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Boutière, Jean. Peire Bremon lo Tort . "Romania", 54 (1928), pp. 427-452.

PEIRE BREMON LO TORT

 

Nous ne savons à peu près rien de la vie de Peire Bremon lo Tort : une très courte biographie provençale (1) nous apprend seulement que ce troubadour était « un pauvre chevalier du Viennois » et que, « bon trouveur », il fut très honoré par les barons de la contrée.

De nombreux documents du Dauphiné (2) mentionnent, dès 1160, parmi les témoins de partages et d’autres actes, un « Petrus Bermundi » ou « Peire Bremont », et, en 1209, « Petrus Bremondi et Bermundus filius ejus » ; ces deux personnages sont toujours cités parmi les derniers de la liste, ce qui prouve qu’ils avaient une situation modeste ; mais, nous ne pouvons pas affirmer qu’ils fassent partie de la famille du poète et, encore moins, que l’un des deux soit le poète lui-même.

En l’absence de documents, on a essayé de déterminer indirectement l’époque à laquelle vivait Peire Bremon.

On a songé notamment à l’identifier avec le Peire Bremon dont il est fait mention aux vers 43 sqq. de la célèbre satire de Peire d’Auvergne contre les troubadours de son temps (3). Mais M. Zenker a montré (4) que dans ce passage il est question de Peire Bremon Ricas Novas (5), bien connu par les sirventés qu’il échangea avec Sordel, et que, d’ailleurs, la strophe a été certainement interpolée.

D’autre part, C. Chabaneau (6), considérant que les deux Peire Bremon portent un sobriquet, a conjecturé qu’ils étaient contemporains : chacun des deux poètes auraient reçu un surnom pour être distingué de son homonyme ; c’est là une hypothèse gratuite : les deux Bremon ont pu vivre à des dates différentes, et le sobriquet du premier obligeait les copistes des mss à attribuer, sous peine de confusion, un sobriquet au deuxième.

Nous en sommes donc réduits à essayer de trouver des renseignements dans les pièces subsistantes du poète.

L’œuvre de Peire Bremon (ou, peut-être, ce qu’il reste de cette œuvre) est, à vrai dire, bien mince : elle ne compte que deux chansons. Aussi Raynouard s’est-il contenté de la mentionner brièvement (7) et tous les philologues qui ont suivi l’ont complètement négligée ; bien plus, une erreur matérielle de Bartsch (8) a frustré Peire Bremon de l’une de ses poésies : le Grundriss lui attribue seulement la pièce En abril can vei verdejar (331, 1), dont Raynouard (9) et Diez (10) avaient publié (d’ailleurs sous le nom de B. de Ventadour), celui-ci une traduction fragmentaire, celui-là le texte. Cette dernière chanson, fort précieuse pour le biographe, a été éditée critiquement : mais M. Appel (11) n’a utilisé qu’une partie des mss ; elle n’a été étudiée de près par personne.

Or, un examen attentif des mss nous permet d’affirmer non seulement que Peire Bremon est l’auteur de la pièce 331, 1, mais encore qu’il faut lui rendre la chanson Mei oill an gran manentia, que Bartsch attribue à Ricas Novas (330, 10) (12) : les deux pièces, étroitement liées par les idées, l’expression, les rimes et la langue, se font suite dans l’ordre 331, 1 ; 330, 10 (13).

 

I. — Voici d’abord le témoignage des mss :

La pièce I est donnée par onze mss (14), dont quatre (D I K c) contiennent aussi la pièce II ; les mss C D I K l’attribuent à Peire Bremon lo Tort (15), c à Peire Breumon ; T a nomment Peire Raimon comme auteur, par évidente confusion entre Raimon et Bremon (16).

Cette chanson est anonyme dans N2 et O (17) ; G R et la table de C l’attribuent à B. de Ventadour ; Sg à R. de Vaqueiras. Mais les mss C D I K c T a suffiraient à assurer la paternité de Peire Bremon (18) même si nous n’en avions pas d’autres preuves.

L’erreur du ms. Sg s’explique aisément : elle provient du fait que R. de Vaqueiras, qui, de plus, est allé aux Croisades, a écrit une chanson (Aras can vei verdejar, Grundriss, 392, 4) dont le début ressemble à celui de 331, 1.

Il est plus surprenant que G R et la table de C nomment comme auteur B. de Ventadour: en effet la biographie ancienne (qui, du fait qu’elle a été écrite par Uc de Saint-Circ, d’après les renseignements fournis par Eble IV, mérite une créance particulière) nous apprend que Bernart séjourna successivement auprès du vicomte de Ventadour, d’Éléonore d’Aquitaine et de Raimon V de Toulouse ; mais elle ne nous dit pas qu’il soit allé aux Croisades (19) : la paternité de Bernart ne saurait donc être retenue. La confusion de G et de R C, qui appartiennent à deux familles différentes, paraît s’expliquer comme suit : deux pièces de Bernart (70, 24 ; 70, 25) commencent par lanquan vei ; deux autres (70, 42 ; 70, 43) par quan vei et la première strophe de 70, 42 est, par les idées et par quelques mots, assez voisine de la strophe I de notre nº II ; or la pièce 70, 42 précède immédiatement, dans G, notre nº II ; elle figure également, dans R, peu après la même pièce : c’est elle, sans doute, qui a induit le copiste en erreur.

L’autre chanson (Bartsch, 330, 10) est donnée par cinq mss. Quatre d’entre eux (A D I K) l’attribuent à Peire Bremon lo Tort ; le cinquième (c) à Peire Breumon. Dans A I K, la pièce est précédée de la courte biographie du poète et, dans D I K c, elle est accompagnée du nº I (20).

La paternité de Peire Bremon est donc sûre et c’est par suite d’une erreur matérielle que Bartsch a fait figurer parmi celles de Ricas Novas cette chanson déjà attribuée par Raynouard (21) à son véritable auteur. L’erreur de Bartsch n’a été relevée qu’assez récemment (22) et M. de Lollis (23), puis M. Salverda de Grave (24) se sont appuyés sur cette pièce pour conjecturer que Ricas Novas était allé en Syrie, lors de la Croisade de 1248.

 

II. — L’étude des textes vient confirmer le témoignage des mss.

Si on analyse les deux pièces, on se convainc aisément qu’elles ont été écrites en Syrie, au cours de l’une des Croisades, par un même troubadour.

Voici le résumé de la première chanson :

Au retour du gai mois d’avril, le poète se rappelle la joie qu’il éprouvait naguère (en France) auprès de sa « dame » (strophe I), dont il tâchait de mériter l’amour par ses attentions et ses talents (str. II). Il chante, pour essayer d’oublier son chagrin ; d’ailleurs doit-il désespérer d’avoir encore lieu de chanter ? (str. III). Non, il ne doit pas perdre tout espoir : Dieu, pour lequel il a abandonné sa « dame », a le pouvoir de la lui rendre ; en tout cas, s’il la recouvrait, jamais plus il ne la quitterait (str. IV). C’est qu’en effet, au moment où il a pris congé, elle lui a témoigné son amour par de touchantes paroles (str. V) ; d’ailleurs, jamais auparavant le poète n’avait voulu partir pour la Croisade : Dieu a dû s’étonner de le voir se résoudre à une séparation si douloureuse (str. VI). La strophe VII envoie la chanson « outre mer » (en France) : elle dira à la « dame » que son ami songe à elle nuit et jour, et chargera Guillaume-Longue-Épée d’aller réconforter l’abandonnée ; car le poète ne peut quitter la Syrie sans le protecteur qu’il y a accompagné (str. VIII).

La deuxième pièce a été écrite plus tard, au moment où les Croisés allaient regagner leur patrie :

Après avoir dit adieu à « celle qui faisait sa joie », le poète est si désespéré qu’il souhaite la mort (str. I-II). S’il éprouve tant de peine, ce n’est pas que sa « dame » lui ait accordé son amour : il n’a jamais osé le lui demander (str. III) ; mais il a été séduit, dès le premier jour, par ses mérites tout à fait exceptionnels (str. IV). Il éprouverait un grand réconfort, s’il pouvait être accompagné en France par un valet de sa « dame », avec lequel il s’entretiendrait d’elle tout le jour (str. V). Puis, par une brusque inconséquence, il demande à Dieu de le ramener bien vite (en France) auprès de celle qu’il a abandonnée, espérant que, grâce à l’aide divine, il pourra trouver « merci » (str. VI).

En somme, le poète, parti pour la Croisade malgré la défense de sa « dame », exprima dans une première chanson ses regrets, et ses espoirs de pardon ; outre mer, il s’éprit d’une Syrienne et, au moment où il quittait l’Orient pour ne plus y revenir, il chanta sa douleur dans une seconde pièce (25).

Il n’est pas surprenant que Bremon ait clamé successivement son désespoir pour deux « dames » différentes : c’était chose courante chez les troubadours, dont les amours étaient souvent plus ou moins imaginaires. Par contre, la strophe VI de la pièce II soulève certaines difficultés : il ne faut pas s’étonner, croyons-nous, que le poète dise, au vers 46, que sa « dame » n’a pas voulu lui donner congé, alors qu’il déclare dans la pièce I (v. 30) qu’il a pris congé, car les plaintes des vers 34-35 de la pièce I équivalent à un refus ; mais cette strophe est en contradiction avec les cinq premières : l’auteur, après avoir dit, au début de la chanson, que toute joie lui est désormais interdite et qu’il va se laisser mourir, oublie subitement sa douleur, pour ne plus songer qu’à aller retrouver au plus vite celle qu’il a abandonnée en France. Il y a là une singulière incohérence et l’on peut se demander si cette strophe VI (donnée par le seul ms. c), qui reprend les idées exprimées aux vers 24-25, 30 et 35 de la pièce I, sans tenir compte, semble-t-il, des strophes qui la précèdent immédiatement, n’a pas été interpolée ? Remarquons toutefois, d’une part, que le ms. c est également le seul à avoir conservé la tornada de la pièce I ; d’autre part, que notre strophe VI présente des particularités de langue (seit, aia), qui cadrent parfaitement avec celles des autres strophes (par exemple, jazir, du vers 37) (26) ; elle ne paraît donc pas apocryphe.

 

III. — Les deux chansons ne sont pas liées seulement par les idées, mais aussi par l’expression : le poète a repris dans la pièce II beaucoup de mots et même des groupes de mots de la pièce I ; voici quelques exemples :

 

I
E s’ieu er’en sa baillia
(v. 26)
II
Aguda en lor baillia
(v.2)
I
Me fai la nuoit e·l jorn estar
(v. 46)
II
Que la nuoich non posc dormir
e·l jorn m’aven a veillar
 
(vv. 15-16)
I
Que ja mais joi non auria
(v. 41)
II
Que ja mais joi non aurei
(v. 3)

 

(Cf. encore I, 24-26 et II, 2, 5, 6 ; I, 27-28 et II, 41-42 ; I, 31, 32 et II, 13-14 ; I, 30 et II, 46 ; I, 24-25 et II, 5-6).

Il semble que lorsque Peire Bremon écrivit la pièce II, il ne disposait guère, pour la rédiger, que du vocabulaire et des rimes (27) de la pièce I.

Mais il y a plus : du total de treize strophes, qui composent les deux pièces, il n’en est pas une seule qui ne contienne au moins un mot répété, souvent deux, une fois même trois et, exceptionnellement, un membre de phrase de trois mots.

Ces répétitions se présentent sous deux formes :

1) Type 1 :

 
ab chantar me cuich esbaudir
....................................................
qu’ancar aurai luoc de chantar                (I, vv. 17 et 21)
 
 
(Pièce I : str. I, vei ; II, amor ; III, chant (2 fois), chantar (2 fois), qui deuria plorar ; V, dec ; VII, chanzos. — Pièce II : str. I, joi ; II, m’aven ; III, o ; IV, om ; VI, Dieus).

2) Type II (plus fréquent que le premier) :

 

 
Si mai tornav’ en Suria,
ja Dieus no m’en laisses tornar               (I, vv. 27-28)

 

(Pièce I : str. III, chant, chantar ; IV, tornava, tornar ; V, poc, pogues ; VI, far, fara ; amia, amic ; VII, dir, di, dia. — Pièce II : str. I, an, aguda ; II, fan, far ; III, demandei, demandar ; IV, a, aia ; pot, porria ; VI, lachei, lais).

La strophe III de la pièce I est particulièrement remarquable à cet égard : elle contient quatre formes du verbe chantar (vv. 15, 17, 19, 21) et répète (vv. 15 et 19) le membre de phrase qui deuria plorar.

Si quelques-unes de ces répétitions peuvent viser à un effet de style (par exemple, I, vv. 27-28), beaucoup d’autres, par contre, ne servent qu’à alourdir la phrase : il faut y voir à la fois un défaut du poète, qui ne sait pas se défaire d’une certaine lourdeur, et la marque d’une grande pauvreté de vocabulaire.

Par ces multiples répétitions (soit d’une pièce à l’autre, soit dans une même strophe), qui témoignent d’une grande indigence d’idées, de vocabulaire et de rimes, l’auteur a pour ainsi dire apposé sa signature aux deux chansons.

 

IV. — Les deux poésies sont également voisines par leurs rimes.

La pièce II emprunte les trois rimes de la pièce I, mais en modifie l’ordre ; elle présente, en outre, une quatrième rime en -ei.

Le schéma suivant montrera la disposition de ces rimes :

 

I
-ar
-ir
-ir
-ar
-ia
-ia
-ar
 
II
-ia
-ia
-ei
-ei
-ir
-ar
-ir
-ar.

 

De plus, les deux chansons ont en commun dix mots à la rime :

Deux en -ia : baillia (I, 26 ; II, 2) ; Suria (I, 27 ; II, 9).

Trois en -ar : cobrar (I, 25 ; II, 6) ; far (I, 32 ; II, 14) ; donar (I, 11 ; II, 46).

Cinq en -ir : giquir (I, 24 ; II, 5) ; sospir (I, 31 ; II, 13) ; remir (I, 23 ; II, 29) ; dir (I, 44 ; II, 31) ; partir (I, 37 ; II, 45).

En deux endroits, même, des rimes d’une strophe de I sont reproduites dans une même strophe de II, soit dans le même ordre (sospir et far : I, 31-32 ; II, 13-14), soit dans un ordre différent (gequir, recobrar, baillia : I, 24-25-26 ; II, 2, 5-6).

 

V. — Les deux chansons contiennent enfin des particularités de langue extrêmement remarquables : des formes très rares (et même des barbarismes et un mot français ou franco-provençal), que l’on ne trouve nulle part ailleurs réunies en aussi grand nombre.

Dans la pièce I, on relève les trois participes fém. sing. floria, jauzia, marria (vv. 5, 13, 33) ; les deux formes verbales cria (v. 6), dia (v. 48) ; et la forme barbare Longespia, qui n’est ni française, ni provençale (v. 47).

Dans la pièce II : six formes de futur en -ei (vv. 3, 4, 12, 30, 35, 44), l’adverbe de négation no, avec élision de la voyelle finale (v. 17) (28) ; l’infinitif jazir (v. 37) et les mots seit et aia  (v. 41).

Examinons successivement les différentes formes citées :

Les trois participes floria, jauzia, marria et les 3es personnes du sing. cria (prés. ind.) et dia (prés. subj.) présentent la chute de l’occlusive intervocalique (dentale dans les quatre premières formes, gutturale dans la cinquième), phénomène propre aux dialectes du Nord et au franco-provençal, qui a régulièrement des formes du type floria < f l o r i t a, avec conservation de la voyelle a (29) ; de pareilles formes existent, à la rime, chez les troubadours (30) : mais elles sont assez rares.

Seitest un emprunt pur et simple au français ou au franco-provençal (31).

Les formes aia et Longespia doivent être rapprochées : la première paraît bâtie sur le français aïe (substantif verbal de aidier) : elle a reçu la terminaison provençale -a ; mais ce pourrait être aussi une forme franco-provençale du type floria ; le Midi ne connaît, en tout cas, que ajuda ou, plus rarement, aida (32). Quant à la forme Longespia, elle est calquée sur le français Longespée : le provençal exigerait -espada ou -espaza.

La forme ei, soit comme 1re pers. du sing. de l’indicatif prés. de aver, soit comme terminaison de la 1re pers. du sing. des futurs (ce qui revient d’ailleurs au même), sans être très courante, se rencontre dans un certain nombre de textes provençaux du moyen âge. Les exemples de cet affaiblissement, que M. A. Thomas (33) croit d’ordre morphologique, sont assez fréquents dans la Chanson de la Croisade (34), où ils coexistent avec les formes en -ai plus nombreuses ; les deux formes coexistent également dans la Confession publiée par M. P. Meyer (35). Au contraire, la Chanson de sainte Foi (36) ne connaît guère, à une exception près, que les formes en -ei. En outre, ces formes sont « habituelles » (P. Meyer) (37) dans la Haute-Loire, le Tarn-et-Garonne, le nord de la Haute-Garonne et l’Aude ; elles existent aussi dans le Languedoc et le Roussillon. Elles figurent enfin, le plus souvent, dans la plus ancienne charte connue du Gévaudan (1109) (38) et on en relève un exemple dans le Fragment d’Alexandre (39).

L’élision devant voyelle de l’o final de l’adverbe de négation no est exceptionnelle en provençal, tandis que l’e final du français ne s’élide normalement.

L’infinitif jazir, à côté de la forme normale jazer, est rare en provençal ; il paraît influencé par le français et franco-provençal gesir (40), issu normalement de jacere.

La multiplicité, dans les deux chansons, de ces formes rares ou inexistantes en provençal, est, au même titre que les répétitions ci-dessus signalées, une preuve très forte de l’identité de l’auteur.

Ces formes, dont la plupart existent ou ont un équivalent dans le Fragment d’Alexandre et dans l’œuvre de Marguerite d’Oyn, dénotent l’influence des parlers d’oïl ou, plus précisément, du franco-provençal. Cette constatation ne saurait nous étonner, car la frontière linguistique, qui sépare les dialectes du Nord de ceux du Midi, coupe le Rhône au-dessous de Lyon et descend au sud de Grenoble, en passant entre le Viennois, patrie de Peire Bremon, et le Dauphiné septentrional, qui appartient au domaine franco-provençal (41).

À la vérité, à la lecture des deux pièces, on a le sentiment que le poète écrit en une langue dont il n’est pas absolument maître : on peut conjecturer, croyons-nous, qu’il pratiquait surtout le franco-provençal et n’a écrit que par exception dans la langue des troubadours : de là les particularités ci-dessus étudiées, de là aussi, sans doute, cette grande pauvreté de vocabulaire, qui se traduit par l’emploi de mots usuels et par de multiples répétitions (42).

 

VI. — Notre étude présente un autre intérêt : la pièce I, en nous donnant le nom du seigneur que Bremon accompagna en Orient, et celui du personnage auquel elle est envoyée, nous permettra, peut-être, de fixer approximativement la date à laquelle vivait le poète.

En effet, d’une part la tornada propre à c, d’autre part la strophe VII de D G I K c et la tornada de C R, nous fournissent à cet égard d’intéressantes indications.

Dans la tornade de c, l’auteur déclare qu’il ne peut quitter la Syrie sans Philippe de Montreal (43) : c’est donc avec ce seigneur qu’il se rendit en Terre Sainte.

Les localités du nom de Montreal sont extrêmement nombreuses ; trois seulement paraissent devoir être retenues, à cause de leur situation dans les départements de l’Ardèche, de la Drôme et de l’Aude. A priori, on songerait plutôt à l’Ardèche et à la Drôme, départements limitrophes de l’Isère, d’autant plus que l’ancienne biographie dit que Bremon « fut très honoré par les barons de la contrée » : si nous n’avons pu nous procurer aucun renseignement sur les vieilles familles de Montreal de l’Ardèche, nous savons, en revanche, que Montreal de la Drôme appartenait anciennement aux barons de Sahune ou d’Ancezune (44) ; mais rien ne nous permet d’affirmer que ces barons aient jamais été appelés du nom de Montreal, ni qu’ils soient allés aux Croisades. Au contraire, un Maurice de Montreal (de Montreal, Aude) se croisa en 1147 (45) ; le Philippe de Montreal de la pièce II serait-il le fils ou l’un des descendants de ce seigneur ?

Dans la strophe VII de D G I K c et dans la tornada de C R, le poète envoie sa chanson « outre mer » à un personnage qu’il prie d’aller porter (ou de faire porter) à sa « dame » des paroles de réconfort. Ce personnage se nomme Guillem Longespia dans D G I K (46) ; Guillelme de Lespia, dans C R (47) ; Guigelme, dans c.

Le ms. c, où ne figure qu’un prénom, ne saurait nous fournir aucun indice. Nous n’avons trouvé aucune trace du nom donné par C R : ces mss paraissent avoir altéré le texte original et il convient, semble-t-il, de lire avec les autres mss : Guillem Longespia. Toutefois le texte de D G I K, où le poète demande à Guillaume-Longue-Épée « d’aller réconforter sa dame », ne laisse pas d’être assez embarrassant ; car, d’une part, les personnages connus qui portent ce nom sont tous de grands seigneurs, qui ne peuvent guère être chargés de messages par un troubadour ; d’autre part, habitant l’étranger, ils n’ont pas la possibilité de venir facilement en France. Mais devons-nous prendre les paroles de Bremon au pied de la lettre ? Dans C R, en tout cas, le seigneur ne doit pas s’acquitter en personne de la mission qui lui est confiée (48).

Les documents et chroniques mentionnent, de 1150 environ à 1250, quatre personnages qui portent le nom de Guillaume-Longue-Épée (Guillelmus Longaspata) : ce sont, dans l’ordre chronologique, le fils de Geoffroi Plantagenet, ce dernier comte d’Anjou de 1129 à 1151 ; le fils du marquis Guillaume de Montferrat ; les deux comtes de Salisbury, père et fils.

Le premier cité ne saurait être retenu : troisième fils de Geoffroi le Bel, il naquit en 1134 ou 1135 ; les chroniques ne lui consacrent que quelques lignes et ne lui attribuent aucun surnom (49) ; seul, Guillaume de Tyr l’appelle « Willelmus, cognomine Longaspata » (50).

Au premier abord, Guillaume de Montferrat, que les Italiens nommaient Guilelmo Longa Spada, paraît avoir de grandes chances d’être celui auquel Bremon a envoyé sa pièce : les Montferrat, en effet, se plaisaient à recevoir les troubadours à leur cour hospitalière et il semblerait tout naturel qu’un poète adressât une de ses pièces au fils du célèbre lieutenant de Frédéric Barberousse. Mais, si l’on regarde les choses de plus près, l’identification paraît impossible : c’est sensiblement plus tard, au temps de Boniface, que le château de Montferrat fut largement ouvert aux poètes provençaux ; il faudrait donc supposer que Bremon connut le jeune marquis en Palestine : mais Guillaume de Tyr (51) nous apprend que ce seigneur débarqua à Sidon en 1176, « vers le commencement d’octobre », épousa, quarante jours plus tard, la sœur de Baudouin et, trois mois après son mariage (donc en février 1177), tomba malade à Ascalon et mourut en juin suivant ; il trouva donc la mort au cours de son unique voyage en Palestine et le poète ne put lui envoyer de Syrie l’une de ses chansons.

Il semble donc bien qu’il s’agisse de l’un des deux comtes de Salisbury, que Bremon aurait connu en Terre Sainte.

Guillaume Longespée le père (52), fils du roi Henri II et de Rosemonde, devint comte de Salisbury, en 1196, par son mariage avec la fille de Guillaume de Salisbury ; après avoir soutenu de longues luttes en France, il participa à la cinquième Croisade et débarqua à Damiette en septembre 1219 (53).

Son fils (54) alla une première fois en Palestine, en 1240-1242, avec Richard de Cornouailles ; puis il prit part à la septième Croisade (55) et rejoignit saint Louis à Damiette, en 1249.

Auquel des deux comtes pourrait être adressée la chanson de Bremon ? À première vue, on songerait plutôt au fils, car les Français n’ont guère participé à la cinquième Croisade ; mais Bremon n’aurait pu le connaître qu’à Damiette, pendant la septième Croisade, car les Français ne firent pas du tout partie de celle de 1240-1242 ; or le jeune comte fut tué au cours de la guerre, en combattant bravement près de La Mansourah (1250 (56)).

On est donc en droit de penser qu’il est question de Guillaume Longespée le père. Ce seigneur fit vraisemblablement un long séjour à Damiette, soit pendant le siège, soit, plutôt, après la prise de la ville, puisque les Croisés, avant de s’avancer en Égypte, où ils devaient être écrasés, demeurèrent à Damiette de novembre 1219 à 1221 (57). Il n’est dit nulle part que le comte ait vécu en mauvaise intelligence avec les Français et il est assez vraisemblable que, durant les longs mois passés en Égypte, il se soit lié avec quelques seigneurs, dont celui que Bremon avait accompagné.

Cette hypothèse est assez solidement étayée par un passage de Guillaume de Tyr (58) : le chroniqueur, après avoir parlé de l’arrivée de Guillaume de Salisbury, ajoute : « ...et si y vint Sauvari de Mau Leon, qui mut de Poitou, et amena beles gens en galees et en coques... ». On peut conjecturer que Philippe de Montreal, protecteur de Bremon, était parmi les seigneurs qui accompagnaient Savaric ; c’est à Damiette que notre troubadour aurait eu l’occasion de connaître le comte anglais. Guillaume ayant quitté l’Orient avant les Français, Bremon lut aurait adressé, plus tard, l’une de ses chansons : nous savons, en effet, que beaucoup de seigneurs n’attendirent pas la fin de la Croisade pour rentrer dans leur patrie ; c’est ainsi que, dès septembre 1219, certains pèlerins, fatigués des longueurs du siège, quittèrent Damiette ; beaucoup d’autres s’en allèrent durant l’hiver qui suivit la prise de la ville ; c’est de ce dernier groupe, ou d’un autre, formé ultérieurement, qu’aurait pu faire partie Guillaume de Salisbury (59).

Si notre hypothèse était exacte, Peire Bremon, adulte en 1219, serait né dans les vingt dernières années du XIIe siècle et aurait été contemporain de Ricas Novas.

Mais le Guillem Longespia de notre pièce peut ne pas être Guillaume de Salisbury : il n’est pas impossible que le surnom de Longue-Épée illustré par plusieurs grands seigneurs, ait été emprunté par des personnages moins connus. Et alors ?

En somme, l’étude des deux chansons nous permet de poser avec assez de vraisemblance les points suivants :

Peire Bremon lo Tort, modeste chevalier, naquit entre 1180 et 1190, dans le Viennois, sur la limite du domaine franco-provençal. En 1219 (?), lors de la cinquième Croisade, il se rendit en Terre Sainte avec Philippe de Montreal (seigneur languedocien ?), peut-être en même temps que Savaric de Mauleon ; il débarqua d’abord en Syrie, à Jaffa ou à Ascalon, et c’est là qu’il aurait rencontré la « dame » dont il parle dans la pièce II. À Damiette, il fit la connaissance de Guillaume de Salisbury, et, quand le comte fut rentré en Angleterre, il lui adressa d’Orient l’une des deux chansons qu’il écrivit en Syrie. Ces deux pièces (les seules que nous donnent les mss sous le nom de Peire Bremon) sont de valeur médiocre : si les strophes ne manquent pas, en général, d’une certaine souplesse, elles témoignent, par contre, d’une grande indigence d’idées, de vocabulaire et de rimes ; la deuxième chanson présente même une singulière incohérence. Si l’on considère, en outre, que d’assez nombreuses particularités de langue, dénotant une indiscutable influence des parlers d’oïl, figurent dans les deux pièces, on est amené à conjecturer que Bremon pratiquait surtout le franco-provençal et n’a écrit que par exception deux chansons dans la langue des troubadours.

Nous ne nous dissimulons pas que cet essai de reconstitution d’une partie de la vie de Bremon est, sur certains points, assez fragile.

 

 

BIOGRAPHIE

 

Quatre mss: A, f. 166 d (Studj, III, p. 519) ; I, f. 141 v ; K, f. 127r ; N2, f. 23 v (Archiv, CII, p. 204). — Parnasse Occitanien, p. 377 ; Raynouard, Choix, V, p. 300 (I) ; Mahn, Die Biographien der Troubadours, p. 95 ; Hist. de Languedoc, X, p. 296 (N2). — Texte et graphie de N2.

 

Peire Bremonç lo Torç si fo uns paubres caualliers de Vianes ; e trobet ben et avinenmen e saup ben estre entre la bona gen et ac honor gran dals barons d’aqella encontrada.

 

Bermons A, Bremonz IK ; torz I, tortz AK ; us A ; cauailliers K ; fon A ; d partir de Vianes, A I K donnent le texte suivant : e fo bons trobaire et ac honor per totz los bons homes. Leçon rejetée ; estra ; la biographie est suivie dans N2, de l’indication : et aqui son de las soas chansos ; mais le ms. ne donne aucune pièce du poète.

 

Jean Boutière.

 

Notes :

1. Nous en donnons le texte critique à la fin de cette étude. E. David (Hist. litt. de la France, XVII, p. 570) dit que Bremon « naquit à Viana, dans la Navarre », sans appuyer son affirmation sur aucun texte. ()

2. Cartulaires des Hospitaliers et des Templiers en Dauphiné, publiés par l’abbé U. Chevalier, Vienne, 1875, pp. 35 et 80-83, etc. (Collection des Cartulaires Dauphinois, t. III). Il semble qu’il faille rapprocher ce personnage du Bremont dont parle M . G. de Monteyer (La Provence du Ier au XIIe siècle, p. 351). ()

3. E. David, l. c. ; Histoire de Languedoc, X, p. 370 (Chabaneau). ()

4. Die Lieder Peires von Auvergne, Erlangen, 1900, pièce XII ; la démonstration se trouve dans les notes, p. 199. ()

5. Nous ferons paraître bientôt une édition de ce troubadour. ()

6. L. c. ()

7. Choix, V, p. 300. ()

8. Voir infra, I. ()

9. Choix, III, p. 82 ; toutefois il faisait observer ailleurs (Ibid., V, p. 300) que certains mss attribuaient la pièce a P. B. lo Tort ; E. David (l. c. t p. 571, note) dit que Raynouard a publié la traduction complète de cette pièce à la suite de l’Histoire des Croisades de M. Michaud : nous ne l’avons trouvée ni dans l’édition de 1817, ni dans celle de 1825-1829. ()

10. Leben und Werke, p. 35. ()

11. Chrestomathie, 2e édit., p. 62 (d’après C D G I O R). ()

12. M. G. Bertoni a déjà revendiqué pour P. B. le Tort la paternité de ces deux chansons (Annales du Midi, XXV (1913), pp. 476-478). De plus, il pense que la pièce 330, 12 et, peut-être, une autre chanson, conservée par le ms. a2 (Studj, VIII, p. 457), sous le nom de Ricas Novas, appartiennent aussi à notre troubadour ; tout en reconnaissant la valeur des arguments invoqués par M. Bertoni, nous considérons cette attribution comme impossible : en effet, d’une part, ces deux chansons ne présentent aucune des nombreuses particularités de langue, que nous relèverons dans les pièces de P. B. le Tort ; d’autre part, elles témoignent, pour la forme et, surtout, pour le fond, d’une grande recherche (rimes rares en -ui, vers de deux syllabes, allitérations, multiples répétitions de dérivés et de composés d’un même radical, dans la première ; la seconde est presque tout entière en rimes dérivatives), tandis que, dans les deux pièces de P. B. lo Tort, on constate une grande indigence d’idées, de vocabulaire et de rimes ; au contraire, Ricas Novas recherche souvent la difficulté ; on trouvera des détails précis dans l’Introduction et dans les Notes de l’édition que nous publierons prochainement. — Nous ne croyons pas non plus, et pour les mêmes raisons, que P. B. lo Tort soit l’auteur de la pièce 330, 11, conservée par le seul ms. E, sous le nom de Peire Bermon : cette tenson, échangée avec un Jausbert dont l’identité n’est pas sûre, a été publiée par Selbach (Das Streitgedicht in der altprovenz. Lyrik, Marburg, 1886, p. 104) et W. P. Shepard, Les Poésies de J. de Puycibot, Classiques fr. du m. d., 1924, p. 52. ()

13. Pour plus de commodité, nous désignerons les deux pièces par I (331, 1) et II (330, 10). ()

14. Nous ne comptons pas N2, qui ne donne que le premier vers. Bartsch qui ignorait N2 et Sg, n’en signale que neuf. ()

15. Voir les rubriques aux variantes. ()

16. Même confusion pour Bartsch, 330, 12. ()

17. Bartsch dit, par erreur, que O attribue la pièce à B. de Ventadour. ()

18. Millot (Histoire Litt. des Troubadours, 1774, I, p. 37) avait déjà rejeté la paternité de B. de Ventadour. ()

19. Chabaneau, l. c., p. 218 ; cf. Diez, l. c., p. 35 (il donne cependant la traduction de cette pièce à la fin de son étude sur B. de Ventadour). ()

20. Les mss I K c présentent les pièces dans l’ordre II, I. ()

21. Choix, V, p. 300. ()

22. Voir note 12. ()

23. Sordello, p. 48. ()

24. Le Troubadour Bertran d’Alamanon, p. 102. ()

25. M. Bertoni (l. c., p. 477) croit, à tort, selon nous, que dans les deux pièces « il est question d’une dame de Suria » : les vv. 24-25 de notre nº I (Car aicel qui la·m fetz gequir — A ben poder del recobrar) prouvent que cette chanson est adressée à une dame de France, que le poète a quittée pour aller combattre pour Dieu en Terre-Sainte ; quant aux vers 26-28, nous les comprenons : « et si j’étais (de nouveau) en sa puissance, et que je revinsse en Syrie, puisse Dieu ne pas me laisser revenir de là-bas (c’est-à-d., m’y faire trouver la mort) ». Au contraire, dans notre pièce II, le poète parle d’une Syrienne (vv. 9-10 : Qu’era roman en Suria. — Mos jois.....). ()

26. Voir infra, V. ()

27. Voir infra, IV. ()

28. C’est le texte de I K ; A D donnent non ; mais D présente une syllabe de trop : le mètre exige la leçon n’. ()

29. Cf. Flechtner, Die Sprache des Alexander-Fragments des Alberich von Besançon, Breslau, 1882, pp. 16, 19, 68. ()

30. On trouve, par exemple, cria, chez R. de Vaqueiras ; trahia, chez Béatrice de Die (Bartsch, Chrestomathie, 3e édit., pp. 129, 6 et 69, 6). ()

31. On relève set, siel, syet, chez Marguerite d’Oyn (Flechtner, l. c., p. 74). ()

32. W. von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, Bonn, 1928, t. I, p. 34. ()

33. La Chanson de Sainte Foi d’Agen, Paris, 1925, p. xxix. ()

34. P. Meyer, La Chanson de la Croisade, t. II, pp. CXII-CXIII. ()

35. Anciennes poésies religieuses en Langue d’Oc, Paris, 1860, pp. 10-12. ()

36. A. Thomas, l. c. ()

37. Ibidem, p. XXXVII ; cf. P. Meyer, dans Romania, XVIII, p. 423. ()

38. Le texte a été publié dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LXXVII, pp. 14-17 ; cf. p. 258. ()

39. Flechtner, l. c., p. 23, nº 79. ()

40. On trouve gesir chez Marguerite d’Oyn, cjuî était originaire du sud-ouest du département de l’Ain (Fletchtner, l. c., p. 72, nº 77). ()

41. Ascoli, dans Archivio Glottologico, III, p. 61. ()

42. Voir supra, III. ()

43. Monreal, dans le ms. ; sur cette forme, voir la note à I, 50. ()

44. Dictionnaire topographique du département de la Drôme, par J. Brun-Durand, Paris, 1891. ()

45. Ambroise Tardieu, Livre d’or du Cortège des Croisés à Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, 1895, p. 54. ()

46. Voir pièce I, appareil critique. ()

47. Seipia (ou Selpia ?) de R, parait être une altération de Lespia. ()

48. Voir note 46. ()

49. P. Marchegay et E. Mabille, Chronique des Églises d’Anjou, Paris, 1869, pp. 89 et 145. ()

50. Marchegay et Salmon, Chronique des Comtes d’Anjou, Paris, 1856-1871, pp. 157, 278, 362. ()

51. Histoire des Croisades, Historiens Occidentaux, t. I, p. 607. ()

52. Historiens Occidentaux, t. II, pp. 302 (et note) et 203 ; cf. Le Nain de Tillemont, Vie de saint Louis, Paris, 1847, I, pp. 351-353. ()

53. Histor. Occid., II, p. 343 et note c, cf. M. Michaud, Histoire des Croisades, 4e édit, Paris, 1825-1829, III, p. 450. ()

54. Hist. Occid., II, p. 438, note b, et pp. 605-606 ; cf. Le Nain de Tillemont, l. c., III, pp. 149, 265, 300, 302, 306, 308. ()

55. Mathieu Paris, pp. 524 sqq. ()

56. Cf. note 55. ()

57. Table chronologique, à la fin des Hist. Occid., t. II. ()

58. Hist. Occid., II, p. 343 ; cf. Michaud, l. c., p. 450. ()

59. Michaud, ibid., p. 476 et note 1. ()

 

 

 

 

 

 

 

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