, le chansonnier de Sault, dont celui de Bernart Amoros serait ou un intermédiaire ou même l’original (cf. Bertoni, Il Canz. prov., Compl. Càmpori, p. XIII). ()

12. Jehan de Nostre Dame, Vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux, nouvelle édition préparée par C. Chabaneau et publiée avec Introduction et Commentaire par J. Anglade (Paris, 1913). ()

13. Ibid., p. (63). ()

14. Ibid. ()

15. Ibid., p. (66). “Mais Nostre Dame garde quelque discrétion dans l’invraisemblance. Il n’a pas atteint encore cette inconscience dans le mensonge et la fausseté dont les Vies imprimées offrent le constant témoignage.” ()

16. Ibid., p. 24. ()

17. Aux variantes du ms. de Carpentras, Anglade (ibid., p. 283) note au sujet des deux dernières phrases : “L. 3-5, ‘Il adresse... vycis et vertus.’ Ajouté après coup, l’encre est plus noire et l’écriture moins posée.” ()

18. “Le Liber de Nobilitate Animi et les Troubadours,” dans Studi Medievali, vol. II, fasc. 1 (Anno VII), pp. 163-172. Thomas note qu’Hauréau (Notices et Extraits des Manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres Bibliothèques, XXXV, 1re partie, 209-239) avait déjà traité cette question, mais avait apparemment sauté trois citations, dont deux seraient de Montanhagol. ()

19. Ibid., p. 172. ()

20. Ibid., p. 171. ()

21. Le ms. lat. 16089 de la Bibliothèque Nationale, considéré comme le plus fidèle des deux, et le ms. 424 de la Bibliothèque de Bruges. J’ai examiné le ms. de Paris. ()

22. Thomas, p. 171. ()

23. Ibid., p. 169. Dans le ms. de Paris, 241 recto, en bas de la page. ()

24. Ibid. ()

25. Ibid. ()

26. Ibid., pp. 169, 170. Dans le ms. de Paris, 241 verso. ()

27. Ibid., p. 170. ()

28. Le but de cette étude a été de souligner le côté moralisateur de Guilhem. La composition même de l’opuscule montre qu’il fut bon dialecticien, tout comme la présence de deux de ses citations dans un traité philosophique. Mais il serait peu profitable d’essayer d’utiliser ces deux citations brèves puisqu’elles n’ont pas directement rapport avec son œuvre poétique et n’en révèlent pas d’autres aspects. Il suffit de noter leur existence et de constater qu’elles s’accordent avec le thème des poésies morales. Il dit qu’il est louable que les pieds, qui dépendent du caprice du corps, se meuvent sans déraison et que les gens qui n’ont que la beauté physique sans la vigueur du cœur sont des images sans vie. ()

29. Pièce I. ()

30. P. 21. ()

31. Cf. le Registrum Donationum Regni Valentie (Bibl. Nat. O b 33). Coulet cite les passages qui concernent Guilhem (p. 21). ()

32. Il ne semble pas que ce soit un nom tellement courant. De toutes les chartes consultées pour obtenir de nouvelles données sur le troubadour, je n’en ai trouvé qu’une dans les documents de l’époque (cf. pp. 13 et 14, sur le Liber de Nobilitate Animi). Certains critiques semblent sûrs qu’il s’agit de lui. Appel (Zeitschr., XXIII, 556), en parlant de la forme du nom, dit :

Wie darf er [Coulet] aber dieser Namensform die Berechtigung absprechen, wenn er die zeitgenössischen Dokumente, in denen von G. von Montaynagol die Rede ist und die doch den Namen mit juristischer Genauigkeit angeben sollten auf den Trobador bezieht ?

Tobler (Archiv, CI, 462) exprime le même avis. De même Jeanroy (AdM, X, 345) dit qu’il est vraisemblable qu’il s’agisse du poète que nous voyons mêlé aux incidents de la politique méridionale de 1240 à 1250 environ. Meyer (Rom, XXVIII, 319), en parlant de la forme du nom et de ce document, dit : “Il reste toutefois à savoir si c’est du même personnage qu’il s’agit.” De Lollis remarque : “Guillem de Montanhagout fu tolosano... e non esitiamo a identificarlo... con quello a cui furon fatte molte elargizioni da Giacomo I nella ripartizione di Valenza durante gli anni 1238, 1239... tanto più che molti col titolo di giullare figurano nella lista di detta ripartizione” (Vita e Poesie di Sordello di Goito (Romanische Bibliothek, XI ; Halle, 1896), p. 287). Coulet suggère (p. 21) qu’il pouvait y avoir un rapport entre les attaques de Guilhem contre l’Inquisition et sa présence en Espagne. Mais en 1237, dans le Toulousain justement, l’exercice de l’Inquisition est suspendu pendant quelques années, “depuis le mois d’octobre de l’an 1237 jusqu’en 1241” (Hist. Lang., VI, 702). Il s’agit plutôt d’un voyage en Espagne pour faire fortune. Évidemment, si on considère que Guilhem était parti avant 1237, il est possible qu’il ait voulu chercher à fuir l’Inquisition. Ni l’une ni l’autre hypothèse n’est à exclure. ()

33. Le ms. C(f. 260 recto) le nomme “Guilhem Montanhagol de Tholoza.” Cf. la note de Jeanroy (AdM, X, 346) :

“Il me semble qu’il [Coulet] eût pu être plus affirmatif en ce qui concerne la patrie du poète. L’ancienne biographie le donne, il est vrai, pour un ‘chevalier de Provence’, mais M. Coulet a lui-même démontré surabondamment que cette biographie, uniquement fondée sur la connaissance et la très médiocre intelligence de quelques pièces, n’a aucunement la valeur d’un document original. Il n’y a donc pas lieu de rejeter l’indication fournie par le manuscrit C, qui représente, pour le texte des poèmes, la tradition la plus pure. M. Coulet a lui-même remarqué que tout, dans les œuvres du poète, concorde pour nous montrer en lui un Toulousain : considérons donc, non comme une hypothèse, mais comme une certitude, l’origine toulousaine de Montanhagol.” ()

34. Pour les circonstances de la composition de chaque pièce, cf. respectivement, les remarques sur la date de la pièce. ()

35. Cf. la note à la pièce II. ()

36. Cf. De Lollis, Sordello, p. 51. ()

37. Cf. Belperron, p. 435. ()

38. Cf. vv. 24-26. ()

39. Cf. les pièces XI, XII, XIII et XIV. ()

40. Cf. ibid., les notes sur la date de ces pièces. ()

41. Coulet, pp. 27, 28. ()

42. VI, VII, VIII et IX ; à l’exception de la pièce VI dont le terminus a quo est 1229 (cf. la note sur la date de la pièce). ()

43. P. 28. ()

44. V, 50. ()

45. X, 40. ()

46. v. 55. ()

47. Cf. la note sur la date du poème et surtout la note au v. 55 sur Alcaya. ()

48. Mariés en 1237. Cf. Hist. Lang., VI, 649. ()

49. Cf. Appendice II. J’ai examiné le ms. (f. 362 recto). ()

50. P. 32. ()

51. Cf. pièce VI, vv. 37-40 et Appel, Zeitschr., XXIII, 555. ()

52. Coulet (p. 31), qui a réussi par des déductions habiles à déterminer la biographie de Guilhem, énumère les questions qui restent à résoudre : entre autres, “quels rapports l’unissaient au comte de Toulouse, quel rôle il eut dans les événements de son temps.” Mais deux pages plus loin (p. 33), il donne une réponse à ces deux questions. “Et tout ce que nous pouvons dire d’après la lecture de ses poésies, c’est qu’il s’intéressa vivement aux événements contemporains et qu’il les vit, sans doute, d’assez près. Mais sa seule qualité de troubadour, qui lui assurait une place dans l’entourage immédiat du comte de Toulouse, suffit à nous l’expliquer.” ()

53. Cf. Appendice II, vv. 53-54. Il est à remarquer que ces deux derniers vers forment une deuxième tornade, au contraire de ce qu’avait pensé Coulet (cf. pour la disposition des rimes, la note sur la formule strophique de la pièce XIV). Ces deux tornades semblent former un petit aparté qu’adresse Pons Santolh à la Vierge. Coulet veut que Pons prie la Vierge d’être miséricordieuse à Guilhem, parce que celui-ci avait chanté ses louanges. Mais pendant toute une strophe (VI), Pons se borne à faire une prière à Dieu, lui demandant de donner à Guilhem la couronne de la vie et les vêtements célestes. Coulet veut que Guilhem ait fait des chansons à la Vierge, mais d’après l’époque où il a écrit, cela n’est guère probable. Coulet rejette l’hypothèse de Lowinsky (Zum geistlichen Kunstliede in der altprovenzalische Litteratur (Berlin: Dissert., 1897), p. 45) qui, dit Coulet :

a supposé d’après ce même passage l’existence de chansons pieuses, non de Montanhagol, mais de Pons Santolh. Toute la pièce montre que c’est pour notre poète que Pons Santolh implore la Vierge et il parle des chansons pieuses de Montanhagol comme d’un titre à sa miséricorde (p. 37, A 4).

Mais il n’est guère probable que Guilhem ait écrit de telles “chansons pieuses.” ()

54. Coulet avait divisé ces quatorze pièces en sirventés et en chansons, bien que les mss. ne font nulle part une telle distinction. Selon Jeanroy (AdM, X, 349, A 1) cette distinction lui “paraît ici particulièrement arbitraire : les deux genres, en effet, se mêlent dans la plupart des pièces.” ()

55. Cf. Introduction, pp. 12-14. ()

56. Cf. ibid., pp. 13-14. ()

57. P. 38. ()

58. Cf. C. Camproux, Histoire de la Littérature occitane (Paris, 1953), p. 61. ()

59. Cf. Belperron, pp. 388-391. ()

60. I, 46-48. ()

61. Cf. Belperron, p. 389. ()

62. Ibid., pp. 404, 405. ()

63. I, 37-45. ()

64. I, 19-24 et la note aux vv. 21-24. ()

65. I, 26, 27. ()

66. I, 28-32. ()

67. I, 33-36. ()

68. I, 10-18. ()

69. Belperron, p. 413. ()

70. Ibid., pp. 418, 419. ()

71. Ibid., p. 420. ()

72. Ibid., pp. 421, 422. ()

73. Ibid., pp. 423, 424. ()

74. IV, 1 sq. ()

75. IV, 10 sq. ()

76. P. 43. ()

77. IV, 39. ()

78. IV, 46 sq. ()

79. Belperron, p. 435. ()

80. X, 8 sq. ()

81. X, 15 sq. ()

82. X, 29 sq. ()

83. Belperron, p. 433 sq. ()

84. III, 2, 3 et 73-75. ()

85. V, 46, 47 ; VI, 27. ()

86. VII, 31-33. ()

87. XI, 55-59. ()

88. XII, 51-55. ()

89. XIII, 49-52. ()

90. XIV, 41-45. ()

91. XIV, 25-40. ()

92. XIII, 25-32. ()

93. I, 29. ()

94. I, 7. ()

95. V, 28-31. ()

96. V, 32-33. ()

97. XIV, 1 sq. ()

98. X, 15 sq. ()

99. I, 10-18. ()

100. I, 16-18. ()

101. Cf. p. 46 sq. ()

102. I-X. ()

103. XI, XII et XIII. ()

104. VI, 41-44. ()

105. VI, 21-23. ()

106. VI, 12-14. ()

107. VIII, 27-30. ()

108. VIII, 51-56 et IX, 50-52. ()

109. IX, 28-36. ()

110. IX, 50. ()

111. VII, 1-7 ; IX, 1-9. ()

112. IX, 10 sq. ()

113. IX, 19-25. ()

114. IX, 46-49. ()

115. VI, 1-10 ; VIII, 31-36. ()

116. VI, 45-50 ; VII, 15-18 ; VIII, 37,40. ()

117. VIII, 41-50. ()

118. Coulet, p. 47. ()

119. VII, 17-20. ()

120. VIII, 1-20. ()

121. XI, 37-45. ()

122. XI, 1-9. ()

123. XI, 10-15. ()

124. XI, 28-30. ()

125. XIII, 17-24. ()

126. XIII, 41-48. ()

127. XI, 31-36. ()

128. XI, 50-54. ()

129. XII, 11-20. ()

130. Cf. L. T. Topsfield, “The Theme of Courtly Love in the Poems of Guilhem Montanhagol,” French Studies (XI, Nº 2 : April, 1957), pp. 127-134. Je tiens à marquer ma dette envers M. Topsfield qui a résumé si magistralement les idées courtoises de Guilhem et m’a mis sur la bonne voie. ()

131. Je me suis servi comme point de départ pour ces quelques considérations de l’excellent livre de M. J. Wettstein, “Mezural’Idéal des Troubadours, son Essence et ses Aspects (Zurich, 1945), passim. () ()

 

 

 

 

 

 

 

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