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Poerck, Guy de. Bertran de Born: Molt m'es d'iscandre car col. "Annales du Midi", 73 (1961), pp. 19-33

080,028- Bertran de Born

v. 1. Le dernier éditeur, App, estimant la tradition manuscrite jusqu’à et car du v. 3 irrémédiablement corrompue, substitue à ce début des points de suspension —Molt m’es est traduit par St1-3 «sehr heisst es mir», cela s’appelle (signifie) pour moi» Levy pense que la tournure impersonnelle n’est possible qu’au futur, le sens étant alors «müssen», «falloir», v. SW, II, 211, vº eser 6. Th adopte la leçon greu m’es de CR, et traduit «je n’aime pas». Pour le mot que suit les éditeurs donnent la préférence à ADIK, ils lisent donc descendre St1 Th, ou deissendre St3, et traduisent «hinabsteigen», «descendre» ; ils font ensuite de car col (tol KR) de ADIKCRUV (T a cancol) un seul mot, carcol St1, charcol Th St3 : bien qu’il ne soit pas attesté en apr., Tobler croyait pouvoir conclure à son existence du rapprochement de différentes formes romanes citées par Diez, Wb., I, 112, à savoir ital. Cargollo, fr. esp. ptg. caracol, cat. caragol, «Wendeltreppe», «escalier tournant»: pour St1-3 et Th, descendre charcol signifiat donc «die Treppe hinabsteigen», «descendre les marches, au figuré, diminuer de réputation ou de valeur» ; mais déjà Levy se demande: pourquoi un escalier tournant? et comment expliquer alors le de introduisant le v. 2? De différents côtés on a proposé des corrections: molt m’es destendre carcol «je suis las de détendre la machine de guerre» Chabaneau, mal m’es de senhor [ou un NP?] car col de… «es missfällt mir von… dass er müssig ist, dass er es unterlässt…», Levy, qui reconnaît dans car col des mss une complétive, mais ne connaît cependant pas d’autre exemple de colre avec de, v. SW, I, 287-88; depuis, Karsten a signalé l’existence de la construction chez Aimeric de Peguilhan, cf. Bartsch, Chrest. 6e éd., p. 178 b. La leçon originale —qui a échappé à tous les éditeurs—se laisse encore saisir à travers UV discandre: il faut lire d’iscandre, ou d’escandre, «de scandale», cf. SW, III, 146; la véritable pensée du poète est: «ce m’est grand scandale que... »; très tôt la leçon originale a cessé d’être comprise, et les copistes, vaille que vaille, et dans une certaine mesure indépendamment l’un de l’autre, ont corrigé en dissendre A, desendre D, descendre IK, deisedre T, ou en de fendre CR.
 
v.1-2. car col de gerra far ab castel, cette manière toute passive de faire la guerre s’oppose à la façon active de guerroyer dépeinte dans les vv. 3 et 4; à son grand dépit, Bertran est tenu de faire la guerre «retranchée», si éloignée de son tempérament batailleur. Il résulte de cette observation deux choses: colre, qui peut signifier «unterlassen», «s’abstenir», SW, vº, 4, mais aussi «dulden, gestatten, zulassen», «souffrir, permettre», ib., 2, a plutôt ici ce dernier sens, ce qui donne raison à Kastner contre Levy; pour castel, ces deux auteurs lui donnent le sens de «tour, ou partie de tour, servant à assiéger», pour lequel ils produisent des exemples; il faut revenir, je pense, au sens général «château», comme l’a bien compris St1 «mit einer Burg krieg zu führen (aus der keine Ausfälle gemacht werden)»; je traduis «ce m’est grand scandale que je souffre —de faire la guerre derrière (les murs d’) un château—...» Th adopte en gros la leçon de CR(T): Greu m’es descendre charcole sapchatz que no m’es belquar eu..., mais, comme le remarque St3 «diese Lesart kann nach dem Stammbaum der Handschriften nicht die ürsprüngliche sein, ist vielmehr als ein nicht glücklicher Versuch eines Abschreibers anzusehen, den etwas kühnen Ausdruck des Dichters durch einen angeblich verständlicheren zu ersetzen».
 
v. 3. Se basant sur Erec 2236, Kastner a proposé de traduire cembel par «sortie», mais le contexte même des trois vers qu’il cite rend peu probable ce sens: il faut revenir à la traduction «Kampf» St1-3, «combat» Th.
 
v. 4. no·m vim A, nō vim IK, no·n vim D, no vim CT (suivis par St3 App), no vi R (suivi par Th), no·n vi UV; non vim de St1 est ambigu; vim est le prét. 4. de vezer, ou peut se trouver pour v·im; je lis no·n vi·m. —passat haCR(T) (contre mais aura des autres mss) se soude à la leçon aberrante de ces trois mss pour les vv. 1-2.
 
v. 5 e, selon St1, sert d’introducteur à la principale derrière circonstancielle, comme dans Ara sai eu v. 48, et Lo coms m’a mandat v. 17, cf. fr. hé bien, alors; en réalité il coordonne teng avec molt m’es d’iscandre du v. 1. —afan, à «Anstrengung» St1-3, «fatigue, peine», Th, «Mühsal, Leid» App, je préfère «Aergerniss», «contrariété», aussi proposé par St1.
 
v. 6. car n’est peut-être pas ici introducteur d’une complétive: comme si souvent, c’est une simple cheville. —il«eux», «the ilh of v. 6 are the late rebels and nos autre of the next verse the adherents of Richard and his father, including now Bertran de Born» Kastner; toute la poésie est ainsi allusive.
n’estan: je préfère «abstehen von», «abstenir de», St1 App, à «tarder à, hésiter à», Th.
 
v. 7. Tout le vers est mis entre parenthèses par App; s’amar AT: le possessif pléonastique, qui manque dans les autres mss, se retrouve aussi au v. 39; nombreuses références dans St1 n° 12 v. 52.
 
v. 8. Molïerna, dans Bouquet, Recueil, t. XVII, 246, Moliherna, seigneurie angevine, auj. Mouliherne (arr. Baugé, canton Longué, Maine-et-Loire). Le seigneur. ainsi désigné est identifié tantôt avec Richard, St1, tantôt avec son père Henri II, lequel était fils de Geoffroi Plantagenet, un comte d’Anjou, Th St3 App Bertran v B Kastner; v. aussi le commentaire au v. 11.
 
v. 9. que est ici une simple cheville; qui de CRa’ introduit une interrogative; be(n) de A est la leçon adoptée par Th.
 
vv. 9-10. «agusar, esmolre und tocar sind technische Ausdrücke vom Schleifer; Bertran behält dasselbe Bild durch die ganze Strophe bei», St1, qui renvoie à Un sirventes cui motz v. 29, esmol «schleifen», «repasser», St1-3 Th App: il y a un jeu de mots entre esmol (et esmoledor du v. 15) et Molierna du v. 8, App Bertran v B 44 n. l. toca «streichen, wetzen» St1 App, «abziehen (ein Messer)» St3, «aiguiser» Th, littéralement «toucher (avec la queux)». —Bertran compare le seigneur qui tient Bordeaux à un émouleur «qui aiguise et repasse des couteaux dont le tranchant se refuse obstinément à couper. Ces couteaux sans tranchant, ce sont les barons limousins, le vicomte de Turenne entre autres, que rien ne peut faire sortir de leur torpeur» Th.
 
v. 11. lo seigner que ten Bordel est, pour Th, St3, App aussi Bertran v B, Richard Coeur de Lion, cf. aussi vv. 41-42; la même périphrase se lit dans Quan la novela flors v. 20; Henri II ayant enlevé le Poitou à son fils en 1185, Th fait observer que Bordeaux était devenu par ce fait sa véritable capitale.
 
v. 12. mais, «puisque», et non «mais», comme semble le comprendre Kastner, cf. SW, V, 30, 8.
 
v. 13. les mss hésitent entre trois leçons: mol Aa’ mols T, «mou», mas «surtout» R, et moz DIKUV mos C
«émoussé», que tous les éditeurs adoptent.
 
vv. 14-16. Le traitement énergique de l’émouleur (cf. v. 15), qui tire les barons de leur hébétude, raffermit en même temps leur loyalisme défaillant; la mort les attend, mais pourquoi s’en soucier, puisque leurs bonnes dispositions leur assurent la vie éternelle? C’est à peu près ce que dit Kastner «he (Richard) has tamed them so thoroughly and they behave so well that, like a good prior, they shall gain a place in Heaven». Levy déclare ne pas comprendre le v. 16.
 
v. 15. Sur merce, cf. St1.
 
v. 16. vita eterna, latinisme; vida et. UVC est adopté par Th St3 App.
 
v. 17. Verlais de Mosterol St1, Berlais de M., Th St3 App; beaucoup de fougueux barons ont porté ce nom, Andersen ; un Berlaius de Monsterolio, belliqueux baron angevin, livra bataille à Henri I d’Angleterre en 1118, cf. Bouquet. Recueil, t. XII, 501, 673, St1 Th; il s’agit ici de Giraud Berlai: au milieu du XIIe siècle, il se dressa à plus d’une reprise contre Godefroi le Beau d’Anjou, gendre d’Henri I d’Angleterre, St3, cf. ZrPh., t. 14, 1890, 187. Mosterol est auj. Montreuil-Bellay, chef-lieu de canton, arrondissement Saumur, Maine-et-Loire, Th.
 
v. 18. Guilhems de Monmaurel St1, Guillelms de M. Th St3 App, baron belliqueux du début du XIIe siècle, capitaine de Guillaume VII, comte de Poitiers, neuvième duc d’Aquitaine de ce nom; tandis que le duc était allé au secours d’Alphonse I d’Aragon contre les Sarrasins, Guillaume, son lieutenant en deçà des Pyrénées pendant cette campagne, fut attaqué en 1122 par les Toulousains dans le château Toulouse à Narbonne, assiégé, et obligé d’évacuer la place, cf. Bouquet, Recueil, t. XII, 373, et Art de vérif. les dates, t. IX, 380, X, 108, St1 Th. Monmaurel est aussi cité dans Quan la novela flors, v. 34; il y a un Montmoreau chef-lieu de canton dans l’arrondissement de Barbezieux, Charente: St3 en signale un second en Dordogne.
 
v. 19. agren IK agran R, St3 App corrigent agron.
 
vv. 21-23. La leçon complète de IK, C, R et T, telle qu’elle est donnée en note dans l’éd. App (dans le texte ces trois vers sont remplacés par des points de suspension) est incorrectement reproduite; la voici donc: Can ven a l’estiu intranpuois quan intra la fredorl’ardit torna en paorcan lo clars temps sabinuerna IK, falh lay a yvern intrane can se tray la verdortornan l’ardit en valorcan lo clar tems sabuerna R, quan (can T) son al yvern (a ivern R) intrane quan son (puois can ven T) a la chalor (calor T) —torna l’arditz en doussor (e dosor T) —quand lo clar (pel crars T) temps (t. qui T) s’esbuzerna  (s’esbuerna T) CT; pour IK, le retour de la mauvaise saison douche les ardeurs belliqueuses des barons, effet que CRT attribuent à l’action amollissante de la belle saison; on verra plus loin, à la note au v. 24, que c’est la leçon de IK qui s’impose; CRT ont interverti yvern et chalor (verdor R), ce qui a entraîné la substitution de doussor C, dosar T à paor; R a ici valor.
 
v. 22. Intra IK est suivi par St1 (intr’a St3), tandis que Th adopte ve a de T. —fredor (c(h)alor, verdor), sur l’absence d’-s de flexion, à la rime, cf. St3.
 
v. 24. clar(s) temps IKCR s’accorde parfaitement avec le verbe qui suit; la variante pel crars temps T est curieuse: ne remonterait-elle pas à un cras temps «saison fertile, automne» avec le doublet (non attesté ailleurs) cras pour gras? —s’abinvernaIK n’est pas attesté ailleurs; c’est une correction malencontreuse, sur ivern, à partir de la leçon s’abuzerna, dans R s’abuerna; ce verbe n’est qu’une variante autrement préfixée de s’esbu(z)erna de CR: le subst. bu(z)erna signifie «brouillard, gelée»; le verbe dérivé signifie donc «céder la place au brouillard, ou à la gelée».
 
v. 25. Mirandol, lieu, et château, de la commune de Martel St1-3 Th App. —Grosa. Les éditeurs se prononcent pour la forme Cruisa St1 ou Croissa Th St3 App; deux communes portent ce nom, l’une dans le canton et l’arrondissement de Bergerac, Dordogne, l’autre dans le canton de Martel, donc dans le voisinage immédiat de Mirandol; c’est à celle-ci que se rapporteraient les formes Crueissa C, Cruxa T; Coissan U, Caisson V paraissent impliquer un NL en -a(n): Gruissan, canton Coursan, arrondissement Narbonne, dans l’Aude? certainement ces formes sont inauthentiques; je ne crois pas qu’on puisse rejeter purement et simplement Glesa A, Grosa D, vu la place qu’occupent ces deux mss dans le stemma; en définitive je propose de voir provisoirement dans Grosa une simple variante de Cruisa, que je retrouve aussi dans la mélecture Enuisa de IK. — Martel, aujourd’hui chef-lieu de canton dans le Lot, arrondissement de Gourdon, anciennement château dans la vicomté de Turenne, dont Martel constituait la place la plus importante; c’est dans ce château que le jeune Henri mourut le 11 juin 1183, St1. Mirandol, Creysse et Martel se situent tous trois dans la vicomté de Turenne: le seigneur ainsi désigné par ses possessions ne peut être que Raimon II (1143-c. 1190), St1-3 Th App.
 
v. 30. e ADIK, mas, CT suivis par St1-3 Th App.
 
v. 31. atendo(n) mss, atenda(n) St3, —l(o) pascor «Frühling» St1-3, «printemps, aussi temps de Pâques» Th, «Frühling, Österzeit», App.
 
v. 32. car oimais ADIK, c’oghan mais UVCT, que oimais St1-3 Th App.
 
v. 33. fan…dol «Schmerz empfinden» St1-3, mieux «mener (grand) deuil» Th,
«jammern, klagen», Levy, SW, II, 216, vº dol 2, «to lament» Kastner.
 
v. 34. Catalan, la principauté de Catalogne faisait partie de la couronne d’Aragon, St1-3. — Urgel était un comté indépendant sur les contreforts méridionaux des Pyrénées, mouvant du comté de Barcelone, lequel était réuni à l’époque à l’Aragon: Ermengaud VIII y régnait depuis 1183, St1-3.
 
v. 35. chapdel «beherrschen» St1, «conduire, gouverner, prendre sous sa protection» Th, «regieren» St3, «führen, leiten, regieren» App, mieux «prendre la tête de... ».
 
vv. 35-36. non ... mas «ausser», «sinon» St1-3 App.
 
v. 36. flac e gran, nouveau trait décoché en passant au roi Alphonse II d’Aragon; St1-3 et Th s’accordent à voir dans gran une variante graphique, pour les besoins de la rime, de gram «traurig», «sans énergie», et Kastner rapproche l’expression d’une autre, très voisine, qu’il relève chez Bernart de Rouvenac, flac e marrit; Levy fait observer que gram, avec -m instable, ne serait pas à sa place dans une série de rimes avec -n stable; on ne saurait donc invoquer, comme le font St1-3 et Th, le cas de Rancom «Rancon» et Chinom «Chinon», dans Non puosc mudar vv. 13, 29; Levy lui-même suggère  de corriger en flaquejan, sur lequel cf. SW, III, 501; mais faut-il vraiment corriger?flac e gran «aussi veule qu’il est grand» me paraît parfaitement acceptable.
 
v. 37. Alphonse II d’Aragon, zélé tenant de la poésie, fut loué par beaucoup de troubadours St1-3 ; Kastner observe que dans aucune des deux compositions signées par lui (mais n’y en a-t-il pas eu d’autres?) il ne fait son propre éloge.
 
v. 39. Diez a fait justice de cette calomnie St1-3 Th ; d’autres traits contre le même prince se lisent dans Pois lo gens terminis floritz et dans Quan vei pels vergiers desplegar.
 
v. 40. s(e)…inferna «se damne».
 
v. 42. Benaujes Th St3 App, petit pays de l’ancien Bordelais, dont Beirmes a’, trop court d’une syllabe, n’est que la mélecture; le modèle de a’ avait sans doute Bēauies.
 
v. 43. Conhat a’, il existe un Cognat-Lyonne dans l’Allier; Th St3 App corrigent en Conhac, nom du chef-lieu d’arrondissement de la Charente; après la mort de Bardon de Cognac, Richard occupa le pays en qualité de tuteur de la fille du seigneur défunt, Amélie, qu’il maria plus tard à son fils naturel Philippe, St3. —Mirabel : il existe aujourd’hui plusieurs localités de ce nom, dans l’Ardèche, la Drôme, le Tarn-et-Garonne; Th St3 App s’accordent à identifier avec Mirebeau-en-Poitou, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Poitiers (Vienne).
 
v. 44. Chartres a’, aujourd’hui Chartres près de Cognac selon Chabaneau, suivi par Th St3 App. — Sain-Joan serait Saint-Jean-d’Angély, dans la Charente-Maritime, Th St3 App.
 
v. 45. Botenan, prov. pour le fr. Boutavant, nom donné à la grosse tour qui «boutait avant» le fossé (Lacurne), v. Aug. Vincent, Toponymie de la France, Bruxelles, 1937, nº 440 ; le nom a pu passer de l’ouvrage avancé à la place elle-même; Vincent cite deux Boutavant au nord de la Loire, l’un dans le Vexin (auj. Eure), l’autre dans la Saône-et-Loire; notre place a été identifiée avec le premier par Th St3 App (qui a situent dans l’Oise): c’est un fortin élevé par Richard Cœur-de-Lion près des Andelys, en 1196, sur une île de la Seine, cf. A. Cartellieri, Philipp II August, t. VII, Leipzig, 1910, p. 140; Kastner fait remarquer que le «terminus a quo» de 1196 s’accorde mal avec la date qu’il attribue à la composition du reste du poème, qu’il situe dans l’été de 1184; en 1196 Richard était roi d’Angleterre, ce qui n’apparaît pas dans le sirventés; Boutavant ne fut perdu qu’après la mort de Richard: Philippe-Auguste s’empara du fortin et le détruisit en 1202 ; ne l’ayant jamais perdu, Richard n’eut donc pas à le reconquérir ; Kastner conclut à l’inauthenticité de la strophe. Est-il exclu que le fortin élevé en 1196 ait été précédé par un autre, plus ancien, de même nom?
 
v. 46. son segnior, sans doute Philippe-Auguste.
 
v. 48. crei Th St3 App, creis a’ — Allusion à quelque prophétie de Merlin que nous ne connaissons pas, Th, St3.
 
II
v. 49. lai vir, avec un complément direct la lengua, cette expression, ou une expression voisin, a été relevée dans l’ancienne lyrique provençale et ailleurs; le sens est alors: «je tourne la langue (dans la bouche) là où la dent me fait mal» St1-3 Th; en omettant la lengua, Bertran donne à vir une valeur «moyenne» («réfléchie»): le poète délaisse le sujet traité plus haut pour en aborder un autre. — on la denz mi dol, il ressent, comme une douleur lancinante, la souffrance que lui inflige la frivolité de sa dame ; l’équivalentfr. moderne serait«où le bât me blesse» ; à mi de ACUV, St1 Th préfèrent me de DIK.
 
v. 50. cela, la personne volontairement laissée dans le vague par le poète a été identifiée par Th St3, dubitativement il est vrai, avec Maheut de Montagnac. —  m’es bel «gefallen» St1-3 «il me plait» Th, «mir ist schön, lieb» App, plutôt «il me convient».
 
v. 51. q’ieu la repti e l’apel «que je la blâme, et l’accuse»; les commentateurs distinguent mal le sens exact des deux verbes: reptar «anklagen» St1, «blâmer, accuser» Th, «beschuldigen» St3 App, apelar «beschuldigen» St1 App, «accuser» Th, «anklagen» St3.
 
v. 53. leugier talen «légèreté, frivolité, coquetterie».
 
v. 54. feignedor, mieux que «Heuchler» St1-3 App, «hypocrites» Th, «simulateurs».
 
vv. 55-56. de s’amor de lieis, même construction pléonastique qu’au v. 7.
 
v. 56. que ADIK, cui UCV St1-3 Th ; App remplace ce mot et le suivant par des points de suspension. —bon pretz governa: pretz est un indéclinable, bon est dans ADIKUV, seul C a bos, qui est aussi la leçon de St1-3; je propose de donner à que la valeur de cas sujet, et à bon pretz celle de cas régime, et de traduire «elle qui gouverne, qui est maîtresse de vraie valeur».
 
vv. 57-62. Le poète, qui s’était plaint de sa maitresse dans la strophe précédente, cherche ici, selon Th, à exciter sa jalousie; il est certain qu’il dévoile un nouvel amour; les épithètes franc e cortes, du v. 59 ne sauraient en effet s’appliquer à la dame qui s’est vu reprocher plus haut sa trahison et sa tromperie.
 
v. 57. tersol, tresol St1, en fr. tiercelet, désigne le mâle dressé de certains rapaces, autours, comme ici, ou éperviers; voici comment s’exprime à son sujet Moamin 11: «Et sachiez qe granz difference est entre l’ostor mascle e la feme, char le feme sunt plus ardie et sunt propremant appellee ostor, et li mascle sunt moins ardi assez et sunt appellé terçol, et sunt menor de cors», cf. Moamin et Ghatrif, Traités de fauconnerie et des chiens de chasse, éd. H. Tjerneld, Stockholm-Paris, 1945 (Studia romanica Holmensia I), p. 104 ; mais pourquoi, se demandera-t-on, l’oiseau mâle pour désigner métaphoriquement la personne aimée? Ecartons l’hypothèse, exclue d’ailleurs par le v. 68, que cette personne soit un jeune garçon; il reste que Bertran peut avoir eu en vue, surtout, la timidité de l’aimée, et sa petitesse, allant de pair avec l’extrême jeunesse que suggère le vers suivant; il se peut aussi qu’il se soit complu dans l’emploi d’une image ambiguë; T corrige, pour sortir de la difficulté: un austor no tersol; cf. encore le commentaire aux vv. 60, 65.
 
v. 58. mudat «gemausert» St1-3 App, «qui a passé la mue» Th; comme la mise de l’oiseau sur le gibier suit sa sortie de mue, il s’agit ici nécessairement, comme le montre le reste du vers, du tiercelet de première mue.
 
v. 59. franc e cortes; il y a de nombreuses variantes; le premier adjectif devient coinde dans RTa’.
 
v. 60. Tristan, qui dans Domna, puois de me no·us chal v. 38 désigne l’amant d’Iseult, est ici un nom de convention, un senhal, comme parfois chez Bernart de Ventadorn et chez Guillaume de Berguedan, mais jamais ailleurs chez Bertran, St3; il ne saurait s’appliquer à la dame, comme semblent le croire St1-3 Th App, induits en erreur par une mauvaise interprétation de la strophe VIlI; Tristan est le nom que, dans l’intimité, la dame donne à son ami (ab cui eu m’apel Tristan), comme l’a bien vu Kastner.
 
v. 61. semblan «Wesen, Charakter» St1, «semblant, manière d’être» Th; Levy, qui renvoie à SW, VII, 541, 4 fin, paraphrase «ich bin ebenso franc e cortes e isnel»; Kastner, partant des subdivisions 4, 11 et 14 du même article du SW, et de semblansa 6, hésite entre les traductions «pseudonym» («just because of such a fictitious name, i.e. the fact that she calls me Tristan, she, like another Isolt, has...»), et «way, manner» («just as I am her admirer because I am called Tristain, in such a way, but conversely, she has...»), cette dernière traduction impliquant que les sentiments amoureux que se portent Bertran et la dame sont nés précisément de l’existence antérieure d’un senhal qu’ils ont choisi de commun accord; la pensée de Bertran me paraît beaucoup plus simple: le fait que la dame a consenti à appeler Bertran d’un senhal est un premier pas dans la connivence amoureuse; c’est de la même manière, per aital semblan, qu’elle l’a agréé comme entendedor, confident.
 
v. 64. Palerna, avec DIKCRTa’ et les éditeurs; la forme moderne Palerma AUV n’est pas inconnue des anciens textes français et provençaux, comme l’a montré St3; rien n’oblige à y voir une faute commune de ces trois mss.
 
vv. 65-68. Ces vers ne doivent pas être mis dans la bouche de Bertran (1), comme l’admettent tous les éditeurs: c’est la dame ici qui fait à Bertran l’aveu de son amour; pour lui, elle assistera au tournoi qui doit avoir lieu en Poitou; elle-même ne réside donc pas dans cette province, ce qui rend caduque l’objection de St3 contre l’identification proposée par Th de la dame avec Tibor de Montausier, dont l’époux résidait en Saintonge.
 
v. 66. torneiador est non un cas régime apposé à mi, mais un cas sujet pluriel, «les amateurs de tournois».
 
v. 67. qui qe·m n’esqerna, comprenez «et tant pis pour les mauvaises langues».
 
v. 70. L’allusion, tous les commentateurs l’ont compris, se rapporte à un jeu de hasard; on a d’abord songé à une loterie, en faisant abusivement de cinc une quine: dans la rencontre des deux amants, ce serait Bertran qui ferait le plus beau coup St1-3; actuellement on s’accorde à rapporter l’expression au jeu de dés, Alfr. Jeanroy, dans Revue des langues romanes, 4a série, t. X (XL de la Collection), 1897, pp. 389 (et n. 1), 390, F. Semrau, Würfel und Würfelspiel im alten Frankreich, Halle, 1910, pp. 30, 62, 70 (Beih. 23 de la ZrPh), V. Crescini, Nota sopra un famoso sirventesse d’Aimeric de Peguilhan, dans Studj medievali, nuova serie, t. III, 1930, pp. 9, 10, Kastner: «tant pis (dit en substance Bertran) si je jette cinq (un coup médiocre) et qu’elle amène terne (deux trois, un coup heureux)», assuré d’être heureux en amour, le poète consent volontiers à être perdant au jeu.
 
Notes:

1. Dans cette hypothèse, en effet, la dame partagerait le senhal de son ami.()

 

 

 

 

 

 

 

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