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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,019- Bertran de Born

Le premier vers de la chanson est très difficile à interpréter. En effet, matis peut représenter soit un cas sujet singulier, soit une forme de cas régime avec adjonction d’un -s adverbial. Dans cette dernière hypothèse, le sens serait : “il ne serait vraiment pas trop tôt pour déjeuner si ...”. C’est cette orientation qu’a choisie Schultz-Gora (1) qui comprend : “il serait maintenant grand temps de prendre le petit déjeuner si l’on avait quelque chose à manger, mais assurément ce ne serait plus un petit déjeuner, car le matin est passé”. Martín de Riquer (2) traduit dans la même idée : “En modo alguno le seríaahora demasiado de mañana para comer ...”. M. Lafont traduit de manière bien différente : “Il n’aurait pas de matin où il dut attendre le dîner, celui qui ...” (3).
En prenant maitis comme nom, Appel (4) arrive au sens suivant : “Aujourd’hui, ce ne serait pas un matin pour manger, même si ...”, interprétation que Kastner (5) soutient : “Quelque attrayante que fût l’auberge et tentante la nourriture, ce jour n’est pas un jour pour manger”. Bertran serait si heureux en compagnie de Mathilde, à qui est adressée la chanson, qu’il n’accorderait aucune pensée au confort et à la nourriture. On serait évidemment tenté de demander pourquoi il en parle dans ces conditions. L’intérêt de cette interprétation réside néanmoins en ce qu’elle permet d’établir un lien logique entre le début et la fin de la strophe ; on peut l’appuyer, de plus, sur une construction parallèle : Sazons seria de manjar ueimais qui apparaît dans Jaufre (éd. C. Brunel, vv. 141-142). L’auteur de la razon explique l’ouverture de la chanson par une anecdote invérifiable (et donc impossible à admettre ou nier), mais sa lecture de la strophe n’est assurément pas à négliger : E cant venc un dia d’una domenga, era ben meitzdia passatz que non avian manjat ni begut e la fams lo destreingnia mout. L’éditeur médiéval comprend donc non oi mais, “désormais”, mais oi au sens de “aujourd’hui” qu’il précise par una domenga, ce qui cadre bien avec le vers 5 : lo plus rics jorns es huoi de la setmana. Dès lors, il faut comprendre que mais porte sur maitis : comme le matin s’arrête à midi, mais maitis signifie donc “à midi passé”, ce qui devient dans la razon : era ben meitzdia passatz.
Il est, par ailleurs nécessaire de préciser deux points de vocabulaire avant de poursuivre. Disnar correspond au repas du matin, comme l’a compris Schultz-Gora et ainsi que cela ressort de ce passage des Mémoires (6) où Commynes raconte qu’à l’aube, alors que “le jour estoit ung peu haulsé et esclarsy”, les seigneurs, qui avaient vainement attendu la bataille après une alerte nocturne, “s’en allèrent ouyr messe et disner”. D’autre part, le sens d’ostau ne doit probablement pas être précisé jusqu’à “auberge”, comme le note Mme Thiollier (7) : “on voit que le terme d’ostau est d’un emploi général et désigne ici tout hébergement”.
En ce qui concerne maintenant le groupe Ges de disnar non fora, Levy (S. W. t. III, p. 213) propose deux constructions : m’es de au sens de “es ist mir gelegen an, ich kümmere mich, ich mache mir etwas aus” et no·n es res : “es ist nichts damit, es ist nicht der Fall”. Si l’on adopte la première construction, en supposant sous-entendu un démonstratif au datif comme antécédent du qui du vers 2, on obtient un sens : “il ne se soucierait pas (ou il n’aurait pas à se soucier) de son petit déjeuner aujourd’hui à midi passé, celui qui se serait logé en un endroit où il aurait tout le confort”. Si l’on préfère la seconde construction, qui paraît plus simple, on arrive à : “il ne serait pas question de prendre le petit déjeuner aujourd’hui à midi passé, si l’on s’était logé ...”. En effet, il n’y a aucune difficulté dans l’emploi de ges à la place de son quasi-synonyme res et tous les manuscrits, sauf F, indiquent non qui peut s’écrire no·n.
 
v. 6 : m’estar soau
Levy (O. C., S. W. 7, 866 b), qui donne à estar soau le sens de “être tranquille, garder le silence”, trouve ce vers obscur. Tous les éditeurs comprennent estar au sens de “être”. Kastner (L. C.) pense qu’il est aussi possible d’interpréter soau comme un adverbe et estar comme un impersonnel construit avec le datif, ce qui donnerait ; “et les choses devraient aller agréablement pour moi”, ce qui permettrait d’éviter la répétition du mot-rime soau. Je préfère garder le sens ordinaire de estar soau, “se tenir tranquille” : Bertran signifie ainsi qu’il devrait s’abstenir de chanter, car la situation lui est déjà assez favorable sans qu’il prenne cette peine. On rencontre cette construction chez G. de Bornelh (éd. Kolsen, nºXXXIV, v. 1) : Tot gen m’estav’e suau et en patz.
 
v. 7 : Na Lana
Cf. pp. LXXVII-LXXVIII de l’Introduction.
 
v. 11 : Mos Bels-Seigner e mos Bels-Cembelis
Cf. pp. LXXV-LXXVII de l’Introduction.
 
v. 15 : cotidiana
Cet adjectif fait naître une fort belle métaphore. Bertran compare au pain quotidien l’amour qu’il éprouve pour sa dame : il en a un besoin aussi vital.
 
vv. 21-23.
Ce passage est très obscur. Le manuscrit A indique : e car etz tant sobr’autras sobeirana vostra valors n’es plus au q’onrada n’er la corona romana. Les autres manuscrits lisent es au vers 21. F se distingue en indiquant e au lieu de n’es au vers 22 et n’es au lieu de n’er au vers 23. Appel choisit de noter es avec DFIK au vers 21 et introduit n’er au vers 22. Le sens serait alors : “et puisque votre valeur est tellement au-dessus des autres, elle le deviendra encore plus ...” et le vers 23 serait l’explication attendue. Comme le conseille Kastner (L. C.), je m’en tiens au manuscrit A, mais le sens n’est pas plus évident. Bertran veut-il dire que le fait qu’elle soit supérieure à autrui accroît encore son mérite ?
 
v. 23.
S’agit-il d’une allusion à la rivalité entre Barberousse et Henri le Lion avec une nette prise de parti de Bertran, ou d’un compliment général, comme celui qu’on trouve chez Peire Vidal (éd. Anglade, nºVI, vv. 17-20) : Ab color vermelh’e blanca, fina beutatz vos faissona ad ops de portar corona sus en l’emperial banca?
 
v. 27.
Selon Thomas, il s’agit de Richard Cœur de Lion ; selon Kastner, ce serait Henri II. Les deux princes peuvent attendre, à des degrés différents, ce titre de la part de Bertran. L’opinion de Thomas est appuyée par la présence de Richard dans la première strophe, celle de Kastner par le fait que c’est généralement en ces termes que Bertran s’adresse à Henri II, encore que certains passages, comme celui-ci, laissent place au doute.
 
v. 31 : Catalana.
De tous les exemples cités par Stimming 3 (p. 206), par Anglade (8) et par Chabaneau (O. C. p. 206), il ressort que les Catalans jouissaient auprès des troubadours d’une excellente réputation de libéralité et de belles manières. Je me contenterai de citer comme exemple le refrain de la rotruenge de Guiraut Riquier: Entre·ls Catalans valens e las donas avinens (9).
 
v. 32.
Faut-il voir ici un éloge des dames de Fanjeaux, célébrées par Peire Vidal : Mos cors s’alegr’e s’esjau per lo gentil temps suau e pel castel de Fanjau que·m ressembla Paradis, qu’amors e jois s’i enclau e tot quant e pretz s’abau e domneis verais e fis (éd. Anglade, nºIX, vv. 1-7) ? Appel (O. C. “Beiträge ... II”) préfère y voir un jeu sur les mots fan (“faire”) et jau (“joie”) et propose de traduire: “Freudenstadt”. C’est sans doute ce qu’avaient compris les copistes de IK qui indiquent : fairjau. Défendant le même point de vue, Thomas (p. 123) note: “Il est fâcheux pour les dames de Fanjaux que la réputation d’amabilité que leur fait Bertran de Born ait l’air d’avoir comme principal fondement le besoin de la rime”. Encore faut-il noter que la forme normale serait Fanjaus.
 
v. 39 : Corrozana.
C’est probablement encore la rime qui cause l’apparition du Khorassan, province de la Perse. À ce propos, Andresen (10) cite Daude de Pradas: Qu’ieu ai mai, s’aquesta conquier de benanans’ab un denier que·l soudas ab Corrosana (Appel, Prov. Inedita 88) ; il faut y ajouter Marcabru (éd. Dejeanne, XXI, strophe VII) : sist falsa gent crestiana Qu’en crim fec fremilha, A la fi ves Corrossana Vira l’escobilha, Que·l baptismes de Jordana Lur notz e·ls perilha.
 
v. 41v : Na Maier.
Placé à la fin de cette poésie, ce senhal peut difficilement désigner une autre dame que Mathilde ; on pourrait à la rigueur penser à Aliénor, mais la situation historique rend cette hypothèse peu vraisemblable. Selon Stimming 3 (p. 206), Bertran aurait intentionnellement choisi un senhal proche du nom occitan de la princesse : Maheut. Cf. p. LXXVIII.
 
 
Notes:
 
(1) “Vermischte Beiträge zum Altprovenzalischen” in Zeitschrift für romanische Philologie, LIX, 1939, p. 67. ()
 
(2Los Trovadores, t. II, p. 694. ()
 
(3Las cançons dels trobadors, p. 260. ()
 
(4) “Beitrage zur Textkritik  ...” in Nachrichten der Gesellschaft ... nºII, p. 52. ()
 
(5Modern Language Review, “Notes on the poems ...”, nº27, 1932, p. 416. ()
 
(6) éd. Calmette, t. I, p. 74, 1. 3-6. ()
 
(7Les poésies satiriques et morales des troubadours du XIIº siècle à la fin du XIIIº, Paris, 1978. ()
 
(8Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans, 1909-1910, p. 17. ()
 
(9) Martín de Riquer : Los Trovadores, t. III, p. 1615. ()
 
(10) Literaturblatt für germanische und romanische Philologie, 1880, nºIV. ()

 

 

 

 

 

 

 

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