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Stroński, Stanislas. Le troubadour Elias de Barjols . Toulouse: Imprimerie et librairie Édouard Privat, 1906.

TABLE DES MATIÈRES :

Avertissement

INTRODUCTION

I. Sa vie

II. Ses poésies. — Authenticité de celles qui lui sont attribuées

III. Ses poésies. — Leur valeur littéraire

VIE D'ELIAS DE BARJOLS, PAR JEAN DE NOSTREDAME

LA BIOGRAPHIE PROVENÇALE

 

 

LE TROUBADOUR

ELIAS DE BARJOLS

 

AVERTISSEMENT

 

Je remercie tout d’abord M. Antoine THOMAS qui, après m’avoir indiqué le sujet ici traité, a bien voulu m’aider souvent de ses précieux conseils.

J’ai copié ou collationné moi-même tous les manuscrits de Paris, ainsi que ceux d’Oxford et de Cheltenham. J’adresse ici mes meilleurs remerciements à M. Fitz-Roy FENWICK, possesseur de ce dernier manuscrit, qui m’a fait un accueil extrêmement aimable dans sa demeure de « Thirlestaine House ». Quant aux manuscrits italiens, j’ai eu, pour D (Modène) et pour G (Milan), des photographies. L’éminent directeur de la Biblioteca Estense de Modène a bien voulu me faire envoyer une copie des pièces se trouvant dans a¹ (Campori). MM. F. MARTIN-CHABOT et Artur LANGFORS m’ont rendu des services signalés en copiant ou en collationnant le texte des manuscrits de Rome (L et F) (*) et de Florence (P et a), M. Paul ROMAN en me communiquant plusieurs fois des renseignements sur quelques documents conservés à Aix-en-Provence. Je les remercie tous très cordialement.

C’est à M. Alfred JEANROY que je suis le plus redevable. En examinant mon travail, en vue de son admission dans la Bibliothèque méridionale, il a consacré beaucoup d’un temps précieux soit à la revision du manuscrit, soit à la correction des épreuves. C’est lui, en un mot, qui a rendue possible la publication de ce travail, et je lui en exprime mes chaleureux remerciements et ma profonde reconnaissance.

C’est pour moi un devoir et un plaisir de remercier aussi la Faculté des Lettres de l’Université de Toulouse, qui a bien voulu accepter ce travail pour la Bibliothèque méridionale, ainsi que la Faculté des Lettres de l’Université de Lwow (Pologne autrichienne) et le Ministère autrichien de l’Instruction publique, auxquels je dois une bourse d’études qui m’a permis de prolonger mon séjour à Paris. ()

 

 

INTRODUCTION

LE TROUBADOUR ELIAS DE BARJOLS (1)

 

I

Sa vie.

 

Les sources qui apportent des informations, au reste peu nombreuses, relatives à la vie d’Elias sont au nombre de trois :

1º Ses poésies. On y trouve quelques mentions des personnes avec lesquelles il fut en relation et des lieux dans lesquels il séjourna. Le reste du contenu de ses chansons n’est pas utilisable pour sa biographie ; nous aurons tout au plus à nous demander jusqu’à quel point elles s’harmonisent avec ce que nous saurons sur sa vie.

2º La vida provençale.

3º L’article consacré à notre troubadour par Jehan de Nostredame. Il faut en discuter certains détails parce qu’ils ne sont pas nécessairement de pure invention et peuvent provenir de textes perdus.

Notre troubadour n’est nommé, à notre connaissance, dans aucun texte historique, ni mentionné dans les poésies d’aucun de ses confrères.

Les données de la vida provençale, qui est le premier essai de biographie complète de notre troubadour de sa naissance à sa mort, peuvent être acceptées dans leur ensemble. Se trouvant dans IK, elle est nécessairement du treizième siècle, peu postérieure à l’activité même d’Elias. Aucun des détails qu’elle rapporte ne saurait être rapproché d’aucune allusion dans les chansons conservées, et la plupart de ses informations ne sont même point de nature telle qu’elles aient pu être puisées dans une chanson quelconque, conservée ou perdue : elle se démontre donc comme entièrement indépendante des poésies et est, contrairement à bien d’autres récits de vidas et de razos, tout autre chose qu’un tissu d’inventions fondées sur celles-ci (2). Aussi pouvons-nous la suivre dans ses lignes générales, tout en ramassant en route ce que nous rencontrerons d’informations utiles dans les poésies.

 

« Sire Elias de Barjols fut de l’Agenais, d’un bourg
« qui a nom Perols. Il fut fils d’un marchand. »

 

Perolsest douteux dans la tradition. I, ayant écrit perols, tâcha de le corriger en peiols ; K écrivit d’emblée peiols. Un nom de lieu Peiols est cependant introuvable et improbable. C’est Perols qui aura été la leçon juste de la source des deux mss. I et K (3).

Perols, le seul lieu auquel on peut penser, se trouve en Limousin (4). L’auteur de la vida, certainement écrite sur la rive gauche du Rhône (5), plaça Perols dans l’Agenais. L’inexactitude ne paraît pas trop frappante, vu l’éloignement des pays en question de l’endroit où fut, selon nous, écrite la vida ; notre Perols est, en réalité, situé entre Limoges et Agen.

L’origine occidentale d’Elias (6), attestée par la biographie, paraît quelque peu surprenante puisque presque toutes ses chansons paraissent avoir été composées en Provence. Nous verrons cependant notre troubadour, avant que s’ouvre sa longue activité dans la région des Alpes, débuter et exercer quelque temps son art dans l’Ouest.

 

« Et il chanta mieux qu’aucun homme qui fût en
« ce temps. Et il se fit jongleur. Et il se fit accom-
« pagner d’un autre jongleur qui eut nom Olivier,
« et ils allèrent longtemps par les cours ensemble. »

 

En abandonnant le métier de son père pour se faire jongleur, il agissait comme bien d’autres (7) ; ce qui l’y détermina, c’est qu’il possédait les qualités nécessaires, la voix et le talent musical, à un degré exceptionnel  — dit la vida (8).

Après avoir chanté les poésies d’autrui (9), Elias se mit bientôt à s’exercer lui-même dans l’art de trouver, comme avaient fait bien d’autres (10).

Nous avons de lui une chanson, antérieure à l’an 1191 (11), dont nous pourrons tirer plusieurs informations qui complètent celles de la vida : elle permet d’abord de constater que, dès ses débuts, Elias fut troubadour en même temps que jongleur ; elle permet ensuite de localiser ses débuts d’accord avec les affirmations de la vida ; elle permet enfin d’entrevoir, rétrospectivement, les voyages antérieurs d’Elias jongleur.

Pour célébrer une dame, au reste inconnue, qu’il désigne par le « senhal » de Belh-Gazanh et pour créer un chevalier digne de son amour, Elias réunit dans cette chanson (I) les qualités de douze barons dont il cite les noms. Pour dix de ces barons, les identifications sont soit explicitement fournies par la chanson, soit faciles à trouver (12). Or, trois barons sont du Limousin, trois de l’Auvergne, deux du Languedoc, un de la Gascogne, un de la Saintonge. La ligne ainsi tracée enferme donc les provinces limitrophes du Limousin, qui forme lui-même le centre. Nous y voyons une preuve qu’Elias fit ces débuts poétiques dans la région dont la vida le dit issu et aux environs.

Nous le verrons donc sans surprise adresser une autre chanson (II) à une dame de Saintonge qu’il appelle Ses-Enjan. Antérieure ou postérieure à la chanson précédente, elle est en tout cas de cette première période.

C’est tout ce que nous savons sur la période « aquitaine » de la vie d’Elias. Résumons-le. Il débuta comme troubadour, en Limousin, au plus tard avant 1191, et fut déjà auparavant actif, au moins comme jongleur. Il avait connu l’Auvergne, depuis quelques dizaines d’années déjà très remarquablement représentée dans la poésie provençale par Peire d’Alvernhe et Peire Rogier, et y était entré en rapports avec le Dauphin, principal protecteur des troubadours dans cette région, avec Bertran de la Tor, le plus puissant seigneur de l’Auvergne après les comtes de ce pays, et dont l’activité comme troubadour et comme protecteur des troubadours est moins connue, mais non pas inattestée, avec Pons de Chapduelh enfin, le plus célèbre des troubadours auvergnats. Descendant vers le Midi, il n’avait pas manqué de rechercher la protection de Randon, baron gévaudanien des plus puissants et dont la cour était, à ce qu’il paraît, la plus accueillante pour les troubadours dans le Haut-Languedoc, et il avait su apprécier l’activité poétique de Raimon de Miraval, un éminent troubadour languedocien. Pour entrer en relations avec le comte Géraud Trencaleon de Fezensac, il avait pénétré jusqu’au fond de la Gascogne, où s’éteignait déjà l’activité de Marcabru, mais où l’on ne se plaignait jamais du manque de jongleurs (13). La Saintonge n’avait pas été moins fréquentée par lui, comme l’atteste le nom de Peire de Montleon dans 132, 5 (I), en dehors d’une mention directe de ce pays dans 132, 3 (II). En Limousin, où il était chez lui, il avait visité les deux cours principales des vicomtes de Limoges et de Ventadour et admiré le grand troubadour Bertran de Born, auquel il avait emprunté l’idée de son cavalier soisseubut. Là, en Limousin, il se trouvait au centre même des meilleures traditions poétiques et à un moment où l’âge d’or de la poésie des grands troubadours approchait de son coucher, mais où ses rayons répandaient encore une chaleur bienfaisante sur les jeunes germes poétiques. Et, d’autre part, la protection des barons ne lui faisait pas défaut, je veux dire des barons vraiment puissants, comme l’atteste I, puisque même ceux d’entre eux qui sont connus surtout comme troubadours (Bertran de Born, Pons de Chapduelh, Raimon de Miraval) furent tous des troubadours-châtelains.

Mais les voyages nécessités par sa vie de jongleur conduisirent Elias plus loin encore et lui firent quitter pour toujours sa patrie.

 

« Ils allèrent longtemps par les cours ensemble.
« Et le comte Alfonse de Provence les retint auprès
« de lui et leur donna des femmes et de la terre à
« Barjols, et c’est pourquoi on les appelait sire Elias
« et Olivier de Barjols. »

 

Le comte Alfonse régna de 1185 (sous l’autorité de son père Alfonse, roi d’Aragon (14), et à partir de 1196 seul) à 1209. La biographie ne précise pas la date de la donation faite aux deux jongleurs. Toutefois, le récit même de la vida laisse supposer un séjour antérieur d’Elias en Provence, durant lequel il aurait pu attirer l’attention du comte par ses chansons. Ceci est confirmé par des renseignements contenus dans les poésies.

Avant 1203, Elias adresse son descort (III) non pas à la cour comtale de Provence, mais à un puissant seigneur provençal, Raimon d’Agout. Il résulte des renseignements qui nous sont parvenus sur ce baron, parent et père des troubadours, célébré longtemps après sa mort comme protecteur de la poésie provençale, qu’Elias a su choisir, en Provence, le milieu le plus propre à lui faire un accueil favorable.

Un autre descort (IV) adressé à Eléonore de Toulouse, femme de Raimon VI et issue de la maison royale d’Aragon, pourrait être voisin en date du précédent. Mais nous indiquons ailleurs qu’il n’est pas possible d’obtenir, pour cette pièce, une datation plus exacte que celle de 1200 (ou 1204)-1222.

En tout cas, il est important de savoir qu’Elias composa en Provence un ou plusieurs descorts. Les descorts étaient des compositions assez rares, d’une structure mélodique compliquée, et regardées comme supérieures aux autres genres. Si Elias s’y essaya, c’est sans doute qu’il etait, comme nous l’apprend la vida, fort expert dans l’art du chant. Cette habileté lui avait sans doute préparé le terrain à la cour comtale de Provence.

La date précise des relations avec le comte Alfonse, attestées par la vida, n’est pas connue (15). Un seul fait paraît incontestable : la donation d’une terre à Barjols (16). Ce fait explique bien le changement de nom de notre troubadour, issu du Limousin et appelé « Elias de Barjols »  par tous les manuscrits (17).

 

« Et sire Elias devint amoureux de la comtesse, la
« dame Garsende, épouse du comte, quand celui-ci
« fut mort en Sicile, et il fit d’elle ses chansons,
« belles et bonnes, tant qu’elle vécut. » 

 

Le comte Alfonse mourut en 1209 (18). L’affirmation de la vida que notre troubadour « s’enamoret de la comtessa », c’est-à-dire lui adressa ses chansons, après la mort du comte seulement, n’est pas en désaccord avec la datation des chansons conservées.

Les pièces VI et VIII, qui se rapportent certainement à Garsende, sont postérieures à la mort d’Alfonse : la première fut composée peu avant le retour en Provence du jeune comte Raimon-Bérenger (1216-17), la seconde peu après ce retour. Il est probable que les chansons V et VIII appartiennent à lamême époque. Ce fut le temps où la veuve d’Alfonse séjourna à la cour d’Aix, d’abord seule (1209-16), ensuite avec son fils, dont elle fut tutrice (1216-20).

Tout en conservant ses relations avec la cour de Provence, Elias trouva un nouveau protecteur dans le célèbre Blacatz. Il ne s’agit pas ici seulement de rapports passagers. Le nom de Blacatz apparaît pour la première fois dans la chanson VII, écrite au moment du plein attachement d’Elias à la cour, et revient dans plusieurs chansons postérieures (VIII, X, XII) jusqu’à l’an 1225 environ, toujours à côté de mentions se rapportant à la cour comtale. Elias savait donc concilier les deux services ; la tâche lui était, au reste, facilitée par les bons rapports existant entre la cour et Blacatz.

Vers 1219-20, Raimon-Bérenger épousa Béatrice de Savoie. Deux chansons d’Elias datent de cette époque : la première (IX), contemporaine sans doute des démarches de Raimon-Bérenger, est adressée aux parents de Béatrice, au comte Thomas I et à la comtesse Marguerite ; la seconde (X), peu postérieure au mariage, nomme pour la première fois la nouvelle comtesse de Provence.

Elias avait au reste à la même époque d’autres protecteurs. Il mentionne, dans la dernière chanson citée, Isnart d’Entrevenas, troubadour, fils de Raimon d’Agout. Enfin, si c’est lui qui collabora à la tenson 131, 1 (XV), il aurait été aussi en relations avec Jaufré Reforzat, de la maison des vicomtes de Marseille.

Retenons la remarque que Jaufré fait à Elias : E vos, N’Elias, anatz per Proensa : elle indique qu’à cette époque encore Elias parcourait la Provence en y colportant ses chansons.

Moins précise que le reste de la vida est l’indication qu’Elias fit ses chansons pour la comtesse Garsende « tant qu’elle vécut ». Nous savons qu’elle entra en religion après le 19 mai 1225 ; la date de sa mort est inconnue (19). Mais dès l’arrivée en Provence de la jeune comtesse Béatrice de Savoie (1220), c’est à elle et non plus à Garsende que toutes les chansons d’Elias sont adressées (X, XI, XII, XIII).

 

« Et il entra dans l’hôpital de Saint-Benezet d’Avi-
« gnon. »

 

Les chansons adressées à Béatrice attestent que l’activité d’Elias se prolongea jusqu’en 1225 (20). Elle paraît cesser vers cette date, puisqu’aucune trace postérieure ne nous en est parvenue, bien que le mouvement poétique ait été alors très intense à la cour d’Aix et à celle de Blacatz. Elias devait être fort âgé à cette date ; l’heure du repos avait vraiment sonné pour lui : il frappa donc à la porte de l’hôpital (21), « Et là il mourut. » ()

 

 

II

Ses poésies. — Authenticité de celles qui lui sont attribuées.

 

I. ATTRIBUTIONS DOUTEUSES. —L’attribution à Elias de Barjols est douteuse pour les chansons : 132, 1, 4, 7, 8, 11, 12, 13 ; 106, 9 ; 240, 6 ; 249, 5 ; 326, 1 ; 366, 2. C’est-à-dire que dans certains manuscrits, plus ou moins nombreux, ces pièces sont données comme anonymes ou appartenant à d’autres troubadours. Nous étudierons en outre la pièce 131, 2, bien qu’elle ne lui soit nulle part attribuée.

1. — Occupons-nous d’abord des chansons qui sont sûrement d’Elias et qui figurent par conséquent dans notre édition (22). Pour la plupart d’entre elles, l’authenticité peut être admise sans discussion.

132, 1 (VII). (Elias de Barjols CDEIKSaf, Elias Carels H², Elias de Barjol Carels H³, anonyme G.) — L’authenticité est démontrée par le nombre et la qualité des manuscrits (cf. note, au début du Commentaire de VII) et confirmée par la mention de la cour provençale (T¹) et de Blacatz (T²) ; d’autre part, l’attribution à un autre Elias s’explique facilement, surtout celle à Elias Cairel dans le ms. H qui fait à ce troubadour une place particulièrement importante, puisque douze de ses chansons sur quatorze y sont rapportées et accompagnées d’une biographie spéciale, composée, semble-t-il, pour réfuter l’autre, celle de AIK. L’anonymat dans G n’est pas spécial à cette chanson (cf. sous 106, 9).

132, 4 (XII). (Elias de Barjols DEHMPRSfC reg., Peire Bremon Ricas Novas C et a, ce dernier, comme d’ordinaire, d’après (23).) — L’attribution isolée, et contredite par C reg. même, à Peire Bremon est due sans doute à des motifs d’ordre littéraire : le scribe de C aura remarqué les ressemblances frappantes que présentent le début de notre chanson et celui d’une chanson de Peire Bremon : Ben deu estar ses gran ioi totz temps mais | Cel qui no·s pot partir de son seignor..., etc., str. I-II (24).

132, 7 (VIII). (Elias de Barjols, dans neuf manuscrits appartenant aux trois sources (cf. note, sous VIII), anonyme dans H, mais cf. sous 132, 13, Girardus dans Q, c’est-à-dire Giraut de Bornelh, qui est le principal troubadour de ce manuscrit, et notamment de la partie en question, Q², qui lui attribue à tort d’autres chansons (25).) — La forme de cette pièce et la mention de la comtesse (de Provence) et de Blacatz (T¹ et ) confirment l’attribution de la presque totalité des manuscrits.

132, 11 (X). (Elias de Barjols CDªIKR, anonyme H.) — Mêmes motifs que pour 132, 11. Pour l’anonymat dans H, voyez sous 132, 13.

132, 12, descort (IV). (Elias de Barjols DIK, anonyme N, Bernart de Ventadorn CR, Arnaut Catalan E.) — Ici la question est plus compliquée. D’après le texte, les manuscrits se divisent en trois groupes : x = CR et E, y = DIK, z = N. L’anonymat dans N pourrait être interprété en faveur de l’attribution à Elias, vu que ce descort se trouve là dans le voisinage d’un autre qui est de lui ; mais ce voisinage n’est pas immédiat (26). Il est impossible, on le voit, de réunir deux groupes de manuscrits en faveur de l’attribution à Elias. On peut confirmer celle-ci cependant par voie négative : en démontrant comment les deux autres attributions ont pu se produire. Il faut observer d’abord que ces deux attributions se trouvent dans trois manuscrits remontant à une source unique x, qui a dû leur transmettre cette pièce avec des renseignements incertains ou déjà contradictoires sur l’attribution. Autrement la voie aurait été difficilement ouverte à deux attributions divergentes. La première se produisit dans la source a des mss. CR, intermédiaire entre x et chacun de ces manuscrits. Notre chanson y fut, pensons-nous, attribuée à B. de Ventadour, parce qu’on y remaqua le nom de la reina Elihonors. Rien d’étonnant que, dès le treizième siècle, la pensée se soit dirigée d’abord vers la célèbre reine chantée par le grand troubadour limousin. Il faut ajouter : 1º que, dans aucune des chansons adressées à la reine, Bernart ne l’appelle par son nom (27) ; 2º que nous n’avons aucune raison de croire que B. de Ventadour ait composé des descorts (cela serait en contradiction avec le passage connu de la vie de Garin d’Apchier, surtout s’il s’agissait d’un descort du temps des relations de Bernart avec la reine) ; 3º que celui-ci est bien indigne de lui. La seule explication possible est la suivante: a portait, comme les autres sources, elihonors, qui passa tel quel dans C, tandis que le rédacteur de R, ne s’étant pas aperçu qu’il y avait un nom propre et l’ayant compris : e(n) li honors, écrivit : La valen reyna mante | En luy onors pretz e reve. L’attribution de E à Arnaut Catalan sera due à des raisons analogues. Nous avons la preuve que ce troubadour a célébré une reine Eléonore que Milá (2e édit., p. 361) a cru être la reine Eléonore, femme de Jacme I, mais dans laquelle Chabaneau (Bgrs., p. 330, n. 2) a reconnu Eléonore de Toulouse. Cette preuve se tire de la chanson 330, 4, attribuée à Peire Bremon par ADIK, à Arnaut Catalan par CR, à Arnaut Plagues par Eb (cf. Groeber, Die Liedersammlungen, p. 613, sur la source commune des mss. E et b qui fut le Libro di Michele) et qui est bien d’Arnaut Catalan ; car elle nomme à côté d’Eléonore encore Béatrice de Savoie, comtesse de Provence, que nous trouvons célébrée dans trois autres chansons (sur six) d’Arnaut Catalan (27, 3, str. VII ; 27, 4, str. VI ; 27, 6, str. I) (28). C’est donc la mention d’une Eléonore qui aura attiré notre pièce parmi celles d’A. Catalan. Toutefois, cette fausse attribution remonte plus haut que E, puisque c’est à Arnaut Plagues que ce manuscrit attribua la chanson 330, 4, qui nomme la reine Eléonore et qui est en réalité d’A. Catalan.

132, 13 (III). (Elias de Barjols DªIK, anonyme HN.)  — L’anonymat dans H n’est qu’apparent, puisque cette pièce se trouve parmi les autres d’Elias ; elle se lit dans la partie H³ (Groeber, Die Liedersammlungen, § 35, pp. 403-6), qui renferme (fol. 58ª-59ª) les pièces : 132, 4, 1, 7, 13, 11 ; or, 132, 4, est précédée de l’attribution à Elias de Barjols ; mais, pour 132, 1, le copiste, ayant écrit Elias de Barjol, ajouta Carels, se rappelant son attribution antérieure dans H² ; et, le doute ayant été créé, il laissa anonymes les chansons suivantes. Pour l’anonymat dans N, cf. sous 132, 12.

106, 9 (VI). (Elias de Barjols CR, Cadenet K (d), anonyme GL). — Même au point de vue de la distribution des manuscrits, l’attribution à Elias de Barjols est la plus probable. Les mss. CR remontent à une source, les mss. GK (d) à une autre, le ms. L à une troisième (cf. note VI). Or, la transmission dans G n’est que demi-anonyme, puisque cette chanson y suit immédiatement 132, 1 d’Elias de Barjols ; elles y sont toutes deux anonymes, il est vrai, mais dans une partie de ce manuscrit où presque toutes les pièces sont dans le même cas (cf. Archiv, XXXIV, p. 398 ; Groeber, ibid., p. 558). L’attribution à Elias se trouve donc dans deux groupes de manuscrits. Le ms. L échappe à toute discussion parce que notre pièce se trouve isolée (ne suivant ni une pièce d’Elias ni une de Cadenet) dans la partie L³, où toutes les pièces sont anonymes (cf. Archiv, XXXIV, pp.422-3 ; Groeber, ibid., pp. 434, 437, 441). D’autre part, la mention de la cour provençale (T¹) et de Blacatz (T²) vient à l’appui de notre attribution.

 

2. — Passons aux chansons qui ne sont pas d’Elias et que, par conséquent, nous avons exclues.

240, 6. (Giraldo lo Ros IK (d), Peire Vidal CR, Elias de Barjols D ; publ. dans LR et dans Bartsch, P. Vidal.) — Cette chanson ne contient aucun nom propre, elle a la forme la plus simple et la plus fréquente de la cobla encadenada et n’a rien de frappant dans son contenu (assez rapproché d’ailleurs de celui de la plupart des chansons d’Elias). La seule raison de l’attribution de D doit être la ressemblance entre le début de cette chanson : Be·m ten en son poder Amors et celui de notre nº VII. Mais, puisque 240, 6 se trouve (29), avec 132, 4, sous le nom de N’Elias de Barjols dans la première partie de D (f. 81), tandis que 132, 1 ne suit que dans la seconde partie, Dª (f. 175, où elle précède 132, 7, 13, 11, et 132, 12, qui ne se trouve qu’au f. 211), il faut supposer que cette attribution est antérieure à D lui-même.

249, 5. (Giraut de Salignac DM, Elias de Barjol C, Elias Cairel E, anonyme V.) — La forme de cette chanson est 5 coblas unissonans, dont chacun compte 7 vers heptasyllabiques (abbccdd). Elle n’a point d’envois et ne contient aucune indication particulière. Toutefois, l’attribution à Elias paraît la moins probable. Ce qui parle pour Giraut de Salignac, c’est, en dehors du nombre des manuscrits, une certaine ressemblance de quelques motifs, peu significatifs il est vrai, qui se présentent dans cette chanson et dans les trois autres qui sont de lui. Ainsi, le début: En atretal esperansa Cum selh que cass’ e no pren M’aura tengut loniamen Amors pourrait être rapproché du début de 249, 1 : Aissi cum selh qu’a la lebre cassada E pueys la pert e autre la rete, et les vv. 5-6 de la str. IV : Et ieu am la miels e may No fes Priamus Tibe trouveraient leur pendant dans 249, 1, str. II, v. 8 : Per qu’ieu l’am mais no fetz Auda Rotlan, et, d’autre part, dans l’affirmation produite par ce troubadour dans 249, 3, str. V : Los livres dels auctors Sai, e dels ancessors Los sens e las follors, ce qui confirme son habitude voulue de citations pareilles. L’attribution à Elias Cairel est peut-être due au même motif de cassar. On lit dans Cairel (133, 2, str. II) : Mas mon cor trop fol car cassa So qu’ieu non cre q’acossega, et dans 133, 10, str. V : Al mieu albire Folor vauc casan. Mais, naturellement, il est impossible d’affirmer que ces motifs aient suffi à causer une erreur d’attribution ; ce n’est que dans un cas comme celui du début cité de 249, 1 : Aissi cum selh qu’a la lebre cassada, que l’on peut affirmer catégoriquement, trouvant dans un manuscrit (c) l’attribution à Arnaut Daniel, qu’il ne s’agit d’autre chose que d’une réminiscence du motif bien connu et autrement frappant, et encore répandu par la satire du Moine de Montaudon, qui revient plusieurs fois dans Arnaut Daniel et surtout dans 29, 10 (éd. Canello, n. X, p. 109) : Ieu sui Arnautz qu’amas l’aura E chatz la lebre ab lo bou E nadi contra suberna. (La cobla de 7 vers est assez affectionnée par Cairel puisqu’elle se présente dans 133, 1, 4, 5.) Quant à l’attribution à Elias de Barjols, je crois qu’elle n’est que secondaire : le ms. C aura changé Elias Cairel en Elias de Barjols, soit simplement que le dernier lui ait été plus connu, comme le prouve le nombre respectif de leurs chansons dans ce manuscrit, soit encore parce que M’aura tengut loniamen Amors...du début de cette chanson lui rappelait 132, 1 : Amors be m’avetz tengut (cf. 240, 6). En somme, il semble que cette chanson, peu intéressante d’ailleurs, sera mieux à sa place dans l’appendice de l’édition d’Elias Cairel qu’ici.

326, 1 (cf. B., Gr. ; publ. dern. dans Napolski, Pons de Capduoill, App. I, pp. 95-6). — Il n’est pas douteux que le ms. f, qui est le seul à donner le nom d’Elias de Barjols, ne l’ait substitué à celui de Peire de Barjac. Le rapprochement était naturel et le nom de Peire de Barjac ne pouvait être familier à f, parce qu’il n’y a dans ce manuscrit qu’une chanson, celle en question précisément, de ce troubadour.

366, 2. (Peirol ACDDcEFHIKLNRa, Elias de Barjols M, Richart de Berbezill I, anonyme W.) — Il ne s’agit probablement que d’une confusion de lecture entre « Peirol » et « Bariol ». (Quant à l’attribution à Richaut de Berbezilh, la raison doit en être uniquement dans le début « Atressi cum », formule qui lui est, comme on sait, très familière pour les débuts de chansons. C’est pour la même raison que le même ms. T lui attribue 355, 5 : Atressi cum la candela, le ms. M 30, 22 : Si cum li peis an en l’aiga cor vida, le ms. f 337, 1 : Si quo·l solelhs nobl’es per gran clardat.)

 

3. — Restent deux chansons qui seront imprimées plus loin (pp. 35-40).

132, 8 (XIV). (Elias de Barjols CE, Falquet de Romans C reg. R², Aimeric de Belenoi C reg., Pons de la Garda R³, Gaucelm Faidit M, Peire Raimon de Tolosa a.) — L’examen du texte établit les groupes : x = C et R²E, y = R³ et a, z = M. Cette chanson, qui ne contient aucun nom propre, est d’une structure des plus fréquentes et ne frappe par aucun motif individuel. — On pourra écarter, tout d’abord, les quatre dernières attributions qui ne se trouvent que dans un seul manuscrit, puisque leur existence dans une des sources x, y, z n’est meme pas garantie. Je n’ai rien remarqué qui aurait pu provoquer l’attribution à Aimeric de Belenoi dans C reg., ni celle à Pons de la Garda dans R³ (cette dernière paraît très peu probable aussi pour des raisons de forme : dans les sept chansons qui sont sûrement de ce troubadour, on trouve en général une forme assez compliquée, et notamment coblas capcaudadas, 377, 3 et 377, 5 (avec des rimas dissoutas), coblas doblas 377, 1, coblas doblas et rims retrogradatz per acordansa 377, 4) ; l’attribution du ms. a à Peire Raimon de Tolosa est peut-être due à un rapprochement de notre str. II, développant le motif de gitar d’esmai par la dame avec le motif de donna-metge très accentué dans Peire Raimon et auquel il avait même consacré deux chansons entières (355, 3 et 355, 7) ; quant à M, le début de notre chanson s’y trouve altéré en Mas ai poinhat de far chanzo, et il est très problable qu’il ne s’agit que de la présence du même mot ponhat dans le premier vers de la chanson de Gaucelm Faidit 167, 39 : Mout a poignat amors en mi delir... qui est rapportée aussi par M. — Les deux attributions qui restent mettent aux prises les deux fractions de la branche x, qui, au point de vue du texte, se divise en C d’une part, ER² d’autre part (cf. notes). Or, au point de vue de l’attribution, on trouve C (et C reg.) et E d’un côté (Elias de Barjols), C reg. et R² de l’autre (Falquet de Rotmans) (30). Quelle devait être l’attribution de x ? Il ne me paraît pas possible d’aboutir à une conclusion catégorique. On pourrait dire : x attribuait à Elias de Barjols ; cette attribution passa dans la rédaction C et dans la rédaction a qui l’avait transmise à E ; mais R² au lieu de suivre, comme E, l’attribution de a l’avait abandonnée pour celle à Falquet de Romans, et ce n’est pas R² seulement dans sa rédaction définitive, mais déjà sa rédaction antérieure r², parce que c’est dans celle-ci que C a puisé cette attribution pour son registre (31). Dans ce calcul, l’attribution à Elias serait la seule originale dans le groupe x, tandis que celle à Falquet ne se présenterait que comme secondaire. Malheureusement, bien des réflexions viennent affaiblir ce raisonnement qui ne tient compte que du classement des manuscrits au point de vue du texte. Il est très douteux que la source x ait en une seule attribution, à Elias, parce que dans ce cas r² n’aurait qu’à la suivre, et l’on peut le dire avec d’autant plus de vraisemblance que l’attribution paraît avoir été soit nulle, soit embrouillée et portant plusieurs indications déjà dans la source de nos trois branches, puisque chacune d’elles porte autre chose. Il est donc fort probable que le nom de Falquet a été, aussi bien que celui d’Elias, fourni par x et même par a ; mais tandis que les autres manuscrits étaient réduits à faire un seul choix, C put ajouter toutes les autres indications dans son registre. C’est pourquoi il ne faut pas, sans doute, considérer comme très importante la supériorité que l’attribution à Elias peut réclamer au point de vue du classement des manuscrits. La seule chose sûre, c’est qu’elle ne saurait être accusée d’avoir été inventée par un seul copiste (32), tandis que pour les autres la chose est, sinon sûre, au moins possible. Rien dans le contenu de cette chanson ne se prête à être relevé soit pour appuyer, soit pour combattre la possibilité de cette attribution (33). L’argument le plus fort en faveur de cette attribution, c’est que l’on n’aperçoit aucune raison qui aurait pu attirer une attribution fausse à Elias. Quant à Falquet, Zenker a déjà fait observer que C reg. et R² lui attribuent à tort trois autres chansons (34). Il y a cependant un trait frappant commun aux chansons de Falquet de Romans et à la nôtre, à savoir la coupe brusque de la phrase par la rime. Il ne s’agit pas des enjambements syntactiques ordinaires, c’est-à-dire des enjambements qui consistent à couper une proposition de plusieurs vers d’accord avec la pensée (p. ex. dans notre chanson vv. 11-2 : Laissaretz mi del tot murir D’aisso don mi podetz far do) qui sont, en réalité, fréquents chez les troubadours (35). Il s’agit des cas où la rime sépare deux mots essentiellement liés entre eux. En voici des cas dans notre pièce : vv. 19-20 : Qu’ie·n pert lo solatz e·l durmir E·l ris, ni als no mi sab bo... ; 21-2 : Mas tan que tornatz suy en via De chantar... ; 23-4 : Qu’ieu chant aras d’aisso don mil vetz ai Plorat, — be·s tanh... ; 25-6 : Anc hom mais tan forsatz no fo D’amor... ; 28-9 : Mais vueilh en vostra sospeiso Estar que si... ; cf. aussi 33-4. Or, les enjambements de ce genre sont plutôt sporadiques. Lorsqu’ils se produisent, c’est en général comme un moyen voulu de faire ressortir le mot ou l’idée qui sont isolés par le transfert au vers suivant (36). Le caractère insolite de cette sorte d’enjambements se démontre par le fait que les manuscrits regardent très souvent les vers où ils se trouvent comme corrompus et font des corrections (37). Or, cette manière, qui est sporadique dans Elias de Barjols et qui n’est jamais employée par lui si abondamment et dans pareilles liaisons que dans notre chanson, est très familière à Falquet de Romans (38). Mais, d’autre part, on pourrait soupçonner que l’attribution à Falquet n’a été due qu’à un faux rapprochement. On verra dans les variantes que nos manuscrits et leurs sources eurent beaucoup de peine avec le mot comjat du premier vers de notre chanson et que leur attention fut ainsi attirée sur lui. Or, l’œuvre la plus considérable de Falquet, sa lettre rimée, débute par Donna, eu pren comjat de vos ; et ici de même le mot dut être remarqué puisque certains manuscrits donnent parfois à ce genre de poésies le nom de comjat (cf. B., Gr., § 28, n. 12). Telle pourrait bien être la seule raison de l’introduction du nom de Falquet. En somme, une raison d’attribution fausse s’entrevoit plus difficilement pour Elias de Barjols que pour les autres troubadours nommés, mais rien n’autorise à se prononcer catégoriquement, voire même hypotétiquement, pour aucune des attributions en question.

131, 1. C’est La tenson d’En Iaufre[s] e d’En Elyas, que la découverte du ms. Campori a fait connaître. Qui sont les deux interlocuteurs, N’Elias et En Jaufrezetz ? N’Elias s’en rapporte, à la fin du partimen, à Blacatz, et Elias de Barjols est le seul troubadour de ce nom dont les relations avec Blacatz soient attestées ; son interlocuteur lui dit : Anas per Proensa qeren vostr’ ops, ce qui désigne N’Elias comme troubadour-jongleur provençal, et Elias de Barjols est le seul troubadour connu, portant ce nom, qui ait vécu en Provence à l’époque de Blacatz et en général (cf. ma note sur Blacatz, dans Annales du Midi) ; de sorte que l’identification avec Elias de Barjols paraît fort probable (39). Quant à En Jaufre ou Jaufrezet, on pensera sans doute à Jaufre Reforsat de Trets (40), troubadour et arbitre dans plusieurs tensons. Le fait qu’il s’appelle « Jaufrezet » et non « Jaufre » dans la tenson ne constitue aucune difficulté (41) ; ayant porté le même nom, Jaufre, que son père, il fut appelé parfois (cf. l’acte de 1220) Jaufrezet, conformément à un usage général en Provence. On voudrait peut-être voir une objection dans le titre de amic (v. 19) qu’Elias donne à ce grand seigneur ; mais le cas ne serait point isolé et, d’autre part, le ton des vers 34-6 est bien d’accord avec ces deux identifications, les seules que suggère la liste des troubadours connus.

 

*   *    *

 

II. CHANSONS PERDUES. — 1. Nostredame rapporte, dans son article sur Elias (cf. plus loin, p. LIII) : « A faict un traité intitulé La Guerra dels Baussencs, que le monge dict auoir leuë en fort beau et elegant stille ». Nostredame, qui avait cru Elias mort « en la fleur de son eage en l’an 1180 », rapporta naturellement ce traité à la première guerre baussenque de l’an 1150. A quoi Bartsch observe que Nostredame doit avoir eu sous les yeux un sirventés sur ce sujet, mais dont Elias de Barjols ne saurait être l’auteur, puisque ce troubadour ne commença à poétiser qu’au début du treizième siècle (42). Une autre explication me paraît plus probable. Nous avons des traces d’un conflit entre Alfonse II, comte de Provence, et Guillaume de Forcalquier, son grand beau-père, vers les premières années du treizième siècle. Or, d’après Pithon (43), Guillaume fut soutenu dans cette guerre « par Raimond des Baux qui estoit seigneur de Berre, Pierricard et de Rougnes » ; « Idelphons même fut fait prisonnier, le mois de juillet MCCV, — continue Pithon, — ce que ie tire d’un instrument de la même Tour du Trésor qui a pour titre : Haec sunt maleficia quae comes Forcalquerii fecit... » ; et enfin, ce qui est d’un intérêt capital pour notre question : « Nos habitans d’Aix leuerent des troupes sous le nom de Raimond Berenguier qui pour lors restoit fort ieune et agé tout-au-plus d’une année ; ces troupes ayant appris que Raimond des Baux qui pour lors auoit fait partie pour forcer le château de Bouc, qui pour lors estoit du domaine de notre ville, furent les premiers en campagne, surprirent les gens du seigneur de Berre, enleuerent son quartier, le firent prisonnier ; ce qui seruit d’un grand acheminement à la paix et à la deliurence du comte Idelphons que celuy de Forcalquier auoit en son pouuoir ; et c’est de cet éuenement que doit estre entendu Nostradamus, part. II, p. 64 (44). » — Si Elias fit un sirventés sur une guerre baussenque, c’est à l’occasion de celle-ci. L’an 1205 est précisément le temps où, privé de la protection d’Agout qui mourut vers 1203-4, notre troubadour cherchait un nouveau Mécène. Or, d’après la biographie, ce fut précisément Alfonse II de Provence qui lui accorda sa protection. On ne serait point surpris qu’Elias ait recherché la bienveillance du comte par un sirventés sur des événements récents et, après tout, heureux. L’existence d’un pareil sirventés (les sirventés sont souvent dénommés « traités » par Nostradamus, qui n’a pas vu d’ailleurs celui-ci) me paraît donc fort probable.

 

2.— Chabaneau a signalé, parmi les mentions relatives aux troubadours se trouvant dans les notes jointes par Redi à son Bacco in Toscana (45), la suivante : « P. 125. — Elia di Berzoli, manuscritto, Francesco Redi : Ara posc eu estar alegres e joios Que Bacch adolza medesin mi mal. » La citation éveille de graves soupçons sur son authenticité ; je ne crois pas qu’il y ait, en général, de mentions de Bacchus dans les troubadours en dehors des endroits que Redi prétend tirés de la poésie provençale et dont il orne son livre.

 

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Conformément à ce qui précède, la liste des chansons d’Elias se présentera de la façon suivante (le chiffre romain est celui de notre édition) (46) :

 

1 (VII)
Amors be m’avetz tengut. — Elias de Barjols CDEIKSaf, Elias Carels H², Elias de Barjol Carels H³, anonyme G.
2 (XIII)
Amors be·m platz e·m sap bo. — Elias de Barjols Ea.
3 (II)
Amors, que vos ai forfag. — Elias de Barjols C.
4 (XII)
Be(n) deu hom son bon senhor. — Elias de Barjols DEHMPRSf et C reg., Peire Bremon Ricas Novas Ca.
5 (= 106, 9 ; VI)
Be(n) fui conoyssens a mon dan. — Elias de Barjols CR, Cadenet Kd, anonyme GL.
6 (I)
Belhs Guazanhs, s’a vos plazia. — Elias de Barjols CE.
7 (IX)
Bon’ aventura don dieus. — Elias de Barjols CR.
8 (VIII)
Car compri vostras beutatz. — Elias de Barjols CDEFHIKRa¹f, Girardus Q, anonyme H³.
9 (XI)
Morir pogr’ ieu si·m volgues. — Elias Barjols CR.
10 (V)
Pos la belha que·m fai doler. — Elias de Barjols CR.
11 (X)
Pos vey que nulh pro no·m te. — Elias de Barjols CDIKRa, anonyme H³.
12 (IV)
Si la belha·m tengues per sieu. — Elias de BarjolsDªIK, Bernart de Ventadorn CR, Arnaut Catalan E, anonyme N.
13 (III)
Una valenta. — Elias de Barjols DIK, anonyme HN.

 

PIÈCES DOUTEUSES :

 

14 (XIV)
Mas comiat ai de far chanso. — Elias de Barjols C (et C reg.) E, Falquet de Romans CR², Aimeric de Belenoi C reg., Pons de la Garde R³, Gaucelm Faidit M, Peire Raimon de Tolosa a.
15 (=131, 2 ; XV)
En Iaufrezetz, si Dieus ioi vos aduga. — « La tenso d’En Jaufre e d’En Elias » a.

 

III

Ses poésies. — Leur valeur littéraire.

 

Quinze chansons d’Elias environ nous sont parvenues. Il en composa peut-être un peu plus. Mais on ne doit pas exagérer le nombre des chansons perdues. Elias était surtout jongleur : son métier était celui de savoir beaucoup de romans rimés, beaucoup de chansons des troubadours « qui étaient passés » et de chansons nouvelles composées au jour le jour par les troubadours contemporains. Il y ajouta, de temps en temps, une chanson de sa propre invention et pour laquelle il lui fallut « trouver » la mélodie et le reste. Rien ne nécessite l’hypothèse que ce cas ait été fréquent.

Si l’on met à part le sirventés énumératif (I) et la tenson d’attribution douteuse (XV), toutes ses œuvres conservées sont des chansons.

Des « chansons d’amour », dit-on. Il serait plus exact de dire des « chansons sur l’amour ». On est d’accord pour regarder presque toutes les poésies des troubadours comme des produits de la tête et non pas du cœur. Chaque époque a ses problèmes qui occupent de préférence les artistes, les penseurs :pour les troubadours, c’est l’amour qui fut la question capitale. Parfois le problème fut emporté dans les flots d’un sentiment sincère, et c’est alors qu’un Bernart de Ventadour s’écriera : « Non, il n’y a pas de poésie s’il n’y a pas de sentiment » (70, 15). Mais d’ordinaire on jouait sur le problème, on imaginait telles et telles situations que l’amour pouvait créer, on revenait, et c’est le trait le plus significatif de l’époque de notre troubadour, sur tout ce que la tradition littéraire avait consacré comme essentiel sur le problème d’amour.

La vie d’Elias ne laisse pas supposer qu’un sentiment sincère ait été le mobile de ses chansons, qui sont de simples dissertations sur l’amour.

Comment y réussit-il ? Médiocrement, ce nous semble.

Toutefois, il « chanta mieux qu’aucun homme qui fût en ce temps », dit la vida, visant son talent musical, et, en somme, cette appréciation n’est pas contredit par ses chansons. Leur structure métrique est d’ordinaire assez intéressante. D’abord, il composa deux descorts, c’est-à-dire il tenta deux efforts importants au point de vue de la composition mélodique. Ensuite, il témoigna dans plusieurs chansons (I ; VI, XII ; VII, X, XI) un goût particulier pour certains « désaccords » dans le schème métrique, désaccords qui ne doivent pas avoir été désagréables. Et bien que ces particularités individuelles se soient hornées à lier par la rime, d’une façon voulue, des vers de différente longueur, cela constitue tout de même quelque chose qui lui est propre. Une seule fois (IX), il préféra reproduire une forme métrique préexistante, non sans y faire un choix fort heureux et non sans la développer en y ajoutant une rime-refrain. Une fois aussi (VIII), il fut imité par un troubadour de la seconde moitié du treizième siècle ; cela peut être allégué, de même que l’appréciation de la vida, comme une preuve de l’opinion favorable que son siècle eut sur lui.

Mais en revanche, il faut bien le reconnaître, son esprit est lent et sa pensée vague ; son imagination ne s’appuie jamais sur l’observation personnelle et directe de la réalité et se contente d’abstractions devenues depuis longtemps conventionnelles. En somme, il n’ajoute pas grand’chose au style poétique des troubadours.

Il eut pourtant certaines habitudes poétiques qu’il est bon de noter. Pour ce qui est du ton général, il observe une extrême réserve : il craint, dirait-on, de se mettre, dans sa chanson, face à face avec sa dame, et c’est à l’Amor qu’il s’adresse (47) (ce trait deviendra une règle stricte dans la lyrique italienne). Pour ce qui est du caractère général de ses chansons, il ne chante pas le joi d’amour, il se plaint du mal d’amour. Pour ce qui est de la conception générale de l’amour, il célèbre la fin’ amor, l’amour idéal, et il condamne la fals’ amor, l’amour passionnel (48). Pour ce qui est de la conception générale de l’art poétique, il est un partisan déclaré du trobar clar et abhorre le trobar clus : dans sa jeunesse, au moment où la lutte des deux courants fut en plein développement, il célébra les chansons de Raimon de Miraval, un des troubadours qui se prononcèrent le plus nettement dans le même sens (49).

Il est vrai que ses chansons ne présentent aucun intérêt artistique. Mais il faut songer qu’Elias était né d’un marchand dans un petit village limousin, loin de tout centre courtois. Devenu jongleur, il entra en contact avec la poésie qui était, en ce temps, l’expression la plus complète et la plus directe des idées intellectuelles et esthétiques de l’élite de la société contemporaine. Et l’évolution fut bientôt accomplie : ces idées devinrent bientôt celles denotre marchand-jongleur qui se mit à les exprimer de son mieux. Si cette expression est médiocre, c’est que la sincérité lui faisait complètement défaut. ()

 

VIE D’ELIAS DE BARJOLS PAR JEAN DE NOSTREDAME

 

Elias de Bariols fut gentilhomme de Bariols (50), bon Poëte Provençal, homme de bon esprit et de plaisantes inuentions, chantant fort bien, la Princesse Garsene, fille de Guillaume comte de Forcalquier, qui fut depuis espousee à Rayner de Claustral prince de Marseille (51), le retint pour son Poëte Prouensal. Toutes les chansons qu’il faisoit a la louange de celle de laquelle il estoit amoureux les dedicit par la coupple finale a la Princesse Garsene, en l’une desquelles se repentant de auoir trop aymee pour les maleurs qu’il en receut, dict ainsi :

 

Car compiey vostras beautas
E vostras plazens fassons.

 

Le comte Remond Berenguier de Provence, duquel temps il florissoit que fut en l’an 1150 au retour qu’il feist de la guerre qu’il auoit contre Estephanette des Baulx et ses enfans Princes des Baulx et seigneurs du Bourgneuf d’Arles, pour raison dudict Bourgneuf et de leurs terres appelees Baussenques, et du droict qu’ils pretendoyent a la Comte de Provence, luy fust rapporté que Elias auoit faict un chant, auquel il recitoit les victoires du comte de Prouence, et de ce qu’il auoit dompté les Princes Baussencs, luy feist de beaux et riches presens, et depuis se tint tousiours au seruice de la Comtesse Garsene, trespassa en la fleur de son eage en l’an 1180. A faict un traité intitulé La Guerra dels Baussencs, que le monge dict auoir leuë en fort beau et elegant stille (52). Le Monge de Montmaiour dict que la Princesse Garsene ne se fut pas tenue honnoree de lire ne chanter aucunes des chansons que ce poëte eust faict, parce qu’elles estoient sans rithme ne raison (53).

 

(Les vies des plus celebres et anciens poetes provensaux qui ont floury au temps des comtes de Prouence. Recueillies par JEHAN DE NOSTRE DAME, procureur en la cour de Parlement de Provence... A Lion, 1575, p. 33, n. 4.) ()

 

LA BIOGRAPHIE PROVENÇALE

 

I  130d ; K 116b-c. — Rayn., Choix, V, p. 140 ; Rochegude, P. O., p. 96 (I) ; Mahn, Biogr., n. 55, p. 53 (=Rayn.) ; Chab., Bgrs., p. 257 (IK).

 

1
N’Elias de Bariols si fo d’Agenes, d’un castel qe
 
a nom Perols. Fils fo d’un mercadier. E cantet miels
 
de negun home qe fos en aqella sason. E fetz se
 
ioglars. E acompaingnet se con un autre ioglar qe
5
avia nom Oliver et aneron lonc temps ensems per
 
cortz. E·l coms Anfos de Proensa si los retenc ab
 
se, e det lor moillers a Bariols e terra, e per so los
 
clamavan N’Elias et Oliver de Bariols. E N’Elias
 
s’enamoret de la comtessa madompna Garsenda,
10
moiller del comte, quant el fo mortz en Cesilia e
 
fetz de lleis suas cansos bellas e bonas, tant quant
 
ella visqet. Et el s’en anet rendre al hospital de
 
saint Beneic d’Avignon. E lai definet.
  E fetz aquellas cansos qui son escritas aici.

 

2 I perols (l’r a un point suscrit), K peiols ; K mercadan ; K meils — 4 K acompainet ; K cum — 7 K moilliers — 9 K ma madomna ; IK Carsenda — 14 K scriptas ici. ()

 

NOTES :

 

* Pour H j’ai utilisé l’édition diplomatique donnée par MM. Gauchat et Kehrli (Studj di filologia romanza, t. V). ()

1. Nous renverrons plusieurs fois, au cours de cette Introduction, à des notes relatives aux personnages nommés par Elias ; ces notes paraîtront prochainement dans les Annales du Midi et la Revue des langues romanes. Le lecteur est prié de se reporter, en attendant, à l’Index des noms. ()

2. Cf., sur l’autorité des biographies provençales : C.Chabaneau, Biographies(Introd.) ; G. Paris, Jaufré Rudel, Paris, 1893 (extr. de la Rev. hist., t. LIII), p. 52 (255), et O. Schultz dans Archiv, t. XCII, pp. 224-32. ()

3. Perols dans Raynouard, Choix, et dans P. O., suivis par Diez (L. u. W., 2e éd., p. 436), ainsi que par Chabaneau, Bgrs. —Millot, I,p. 347, lit, en altérant K : « Payols », et est suivi par l’Hist. lit., XIV, p. 38, et par V.Balaguer (Los trovadores, Madrid, 1883,II, p. 169). C’est Crescimbeni (II, 18) qui initia la seconde leçon en écrivant : « d’un castello appellato Peiols ». Il ne le fit cependant qu’en corrigeant une première erreur (t. I, Commentari, éd. 1730-31, V, 5, p. 334) : « Elia di Bariols Genovese » qu’il avait commise « prendendo la voce Agenes quivi usata per la nostra Genova » (ibid., p. 103, n. V). C’est sans doute à cette erreur de Crescimbeni seul que se rapporte une correction de Restori(Hist. de la litt. prov., trad. A. Martel, Montpellier, 1894, p. 88, n. 1). ()

4. Corrèze, arr. d’Ussel, cant. de Bugeat ; cf. Expilly, Dictionn. géogr., sous « Peroles » (le même nom est écrit Perols, t. IV, 242, art. Limoges). ()

5. C’est à quoi on s’attend a priori puisque c’est en Provence qu’Elias de Barjols fut le plus actif et le plus connu. Mais, de plus, les détails concernant la mort du comte de Provence, la connaissance du nom de la comtesse, la mention de l’hôpital de Saint-Benezet d’Avignon indiquent que l’auteur était originaire de ces régions. ()

6. Le nom d’Elias est rare en dehors d’une région déterminée ; il se trouve répandu précisément dans les pays aquitains : Limousin, Saintonge, Périgord, Agenais. Cf. la liste de la dynastie des comtes du Périgord (dès 1245, Elias VI) ; cf. aussi la liste des évêques de Saintes, et Grasilier, Cartulaires inédits de la Saintonge, Niort, 1871, part. I, p. 66, Table onom., col. 1-2 (25 personnages de ce nom), part. II, p. 159 (33 personnages). Tous les troubadours qui portent ce nom sont issus des régions en question : El. Cairel (Dordogne), El. Fonsalada de Bergerac (Dordogne), El. d’Ussel (Corrèze). ()

7. « Sail d’Escola si fo de Bragairac... fils d’un mercadan ; e fetz se joglar » (Bgrs., p. 219) ;  —« Uc de Pena... si fo d’Agenes... fils d’un ric mercadier ; e fetz se joglar » (ibid., p.258), etc. Cf. la statistique sociale des troubadours dans Stimming, Prov. litteratur, dans Groeber, Grundriss. ()

8. Il faut prendre à la lettre cantet sans le confondre avec trobet. Cf. dans la biographie d’Uc de Pena (Bgrs., p. 258) : « E fetz se joglars ; e cantet ben e saup gran ren de las autrui cansos... E fetz cansos... » et souvent « cantar e trobar », p. ex. : P. d’Alvernhe, P. Rogier, R. Jordan, Pons de Chapduelh (« trobara e cantava e viulava be »), Gausbert de Poicibot, Guilhem de la Tor (« e sabia cansos assatz e s’entendia e chantava ben e gen, et trobava [la mélodie] ; mas can volia dire sas canzos [mettre en paroles la mélodie], el fazia plus lonc sermon de la razon que non era la canzos »), etc. ()

9. Son compagnon, Olivier, n’est pas connu en dehors de cette mention. D’après la vida, il aurait aussi parcouru la Provence avec Elias. Rappelons deux autres noms, ceux de Tomier et de Palazin, attachés l’un à l’autre (Bgrs., p.302, et B.,Gr., 442, 1-2). ()

10. Par exemple, Aimeric de Sarlat (Bgrs., p. 242) : « E fetz se joglars e fo fort subtils de dire e d’entendre, e venc trobaire... » ; Giraut de Salignac (ibid., p. 243) : « ... joglars fo, ben adreg hom fo e ben cortes, e trobet ben e gen cansons e descortz e sirventes... », etc. ()

11. Pour cette datation et celles qui vont suivre, cf. les notes sous « datation et localisation » pour chaque pièce. ()

12. Pour les identifications, cf. l’Index des noms propres. ()

13. Cf. le dicton : « Li mieldre jugleor en Gascoigne » rapporté par Suchier (Jahrbuch, XIV, 143). ()

14. C’est par erreur qu’Elias est cité non seulement sous le nom d’Alfonse II, comte de Provence, mais aussi sous celui de son père, Alfonse II, roi d’Aragon, dans la liste de P. Meyer (Provençal Language and Literature, dans Enciclopaedia Britannica, XIX, 870). ()

15. Selon Nostredame, il fut rapporté au comte de Provence « que Elias auoit faict un chant auquel il recitoit les victoires du comte de Provence, & de ce qu’il auoit dompté les Princes Baussencs », et, toujours selon Nostredame, ce fut alors que le comte « luy feist de beaux et riches presens... ». Si l’information de Nostredame sur ce « traicté» d’Elias et sur la donation du comte remonte à une source authentique, la date de ces événements serait postérieure à 1205 (cf. p. XLIV, II, 1).  — Cf. Balaguer (Los trovadores, t. II, pp. 169-74) se déclare particulièrement bien renseigné sur ces années de la vie d’Elias. « Según notas que tomé yo mismo en los archivos de Aix durante mi permanencia en aquella ciudad, allá, por los años de 1204 ó 1206, el trovador Elías hacía las delicias de aquella sociedad y corte con su voz primorosa, con su canto agradable, con sus canciones que sobresalían entre todas por su belleza y dulzura, consiguiendo, por su carácter atractivo, ser favorito de Garsenda y privado de Alfonso, el cual, como queda dicho, dióle unas tierras y un caserío en el pueblo de Barjols, cuyo nombre tomó desde entonces. — Hallo en mis notas que Elías recibió de su señor y príncipe varias misiones, entre ellas una que le obligó á hacer un viaje á Italia, al regreso del cual parece que se casó con una dama de la corte de Alfonso. Hallo también que siguió á éste en el viaje que hizo en 1209 á Palermo á donde pasó por el matrimonio de su hermana con el rey de Sicilia. Sobrevino la muerte á Alfonso II durante su permanencia en Palermo, y Elías de Barjols fué entonces uno de los que se encargaron de acompañar y trasportar su cadáver á Provenza, siguiendo sus últimas disposiciones, depositándolo en la iglesia ó capilla de San Juan de Aix... » Nous savons, d’une part, que Balaguer a, parfois, réellement vu les documents qu’il cite, p. ex. la charte sur l’entrée de Garsende au monastère (cf. ma note [à paraître] dans la Revue des langues romanes) ; mais, d’autre part, P.Meyer (Romania, X, p. 405) a démontré que la connaissance des « manuscrits couverts de poussière et des livres peu communs » dans Balaguer est extrêmement suspecte. Remarquons que Crescimbeni (Commentari, I, pp. 333-4), résumant mal la biographie provençale, écrit: « Andò alla corte del comte Amfos di Provenza, per impiegarsi nell’arte di giullari, e quindi pe’l medesimo affare passò in Sicilia. » Il est probable que Balaguer n’a composé sa fable sur les relations d’Elias avec le comte, ainsi que sur ses missions politiques, qu’en s’appuyant sur ce voyage prétendu en Sicile. Le cas serait analogue à celui que Meyer a signalé. ()

16. Var, arr. de Brignolles. ()

17. C’est pourquoi il nous paraîtrait légitime d’appeler notre troubadour « Elias dit de Barjols ». — On se demande quelle fut la position sociale d’Elias à partir de cette donation. Devint-il quelque chose comme les « colliberti » ? (Cf. A. Luchaire, Manuel des institutions, sous ce mot.) ()

18. Les historiens s’en rapportent, sans doute, aux Anales de la corona de Ar. de Zurita (l. II, chap. LVIII, f. 95b) qui doit avoir utilisé un document authentique confirmant la mort du comte pendant son voyage en Sicile, où il reconduisit sa sœur Constance. La mention de notre texte en est une confirmation non sans valeur historique. ()

19. Cf. le renvoi dans la note 15, p. XX. ()

20. La chanson XIII paraît même être postérieure à 1230. ()

21. Cet hôpital fut fondé par Benezet d’Avignon, constructeur du premier pont sur le Rhône et fondateur de l’hôpital des frères Pontifes. Son arrivée à Avignon est attestée pour l’an 1177 (F. Lefort, La légende de Saint Bénézet, dans Revue des questions historiques, 1878, t. XXIII, pp. 555 et suiv.). Je vois pour l’an 1181 l’achat d’une maison par Benezet, « pontis Rodani... inceptori et ministro » (Cat. mss., bibl. publ. France, Avignon, II, t. XXVIII, p. 932, n. 2399, Collectio chartarum). Déjà pour l’an 1202 le titre de bienheureux est attesté pour Benezet, tandis qu’en 1233 il est appelé saint (Lefort, ibid., p. 569, n. 1). Dans un acte de 1207, on rencontre le prieur et les frères du pont à Avignon (Abbé André, Notice iconographique sur saint Bénézet et les frères pontifes, dans Bulletin du Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France, t. III, Paris, 1855-56, pp. 368-72). L’abbé André constate de plus que « cet ordre n’était composé que de laïcs ». Cf. encore Analecta jur. pontif., 1873, t. XII, col. 1136-42. ()

22. Remarquons qu’il n’y a aucune raison de mettre en doute l’attribution à Elias de chansons attribuées à lui seul par un seul manuscrit (132, 2, et 132, 3) ou par deux manuscrits dérivant d’une seule source (132, 5, 6, 9, 10), d’autant plus que les envois de ces pièces, comme on peut le vérifier plus bas (I, II, V, IX, XI, XIII), s’accordent bien avec le reste de nos informations sur la vie d’Elias, et que rien, soit dans leur forme, soit dans leur contenu, ne peut faire mettre en doute leur authenticité. ()

23. Groeber, Die Liedersammlungen der Troubadours, dans Roman. Studien, II,§ 127, pp. 644-5. ()

24. Teulié-Rossi, Anthologie (D), p. 63, n. 201 ; Mahn, Ged., pp. 916-7. ()

25. Groeber, ibid., § 85, p. 546. ()

26. 132, 12 et 132, 13 se trouvent dans N parmi les douze descorts formant une partie spéciale de ce manuscrit et rapportés tous anonymement, bien que les auteurs de ceux d’entre eux qui se trouvent dans d’autres mss. encore soient connus, comme c’est le cas pour nos pièces (cf. Suchier,Il canzoniere provenzale di Cheltenham, dans Rivista di fil. rom., II, p. 146 ; cf. Groeber, ibid., p. 564). On y voit se suivre : — 1º Ioi e chanç e solaç, descort inconnu à B. Gr., unicum du ms. N,publié dans Suchier, Denkmaeler, p. 315 ; — 2º 132, 12 ; — 3º 133, 10, pour lequel les mss. ADIK conservent le nom de son auteur qui est Elias Cairel ; — 4º 132, 13 ; — 5º 461, 70 (p. dans Rev. des lang. rom., XX, 134, anonyme, mais ne prêtant aucun argument pour appuyer l’hypothèse qu’il soit d’Elias de Barjols dont il suit le descort, 132, 13). On se demandera si le premier de ces descorts, celui qui précède immédiatement 132, 12, n’est pas d’Elias, d’autant plus que, dans sa IIIe strophe, il y a quelques réminiscences frappantes de la IVe strophe de 132, 12, en dehors des rimes pareilles -ai et -e et de toute la formule très rapprochée (4 syll. -ai, 4 syll. -ai, 6 syll. -e, se repétant et formant sans doute 8 vers seulement avec la rime intérieure). Ainsi, vv. 28-9 : Ni o farai tant con viurai = 132, 12, v. 29 : Et o farai tan cum viurai, et vv. 30-1 : Car en vostra merce son e serai rappellent 132, 12, vv. 35-6 : ... suy e serai Vostres. Mais je crois qu’il faut plutôt rapprocher ce descort de 133, 10 d’Elias Cairel, qui se trouve non loin de là, et le regarder comme étant de lui. Ce n’est, il est vrai, qu’à cause du motif de ioi e chant e solatz, souligné au début de ce descort ; mais il s’agit d’un motif tellement accentué dans Elias Cairel qu’il me paraît nécessaire d’établir un lien entre ce descort et l’autre de lui qui se trouvedans N ; on rencontre ce motif dans 133, 1, str. I : Ni·m lais de chan, de ioy ni de solatz ; 133, 8, qui débute : Per mantener ioi e chant e solatz ; 133, 3, str. I : S’ieu no chant e no m’asolatz ; 133, 14, qui débute : Totz mos cors e mos sens | Soli’esser pausatz | En ioi e en solatz ; 133, 13, str. I : ... Van baissan | Ioi e solatz | E valor merman, et str. II : Ioi e solatz |A mermansa, tornada I : Car iois e solatz ... ; 133, 7 (tenson), str. II : Ioi e pretz e sen e saber | Solatz qec iorn mantener ... ; et enfin 133, 12, où ioi e solatz est une rime-refrain. ()

27. 70, 33, la nomme reina dels Normans ; 70, 26, ne la laisse reconnaître que par une mention du rei engles e norman ; 70, 44, par quelques allusions ; 70, 2, 36 (et 26) par le senhal : Aziman ; 70, 16, 20, 22, 45, par l’autre senhal Conort (cf. Bischoff, Biographie des Troubadours Bernhard von Ventadorn, Berlin, 1873, ch. V et VI, pp. 27-46 ; cf. Suchier, Jahrbuch, XIII, p. 342 ; Bartsch, dans L. u W., 2e éd., p. 25, n. 1). ()

28. Chabaneau (Bgrs., p. 330, n. 2) signale l’existence d’une famille du nom de Catalan à Toulouse et propose d’identifier le troubadour avec l’inquisiteur Arnaut Catalan qui faillit être noyé ou massacré à Albi en 1234. Ajoutons toutefois que l’existence de ce nom est attestée aussi en Provence. On trouve, en effet, un « achept passé par Hugues Catalan, en faveur des Trinitaires de Marseille, d’une petite pièce de vigne sise sur le Jarret et le chemin d’Allauch [c’est-à-dire dans la banlieue de Marseille] » pour l’an 1216 (cf. Le comte de Grasset, Arch. ecclés. du départ. des Bouches-du-Rhône, dans Rev. histor. de Prov., a. 1892, p. 131, p. VII, n. I). Important pour les relations d’Arnaut avec la cour provençale, attestées si abondamment dans ses chansons, sera le fait que l’on trouve son nom dans un acte de donation faite le 29 août 1241, à Aix, par Raimon-Bérenger, aux hospitaliers d’Aix ; à la suite des noms des clercs présents, on ne trouve que trois noms de personnages constituant l’entourage du comte : « W. Raimundus, judex domini comitis, Jachobus de Cuartes et Arnaudus Catalanus. » (J. Delaville Le Roulx, Cartul. gén. des hosp., t. II, p. 592, nº 2278.) Est-ce le troubadour ? La place qui lui est accordée dans la charte paraît s’accorder avec cette hypothèse. Mais, en ce cas, est-ce aussi l’inquisiteur ? ()

29. Mussafia, Del codice Estense di rime provenzali, dans les Mém. de l’Acad. de Vienne, 1867-68, pp. 371, 389, 399. ()

30. Foerstera remarqué que dans les manuscrits le nom de ce troubadour était écrit tantôt « Folquet », tantôt « Falquet » (éd. Zenker, p. 91). C’est la dernière forme qui est la bonne. Dans les quatre mentions historiques signalées par Schultz(Z. f. r. Ph., IX, p. 133), dans Papon, c’est « Falquetus » que l’on trouve et non pas « Folquetus » (mais aussi trois fois « Ratman » contre un « Rotman »). Dans les trois tensons (éd. Zenker, nn. X, XI, XII), c’est-à-dire dans les textes où la mention de son nom remonte au temps de l’activité de ce troubadour, c’est toujours la forme « Falquet » ; et, si l’on trouve « Fouquet » dans le texte français d’Hugues de Berzé (ibid., p. 11), c’est sans doute parce que ce nom n’avait pas son correspondant dans le Nord. (Il s’agit naturellement d’une formation appuyée sur le thème du cas sujet falc, comme « Falconet » l’est sur le thème du cas régime falcon ; cf., p. ex., « Uguet » et « Ugonet »). En tête des chansons, ontrouve, dans un certain nombre de cas, ce nom remplacé par « Folquet », nom plus répandu et plus familier aux copistes (cf. Ricart de Tarascon pour Ricau de T. ; Richart pour Isnart ici n. X, v. 45 ; variations entre Ricaut et Ricart pour R. de Berbezilh ; etc.). ()

31. Sur ces rapports de C et de r², source de R², cf. Groeber, Die Liedersammlungen, pp. 370-1, 380-3 ; C a donc mis dans ce registre, f. III, comme au-dessus du texte, d’abord le nom d’Elias de Barjols ; il ajouta à côté celui de Falquet d’après r² et celui d’Aimeric de Belenoi d’après cette source que Groeber, ibid., p. 577, désigne par c (gothique), source acceptée pour expliquer une vingtaine d’attributions, pareilles à celle-ci, isolées dans C. ()

32. Si l’on ne veut pas pousser le doute jusqu’à l’hypothèse d’une contamination pour l’attribution seule entre les rédactions C et E. ()

33. Le v. 36, S’ieu no·us bays la boc’ e·l mento, diffère, certes, du ton généralement pris par Elias dans les chansons de l’époque provençale, mais ne saurait naturellement être invoqué comme une preuve. ()

34. Loc. cit., pp. 6-6. Cette observation était-elle cependant suffisamment concluante pour que la chanson fût écartée de l’édition ? ()

35. Cf. Stengel, Romanische Verslehre, § 124-8, dans B., Gr., II, 1, pp. 58-60. ()

36. Tel est, dans Elias de Barjols, le cas de la chanson X, où le mot amor(s) se trouve dans chaque strophe au début du 2e ou du 3e vers et est souligné précisément de cette façon : par l’isolement provenant de l’enjambement syntactique (cf. II, v. 11, muer ; II, 25 et cf. 28, mi det ; V, 43, e mon cor). Demême, p. ex., dans Appel, Chrest.², n. 17 (Bernart de Ventadour), vv. 9-10 : Ailas! tan cuiava saber || D’amor... ; ou bien n. 14, (Marcabru), vv. 15-6 : On plus n’ay melhor corage || D’amor... Cette tendance à souligner un mot de cette façon est certaine dans les cas où il doit en même temps former une rime intérieure, p. ex., ibid., n. 25 (A. Daniel), vv. 1-2 : L’aur’ amara fa·ls bruelhs brancutz || Clarzir... (-ir rime int.), ou bien Montanhagol (éd. Coulet, n. VII), vv. 1-2 : Non an tan dig li primier trobador || Del fay d’amor... (-or rime int.). ()

37. Ainsi dans tous les passages de notre chanson, où les corrections des mss. sont même fort appréciables (cf. les var. pour les vv. 19-20, 21-2, 23-4, 25-6, 28-9). Cf. aussi X, vv. 1, 25-6, 33-4 ; XII, vv. 9-10, 13-4, 18-9, 37-8 ; et VI, 34 ; VII, 4-5 ; VIII, 38. Dans X, 18-9 et 25-6, c’est le troubadour lui-même qui affaiblit l’enjambement par un pronom pléonastique qui annonce en même temps l’idée qui va suivre. Dans les cas de Falquet de Romans, les mss. portent des corrections pareilles ; on peut voir, dans Stengel, Ms. c.,  pour les textes de Falquet qui s’y trouvent, que le point se trouve presque toujours non pas à la fin des vers, mais seulement là où la phrase finit. ()

38. 156, 10 (éd. Zenker, n. IX), vv. 11-3 : Mou e vai coma romieus A jornadas et es grieus Lo viatges, so sapchatz ; 14-5 : Que quascus vai eslaissatz Vas la mort, qu’aurs ni argens... ; 32-3 : Per qu’om non deu esser las De ben far, quan... ; 156, 11 (ibid., n. VII), vv. 11-2 : Tornatz es en pauc de valor Lo segle, qui·l ver en vol dir ; 21-2 : E son ves els mezeis trachor Li ric malvat, per que...; 45-6 : E mes son cors en gatge Per nos, e·n fos en crotz levatz ; 156, 14 (ibid., n. III), vv. 36-7 : Et anc Lombartz tan no mes Per pretz... ; 46-7 : Malespina, guerentia Vos port que granren d’amics Avetz e pauc d’enemics ; cf. n. I, vv. 11-2, 17-8 ; n. IV, vv. 5-6, 21-3, 35-6 ; n. V, vv. 63-4 ; n. VI, vv. 50-1. ()

39. Le ton léger de ce partimen, rare chez Elias, ne saurait être invoqué comme objection contre cette attribution. Les chansons ne sont point comparables à un partimen. ()

40. Schultz (Z. f. r. Ph., IX, p. 127) donne deux dates pour ce troubadour. Quelle est la source de la première [1213] (ni Papon, II, 531, ni Méry-Guindon, II, 25 ; peut-être une mention se rapportant au même acte que nous citons pour cette année ?) Pour la seconde [1223-24], cf. Springer, Klagelied, p. 76 (Méry-Guindon, ibid., ne donne que « Reforciat » comme nom du podestat de Marseille en cette année, identifié par Schultz avec Jaufre Reforciat de Trets). — Pour le 25 octobre 1213 : « Raimundus Gaufridus, vicecomes Massiliensis, dominus de Tritis, confirmat donationem, factam [monasterio Sancti Victoris] de Sexfurnis a Burgondonio vicecomite et domino Massilie, minore quindecim annis, filio suo emancipato, confirmatam a Gaufrido Reforciato, vicecomite, fratre Burgondonii » (Cat. mss., bibl. publ. France, Carpentras, III¹, p. 165, n. ms. 1855, f. 358). — Le 22 février 1214, c’est encore R. Gaufridus de Tretis, « dominus et vicecomes Massilie », qui accorde un privilège à l’église de Marseille (Gall. christ. novissima, Marseille, col. 100, n. 207 ; cf. col. 709, n. 1136, et col. 716, n. 1143). — Le 21 juin 1217, ce sont déjà « Gaufridus Reforzatus et Burgundio ejus frater filii R. Gaufridi de Tritis » qui confirment les droits que leur père avait accordés à l’évêque (ibid., col. 107, n. 218 ; toutefois, le Cat. mss., tome cité, p. 487, signale pour l’an 1225 encore une copie d’un acte dans lequel auraient figuré « Raimundus Gaufredus de Tritis, Raimundus de Baucio cum uxore et filiis, Hugo de Baucio... » ; mais rien de correspondant ne se trouve dans Barthélemy, Inventaire d. ch. de Baux ; cf. acte suiv.). — Le 17 mars 1218 : « Cession faite au monastère de la Celle par Geoffroy Reforciat, vicomte de Marseille et seigneur de Trets, de tout ce qu’il possède à Garéoult, par la succession de son père Raimond Geoffroy et le partage fait avec son frère Burgondion. Il reconnaît avoir reçu 1000 sous de royaux » (Cat. mss., Dép. XVI, Aix, nº 347, p. 181). — Le 29 juin 1220 : « Gaufridus dominus de Tritis » (et le même personnage dans le même acte : Gaufridetus de Tritis) fut un des arbitres institués entre Raimon-Bérenger, comte de Provence, et Garsende, sa mère, d’une part, et Guillaume de Sabran, comte de Forcalquier, d’autre part (Bouche, I, 854 ; cf. Cat. mss., Carpentras, III¹, p. 488 : s’il doit résulter d’un résume qu’on y fait d’un acte « mangé des rats en trois parts » que « Geoffroy de Trets » et « Geoffroy Reforciat » [cf. acte préc.] aient été deux personnages différents, on pensera plutôt qu’il s’agit d’une erreur du résumé). — Au mois de février 1222, Geoffroy de Trets fut arbitre entre Isnard d’Antravenas et les mineurs de Raymond d’Agout (Pithon-Curt, Hist. d. l. nobl. Av. Venas., t. II, p. 284). — Le 26 novembre 1227, Geoffroy Reforciat, vicomte de Marseille, renouvelle sa donation de Garéoult à La Celle (Cat. mss., Aix, p. c., n. 8). — Pour le 30 juillet 1231, une « transactio inter G. Piniacensem praepositum et G. Reforciatum, castellanum Castri Realis, ex concessione Boni filii abbatis Massiliensis » se rapportera peut-être aussi à notre Jaufre Reforzat (Cat. mss., Carpentras, III¹, p. 234). — Il résulterait de ces dates que pour l’activité de Jaufre Reforsat comme protecteur des troubadours et peut-être comme troubadour, le terminus a quo tomberait en 1215 environ, date à laquelle il devint seigneur indépendant. Le ms. a contient un sirventés de Reforzat (table : Reforzat de Tres) dans lequel son auteur s’occupe de Sordel et de Peire Bremon (Studj, VIII, p. 456). S’il en faut conclure, comme l’a faitBertoni(Giornale storico d. let. it., t. XXXVIII, a. 1901, pp. 295-7), et comme il paraît naturelque cette pièce se rapporte au conflit poétique de ces deux troubadours, elle serait nécessairement de 1240 environ (Schultz, Archiv, 93, pp. 123-40 ; De Lollis, Sordello, pp. 43 et suiv.). — Sur les endroits où Jaufre Reforzat est nommé arbitre des tensons, cf. Springer, Klagelied, p. c. ()

41. La forme Jaufrezet aura été attirée par la métrique, notamment par la césure décasyllabique. Dans le titre, on trouve Jaufres, ainsi que, par erreur, dans le premier vers. ()

42. Bartsch, Die Quellen von Jehan de Nostradamus, dans Jahrbuch, XIII, 24, et cf. p. 136 ; cf.. aussi Hist. litt., XIV, p.40. ()

43. Pithon, Hist. de la ville d’Aix, Aix, 1166, p. 111. ()

44. César de Nostredame traite en réalité, avec beaucoup d’erreurs, des mêmes événements et cite, comme Pitton, dont le récit n’a pas l’air d’être basé sur celui de Nostredame, le nom de Raymond de Baux et du village Bouq (pp. 164-5). ()

45. Chabaneau, Notes sur quelques manuscrits provençaux perdus ou égarés, Paris, 1886. ()

46. En résumé, je relègue, parmi les chansons douteuses (XIV), le nº 8 de Bartsch, et j’y ajoute (XV), 131, 2 de Bartsch ; j’accepte 106, 9, attribué par Bartsch à Cadenet. Je ne relève pas les suppressions, additions ou corrections que j’ai dû faire à la liste de Bartsch. ()

47. Chansons II, X, XI, XIII ; VII, str. 1-3 ; il s’adresse à la « dona » dans les chansons VI, VIII et V, str. 4 ; il parle de « lieis »  dans IX. ()

48. Cf. V, vv. 7-8 :

Qu’ieu no suy ges dels fals drutz debatens
Qe de mal loc cujon fals’ amor traire,

et. cf. fin et fals au Glossaire.

De Lollis et Couletont discuté la question de l’amour chaste, dont ils considèrent, après A. Thomas, Sordel et Montanhagol comme les principaux représentants. On ne saurait opposer les théories de ceux-ci aux conceptions des anciens troubadours, ni les considérer comme quelque chose d’absolument nouveau. L’idée de fin’ amor, qui existait déjà chez les plus anciens troubadours comme le contraire de fals’ amor, n’est point très éloignée de l’idée de l’amour chaste (cf. sur la fin’ amor et sur la fals’ amor, Suchier, Der Troubadour Marcabru, dans Jahrbuch, XIV, pp. 276-81). ()

49. Cf. P. Andraud, R. de Miraval, Paris, 1902, p. 200. ()

50. On retrouve ici la tendance bien connue de Jehan de Nostredame (ainsi que de son neveu César, cf. Chronique, pp. 133-4) à faire chevaliers tous les troubadours. ()

51. Information erronée ; cf. notre note sur Garsende (Revue des langues romanes). ()

52. Cf. plus haut, p. XLIV, II, 1. ()

53. Diez (Leben, p. 607) pensait que la satire du Moine de Montaudon avait été augmentée de strophes sur les troubadours postérieurs ; telle pourrait être une strophe sur Elias. Mais Bartsch (Jahrbuch, XIII, pp. 11-4) croit plutôt que c’est Nostredame qui inventa les dicta sur les troubadours qui ne sont pas nommés dans la satire telle que nous l’avons. () ()

 

 

 

 

 

 

 

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