INDEX:
PRÉFACE
INTRODUCTION. ÉTUDE SUR GUILHEM MONTANHAGOL
I. La vie de Montanhagol
II. L'œuvre de Montanhagol
ANCIENNE BIOGRAPHIE PROVENÇALE
NOTES
LE TROUBADOUR GUILHEM DE MONTANHAGOL
PRÉFACE
Ce petit livre sort de l'enseignement donné à la Sorbonne par M. Antoine Thomas & lui est dédié. C'est lui qui, en 1893, voulant consacrer une de ses conférences de philologie romane à des exercices critiques, proposa à ses auditeurs l'étude des poésies de Guilhem Montanhagol: on devait préparer les matériaux d'une édition qui serait publiée en commun. Malheureusement, des trois membres de cette conférence deux, MM. Poux & Collinet, fuient bientôt, par l'approche des examens, mis dans l'impossibilité d'y prendre une part active. Puis, M. Thomas lui-même, pris par d'autres travaux, dut renoncer à la collaboration & me laissa le soin d'achever l'œuvre entreprise. Mais, s'il ne put s'en occuper comme il l'aurait voulu, jamais il ne s'en est désintéressé. Il m'a souvent dirigé, conseillé, corrigé, &, s'il n'a pas voulu que ce livre qui lui doit tant portât son nom, c'est pour son élève un devoir de l'inscrire en tête de ces pages comme un témoignage de reconnaissance & d'affection.
Le plan de cette édition est le suivant: on s'est efforcé d'établir le texte des poésies de Montanhagol, puis, autant qu'il était besoin, de les expliquer, enfin d'y relever tout ce qui pouvait intéresser soit l'histoire du temps, soit celle de la langue & de la poésie provençales.
Nous avons collationné nous-même tous les manuscrits de Paris, & nous avons pu obtenir les collations des manuscrits d'Italie (1), à l'exception de celles des trois pièces contenues dans le manuscrit de Modène (d) (2). Une courte notice en tête de chaque pièce établit non un classement tout à fait rigoureux de ces manuscrits, mais les rapports que nous avons cru découvrir entre eux & qui nous ont guidé dans l'établissement du texte. Quant à l'orthographe, nous avons suivi, sauf quelques légères modifications (3), celle de C qui contient presque toutes les pièces & qui, tant par sa date que par l'origine de son auteur, doit présenter un état de la langue assez voisin de celui qu'a connu Montanhagol (4). Trois pièces seulement ne se trouvent pas dans C; nous avons, sans trop de rigueur, conformé leur orthographe à son système. On trouvera, du reste, jointes aux variantes de texte les variantes purement graphiques les plus importantes.
Nous n'avons pas cru devoir modifier pour la publication des pièces l'ordre dans lequel les donne Bartsch (5); s'il y a quelque intérêt à les considérer dans leur ordre chronologique, ou à comparer les pièces de même genre, l'étude qui les précède y suffira. Au lieu de rejeter le commentaire à la fin du volume, il nous a paru préférable de joindre à chaque pièce les notes & éclaircissements qui nous semblaient nécessaires. On trouvera peut être que nous avons péché par excès. Notre excuse est que nous avons tenu à expliquer entièrement le texte que nous venions d'établir ou tout au moins à faire voir comment nous l'entendions nous-même. Ceux qui savent combien il est difficile de lire les poésies des troubadours nous sauront gré d'avoir cherché à fixer le sens des poésies que nous publiions; c'est à eux que nous dédions les traductions que nous en avons faites & qui ne prétendent qu'à être exactes. Mais, de plus, en l'absence d'une syntaxe & d'un lexique de la langue des troubadours, plus complets que les travaux de Diez & de Raynouard, c'est un devoir pour tout éditeur de relever toutes les particularités de syntaxe ou de vocabulaire du texte qu'il publie &, par là, de préparer des matériaux que d'autres, plus tard, sauront utiliser. C'est le but que nous nous sommes proposé en faisant suivre notre texte d'un Glossaire, que nous avons cherché à faire complet & précis.
En terminant, je crois devoir remercier M. le Doyen & MM. les Professeurs de la Faculté des Lettres de Toulouse qui, sur la recommandation de M. Thomas, ont bien voulu accueillir ce travail & en autoriser la publication dans la Bibliothèque méridionale. En particulier, j'exprime toute ma reconnaissance à M. A. Jeanroy qui, très obligeamment, s'est chargé d'en surveiller l'impression & a bien voulu en revoir les épreuves.
Paris, 15 mars 1898. (↑)
INTRODUCTION.
ÉTUDE SUR GUILHEM MONTANHAGOL
Ceci n'est pas la première notice consacrée à Guilhem Montanhagol. Tous les historiens de la poésie provençale le mentionnent, & nous disent de sa vie & de son œuvre ce qu'eux-mêmes ont pu en apprendre (6). Malheureusement, les éléments d'une biographie précise leur font presque entièrement défaut, & de l'œuvre même, ils ne connaissent qu'une très faible partie. Aussi, se bornent-ils pour la plupart à analyser les quelques pièces qu'ils ont lues & à répéter, sans critique, les renseignements, insignifiants ou faux, du biographe provençal & les erreurs conscientes, voulues, du fameux Jehan de Nostre Dame, le très indigne historien des poètes provençaux.
Nous avons, en effet, pour Montanhagol comme pour beaucoup d'autres troubadours une vie anonyme, écrite en provençal. Elle est contenue dans la partie du manuscrit 2814 de la Riccardiana (a), que l'on s'accorde à considérer comme une copie du recueil formé au treizième siècle par Bernait Amoros (7).
« Guilhem de Montanghaguout, dit-elle, fut un chevalier de Provence. Il fut bon troubadour, grand ami des dames, aima dame Jausserande du château de Lunel, & fit pour elle beaucoup de belles chansons. »
Que l'auteur en soit Bernart Amoros ou tout autre, celui qui l'écrivit connaissait sans doute bien mal l'œuvre du poète, car il ne fait allusion qu'à ses poésies amoureuses, sans mentionner les pièces politiques, morales, sociales, les sirventes, plus nombreux & au moins aussi importants que les chansons de Montanhagol. Celles-ci même, il les suppose plus qu'il ne les connaît. Il ignore à coup sûr celles (8) où le poète loue les nobles dames qui furent Esclarmonde, Guise & Algaye, sans cela dirait-il, comme il feint de le croire, que Montanhagol consacra tous ses soins à chanter Jausserande de Lunel? En fait, la seule pièce qu'il semble connaître est cette première chanson: A Lunel lutz, &c., où il est bien question de Jausserande de Lunel, sans toutefois que l'éloge qu'on y fait d'elle apparaisse vraiment comme l'hommage d'un amant chantant celle qu'il aime. On dirait que la vie provençale a été écrite, d'après cette seule pièce, par un scribe désireux de suivre l'usage & qui voulut accompagner d'un semblant de biographie l'unique chanson de Montanhagol contenue dans le chansonnier qu'il composa. Il supposa que le poète avait écrit d'autres vers, ce qui était vraisemblable; qu'il fut gran amador, ce dont il ne savait rien, & qu'il ne composa que des chanzos dédiées toutes à la même Jausserande, ce qui était une double erreur. Il lui attribua comme pays d'origine la Provence, ce qui, malgré le vague du renseignement, se trouve être faux; enfin, il l'appela Guilhem de Montanghaguout, ce qui ne fut jamais son nom.
Nostradamus connut (9), sans doute, cette biographie, car nous la retrouvons tout entière au milieu des imaginations dont il orne la vie de notre poète (10). Lui aussi nous dit qu'il fut amoureux de Jausserande du Lunel, & il ne fait que transcrire le biographe provençal quand il ajoute: à la louange de laquelle il feist maintes bonnes chansons. Plus loin, il invoque l'autorité imaginaire du moine de Montmajour pour assurer que ce poète entre les damoyselles estoit grandement desbordé en toutes ses actions. Etc'est bien uniquement pour servir de commentaire à ce que le biographe disait du goût de Montanhagol pour les dames, puisque cela vient contredire l'éloge que Nostradamus faisait plus haut de ce bon poète excellent en savoir & honesteté, exemplère de vrai censeur, en toute sa vie benin & modeste. Aussi bien s'agit-il en réalité de deux personnages, l'un poète dont il reproduit, en l'amplifiant, la biographie, l'autre grand seigneur qu'il pare de toutes les vertus & auquel il attribue par surcroît la gloire littéraire du premier. C'est qu'en effet, d'après le titre même de son livre, il se préoccupe moins de raconter l'histoire des poètes provençaux que de montrer l'ancienneté de plusieurs nobles maisons tant de Provence, Languedoc, France, que d'Italie & d'ailleurs; & en particulier il s'agit moins pour lui de nous faire connaître Guilhem Montanhagol que de glorifier une des grandes familles de Provence, celle des d'Agoult, seigneurs de Sault. Il lui suffit d'un rapport assez lointain dans la forme des noms pour transformer Guilhem Montanhagol en Guilhem d'Agoult, & attribuer à l'antique maison, déjà vantée pour son illustration, ses offices & ses possessions, la gloire d'avoir produit un bon poète en rithme provençale. Il y avait eu, en effet, un Guilhem d'Agoult (11), mais Nostradamus ne le connaissait sans doute pas plus que nous. Il lui compose cependant une biographie aux dépens de Montanhagol, fait de lui l'amant de Jausserande &, en même temps, invente pour l'amie du grand seigneur une généalogie aussi illustre que fantaisiste. Il crée pour lui le titre de premier & principal gentilhomme de la maison du roi d'Aragon, le pare de toutes les qualités physiques, de toutes les vertus, fait de lui un poète moral &, s'efforçant de grandir l'importance de son œuvre, transforme un des sirventes de Montanhagol en un traité didactique sur la maniera d'amar dal temps passat. Il est vrai que le véritable Guilhem d'Agoult a vécu dans la seconde moitié du douzième siècle, au temps de l'empereur Frédéric Ier, & Nostradamus est obligé de reconnaître qu'il est mort environ l'an 1181. Il est vrai encore que, dans les poésies dont on lui fait honneur, plus d'une allusion paraît leur attribuer une date bien postérieure. Mais Nostradamus se tire aisément d'embarras: les allusions que fait le poète à un empereur Frédéric ne peuvent s'appliquer qu'à l'empereur Frédéric Ier; s'il est question, ici ou là, d'un roi d'Aragon, ce ne peut être que d'Ildephons premier du nom, prince de Provence & comte de Barcellone, qui vécut au même temps que Guilhem d'Agoult. Pour le surplus, Nostradamus feint d'ignorer tout ce qui pourrait renverser sa chronologie. Et ainsi, quoiqu'il connaisse de notre poète plus de pièces que le biographe provençal (12), sa vie est de parti pris plus erronée, plus fantaisiste. Nous l'aurions moins longuement examinée si certains n'avaient pas refusé de reconnaître sous son nom d'emprunt le véritable Montanhagol (13), si d'autres, par contre, n'avaient pas cru à l'existence de deux poètes (14) & si, peu ou prou, tous les historiens de la littérature provençale n'avaient pas accueilli comme de l'histoire véridique ces inventions de Nostradamus. Diez seul a su de parti pris écarter cette tradition de légendes mensongères; en l'absence de tout document direct, il a étudié l'œuvre du poète, relevé toutes les allusions à des faits ou à des personnages historiques, afin d'établir une base solide pour sa biographie & de fixer avec son origine le temps où il vécut. Malheureusement, à lui non plus l'état de publication des textes ne permit pas de connaître toutes les poésies de Montanhagol, & il fut réduit à pressentir la vérité plutôt qu'à l'établir. Mais il a indiqué la méthode à suivre, & cette notice sur le poète, placée en tête du premier recueil complet de ses poésies, sera presque uniquement une étude de son œuvre; plus favorisés que Diez, peut-être pourrons-nous aller plus loin dans la voie qu'il a tracée &, replaçant plus exactement l'homme & l'œuvre dans leur milieu, mieux apprécier la valeur de l'un & de l'autre. (↑)
I. — La vie de Montanhagol.
La première question à résoudre est celle de savoir comment s'appelait vraiment notre poète. Si, en effet, l'on relève les noms qui lui sont donnés par les différents chansonniers, on est frappé de leur variété & des déformations que l'ignorance des scribes a fait subir au nom véritable. Dans un (D), il est appelé Montagnagout, dans un autre (f) Montaniha agout, & c'est sans doute d'après une tradition voisine que le biographe provençal, & après lui Raynouard, Diez, Bartsch, l'ont appelé Guilhem de Montaignagout ou de Montagnagout. Le scribe de F l'appelle Montagnagot, forme que l'on retrouve légèrement altérée dans le nom-que lui donnent les deux manuscrits E & T: Guillem de Montanago. Dans I & K, il est appelé tantôt Montagnaçot & tantôt Montaignaçot. Enfin, dans le plus grand nombre des manuscrits, on trouve une grande variété de formes: Montainhagol (M), Montaignagol (A), Montanagol (J), Montangnagol (U), Montannagol & Motanagol (15), toutes assez rapprochées de Montanhagol, commun à C & à R, & qui paraît bien être le véritable nom. Ces deux manuscrits sont, en effet, ceux qui, par leur date & l'origine de leur auteur, se rapprochent le plus de notre poète (16); ils ont dû, mieux que des scribes étrangers, conserver un nom qui leur était plus familier. C'est aussi Montanhagol que l'appelle Sordel, chaque fois qu'il s'adresse à lui dans leur partimen (17). Enfin, dans le planh (18) que son beau-frère, Pons Santolh, composa sur sa mort, il semble bien, si l'on accepte la restitution partielle proposée pour le vers 7:
Senh' En | Guilhem Mon]tanhagol qu[.....en]
que nous ayons là encore le vrai nom du poète. Si maintenant l'on cherche à se rendre compte de sa formation, il apparaît bien clairement qu'il se décompose en Montagnag-ol, Montagnac-ol, & comme il ne saurait être question du suffixe diminutif -ol, il faut admettre que nous avons là un nouvel exemple de l'emploi de ce même suffixe comme suffixe ethnique, marquant l'extraction, l'origine (19). Montanhagol signifie étymologiquement qui est de Montagnac, & nous avons ainsi, encore que bien vague, dans le nom même du poète, une indication sinon sur son origine, du moins sur celle de sa famille. Ainsi apparaît l'erreur des scribes qui, ne comprenant pas la valeur du mot, appelaient le poète Guilhem de Montanhagol, & l'inutilité de la trop ingénieuse hypothèse de Papon qui, ne trouvant pas de localité du nom de Montanhagol ou Montanhagout, faisait naître le poète à Puiagut (au diocèse de Sisteron), dont le nom aurait été traduit en son équivalent Montanhagout.
En dehors de son nom, nous ne connaissons sur sa vie même rien de précis. L'absence de tout document ne nous permet pas de décider de quel Montagnac ce nom conserve le souvenir, & à vrai dire cela importe peu, puisque cela ne nous dirait pas où naquit le poète. Nous ignorons de même la date de sa naissance & celle de sa mort. Peut-être, cependant, n'est-il pas impossible de déterminer, à défaut des dates précises de sa vie, l'époque à laquelle il a appartenu, de découvrir sinon la ville, du moins son pays d'origine, & cela par l'étude de ses poésies.
Un premier renseignement, fort vague il est vrai, nous est fourni par une de ses chansons (20). Le poète y fait allusion à la croisade de l'empereur Frédéric, & au fait qu'étant entré à Jérusalem, il s'en couronna roi lui-même (21), aucun prêtre n'ayant voulu sacrer un prince anathématisé. Nous pouvons donc affirmer que la pièce est postérieure à 1229, mais c'est tout, & il nous est impossible de préciser davantage. La première des poésies de Montanhagol que nous puissions dater avec quelque approximation est un sirventes (22) dirigé contre l'Inquisition & les excès qu'elle commet dans les états du comte de Toulouse. La pièce est adressée au comte lui-même & est destinée à le mettre en garde contre les agissements du clergé: « Qu'il lui souvienne, dit le poète, de ce que les clercs lui ont fait Se qu'il se garde d'eux désormais (23). » Ce comte, c'est évidemment Raymond VII, & c'est à l'humiliation du traité de Meaux que Montanhagol fait allusion. Ce sirventes est donc, lui aussi, postérieur à 1229; mais de combien? Établie en principe dès 1229, en vertu même du traité, l'Inquisition ne fonctionna vraiment que du jour où Grégoire IX la confia aux Frères prêcheurs ou Dominicains (avril 1233). Or, si les attaques de Montanhagol s'adressent au clergé en général, elles visent en particulier les Frères prêcheurs (24). « Maintenant, s'écrie-t-il, ils se sont faits inquisiteurs (25) »; & cela même nous prouve que c'était bien un fait récent. Un peu plus tard, en 1237, les Franciscains furent adjoints aux Frères prêcheurs « afin de tempérer leur rigueur par leur mansuétude (26). » Or, comme si le poète parle bien de la robe noire du clergé séculier & du froc blanc des Dominicains (27) il ne fait aucune allusion aux Franciscains, il semble bien avoir écrit avant qu’ils aient pris part à l'Inquisition. La pièce se placerait donc entre 1233 & 1237, & comme de plus elle paraît de peu postérieure à 1233, on la daterait avec assez de vraisemblance soit de 1233 même soit de 1234.
Quelques années après, nous avons la trace d'un séjour de Montanhagol en Espagne, auprès du roi d'Aragon Jacques Ier. Y a-t-il un rapport entre ce fait & les attaques qu'il avait dirigées contre l'Inquisition? Fuyait-il ses colères, comme tant d'autres Toulousains qui passèrent les Pyrénées & s'en allèrent avec Jacques Ier à la conquête de Valence? Ou bien venait-il simplement chercher à la cour d'Aragon la protection que tant d'autres troubadours y avaient trouvée (28)? Ce qui paraît sûr, c'est qu'il était dans l'entourage de Jacques lors de la prise de Valence (1238) & qu'il eut sa part des libéralités du conquérant. Le Ripartimiento (29) mentionne plusieurs donations faites à Montanhagol & destinées à récompenser soit la valeur du combattant, soit plus probablement le mérite du poète. Il y a, en effet, d'autres noms de poètes dans ce même document: c'étaient sans doute des troubadours que ce Pêret de Vera & cet Assaltus de Vasacz (30), inconnus par ailleurs, qui y figurent avec le titre de joculator, & le G. Figuera (31) qu'il mentionne n'était peut-être autre que le troubadour Guilhem Figueira, originaire du Toulousain, ennemi lui aussi de Rome & du clergé & que le souci de sa sécurité avait amené en Espagne. Il est tout naturel (32) que Jacques ait voulu récompenser le poète, si surtout, comme il le paraît, sa poésie était goûtée & son nom populaire en Aragon. Ramon Muntaner, racontant le règne de Pierre d'Aragon, cite deux vers qu'il attribue à Montanhagol (33) &, s'il n'est pas bien sûr qu'ils soient de lui ou de Peire Cardenal, cela nous prouve qu'on le citait, qu'on le connaissait presque autant que P. Cardenal, le poète favori du roi Jacques Ier.
Il ne resta cependant pas en Espagne; s'il n'y était venu chercher qu'un refuge contre les rigueurs de l'Inquisition, l'initiative prise dès 1237 par le Saint-Siège de modérer le zèle des inquisiteurs (34) put le déterminer à repasser les Pyrénées. Il revint en France, sans doute peu après l'expédition de Valence, & ses poésies attestent qu'il y fut le témoin des événements qui, de 1240 à 1250, achèvent la ruine de la nationalité méridionale. Deux pièces de Montanhagol semblent être contemporaines du divorce de Raymond VII & de ses projets successifs de mariage avec les deux filles du comte de Provence, Sanche & Béatrix. C'est d'abord son partimen avec le troubadour Sordel & c'est sa chanson bien connue: « A Lunel lutz, &c. » Le partimen doit être jugé par le comte de Provence (35) & cela nous indique qu'il est antérieur à la mort de Raymond Bérenger, c'est-à-dire à 1245. Il ne peut, d'autre part, avoir été composé avant 1240, car jusqu'à cette date les deux comtes de Toulouse & de Provence sont en guerre continuelle, & Montanhagol, que nous savons par ailleurs avoir été tout dévoué à la cause de Raymond VII, n'aurait pas fait l'éloge qu'il fait là de son ennemi (36). Cette pièce suppose que des rapports d'amitié se sont établis entre les deux cours & que le poète a pu connaître la Provence, ou tout au moins son comte & son entourage. Or, nous savons que, de 1241 à 1245, le divorce de Raymond VII & ses projets de mariage amènent un rapprochement entre les deux ennemis. Les rapports deviennent fréquents entre Toulouse & la Provence; Raymond VII lui-même vint plusieurs fois dans le Bas-Languedoc pour se rencontrer avec Raymond-Bérenger. En particulier, une entrevue les réunit à Montpellier en 1241: on y décida, d'accord avec le roi d'Aragon, le divorce du comte de Toulouse, & nous savons que Sordel y vint accompagner son protecteur, le comte de Provence (37). Est ce à cette occasion que Montanhagol, venu peut-être avec Raymond VII, fit sa connaissance & que nous devons leur partimen? Nous ne saurions préciser, mais l'on voit qu'on peut, avec vraisemblance, le dater des années 1241-1245.
C'est probablement à la même époque & aux mêmes circonstances qu'il faut rapporter la composition de la chanson: « A Lunel lutz, &c. » Nous ignorons quelle était cette Jausserande dont elle dit les louanges, mais elle atteste des rapports de Montanhagol avec Lunel & son seigneur, elle est adressée à un Guiraut Amic (38) que nous connaissons par ailleurs, & cela nous permet d'entrevoir quand elle fut composée. Le seigneur de Lunel était vassal du comte de Toulouse pour le château de Calvisson, mais ses possessions s'étendaient de l'autre côté du Rhône (39), & c'est à ce voisinage de la Provence qu'il dut de servir souvent d'intermédiaire entre son suzerain & Raymond-Bérenger. Nous voyons, en effet, que Raymond Gaucelm V, seigneur de Lunel, assiste à l'entrevue de Montpellier; en qualité d'arbitre, il y décide, avec le roi d'Aragon & Albeta de Tarascon, le divorce de Raymond VII (40); on le retrouve ensuite mêlé aux négociations relatives à son mariage avec Sanche, puis avec Béatrix de Provence (41). Nous avons moins de renseignements pour Guiraut Amic, mais nous savons que les Amics, seigneurs du Tor, possédaient à titre héréditaire depuis 1209 la charge de connétable des comtes de Toulouse, marquis de Provence (42). Lui aussi se trouvait donc naturellement désigné pour le rôle d'intermédiaire entre Raymond VII & le comte de Provence. N'est-il pas curieux de trouver dans la même pièce la preuve de relations entre ces deux agents du comte de Toulouse & Montanhagol? Ne peut-on pas penser qu'il les connut à l'occasion des négociations mêmes qui exigèrent souvent la présence de Raymond VII en Bas-Languedoc, & n'est-il pas vraisemblable de rapporter cette chanson aux années 1241-1245 (43)?
Du même temps est un sirventes (44) relatif à cette révolte de 1242, où Raymond VII s'était laissé entraîner par l'appât d'un mariage avec la fille du comte de la Marche, & qui devait échouer si piteusement. Il est écrit pendant la lutte & les allusions qu'il contient sont assez précises pour nous permettre de le dater presque avec certitude. Déjà Raymond a vu plusieurs de ses alliés l'abandonner: l'instigateur de la révolte, le comte de la Marche, a le premier négocié sa paix avec le roi de France (26 juillet 1242), & après lui les comtes de Foix & de Rodez (45). Il continue la lutte cependant; il est encore permis d'espérer, pourvu que les Anglais ne se laissent pas abattre par leurs insuccès & sortent de leur inaction pour combattre avec leur allié (46). Si, comme nous le croyons, on est autorisé à voir là une allusion au découragement des Anglais après Taillebourg & Saintes (21-23 juillet), la pièce, évidemment antérieure à la soumission de Raymond lui-même (20 octobre), aurait été composée au mois d'octobre ou de septembre 1242 (47).
Un autre sirventes (48) fait allusion au mariage de Béatrix de Provence avec Charles d'Anjou: « La Provence, s'écrie le poète, s'appellera désormais terre de la trahison, car elle a changé un noble & vaillant seigneur pour un mauvais, & à cela elle perd son honneur (49). » Plus loin, il espère en une alliance du roi d'Aragon & du comte de Toulouse pour arrêter l'insolence des Français (50), & cela nous prouve que la pièce est antérieure à la mort de Raymond VII. Elle se place donc entre 1246 & 1249, & peu après peut-être le mariage de Béatrix (janvier 1246), si l'on en juge par l'émotion du poète, qui semble nous le présenter comme un fait tout récent.
A la même époque paraît encore appartenir un sirventes moral (51), d'un caractère tout général & que rien ne permettrait de dater si nous n'y relevions une ou deux allusions à des personnages connus par ailleurs. Une des deux tornadas est adressée à l'emperaire (52), c'est-à-dire à Frédéric II, qui meurt en 1250. D'autre part, si l'éloge que le poète y fait de Roger de Comminges se rapporte bien au rôle que celui-ci joua dans l'affaire de 1242 & à sa fidélité à servir Raymond VII (53), nous pouvons, sans chercher à préciser davantage, placer la composition de cette pièce entre 1242 & 1250.
Un groupe assez curieux dans l'œuvre de Montanhagol est formé par quatre pièces (54) adressées au roi de Castille, datant à peu près du même temps & qui semblent supposer un séjour du poète à la cour d'Alphonse X. Dans l'une (X), probablement la plus ancienne, Alphonse X est appelé le reis joves (55), ce qui paraît bien la faire remonter aux premiers temps de son règne, peut-être à 1252. Deux autres (II & XIII) sont adressées au rey castelan (56) & ne contiennent aucune allusion à l'élection d'Alphonse à l'empire: elles semblent donc être antérieures à 1257. Enfin, la quatrième (XII) fait directement allusion à cette élection (57) & parle comme d'un fait présent de l'invasion mongole qui, en 1258, épouvanta l'Europe (58). C'est aussi la dernière des pièces que nous avons conservées de Montanhagol.
Il ne reste plus, en effet, en dehors de celles que nous venons d'énumérer, que trois pièces (59). L'absence de toute allusion à des faits précis ne nous permet pas, il est vrai, de fixer directement l'époque précise de leur composition; mais, s'il était permis de les rapprocher des pièces déjà datées où se trouvent les mêmes noms & de tirer une induction de ce rapprochement, on devrait les rapporter à des dates antérieures (60). Les noms d'Esclarmonde & de Guise, mentionnés par les pièces VI & VII, se retrouvent dans des pièces que nous avons cru pouvoir attribuer à la période 1242-1250 (61); & si Algaye n'est citée que dans la pièce VIII (62), il semble que la dame avec laquelle elle partage les hommages du poète ne soit autre que l’amia chantée dans la pièce II, qui, elle, se place entre 1252 & 1257.
La dernière date certaine de la vie du poète est donc 1258. Quant à sa mort, le planh qu'elle inspira à Pons Santolh ne renferme aucune allusion qui nous laisse voir quand elle arriva.
Telle est la chronologie probable de l'œuvre de Montanhagol. Toutes les pièces que nous avons de lui se placent entre les années 1233 & 1258. Il appartient donc au second tiers du treizième siècle: quand il commence à chanter, l’âge d'or de la poésie provençale est depuis longtemps passé, & après lui, les poètes & les œuvres se font de plus en plus rares. Il est un des derniers troubadours, & il nous aidera peut-être à comprendre le rapide déclin du lyrisme provençal.
Ce qui ressort encore de ces déterminations, de ces rapprochements de dates, c'est que sa vie fut peut être plus variée & plus remplie que ne le laissait supposer le biographe provençal. Il semble qu'on y distingue plusieurs phases; nous le trouvons d'abord à Toulouse occupé à dénoncer les excès de l'Inquisition. Il va ensuite en Espagne & reste quelque temps auprès du roi d'Aragon. Puis il revient en France & suit de près les événements où périt la nationalité méridionale. Enfin, après 1250, il repasse en Espagne, va à la cour du roi de Castille, où il reste au moins jusqu'en 1258 & peut-être jusqu'à sa mort. Il faut renoncer à découvrir le lien qui unit ces différentes époques & à reconstruire sur ces seules données toute la vie de Montanhagol. Ce qui nous frappe cependant, ce sont les nombreux rapports qui le rattachent à Toulouse. En effet, à le suivre tantôt ici & tantôt là, en Aragon & en Castille, en Provence & dans le Toulousain, on pourrait, en l'absence de toute donnée précise, se demander quel était son pays d'origine. Mais en réalité, malgré cette dispersion de sa vie, malgré l'origine provençale que lui attribue sa biographie, il est bien, ainsi que l'avait entrevu Diez (63), originaire de Toulouse. Sa haine de l'Inquisition, la colère qu'excitent en lui ses abus, son soin à mettre Raymond VII en garde contre les clercs, l'émotion, l'indignation qui l'animent semblent bien indiquer qu'il est Toulousain (64). S'il va auprès du roi d'Aragon, c'est pour peu de temps. Il revient dès qu'il le peut à Toulouse, où il reste jusqu'à la mort de Raymond VII & l'établissement de la domination française. Tout ce qu'il nous dit des événements de cette époque, les sentiments que lui inspirent la révolte de 1242 (65) & le mariage de Béatrix de Provence avec Charles d'Anjou (66) révèlent un ennemi des Français, un Toulousain tout dévoué à la cause nationale. Enfin, s'il retourna un jour en Espagne, si même nous ne savons qu'il en soit jamais revenu, c'est que peut-être, après la mort de son comte, le Toulousain, devenu Français, n'était plus une patrie pour Montanhagol. Toutes ces démarches, ces allées & venues, s'expliquent dans l'hypothèse de son origine toulousaine. La plupart des noms que nous avons relevés ou que nous relèverons dans son œuvre sont ceux de personnages qui ont eu des rapports avec le comte de Toulouse. Nous savons enfin qu'il avait épousé la sœur de Pons Santolh (67), un autre troubadour qui, lui, était bien de Toulouse. Et si, sans doute, rien de tout cela ne nous prouve positivement l'origine toulousaine de Montanhagol, l'ensemble de ces faits fortifie singulièrement la tradition conservée par le manuscrit C, qui appelle parfois notre poète: Guilhem Montanhagol de Tholoza.
Bien des questions se posent encore. On voudrait savoir quelle était sa famille, quels rapports l'unissaient au comte de Toulouse, quel rôle il eut dans les événements de son temps. Malheureusement, ni dans ses poésies ni ailleurs nous n'avons de témoignage positif. Rien, en tout cas, ne vient confirmer la tradition que voudrait accréditer le biographe provençal, quand il l'appelle un cavallers de Provence & paraît lui attribuer une naissance noble. Il semblerait, au contraire, qu'il fut de petite naissance. Dans une de ses chansons (68), il blâme les dames qui ne veulent aimer que leurs égaux & croiraient déchoir en agréant les hommages d'un soupirant de condition moindre. II supplie sa dame de bannir de telles pensées: « Amour, lui dit-il, veut que vous aimiez, non selon le rang social, mais le plus fidèle, même s'il est de moindre noblesse (69). » II n'eût certes pas songé à attaquer la « ricor » des nobles dames, ni à désarmer celle de son amie, si comme tel troubadour, Folquet de Romans, par exemple, il eût été d'une bonne maison (70). Notre supposition se trouve en partie confirmée par le fait qu'il épousa la sœur d'un de ses confrères en poésie qui, lui, assurément n'était pas noble. Il chantait dans ses vers les grandes & nobles dames, mais quand il voulut se marier, il épousa une femme de condition plus humble &, sans doute, plus rapprochée de la sienne.
Certains voudraient cependant faire de Montanhagol une sorte de grand personnage dont le comte de Toulouse aurait recherché les avis & qui aurait joué un rôle important dans les événements dont il parle. Si l'on en croyait Balaguer (71), Montanhagol aurait été l'âme & l'organisateur de la ligue de 1242; tout ce qui arriva dans les années 1240-1245: divorce, projets de mariage de Raymond VII, serait son œuvre. Il le fait conseiller du comte de Toulouse & invoque une charte d'Arles de 1240, dans laquelle Montanhagol figurerait avec ce titre. Malheureusement, il oublie de désigner plus exactement ce texte, qu'il n'a sans doute jamais vu, & son affirmation n'est pas plus fondée que quand il nous dit que Montanhagol fut excommunié & le comte lui-même pour avoir fait du poète son conseiller (72). En réalité, le nom de Montanhagol ne figure dans aucune charte du temps, & tout ce que nous pouvons dire d'après la lecture de ses poésies, c'est qu'il s'intéressa vivement aux événements contemporains & qu'il les vit, sans doute, d'assez près. Mais sa seule qualité de troubadour, qui lui assurait une place dans l'entourage immédiat du comte de Toulouse, suffit à nous l'expliquer, sans qu'il soit besoin de faire de lui un conseiller & un politique de profession.
Telle est la biographie, très incomplète & rudimentaire de Montanhagol, que l'étude de son œuvre nous permet d'établir. Ce que nous savons de plus sûr, c'est qu'il s'appelait Guilhem Montanhagol, qu'il était de Toulouse, qu'il y épousa la sœur d'un autre troubadour, Pons Santolh, & qu'il vivait dans le second tiers du treizième siècle. Nous savons encore qu'il était auprès de Jacques Ier, roi d'Aragon, au temps de la conquête de Valence, & il semble bien qu'après 1250 il alla vivre à la cour du roi de Castille. Mais la plus grande partie de sa vie s'écoula dans le Toulousain, auprès du comte Raymond VII, à la cause duquel il resta fidèlement attaché. Il vit la fin de l'ancienne maison de Toulouse & de la nationalité méridionale. Il assista à l'établissement de la domination française & du pouvoir religieux, sous l'oppression desquels la poésie provençale allait bientôt disparaître. Et c'est parce que nous allons trouver dans son œuvre la trace profonde de ces deux grands faits qu'elle conserve une véritable valeur. (↑)
II. — L'Œuvre de Montanhagol.
Dans le planh que lui a inspiré la mort de son beau-frère, Pons Santolh fait le plus grand éloge de Montanhagol & de son œuvre. « Vous fûtes, lui dit-il, un homme comme on en voit peu, sage, juste, sachant mettre votre vie en harmonie avec les sages maximes que vous énonciez... Vous fûtes vraiment, & à bon droit, le chef, le père des troubadours;... avec vous meurent le Savoir,... l'Intelligence, la Raison & la Mesure (73). » Et, dans la pensée de Pons Santolh, avec Montanhagol, c'est bien la poésie tout entière qui est morte. Mais peut-on accepter comme un jugement véritable un éloge dont les circonstances expliquent & excusent l'exagération? Nous avons déjà, & ceci est un témoignage moins suspect, trouvé dans un passage de Muntaner la preuve que Montanhagol était connu en Espagne (74). Nous savons aussi que, vers le milieu du quatorzième siècle, il était encore considéré en Italie comme un des bons troubadours. Dans un poème italien de ce temps-là, consacré aux amours de Héro & de Léandre & intitulé la Léandréïde se trouve un épisode directement inspiré du Purgatoire, où l'ombre de Dante apparaît pour encourager l'auteur dans son dessein & fait défiler devant lui les plus grands poètes latins, italiens & provençaux. En tête de ces derniers marche Arnaud de Marueil, qui prend la parole en provençal pour présenter les poètes qui l'entourent. Il en énumère un certain nombre & ajoute:
Mas com font l'aur en fuec amssi saffine
Guillerm [de] Montagnagol, Per Vidal,
Monge de Montaudon, Pons de Capduoill
Richaut de Berbecil, chascun trop val ( 75).
L'auteur, inconnu du reste, de la Léandréïde, semble donc mettre notre poète sur le même plan que quelques-uns des plus célèbres troubadours, & comme nous voyons par ailleurs qu'il connaît bien la littérature provençale (76), nous pouvons attacher quelque valeur à son jugement. Il nous est à tout le moins permis d'en conclure que, cent ans après sa mort, Montanhagol apparaissait encore aux yeux d'un Italien comme un des noms considérables de la poésie provençale.
Son œuvre, telle du moins qu'elle nous est parvenue, est pourtant des moins étendues: quelques chansons, quelques sirventes, un partimen; en tout, quatorze pièces, dont encore l'une lui est contestée & attribuée à Peire Rogier. Il est vrai que rien, ni dans les manuscrits, ni dans la pièce elle-même, ne justifie cette attribution (77), & nous pouvons continuer à considérer comme étant bien de Montanhagol les quatorze pièces que Bartsch (78) a réunies sous son nom.
Il est même probable que nous n'avons pas là toutes les poésies composées par Montanhagol. Déjà dans un passage de Muntaner (79) nous avons relevé deux vers attribués à notre poète, qui, si l'attribution est exacte, appartenaient à une pièce aujourd'hui perdue. En outre, si l'on en croyait Balaguer (80), il aurait composé plusieurs sirventes contre l'Inquisition, dont un seul nous aurait été conservé. Mais c'est encore là, de sa part, une affirmation arbitraire & qu'il faut écarter, quoique le fait en lui-même soit très vraisemblable. Nous sommes de même amenés à supposer l'existence de poésies d'un autre genre qui ne sont pas représentées dans ce qu'il nous reste de l'œuvre de Montanhagol. Nous trouvons en effet, dans le planh de Pons Santolh, un passage où, s'adressant à la Vierge Marie, il la prie d'être miséricordieuse au poète: « Je vous supplie, lui dit-il, de regarder comme votre créature celui qui a dit vos louanges (81). » Il semble bien qu'il s'agisse là d'éloges consacrés à la Vierge par Montanhagol. Il aurait donc, en plus de ses chansons & de ses sirventes, composé des pièces en l'honneur de la Vierge, comme en feront, au siècle suivant, les maîtres & les lauréats du collège del Gai Saber. Et, par là, son œuvre aurait, non seulement plus d'étendue, mais encore plus de variété.
Telle qu'elle est cependant, elle reste fort précieuse & assure à Montanhagol une place considérable dans l'histoire de la poésie provençale. Tout d'abord il semble, en effet, que nous y relevions des traces d'un talent personnel. Non que Montanhagol se distingue par une recherche exagérée de la forme, qu'il se plaise aux combinaisons rares de mots ou de mêtres & qu'il aime les énigmes du trobar clus. Au contraire, c'est à peine si, çà & là, nous rencontrons quelques jeux de mots & de rimes, toutes recherches assez vénielles & qui sont communes à tous les troubadours. Rien de rare non plus, ni de particulièrement compliqué dans sa versification. Toutes ses pièces, à l'exception de trois (82), se ramènent à des formules métriques assez simples & souvent employées avant lui. Il ne semble pas s'être piqué d'en inventer, ni d'en employer toujours de nouvelles, & la même lui sert parfois pour deux poésies (83). Il est vrai que, même lorsqu'il emprunte une formule déjà connue, il cherche le plus souvent (84) à la faire sienne par l'emploi de vers différents ou de rimes à lui propres. Enfin il méprise les obscurités savantes d'un Elias Cairel ou d'un Arnaud Daniel. Il n'y a rien, en effet, dans ses poésies, d'énigmatique ou d'inexplicable. Tout autant que le texte nous en a été bien conservé, nous sommes toujours en présence d'un sens clair & qui se découvre de lui-même. Montanhagol semble écrire pour être compris du plus grand nombre. Mais la clarté n'est pas le seul mérite de son style. La passion lui fait parfois trouver l'expression forte, & parfois aussi son imagination paraît lui suggérer le mot qui peint, qui fait voir. Une pièce curieuse à ce point de vue est sa chanson: « Non estarai per ome que·m casti. » Nous y trouvons deux comparaisons empruntées soit directement à la tradition populaire, soit indirectement à des auteurs antérieurs. L'une est fournie à Montanhagol (85) par le souvenir de la cité dont les habitants étaient devenus fous à l'exception d'un seul, qui, au contact des autres, dut, lui aussi, le devenir; & l'on sait que c'était le sujet même d'une nouvelle de Peire Cardenal (86). Sans doute, ce n'est chez Montanhagol qu'une comparaison, tandis que chez P. Cardenal c'est la pièce elle-même & ce qu'il importe de développer. Cependant, si à la narration longue à plaisir & délayée de ce dernier on oppose la manière de Montanhagol, qui resserre en une strophe toute l'histoire, sans rien omettre d'essentiel, en lui donnant peut-être plus de sens & plus de portée, nul doute qu'on ne reconnaisse à notre poète des qualités de ramassé, de vigueur & de force. De même si, après avoir lu dans Marie de France la fable dou cerf ki vit ses cornes en l'iaue (87), &c., on la relit dans la même pièce de Montanhagol, traitée aussi sous forme de comparaison, on est heureusement surpris d'y voir:
L'ombra dels bans en la fon bandeiar (88),
le cerf avec ses secs pes & ses bois delgat, tout le pittoresque enfin & toute la vie qui manquait à la moralité froide & sèche de Marie de France. Et il se peut bien que notre poète n'ait pas inventé ces traits, qu'il les ait trouvés dans une tradition antérieure, mais c'est déjà un grand mérite d'en avoir connu le prix & de les avoir conservés. Nous relèverions encore çà & là des expressions qui semblent bien personnelles à Montanhagol, mais il serait imprudent de trop s'engager dans cette voie. La publication des textes est encore trop imparfaite pour nous permettre d'apprécier ce qu'il y a d'original, de particulier dans le style de chaque troubadour. Et puis ont-ils eu la même conception que nous de l'originalité de la forme? Ne semblent-ils pas, au contraire, avoir recherché pour leurs sentiments, pour leurs idées personnelles, l'expression sinon banale, du moins conventionnelle? Au surplus, nous pouvons laisser dans l'indétermination ce côté du talent de Montanhagol: son mérite & sa valeur sont ailleurs.
Son grand mérite, en effet, c'est de nous aider à faire revivre une période importante de l'histoire de la France méridionale & de représenter pour nous une époque curieuse de la poésie provençale. Si nous parcourons les sirventes de Montanhagol, ce qui nous frappe, c'est la netteté des allusions, la précision des faits &, pour tout dire, le caractère d'actualité de ces pièces. Sans doute, nous retrouvons chez lui beaucoup de ces traits, de ces développements communs à tous les troubadours; nous aurons même souvent l'occasion, au cours de notre commentaire, de faire des rapprochements d'expressions ou d'idées. La première strophe de son sirventes sur la révolte de 1242 exprime la joie qu'éprouve le poète à voir la guerre déchaînée (89), & non seulement c'est la même idée, mais ce sont presque les mêmes expressions que nous retrouvons dans une pièce de Bertran de Born. Cette idée aussi que tout allait bien mieux dans l'ancien temps, après avoir fourni plus d'un développement aux troubadours antérieurs, sert aussi à Montanhagol quand il veut blâmer l'indignité de ses contemporains, la lâcheté des nobles (90), la perfidie des amants (91), & elle lui fournit le début de son sirventes contre l'Inquisition (92). Il traite à son tour le thème cher à tous les troubadours, que le premier devoir du riche est la libéralité (93). S'il se plaint des clercs, c'est pour leur reprocher ce que leur a reproché tout le moyen âge, leur feint détachement des biens temporels & leur cupidité réelle (94). Mais, pas plus chez Montanhagol que chez les autres troubadours, la présence de ces idées générales, de ces lieux communs, ne doit nous faire illusion. Ils ne servent que de supports à des idées, à des développements plus particuliers, & c'est peut-être une gaucherie de les laisser ainsi subsister au premier plan; mais cela ne doit pas nous faire nier ni méconnaître la part d'actualité qu'ils nous masquent.
Nous avons déjà vu que deux des sirventes (III & V) de Montanhagol se rapportent au grand fait historique qui, à quelques années d'intervalle, met les deux comtés de Toulouse & de Provence, toute la France méridionale, sous l'influence & sous la domination françaises. Les allusions qu'ils contiennent nous ont même paru assez précises pour nous permettre de les dater avec vraisemblance. Ce qui les caractérise, c'est l'attachement à Raymond VII, qui personnifie la patrie méridionale, c'est la haine des Français & c'est enfin l'obstination à espérer un salut qui ne viendra pas. « Comte de Toulouse, dit le poète, plus j'examine les puissants, plus je vous vois au faîte de l'honneur, & je souhaite que Dieu m'accorde son amour, aussi vrai que votre noble valeur s'élève par-dessus la plus haute (95). » Il connaît pourtant les défauts de son héros, il le sait faible de caractère (96), il doit le mettre en garde contre les dangers qu'il ne voit pas (97); & cela fait honneur à sa clairvoyance, mais n'ébranle pas sa fidélité. Contre les Français qu'il exècre, il excite les Anglais, en leur montrant leurs possessions menacées (98), il appelle le secours du roi d'Aragon, le vainqueur des Turcs, & qui aurait vite raison des vaincus des Croisades (99). On dirait que plus le triomphe des Français est prochain, plus le poète s'obstine à espérer. En 1242, alors que la plupart des conjurés ont déjà fait leur paix avec le roi de France (100), que les Anglais négocient & restent inactifs (101), que le roi d'Aragon ne sort pas de la neutralité (102), Montanhagol espère en la vaillance de Raymond. En 1246, après le mariage de Béatrix, quand la Provence est déjà devenue française, il espère encore: Jacques Ier n'aurait qu'à s'allier à Raymond, à déclarer la guerre aux Français; leurs progrès seraient arrêtés & le Midi resterait libre (103). Cet espoir, Montanhagol n'était pas seul à l'avoir: il était celui de Raymond VII lui-même, qui, jusqu'à sa mort, avait cherché, soit par un mariage, soit par un coup de force heureux, à rendre nulles les stipulations du traité de Meaux, & il avait dû le communiquer à tous ses sujets.
Un plus grand nombre de sirventes de Montanhagol se rapportent à l'autre grand fait de cette époque: l'établissement de l'Inquisition & la transformation qu'elle opéra dans la société méridionale. Ce qui, en effet, nous intéresse surtout, c'est moins la sévérité avec laquelle il y juge l'arbitraire de ces clercs qui se sont faits inquisiteurs
Et jutjo aissi com lur plai ( 104),
ou les déclarations d'orthodoxie, de respect pour une Inquisition juste & charitable (105), dont il s'entoure pour désarmer les colères de ceux qu'il attaque, que la netteté avec laquelle il aperçoit la tactique du clergé, & qu'il en veut surtout à la vie luxueuse & artistique qui avait fait la gloire de tout le Midi. L'Inquisition proscrit d'abord le luxe des vêtements, décrète
Qu'aurfres a domnas no s'eschai ( 106),
défend
Que om per pretz no do ni tassa be ( 107),
c'est'à-dire que l'on soit libéral, que l'on encourage les poètes, & nous entendons que c'est la poésie même & la civilisation méridionales qui sont menacées. Quelques années plus tard (1242-1250), l'Inquisition se relâche de sa rigueur; elle tolère les beaux vêtements & Montanhagol le constate:
E ja melhur' om e gensa
En raubas e en guarnir
E en manta captenensa
E's vol om trop gent tenir ( 108).
Mais les libéralités nécessaires à la vie courtoise & cette vie courtoise elle-même restent toujours interdites,
Mas en dar ni en servir
No vey far melhuramen ( 109).
Les riches gardent leurs richesses; ils ne veulent plus se montrer galants ni généreux, & si Montanhagol feint d'en accuser leur perversité (110) & leur avarice, en réalité c'est bien l'esprit général, le segle qui est le coupable & l'Inquisition qui l'a créé. Elle a enseigné à tous l'amour des richesses: clercs & laïques, seigneurs & vassaux sont en luttes continuelles (111); l'avidité est leur seul mobile, & de là résulte un état de malaise dont souffre la société & que déplore Montanhagol. C'est qu'il sent bien que, mieux que les Français du Nord, l'Inquisition travaille à la destruction de cet esprit, de cette civilisation qui avait eu dans la poésie des troubadours son expression la plus brillante.
Il n'y avait plus, en effet, dans cette société tout entière soumise à l'influence du clergé, de place pour les troubadours & pour leurs chansons. Ils avaient jusqu'alors chanté l'amour courtois, l'amour en dehors du mariage. L'Inquisition les considéra comme les agents de la dissolution des mœurs, grâce à laquelle l'hérésie s'était propagée; & comme elle condamnait les pratiques de l'amour courtois, elle dut aussi en proscrire l'expression. La chanson d'amour de Bernard de Ventadour, désormais tenue pour immorale & dangereuse, devait fatalement disparaître. C'est là surtout ce qui explique la rapide décadence du genre. Au siècle suivant, il n'y a plus de chanson d'amour; le seul amour qu'il est permis de chanter, c'est l'amour de Dieu & de la Vierge Marie.
Il dut pourtant y avoir des résistances, des efforts tentés pour prolonger la vie du genre. Il semble qu'au lendemain même de l'établissement de l'Inquisition on ait essayé de désarmer sa rigueur, en essayant de concilier la doctrine de l'amour courtois avec l'austérité de la morale chrétienne. On la modifie, on l'épure, on fait de l'amour un principe de vertu conciliable avec l'amour de Dieu. Et c'est parce que nous trouvons dans les chansons de Montanhagol des traces de cette tentative qu'elles sont la partie la plus curieuse & la plus importante de son œuvre. Si, en effet, on ne les jugeait que sur les sentiments exprimés, si surtout on y recherchait la marque d'un amour réel du poète, on en ferait assez peu de cas. Montanhagol ne fut pas, semble-t-il, un poète de l'amour. Si l'on excepte une chanson (112) où le poète supplie sa dame de l'aimer & où vraiment il y a comme un accent personnel, c'est à peine si les autres sont des chansons d'amour. Parfois il y fait bien l'éloge de sa dame ou de l'amia (113), mais le plus souvent il y loue Esclarmonde, Guise, Algaye ou Jausserande, & ce qu'il dit d'elles est plutôt l'hommage d'un poète reconnaissant que d'un véritable amant. Pour l'expression de ses sentiments, il adopte la forme & le vocabulaire traditionnels. Nous retrouvons chez lui la description obligée du printemps avec les détails ordinaires, la douceur du temps nouveau, les fleurs & le chant des oiseaux (114). Il se sert pour peindre sa dame des traits qu'ont employés tous les troubadours: l'éclat du teint, les yeux vairs, les sourcils gracieux (115). Les qualités qu'il loue en elle sont celles aussi qu'ils ont louées: la raison, la noblesse, la loyauté. Nous retrouvons chez lui des protestations d'amour qui sont communes à tous les troubadours & à tous les amoureux de tous les temps, à savoir qu'il aime sa dame plus que tout au monde (116), qu'il méprise pour elle l'amour des autres dames (117), & qu'il mourra s'il n'est pas agréé (118). Il dit encore que c'est amour qui l'inspire (119), qu'amour le rend joyeux, qu'il veut faire partager aux autres son bonheur (120), & qu'amour lui donne la mission d'égayer, de réjouir les esprits (121).
Mais cela n'est plus une phrase conventionnelle: c'est un trait précis, une allusion au changement apporté par l'Inquisition dans l'esprit du temps. Montanhagol revient plusieurs fois sur cette idée que l'on oublie les maximes du temps passé. Les riches sont devenus pervers &, de même que la libéralité, ils oublient le devoir d'aimer (122). Les dames, de leur côté, n'aiment plus comme autrefois; elles hésitent à accueillir les hommages de leurs soupirants, leur opposent des difficultés, des retards (123), n'osent plus se confier à l'amour (124). Il en est même qui s'offensent d'être aimées & considèrent l'amour comme un péché (125). Ce n'est donc plus le thème souvent traité de la malice & de la tristesse du temps présent que le poète oppose avec regret au passé heureux & brillant, c'est la peinture des progrès faits par les idées du clergé dans les esprits. Si, en effet, il a interdit toutes les manifestations de la vie courtoise, il a dû surtout s'attaquer au principe même, l'amour, qu'il a déclaré mauvais & contraire à la morale chrétienne. Dès lors, personne n'ose plus aimer; l'amour est menacé de disparaître & avec lui, l'honneur, la valeur, toutes les vertus qu'il inspirait & la poésie même qui l'exprimait.
Montanhagol, lui, reste fidèle à son culte; il sait qu'amour le rend joyeux, le rend meilleur, & il plaide sa cause devant ceux qui l'oublient ou le combattent. Aux riches, aux nobles dames qui n'osent plus aimer, il dit que l'amour n'est pas un péché (126); aux clercs, que le véritable amour est un principe de vertu. « Amour, leur dit-il, n'est pas un péché, mais une vertu qui fait les méchants bons & rend les bons meilleurs (127). » Car l'amour réclame un cœur pur; on n'est digne d'amour que si l'on sait se garder des fautes (128), si l'on n'est pas également indifférent au bien & au mal (129), & l'amour va à la vertu. Mal placer son amour, aimer qui ne mérite pas de l'être, c'est se déshonorer (130). Ce qu'on doit aimer, ce n'est ni le rang, ni la richesse, mais la sincérité d'un cœur vraiment épris (131). L'amour va à la vertu & a pour mission de protéger cette vertu (132). Montanhagol se propose, avant tout, de veiller sur l'honneur de celle qu'il aime. Qui agit autrement, & par ses désirs passionnés met en péril la bonne réputation de sa dame, est indigne du nom d'amant (133). Car l'amour doit, par essence, être pur &, comme le dit expressivement le poète, rester chaste:
Quar d'amor mou castitatz ( 134).
Cette seule formule suffit à mesurer la distance qui sépare une telle conception de l'amour de la conception traditionnelle & qu'avaient exprimée les troubadours antérieurs. Car, si assurément rien ne prouve que l'amour chanté par Bernard de Ventadour ou Guiraud de Bornelh fût surtout un amour sensuel, rien non plus ne laisse supposer qu'il est, par nature, chaste. C'est donc toute une nouvelle théorie de l'amour qu'expose Montanhagol, & vraiment curieuse. On l'avait déjà remarqué: déjà M. Thomas (135), relevant quelques-uns des traits cités plus haut, considérait notre poète comme le représentant d'une doctrine nouvelle &, plus récemment encore, M. de Lollis (136), à propos de certaines poésies de Sordel, appelait l'attention sur la nouveauté des idées exprimées & sur leurs rapports avec certaines affirmations de Montanhagol.
Il opposait, lui aussi, cette conception de l'amour à celle des autres troubadours & l'expliquait comme une sorte de raffinement, d'épuration qui substituait à l'amour « traditionnel » de l'âge classique, l'amour purement « idéal » qui, transformé encore, serait devenu plus tard l'amour mystique des lyriques italiens (137). Le propre de cette nouvelle doctrine serait d'exclure tout élément naturel, réel, de l'amour: le poète ne parle plus de la personne même de la dame aimée & son amour peut s'adresser, non plus uniquement à la femme mariée, mais encore à la jeune fille (138).
Sans doute, nous sommes d'accord avec M. de Lollis pour constater la nouveauté de cette conception, encore que le mot d'idéale ne nous semble pas la caractériser assez par opposition à la conception « traditionnelle » de l'amour, de son aveu aussi « éthérée & impalpable. » Mais pour lui cette transformation résulterait à la fois d'un besoin de raffiner, d'un effort pour faire mieux que l'âge précédent & d'une tendance mystique (139). Et c'est précisément ce que l'étude de l'œuvre de Montanhagol ne nous permet pas d'admettre. Autant que nous pouvons le connaitre, il nous apparaît comme un esprit clair & pondéré, ennemi de toute recherche de pensée & de forme. S'il aime sa dame, il l'aime comme les troubadours ont toujours aimé, pour sa beauté, pour sa fresca color ses uelhs vairs, & ses cils delgatz (140), mais en même temps, il déclare que son amour est pur de pensée mauvaise, que d'amour procède la chasteté (141), & cela non pas parce qu'il veut raffiner, mais uniquement afin de désarmer la rigueur des clercs. Un tel amour peut s'adresser à la jeune fille comme à la femme mariée, puisqu'il respecte l'une & l'autre. Celui des autres troubadours ignorait la jeune fille, & ce que devait surtout lui reprocher l'Inquisition c'était de sembler être un amour adultère. Des deux traits que M. de Lollis signalait comme caractéristiques de la nouvelle doctrine l'un est donc à rejeter (l'amour « chaste » ne fait pas abstraction de la personne physique) & l'autre a une signification toute différente. En réalité, cette transformation, qu'on nous représente comme une fantaisie d'artistes voulant renchérir sur leurs prédécesseurs, était avant tout une nécessité; pour que la chanson d'amour pût vivre, il fallait qu'elle s'accommodât aux exigences du pouvoir religieux. Les troubadours ne pouvaient désormais chanter qu'un amour conforme à la morale chrétienne, ignorant des désirs mauvais & par essence vertueux & chaste.
Du reste, nous avons ailleurs une autre preuve du pouvoir exercé par l'Inquisition sur les idées du temps. Il y a, en effet, dans l'œuvre de Montanhagol, deux pièces curieuses, sirventes ou chansons morales, qui expriment comme l'idéal de la vie courtoise (142). Le principe en est toujours l'amour, car lui seul inspire la valeur. Mais cet amour est au-dessus des entraînements de la passion. Le véritable amant ne connaît pas la desmesure; il sait aimer avec mesure & Dieu bénit cet amour (143). Ainsi faisaient, dit Montanhagol, les vrais amants du temps passé. Ceux qui s'écartent de ces maximes sont de mauvais amants & il les réprouve. Par là, notre poète semble vouloir rattacher sa nouvelle doctrine à celle de l'âge classique, & condamner les amours des troubadours & des amants afin d'innocenter l'amour lui-même & la poésie. Mais ce qui est plus curieux, c'est le prix tout à fait exceptionnel qu'il attache à cette vertu qui semble devenir l'unique règle de la vie courtoise. Ce qui jusqu'alors l'avait dirigée, c'est l'amour de pretz & de valor. Il s'agissait, en toute circonstance, de faire mieux ou autrement que les autres, de se distinguer sans avoir égard au bien ou mal: cette recherche du pretz ou de la valor était avant tout le triomphe de l'orgueil & de la desmesure. Sans doute, il y avait bien un correctif à cette expansion de la personnalité: de tout temps les troubadours avaient dit qu'il n'y avait de cortezia que quand cet amour du pretz était réglé, dirigé, contenu dans de justes limites par la raison. La vraie cortezia consistait essentiellement dans l'union du pretz & de la mezura (144). Mais comment réaliser cet accord nécessaire de deux principes aussi opposés? L'expérience avait dû montrer que l'un allait souvent sans l'autre, &, en tout cas, un tel idéal avait quelque chose d'aventureux qui devait le rendre suspect aux yeux de la morale chrétienne. C'était exciter une passion sans être sûr de pouvoir la diriger uniquement vers le Bien. La mezura venait-elle à manquer, on était en proie à l'exagération des désirs, aux entraînements de la passion & à toutes leurs conséquences. Si quelques âmes d'élite pouvaient se proposer cet idéal, il restait pour la grande masse ou inaccessible ou trop dangereux, & c'était ce que devait condamner le clergé. Aussi, quand Montanhagol veut donner les principes de la vie courtoise, il propose un idéal plus humain & plus chrétien. La vertu qu'il loue par-dessus toutes, c'est encore la mezura. Mais cette mesure n'est plus la vertu négative qui garde des excès, c'est une vertu positive & qu'il faut rechercher pour elle-même. Non seulement elle règle, mais elle inspire les autres vertus: le clergé peut reconnaître en elle non seulement l'ennemie des passions, mais le principe de la domination de soi, de la modération, de l'humilité, de l'indulgence & de toutes les vertus chrétiennes dont il recommande la pratique. Rien, dit Montanhagol, n'est plus estimé qu'elle; car elle donne à chacun la conscience de ce qu'il est & de ce qu'il doit aux autres (145). Elle règle l'emploi des libéralités & empêche qu'elles n'aillent aux mains de gens indignes (146). La modération, l'indulgence, la loyauté, le discernement, la mesure, telles sont les vertus que l'on acquiert par elle (147); enfin, elle doit s'allier à la crainte de Dieu (148). Ce n'est donc pas seulement l'amour, mais la vie courtoise tout entière que les poésies de Montanhagol nous montrent transformée. La nouvelle doctrine de l'amour n'est à vrai dire qu'une forme du changement survenu dans l'esprit du temps. On ne peut l'expliquer l'une sans l'autre. Elles sont la conséquence de la domination du pouvoir religieux. La théorie de l'amour chaste, comme le nouvel idéal de la vie, est née d'une idée morale et religieuse.
Telles sont les idées nouvelles que nous trouvons non seulement chez Montanhagol, mais encore chez Sordel, chez Bertolome Zorzi & chez d'autres troubadours contemporains. On sait quelle fut leur fortune: elles devinrent un thème répété jusqu'à la satiété par les troubadours postérieurs. Plus tard, nous retrouvons, dogmatiquement exposées dans le Breviari d'amor, l'idée du pouvoir ennoblissant de l'amour, celle de l'excellence de la mesure, &, comme l'a remarqué M. de Lollis, l'amour mystique des lyriques italiens n'est que la théorie de l'amour chaste légèrement transformée (149). Mais, qui a eu le premier cette idée de transformer la conception classique de l'amour? Montanhagol, chez qui nous venons de trouver la doctrine nouvelle, l'a-t-il vraiment créée? M. de Lollis, relevant chez Sordel des idées semblables à celles de Montanhagol, nous dit qu'elles étaient celles du temps même, & que cette nouvelle conception de l'amour était commune à tous leurs contemporains (150). Cependant, il cite lui-même quelques vers du troubadour Granet clans lesquels les idées nouvelles sont très nettement raillées (151); & ce qui ressort de là c'est donc, non pas qu'elles étaient celles de tout le monde, mais qu'il y avait encore des poètes qui leur préféraient l'ancienne conception de l'amour. Sordel lui-même n'a pas toujours chanté l'amour chaste, & M. de Lollis est obligé de reconnaître qu'il y a encore en lui un élément de sensualité par lequel il se rattache à la tradition classique (152). De l'aveu même de Montanhagol, il y a de son temps encore des amants qui ne se conforment pas aux nouvelles maximes (153), de faux amants, comme il les nomme, & des poètes coupables pour glorifier leurs fautes (154). Il combat les uns & les autres, mais cela même nous prouve que les idées qu'il exprime ne sont pas acceptées par tous & qu'elles sont encore des idées nouvelles. Il semble, au contraire, avoir eu conscience d'être un novateur, & c'est avec une certaine fierté qu'il revendique pour sa poésie le mérite de l'originalité: « Les anciens troubadours, dit-il, n'ont pas tant parlé de l'amour, jadis au beau temps joyeux, que nous ne puissions faire encore après eux de belles chansons nouvelles & agréables (155)... Et mes chansons sont bien nouvelles puisque je dis ce qu'on n'a jamais dit. Car Amour me donne ma science & m'inspire si bien que si la poésie n'était pas, je la créerais (156). » Et, en effet, dans la même pièce, nous trouvons, sinon les formules les plus caractéristiques de la nouvelle doctrine, du moins quelques-unes des idées qui s'y rattachent & sur lesquelles le poète est plusieurs fois revenu. Il semble donc revendiquer la gloire de l'invention. Ses prétentions étaient-elles fondées? A-t-il vraiment créé ce nouvel idéal de la vie courtoise, cette conception de l'amour? A-t-il fait lui-même cette transformation de la matière lyrique? Tout ce que l'on peut dire, c'est que ni chez Sordel ni ailleurs nous ne trouvons ces idées nouvelles aussi nettement, aussi complètement exprimées.
Mais cela seul, mieux que les mérites que nous lui avons reconnus, suffit à lui assurer parmi les troubadours une place considérable. Cette poésie provençale, qui doit bientôt succomber sous l'inimitié du clergé, semble d'abord s'être efforcée de désarmer son adversaire. Accusée d'immoralité & poursuivie comme complice de l'hérésie, elle veut se conformer à l'orthodoxie & à la morale chrétiennes afin de conserver le droit de vivre. C'est une tentative intéressante & une des périodes les plus curieuses de l'histoire de la poésie provençale. Il suffit à Montanhagol pour que son nom soit assuré de vivre d'en être, ainsi que l'avaient pressenti MM. Thomas & de Lollis (157), le plus parfait repréentant, & par là, plus encore que par les renseignements qu'elle nous donne sur les événements du temps, son œuvre prend une valeur historique considérable. (↑)
ANCIENNE BIOGRAPHIE PROVENÇALE
GUILLEM de Montanghaguout si fo uns cavallers de Proenza e fon bon trobador e grant amador e entendia se e madona Jauseranda del castel de Lunel e fes per leis maintas bonas chanzos.
(Chansonnier a, fº 36.) (↑)
NOTES
1. En particulier, nous sommes reconnaissant à M. Pio Rajna, le savant professeur de Florence, d'avoir bien voulu, à la demande de M. Thomas, collationner pour nous les pièces contenues dans le manuscrit J. — Pour le manuscrit D, nous avons utilisé la copie qu'en a faite Lacurne Sainte-Palaye & qui est conservée à la Bibliothèque de l'Arsenal (nº 3096). (↑)
2. On est d'accord pour reconnaître l'insignifiance de ce manuscrit qui n'est qu'une copie de K; c'est ce qui nous a permis de le négliger. Cf. Groeber, Die Liedersammlungen der Trobadors, p. 472. (↑)
3. Par exemple, nous avons toujours représenté les sons / mouillée & n mouillée par la notation lh, nh. Nous avons écrit onor, erba, &c., au lieu de honor, herba, &c.; & au lieu de homs, hom, nous avons écrit la forme invariable om. (↑)
4. Cf. Goeber, op. cit., § 95. (↑)
5. Cf. Grundriss zur Geschichte der provenz. Litteratur, p. 144. (↑)
6. Bastero, Crusca provenzale, p. 87; — Crescimbeni, Istoria della volgar poesia, p. 195; — Papon, Voyage littéraire de Provence, II, p. 215, & III, p. 443; — Millot, Hist. littér. des troubadours, III, p. 92; — Raynouard, Choix, V, p. 202; — Hist. littér. de la France, XIX, p. 486; — Diez, Leben und Werke der Trobadors, 2te autl., p. 464; — Balaguer, Hist. pol. y literaria de los trovadores, IV, p. 248. (↑)
7. Cf. Bartsch, in Jahrbuch f. rom. u. engl. Litterat., XI, p. 19. (↑)
8. Cf. les pièces V, VI, VII, VIII, IX & XI. (↑)
9. Cf. Bartsch, in Jahrbuch f. rom. und. eng. Litterat., t. XIII, p. 35, & P. Meyer, Les derniers troubadours de la Provence, p.206. (↑)
10. Nous publions en appendice la biographie de Jehan de Nostre Dame. Cf. Appendice, III. (↑)
11. Sur Guilhem d'Agoult & sur la famille d'Agoult en général, cf. César de Nostradamus, Hist. & chronique de Provence, Lyon, 1624,p. 134; Guy Allard, Histoire généalogique des familles de Bonne..., d'Agoult, &c.,Grenoble, 1572, pp. 74 & 89; De Maynier, Hist. de la principale noblesse de Provence, Aix, 1719,p. 19. (↑)
12. Les allusions contenues dans sa biographie supposent qu'il connaît les pièces I, V, VI, IX, X. (↑)
13. Chasteuil-Gallaup, trompé par le nom de d'Agoult, dit que Nostradamus ne parle pas de notre poète. Cf. Chabaneau, in Revue des langues rom., XXVIII, p. 72. (↑)
14. En outre de la notice sur Guilhem Montanhagol, l'Histoire littéraire de la France, t. XIV, p. 209, en consacre une à Guilhem d'Agoult, poète provençal. (↑)
15. Ces formes se rencontrent parfois dans C à côté de la forme Montanhagol. (↑)
16. Cf. Groeber, Liedersammlungen der Trobadors, §§ 16 & 95. (↑)
17. Cf. la pièce XIV. (↑)
18. Publié à l'Appendice, nº II. (↑)
19. Cette extension postérieure du sens de -ol = -olum est assurée par des mots comme espagnol, romagnol, cévenol, qui, tous, indiquent l'origine, la provenance. Mais primitivement ce suffixe ne se trouvait que dans des mots ayant en latin un e ou un i en hiatus avec le suffixe. Le fait qu'on le trouve dans des mots comme cévenol, montanhagol, où il n'y a pas d'i en hiatus, nous prouve que cette extension du suffixe -ol est relativement récente. Pour Montanhagol en particulier, on peut songer à l'influence analogique d'un mot de même racine comme montanhol, qui, lui, présente bien l'i en hiatus. (↑)
20. Cf. la pièce IX. (↑)
21.
« Si cum triet si ad emperador,
« Senes temor, ja Fredericx antan. » (IX, 19.) (↑)
22. Cf. la pièce IV. (↑)
23. Cf. Ibid., 47. (↑)
24.
« e mero mal clerc e prezicador. » (IV, 5.) (↑)
25. Cf. Ibid., v. 19. (↑)
26. Histoire gén. de Languedoc, VI, p. 701. (↑)
27. Cf. la pièce IV, v. 35. (↑)
28. Tourtoulon, Jacme I le Conquérant, II, 459, & Milá y Fontanals, Trovadores en España, pp. 196 sq. (↑)
29. Cf. Registrum donationum regni Valentie (Bibl. Nat. ( )b 33). Nous y relevons les passages suivants relatifs à notre poète:
P. 201: « G. de Montaynagol, III. jovatas in Pala. XVI. Kl. Sept. Et II. favecatas pro orto in Boatela. » — P. 2o3: « G. de Montaynagol: domos de Sahat Almoadel & ortum & II. jo. in Pala & II favecatas pro orto in Boatela XIV. kl. Sept. » — P. 229: « Montaynagol: domos de Rogeyal judeo circa balneum apud Figeram. IV. id. jan. 1239. » — P. 527: « Montanagol. de Mahomet Vegip, Guirad nomine. » — Enfin, p. 618, il semble bien que nous ayons cité une fois de plus le nom du poète déformé en Montannagol. (↑)
30. Cf. Ibid., pp. 188 & 213. (↑)
31. Cf. Ibid., p. 349. (↑)
32. Il y a d'autres exemples de pareilles donations. Après les batailles de Bénévent et de Tagliacozzo, Charles d'Anjou donna plusieurs châteaux à Sontel. Cf. de Lollis, Sordello, p. 61. (↑)
33. Cf. Milá y Fontanals, Los trovadores en España, citant Muntaner, p. 173, note, & R. Muntaner, Chronica o descripcio dels fetz e hazanyes del inclyt rey Don Jaume... Barcelona (1562). Cap. XXXVII, fº xxix:
« Per que a cascu vaja lo cor a aço que Munteyagol deya
« Prop a la guerra qui la ha el mig del seu
« E pus prop la ha qui la ha en son consell. »
Ces deux vers, assez obscurs du reste, appartenaient-ils à une pièce de Montanhagol aujourd'hui perdue? Ou lui sont-ils faussement attribués et sont-ils une altération des vers de Peire Cardenal:
« Prop a guerra qui l'a en miech son sol
« E pus prop l'a qui l'a a son coyssi. »
(P. Cardenal, Las amairitz.. in Appel, Chrestom., n° 78.) (↑)
34. Cf. Histoire gén. de Languedoc, VI, p. 701. (↑)
35. Cf. la pièce XIV, 73 sq. (↑)
36.
« Sordel, le ries coms prezatz
« On es ris sabers triatz,
« Proensals jutge..... » (XIV, 73.) (↑)
37. De Lollis, Sordello di Goito, p. 51. (↑)
38. Cf. la pièce I, v. 17. (↑)
39. Cf. Histoire gén. de Languedoc, XII, p. 302. (↑)
40. Cf. De Lollis, Sordello di Goito, p. 51. (↑)
41. Cf. Histoire gén. de Languedoc, III, pp. 733, 776. (↑)
42. Cf. Ibid. III, p. 796, & VII, 128. (↑)
43. Déjà O. Schultz (in Zeitschrift, f. rom. Philol., XV, p. 233) avait, mais sans en donner de raisons positives, indiqué pour cette pièce les dates presque concordantes de 1237-1244. (↑)
44. Cf. la pièce nº III. (↑)
45. Cf. III, v. 17 & sq. (↑)
46. Cf. ibid., v. 41 & sq. (↑)
47. Sur la chronologie de cette campagne du Poitou, cf. l'article de Bémont in Annales du Midi, t. V, p. 289. (↑)
48. Cf. la pièce V. (↑)
49. Cf. la pièce V, v. 11 sq. (↑)
50. Cf. ibid., v. 22 sq. (↑)
51. Cf. la pièce XI. (↑)
52. Cf. Ibid., v. 46 sq. (↑)
53. Cf. Ibid., v. 37 sq. (↑)
54. Cf. les pièces II, X, XII, XIII. (↑)
55. Cf. X, 58. (↑)
56. Cf. II, 53, & XIII, 49. (↑)
57. Cf. XII, 41. (↑)
58. Cf.
« Mas er veno sai deves Orien
« Li Tartari. » (XII, 6.) (↑)
59. Cf. les pièces VI, VII, VIII. (↑)
60. Cf. VI, 36, & VII, 49. (↑)
61. Cf. V, 40, & XI, 50. (↑)
62. Cf. VIII, 55 sq. (↑)
63. Diez, Leben und Werke, 2 aufl., p. 464. (↑)
64. Cf. la pièce IV. (↑)
65. Cf. la pièce III. (↑)
66. Cf. la pièce V. (↑)
67. Cf. Appendice, II. — Ce Pons Santolh, dont le nom mal lu est parfois devenu Pons Saurelh ou de Saurel, ne nous est du reste connu que par la rubrique dont le manuscrit C fait précéder son planh sur la mort de Montanhagol. L'hypothèse de la Biographie Toulousaine (Paris, 1823, tome II), qui en fait un des sept mainteneurs de la Gaie Science, ne repose sur aucun fondement. (↑)
68. Cf. IX, 25 sq. (↑)
69. Ibid., 14 sq. (↑)
70. Cf. Zenker, Folquet de Romans, p. 31. (↑)
71. Op. cit., pp. 248-270. (↑)
72. M. Paul Meyer a déjà montré (Romania, X, p. 405) la confiance qu'il faut avoir dans les affirmations de Balaguer, en qui semble revivre un peu de l'esprit de Nostre-Dame. (↑)
73. Cf. Appendice, II, v. 17 sq. (↑)
74. Cf. supra, La vie. (↑)
75. Livre II, chant VIII, in Memorie dell’ Istituto veneto, VI, 2e part., pp. 468 sq. (↑)
76. Thomas, Francesco da Barberino & la littérature provençale en Italie au Moyen-âge, p. 94. (↑)
77. Si, en effet, la table qui, en tête du manuscrit C & le Breviari d'Amor (α) attribuent la pièce IX: On mais a om de valensa, à Peire Rogier, & si la première strophe est donnée par P sans nom d'autres, le manuscrit C lui-même est d'accord avec J pour l'attribuer à Montanhagol. Or, l'autorité de P n'est pas considérable &, d'autre part, l'accord de C reg. α ne prouve rien contre la double affirmation de C & de J. Il est, en effet, certain que le Breviari a utilisé pour ses citations non pas C, mais les sources de C, &, d'autre part, que les tables de C ont été dressées non d'après C, mais d'après ces mêmes sources de C. (Cf. Groeber, Die Liedersammlungen der Troubadours, §§ 127 & 95.) C reg. & α représentent donc la même tradition, & leur accord ne peut prévaloir contre la double autorité de C & de J, qui, s'ils représentent des traditions voisines, conservent cependant chacun leur indépendance. (Cf. les rapports constatés entre ces manuscrits dans les pièces VII, X, XI, XIII, & Groeber, op. cit., § 108-109.)
L'étude de la pièce elle-même nous montre encore qu'il est bien difficile de l'attribuer à Peire Rogier. Aucun des noms mentionnés par elle ne se retrouvent dans les poésies authentiques de P. Rogier qui, toutes, semblent se rapporter à Ermengarde de Narbonne. Au contraire, le nom de Guiza se retrouve dans une autre pièce (VI) de Montanhagol; nous l'avons vu aussi ailleurs (IX) faire l'éloge de l'empereur Frédéric II; de plus, ce qui est dit du Coms Cumenges ne s'explique pas de la part de P. Rogier. Enfin la pièce, reportée à la fin du douzième siècle, perd tout son sens: elle n'est plus une arme de combat contre l'influence de l'Inquisition; c'est seulement la plainte banale d'un troubadour sur l'avarice des grands. (↑)
78. Cf. Bartsch, Grundriss zur Gesch. der prov. Litteratur, p. 141. (↑)
79. Cf. supra, La vie. (↑)
80. Cf. Balaguer, op. cit., IV, 248 sq. (↑)
81. Cf. Appendice, II, vv. 53-54. C'est tout à fait par erreur que Lowinsky, Zum geistlichen Kunstliede in der altprov. Litter. (Berlin, Dissert., 1897), p. 45, a supposé d'après ce même passage l'existence de chansons pieuses, non de Montanhagol, mais de Pons Santolh. Toute la pièce montre que c'est pour notre poète que Pons Santolh implore la Vierge & il parle des chansons pieuses de Montanhagol comme d'un titre à sa miséricorde. (↑)
82. Ce sont les pièces II, XII & XIV. (↑)
83. Cf. les pièces I & XIII. (↑)
84. Seules, les pièces I, IV, X & XIII, reproduisent, avec la formule, des mêtres & des rimes déjà employés. (↑)
85. VIII, 19-25. (↑)
86. Cf. P. Cardenal, Una ciutat fo no sai cals. (↑)
87. Cf. Marie de France, éd. Roquefort, II, pp 169-170. (↑)
88. VIII, 38. (↑)
89. III, I sq. (↑)
90. V, I sq., 30 sq. (↑)
91. X, 43 sq. (↑)
92. IV, I sq. (↑)
93. XI, 19 sq. (↑)
94. IV, 37 sq., & XII, 17 sq. (↑)
95. III, 9 sq. (↑)
96. III, 14 sq. (↑)
97. IV, 47-48. (↑)
98. III, 41 sq. (↑)
99. III, 33 sq., & V, l5 sq. (↑)
100. Cf. III, 17 sq. (↑)
101. Cf. III, 43 sq. (↑)
102. Cf. III, 33 sq. (↑)
103. Cf. V, 21 sq. (↑)
104. Cf. IV, 20. (↑)
105. Cf. IV, 21 sq. (↑)
106. IV, 29. (↑)
107. IV, 7. (↑)
108. XI, 28 sq. (↑)
109. Cf. XI, 32-33. (↑)
110. Cf. XI, 10 sq. (↑)
111. Cf. XII, 1 sq. (↑)
112. Cf. la pièce IX. (↑)
113. Cf. II, 32 sq.; VI, 3, 7, 8, 23; VII, 19, 41 sq.; VIII, 50, 58; IX, 9, 17, 23, 33, 39. (↑)
114. Cf. II, 1 sq. (↑)
115. Cf. II, 41 sq. (↑)
116. Cf. IX, 34. (↑)
117. Cf. IX, 35. (↑)
118. Cf. II, 49. (↑)
119. Cf. VII, 15. (↑)
120. Cf. VIII, 1-2. (↑)
121. Cf. VIII, 28-29. (↑)
122. Cf. VI, 4 sq. (↑)
123. Cf. II, 24 sq.; VII, 25 sq.; IX, 5 sq. (↑)
124. Cf. VI, 15 sq. (↑)
125. Cf. VII, 33 sq. (↑)
126. Cf. II, 13. (↑)
127. Cf. II, 14 sq. (↑)
128. Cf. VIII, 7-8. (↑)
129. Cf. VIII, 9. (↑)
130. Cf. VIII, 46 sq. (↑)
131. Cf. IX, 14 sq. (↑)
132. Cf. IX, 17-18. (↑)
133. Cf. X, 10 sq. (↑)
134. Cf. II, 18. (↑)
135. Op. cit., pp. 54-55. (↑)
136. Cf. De Lollis, Sordello di Goito, pp. 77-79. (↑)
137. De Lollis, ibid., p. 80. (↑)
138. De Lollis, ibid., p. 80. (↑)
139. De Lollis, ibid., p. 77. (↑)
140. Cf. II. 41, sq. (↑)
141. Cf. II, 18. (↑)
142. Cf. les pièces X & XIII. (↑)
143. Cf. X, 28-30. (↑)
144. Cf. Jeanroy, De nostratibus medii œvi poetis, &c., p. 52. (↑)
145. Cf. XIII, 2-3. (↑)
146. Cf. XIII, 25 sq. (↑)
147. Cf. XIII, 41 sq. (↑)
148. Cf. XIII, 43. (↑)
149. Cf. De Lollis, op. cit., p. 80. (↑)
150. Cf. De Lollis, op. cit., p. 77. (↑)
« E d'en Sordel sabem tuit son usage
« Qe ben ama ses jausimen s'amia
« E non vol pas qel veinha d'agradage
« Qel colc ab si, qe vergoinha i penria. »
(Granet, in Mahn, Gedichte, 107.) (↑)
152. De Lollis, op. cit., p. 78. (↑)
153. Cf. X, 43 sq. (↑)
154. Cf. XIII, 35 sq. (↑)
155. Cf. VII, 1 sq. (↑)
156. Cf. VII, 14 sq. (↑)
157. Cf. Thomas, op. cit., pp. 54-55, & De Lollis, op. cit., p. 79. (↑) (↑) |