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Salverda de Grave, Jean-Jacques. Le troubadour Bertran d'Alamanon. Toulouse: Imprimerie et librarie Édouard Privat, 1902.

076,011- Bertran d'Alamanon

COMMENTAIRE HISTORIQUE.
 

M. de Lollis (1) croit qu’il ne serait pas impossible que cette pièce se plaçât vers 1256 ; voici son raisonnement : Bertran, écœuré par la politique intérieure, si peu chevaleresque, de Charles d’Anjou, exprime le désir de se rendre à la cour d’Alfonse X de Castille ; or, en 1256, Marseille & Pise négociaient avec ce prince en vue de son élection à l’empire. La note de M. de Lollis est un peu brève. Il veut dire, si je le comprends bien, que, par suite de cette candidature, Alfonse s’était mis en vedette & que son nom pouvait se trouver tout naturellement sous la plume d’un troubadour. Cela n’est pas impossible, mais l’argument n’a rien de décisif. Alphonse X avait trente & un ans lorsque, en 1252, il succéda à son père, & il s’était déjà fait connaître auparavant.

En réalité, nous n’avons qu’un seul terminus post quem pour dater notre sirventés, c’est cette année 1252.

Ni Diez (2), ni Sternfeld (3) n’ont essayé d’en déterminer l’époque. Le dernier constate que, dès 1246, Charles s’occupait d’organiser l’administration en Provence, & il rapproche de la poésie de Bertran celle de Boniface de Castellane, où ce poète guerrier exhale les mêmes plaintes (4). Le ton qui y règne fait déjà pressentir la révolte de 1262, surtout ces vers (v. 20) :

 

.... qu’enquer ay fortz maizos
Et ay ma gent veraya.

 

Et si l’on compare ces vers à ceux qu’on lira bientôt ici (5) dans une pièce qui est de 1259, on sera encore beaucoup plus disposé à assigner à celui de Boniface une date rapprochée de celle de la pièce de Bertran. Je rappelle surtout qu’en 1257 Boniface se trouve encore parmi ceux qui sont venus faire leur cour à Charles d’Anjou (6).

Je trouve une confirmation de cette date dans un autre sirventés de Boniface (7), où on lit, aux vers 22 & suivants :

 

Mout m’enueia dels avocatz,
Qu’els vey anar a gran arda,
E dan cosselh dels autz prelatz,
Qu’anc nulh home non vi jauzir ;
Ans qui son dreg lur aporta
Ilh dizon : Aisso es niens,
Tot es del comte veramens.

 

Cette pièce peut être datée exactement. Au vers 8, il est question de la « trêve & de la paix » conclue entre Charles & les habitants d’Asti. Or, il est probable que c’est là la trêve de 1260 (8). Car il ne faut pas penser à celle de 1263 (9), puisque le sirventés n’a pu être écrit après la révolte de 1262, lorsque le troubadour était en exil. Il est vrai que l’histoire ne parle que d’une « trêve », tandis que le troubadour mentionne la « trega e patz ». Ou bien c’est là une de ces tautologies si fréquentes dans la poésie du Moyen-âge, ou bien ces vers pourraient, au besoin, contenir une allusion aux événements de 1262, alors que les habitants d’Asti entamèrent avec Charles des négociations de paix, qui aboutirent à la trêve de 1263. Que ce soit la première explication qui doit prévaloir ici, c’est ce que prouvent les vers 29 & suivants :

 

Los Genoes vey abayssatz
E ·l capitani que ·ls garda ;
E de Ventamila ·ls comtatz
Perdon, que solion tenir.

 

Car, en 1262, Charles conclut avec les Gênois une convention par laquelle il leur restituait Vintimille (10) ; Boniface n’aurait donc, à cette époque, pu dire qu’ils perdent ce comté. Par contre, c’est quatre ans plus tôt, en 1258, que Charles était devenu maître de Vintimille, ce qui était un échec pour Gênes (11).

C’est, donc-en 1260 qu’il faut placer la pièce de Boniface.

Mais cela ne nous permet pas encore de conclure que le sirventés de Bertran dont nous parlons ici soit exactement de la même date que celui de Boniface : ces plaintes étaient tout aussi justifiées en 1246 qu’en 1260. Est-il possible, puisque nous avons déjà une date post quam de trouver une date ante quam ?

Voici une pièce de Granet (12), où on retrouve les mêmes reproches à l’adresse de Charles (v. 27 & suiv). :

 

Et si voletz qe·us siervon leyalmen
Los Proensals, senher coms, gardatz los
De la forsa de totz vostres bailos
Que fan a tort molt greu comandamen.....

 

Cela a été écrit avant 1257, car, au vers 19, on lit :

 

Qu·el (l. Que·l) Dalfis te vostras possessios,

 

& nous avons vu plus haut (13) que c’est en 1257 que le dauphin de Vienne a été forcé par Charles de lui céder les territoires que celui-ci réclamait dans le pays de Gap.

Malheureusement, une date ante quam, comme nous venons d’en trouver une pour la pièce de Granet, nous fait défaut pour le sirventés de Bertran. Il semble seulement qu’on ne doit guère aller au delà de 1262, l’année où la dernière révolte de Marseille, soutenue par Hugues des Baux & par Boniface de Castellane (14), fournit à Charles l’occasion d’affermir définitivement son autorité en Provence.

 
 
NOTES.
 
 
4. L’expression esser uzatz n’est pas attestée ailleurs, d’après M. Levy.
 
20. J’imprime Ualor avec une majuscule, parce que l’absence de la préposition a montre que nous avons affaire à une personnification.
 
34. Faute de déclinaison. Cf. IV, 19.
 
40. Escriure, au sens de « inscrire ».
 
45. lhia. Raynouard traduit « lie, marc ». C’est plutôt « lien ».
 
52. Il suit de là que le roi de Castille a réellement invité Bertran à venir à sa cour.
 
 

Notes :

1. Sordello, p. 54, note 5. Cf. sur cette pièce l’Hist. littér., XIX, p. 469. ()

2. Leben und Werke der Troubadours, p. 581. ()

3. Karl von Anjou, pp. 41 et 54. ()

4. Imprimé dans Appel, Provenz. Inedita, p. 85 (Bartsch, nº 102, 3). ()

5. Voyez la pièce VII, vv. 21 et suiv. ()

6. Sternfeld, Karl von Anjou, p. 142. ()

7. Imprimé dans Raynouard, Choix, IV, p. 214 (Bartsch, nº 102, 2). ()

8. Sternfeld, Karl von Anjou, p. 156. ()

9. Sternfeld, Karl von Anjou, p. 208. ()

10. Sternfeld, Karl von Anjou, p. 166. ()

11. Sternfeld, Karl von Anjou, p. 144. ()

12. Imprimée dans Raynouard, Choix, IV, p. 237 (Bartsch, nº 189, 1). ()

13. Voyez le Commentaire du sirventés V. ()

14. M. Soltau (Blacatz, p. 30) parle d’un testament passé en 1261 par la « veuve du troabadour Boniface de Castellane ». Je ne comprends pas. Ce doit être un lapsus. ()

 

 

 

 

 

 

 

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