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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,037- Bertran de Born

v. 1.
On trouve une expression semblable chez Peire Vidal (éd. Anglade, XI, v. 34) : Quar a totz jorns pueja mos pretz e creis.
 
v. 2. cela
Levy (1) a bien montré quesos pretz est le sujet des trois verbes du premier vers et que cela est un cas régime. On trouvede leis dans MR.
 
v. 5. loia
loia, du verbe logar, “louer, prendre à louage” (2) s’impose. Selon Martín de Riquer (3), l’image est audacieuse, mais, à cause de son origine militaire, très caractéristique de notre troubadour.
 
v. 6 : coia
La leçon des mss. IK : cui que·ns voia est évidemment fautive. Même le ms. D, qui leur est étroitement apparenté, indique cuoia, comme la majorité des manuscrits. Je corrige donc en coia.
 
v. 8 : sa
En paléographie, l’erreur des copistes de DIK qui ont noté la ne saurait surprendre.
 
v. 11.
De la même façon, Gaucelm Faidit prie sa dame : Non sofratz mais prejador mas mi ... (éd. Mouzat, nº LII, vv. 35-36). Cf. note au vers 11 de Belh m’es quan vey (chanson nº 38) et Introduction, p. CXXVII.
 
v. 14.
Les copistes de IK donnent une leçon pels saur aqui ab c- que l’on ne saurait conserver. D’autre part, l’épithète ab color de robina a fortement intrigué les critiques. Ainsi Kastner (4) rappelle que le rubis, quoique habituellement rouge foncé, existe en différentes nuances de rose, et réfute la traduction d’Audiau (5) : “elle a des cheveux roux, couleur de rubis”. En fait, il pourrait même ne pas être question de nuances roses à en croire ce texte de Marbode de Rennes (6) : “Li rubis est vermaus et estincellans, s’en sont de .III. manières ... s’en est l’une bleue et l’autre g(r)aune, et la tierce comme carbons enbrasés”. Ainsi la chevelure de la dame de Bertran pourrait être d’un blond étincelant. Toutefois, si l’on songe aux descriptions faites par Gaucelm Faidit : Blanca, vermeill’e mesclad’ab robis(éd. Mouzat, nº VI, v. 3) ou par Raïmbaut de Vaqueiras (éd. K. M. Fassbinder, Halle, 1929, nº 26 : Nuills hom en re non faill, vv. 19-20) : De robins ab cristaill Me par, que Dieu la fe, il semble plus simple de croire que ce membre de phrase désigne, comme le vers suivant, le teint de la dame et non la couleur de ses cheveux.
 
v. 16.
On trouve le même trait chez Peire Vidal : Blanc pieitz ab dura mamella (éd. Anglade, nº XVI, v. 38).
 
v. 17.
L’image est suggestive, mais peu claire. Pour Audiau (L. C.), “ses reins ont la souplesse d’un lapin” ; pour Appel, c’est une image qui renvoie à la délicate minceur du dos de la dame (7) ; pour Kastner (L. C.), Bertran compare le creux des reins de la dame à un lapin, car cette partie de son corps est douce et duveteuse comme la fourrure de cet animal ; pour M. Bec (8), “ses reins ont le galbe d’un lapin”, et il ajoute en note : “la description de la dame est ici assez réaliste : aux attraits “classiques” de la femme au moyen âge (cheveux blonds, peau blanche) B. de Born en ajoute d’autres, d’un caractère plus intime, voulant sans doute montrer par là, aux autres prétendants de sa dame, que ses relations avec elle n’avaient pas été que platoniques”. Enfin, pour Martín de Riquer (L. C.), l’éloge est un peu singulier : le dos de la dame est doux comme la fourrure du lapin. Toutes ces interprétations me semblent bien personnelles, je me garderai donc d’en ajouter une autre.
 
v. 20.
Comme le sujet du verbe, ou le pronom qui lui est apposé, est au pluriel (A : aquil, Cb : cylh, DE : sill, F : cill, IK : sil ), la logique interdit de conserver la forme pot hom de CbDEFIK et recommande de corriger enpodon (A). En revanche, dans CaMR, pot hom n’est pas déplacé, puisque le vers suivant indique : Per que·s fan tug c- (CaR), E tug fan si c- (M), si bien que Levy (L. C.) se demande si ce n’est pas là la bonne tradition.
 
v. 24 : a lei de tosa.
Levy (9) discute ce passage sans en résoudre la difficulté. Le sens est probablement : “selon les règles que doit respecter une jeune fille”. Peut-être Bertran a-t-il en tête l’idée exprimée dans la strophe IV de Seigner En Coms (chanson nº19).
 
v. 25 : voill
Même si elle est plus rare, je conserve la forme avec l mouillé, attestée pour la 3º pers. de l’ind. prés, par Appel (10) à propos du roman de Jaufre. Clovis Brunel écrit en effet voil au vers 3108. Inversement, on rencontre, pour la 1º pers. une forme vol dans Flamenca (v. 4049).
 
v. 28.
Azalaïs de Porcairagues soutient de la même façon que : Dompna met mot mal s’amor qu’ab trop ric ome plaideia, ab plus aut de vavassor, e s’il o fai, il folleia (Martín de Riquer, Los Trovadores, Ar es al freg temps vengut, vv. 17-20, t. I, p. 461).
 
v. 30 : Qe·m
Même si ce ·m n’apparaît que dans DIK, on peut le conserver en tant que datif éthique, ce qui est normal si Bertran, en qualité de castiador, prend un intérêt tout personnel aux actes de la dame.
 
v. 42 : gaban
Kastner (O. C. p. 401) indique qu’on peut traduire ce verbe soit par “se moquer”,  soit par “se vanter”. La suite du texte lui fait préférer la première solution : des gens qui utiliseraient pour la chasse à l’oiseau un busard, oiseau inférieur, au lieu d’un autour, se moqueraient du vol de celui-ci et feindraient de le mépriser, faute de posséder l’habileté nécessaire au maniement de cet oiseau, plus ombrageux. De la même façon, ils seraient des incapables en matière de combats et de service d’amour dont ils ne parleraient jamais.
En fait, l’explication de Kastner ne saurait convenir totalement puisque la buse est un “oiseau de proye qu’il est impossible de dresser ... une espèce d’aigle poltronne” (11), une “espèce d’oiseau de proye, qui ne vaut rien pour la fauconnerie” (12). Ce fait était même passé en proverbe, puisqu’on disait “L’en ne puet fair de bosard ostour” (13). Bertran, bien entendu, en était bien conscient, qui célébrait Richard, capable, avec des busards, de faire mieux qu’un autre avec des autours (cf. 27. 14). Rien n’indique qu’on ait jamais pu chasser avec le busard, qui “ne se jette que sur la proye morte” (Ibid.) et se nourrit surtout d’insectes et de reptiles. En tout cas, à cause de leur régime et de la faiblesse relative de leur bec et de leurs serres, ces rapaces ne pouvaient être employés en fauconnerie et étaient tenus en souverain mépris par les amateurs de chasse. D’ailleurs, on ne rencontre nulle part ailleurs le mot busatador qui pourrait être issu de la verve de Bertran pour ridiculiser des gens qui rient ou se vantent de la volée des autours, alors qu’ils sont aux autoursiers ce que la buse est à l’autour. N’oublions pas que la volerie est le divertissement le plus noble et qu’il devait être de bon ton de se prétendre un connaisseur.
 
v. 51 : Maurin ab N’Aigar
Bertran montre son goût pour la littérature épique en citant une chanson de geste occitane du XIIº Aigar et Maurin (14), “un poème sur le roi anglo-normand Aigar et son vassal Maurin” (15). Comme l’auteur des razos, Clédat (16) et Kastner (L. C.) rapportent les vers qui suivent à Richard, comte de Poitiers, et à Aimar V, vicomte de Limoges. Clédat déduit que, puisque ces deux seigneurs se préparaient à la guerre pour le printemps, la chanson aurait été composée en 1176. Il va de soi que, si le comte et le vicomte sont réellement Richard et Aimar, il devient difficile de maintenir l’hypothèse de 1173, mais, depuis Stroński, on sait que les affirmations de l’auteur des razos ne sont pas des preuves. En réalité, rien ne nous contraint à admettre une telle interprétation : puisque la chanson est adressée à Geoffroy, lui aussi comte, le vicomte en question pourrait fort bien être l’un de ses difficiles vassaux bretons ; les candidats ne manquent pas, qu’il s’agisse d’Eudon, vicomte de Porhoet et prétendant à la couronne comtale qui, après avoir lutté contre la mainmise des Plantagenêts sur la Bretagne, se rebella en même temps que Raoul de Fougères en 1173, ou de Guyomar, vicomte de Léon, dont Henri II avait brûlé le château en 1167 et contre lequel Geoffroy eut encore à lutter en 1177 et au printemps 1179. Ce prince, dont Robert de Thorigny dit : nec Deum timebat nec hominem verebatur (O. C. p. 281) pouvait fort bien se montrer menaçant vers 1173. Quels que soient, au demeurant, les combattants que Bertran félicite par avance, Bretons ou Aquitains, il va de soi que la discorde qui allait s’installer entre les Plantagenêts dans les jours qui suivaient ne leur permit pas d’en découdre.
 
v. 55 : E veiam l’ades al pascor.
Levy (6) se demande quelle est la signification de ce vers que M. Bec (L. C.) traduit par “et qu’il se fasse voir bientôt parmi nous, au temps de Pâques” (col. 233). Kastner (L. C.) interprète ainsi le passage : “et puissions-nous le voir déjà au printemps”. On est surpris par la diversité des leçons : v- l’ades al p- (AF), v- la delhs al p- (Ca), v- los lai al p- (Cb), v-lal dels al p- (DIK), v- los ades el p- (E), venial adoncs al p- (M), veirem de lor est p- (R). Je suis, faute de pouvoir trouver la bonne solution, le texte de AF, mais il n’est pas vraisemblable qu’une leçon qui ne présente aucune difficulté particulière ait posé tant de problèmes aux copistes.
 
v. 67-68.
Si Marinier est bien Henri le Jeune, le mot onor ne peut signifier terres et titres, comme le comprend M. Alan R. Press (17) puisque ce prince n’a jamais obtenu de son père de tenir réellement des terres. En revanche, la mutation de bon gerrier per torneiador conviendrait fort bien à Henri, dont le goût pour les tournois était célèbre, mais comment concilier ce reproche avec le vers 68 ?
 
v. 70 : Golfiers de la Tor
Selon Stimming 3 (18), le nom normal de las Tors (de Turribus) est modifié à cause de la rime (p. 197) ; Golfier de Lastours aurait été le suzerain de Bertran et le frère d’Agnès, femme de Constantin de Born. Il avait succédé à son père après la mort de celui-ci en Terre sainte en 1180. Selon Martín de Riquer (O. C. p. 726), il s’agirait du neveu de Bertran, l’homme au lion. C’est aussi l’avis de M. Bec (O. C. p. 127), pour qui ce serait “le neveu de B. de Born qui avait épousé Raymonde de Lastours”.
Même si les liens entre les Born et les Lastours paraissent étroits, le cartulaire de Dalon ne donne pas le nom de famille de Raymonde. Néanmoins, il y a bien un neveu de Bertran qui porte le nom de Golfier de Lastours, mais c’est le fils d’Agnès et de Constantin : Golferius de Turribus, filius Constantini de Born, d. pro salute anime mee & avunculi mei Golferii de Turribus & matris mee Agnetis la bordaria ... anno 1200 (19). Comme on le voit, les Golfier de Lastours ne manquent pas, et le nom du vers 70 ne saurait nous donner aucune indication pour dater cette chanson.
 
v. 72 : recor
Chabaneau (20) fait remarquer que “recor = * recordet, ne peut ici convenir. Il faut un o estreit, pour rimer avec senhor. C’est donc à recurrit que ce mot doit renvoyer. Il faudrait en conséquence corriger mos chantars.” Thomas (O. C. p. 106) se conforme à l’avis de Chabaneau, tandis que Stimming 3 (O. C. p. 197), suivant Andresen (21), pense que le verbe est employé transitivement au sens de “expédier, transporter”, sens enregistré par Levy (O. C.). Il donne à l’appui des exemples pour revenir, tombar, tornar et deschazer. Kastner (O. C. p. 401), qui ne croit pas à cette possibilité, propose de comprendre : ma chanson retourne en courant (avec l’indicatif) ou que ma chanson retourne en courant (avec l’impératif), en suivant la correction de Chabaneau ; il conseille aussi d’adopter au vers 73 la leçon de Cb : Lai on es au lieu de celle de EM :en la cort. Pour séduisante que soit cette hypothèse, elle se heurte à une difficulté : si l’on adopte lai on es, le verbe a pour sujet Mon mal Bel-Seinhor, qui est un cas régime et ne peut être corrigé, puisque la rime exige-or. On doit donc garder en la cort, où la préposition ne convient guère après un verbe de mouvement. Dans son Petit Dictionnaire, Levy met en question le sens de “faire parvenir, porter”, mais il indique une autre construction transitive ; “secourir, revoir, réviser” (p. 317). On peut ainsi comprendre, sans toucher au texte : “apporte ton secours à mon chant”, comme l’on dirait aujourd’hui “ton concours”. Une autre possibilité serait de prendre le verbe au sens de “revoir, réviser”. On est en effet surpris au vers suivant par l’épithète mal accolée à Bel-Seinhor. Bertran célèbre dans cette chanson une dame dont il n’a pas à se plaindre ; or il est peu probable que la tornada soit adressée à une autre personne et d’ailleurs la donna soiseubuda paraît confirmer que ce senhal désigne la dame de Bertran. Comment peut-il donc la traiter de mal, que ce mot signifie “mauvaise, méchante” ou “cruelle”, alors qu’elle vient de lui faire un tel honneur ? Stimming 3 (L. C.) pense qu’il s’agit d’une plaisanterie ou que Bertran reproche à sa dame d’être trop prude ; les deux hypothèses conviennent mal au contenu de cette chanson. Pourrait-on suggérer que cet envoi n’ait pas été composé en même temps que la chanson, qu’il termine ce qu’on pourrait appeler une réédition (cette chanson se trouve à deux reprises dans le chansonnier C et l’envoi n’apparaît que dans le second exemplaire) et que, les sentiments de Bel-Seinhor s’étant modifiés, Bertran, pour lui rappeler le passé, demande plaisamment à Papiol de réviser les termes de la chanson ? Voilà qui est bien conjectural, mais cette hypothèse permettrait de comprendre à la fois recor et mal.
 
 
Notes:
 
(1) Literaturblatt für germanische und romanische Philologie, nº 6, 1980, col. 228-235, compte rendu de l’édition de Thomas. ()
 
(2) Levy : Petit Dictionnaire ..., p. 228. ()
 
(3) Los trovadores, t. II, p. 722. ()
 
(4) “Notes on the  poems of Bertran de Born”, in Modern Language Review, nº 27, 1932, p. 400. ()
 
(5) Nouvelle anthologie des troubadours, Paris, 1928, p. 141. ()
 
(6) Pannier, Lapidaires, p. 79,  cité par M. Dragonetti, La Technique poétique ..., Bruges, 1960. ()
 
(7) Bertran von Born, Halle, 1931, note p. 89. ()
 
(8) Nouvelle anthologie de la lyrique occitane du moyen âge, Avignon, 1970, p. 125. ()
 
(9) Provenzalisches Supplement-Worterbuch, Leipzig, 1894 etc. toza 2, p. 336. ()
 
(10) Appel, Chrestomathie, p. 15. ()
 
(11) Furetière : Dictionnaire Universel ... t. I. ()
 
(12) Dictionnaire de l’Académie Français, 1684, t. I, art. Buse. ()
 
(13) Livre des Proverbes, II, 391. ()
 
(14) Cf. L’édition d’Alfred Brossmer, Erlangen, 1901. ()
 
(15) M. Lafont, Histoire littéraire de la France, t. I, p. 180. ()
 
(16) Du rôle historique de Bertrand de Born (1175-1200), Paris, 1878, p. 64. ()
 
(17) Anthology of Troubadour lyric poetry, Edinburgh U.P., 1971, pp. 156-159. ()
 
(18) Bertran von Born, zweite, verbesserte Auflage, Halle, 1913. ()
 
(19) Extrait du cartulaire de Dalon, cité dans l’appendice de l’édition d’A. Thomas, Poésies complètes ...., fol. 13, p. 154. ()
 
(20) Compte rendu de la première édition de Stimming, Revue des Langues Romanes, nº XXXI, p. 610. ()
 
(21) Compte rendu de l’édition de Thomas, Zeitschrift für romanische Philologie, Halle 1890, nº XIV, pp. 185-218. ()

 

 

 

 

 

 

 

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