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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,015- Bertran de Born

vv. 1-2.
Il est possible de construire le verbe escondire en le prenant absolument : “Je proteste de mon innocence”, ou en lui donnant le vers 2 pour complément : “je nie la faute que ...”
 
v. 7.
On trouve un autre type d’escondich chez Raïmbaut d’Aurenga (éd. Riquer, Trovadores, nº77, vv. 50-54) : Dona, ja mais esparvier no port, ni cas ab serena, s’anc pueys que·m detz joi entier, fui de nulh’ autr’ enquistaire.
 
v. 8.
Selon Kastner (O. C., M. L. R. nº27, 1932, p. 405), les faucons dont le corps était recouvert d’un duvet laineux (lanarius) étaient considérés comme inaptes à la chasse. Ainsi l’orgueil du chasseur serait d’autant plus atteint que son épervier serait tué par un oiseau de basse espèce. Même si, selon des auteurs plus récents (1), le mot lanier n’a rien à voir avec lana, le raisonnement de Kastner est juste. M. Evans cite Albert : Nous voions les laniers qui de leur nature sont si tardiz et couars qu’ilz ne prennent sinon les souriz ou mulos et jeunes oisiaulz allans a terre ou ancor en l’aire, et toutefoiz par bonne doctrine et façon on les fait voler et prendre bons et puissans oisiaulx, avant d’expliquer : “en somme, le lanier avait certains défauts en tant que faucon : il ne chassait pas toujours les oiseaux de rivière tant aimés de son maître, il gardait quelquefois son goût naturel pour les petits rongeurs, il était glouton, son dressage était difficile, il ne revenait pas toujours au rappel (reclaim) de son maître, et parfois il refusait obstinément de partir à la poursuite du gibier”(2).
 
vv. 10-12.
Il s’agit ici d’un cliché de la poésie amoureuse comme en témoignent ces vers de Berenguer de Palou (éd. Riquer, Trovadores, nº42, vv. 33-35) : Per qu’ieu am mais, quar sol albirar n’aus, que vos puscatz a mos ops eschazer qu’autra baizar, embrassar ni tener et surtout les protestations réitérées d’un Arnaut de Mareuil (éd. Johnston) : Francx cors gentils, on pretz e jois s’enten, lo dezirier am mais de vos e vuelh qu’aver d’autra tot quan de vos dezir (4. 15-17), Mais am de vos lo talen e·l desir que d’autr’aver tot so c’a drut s’eschai (8. 19-20), Anz la voill mais amar desesperatz, que d’autr’aver totas mas voluntatz (9. 4-5).
 
v. 17 : mon compaignier
Cf. p. CXXVI, note 6.
 
Strophe IV.
En dépit des savants paragraphes consacrés par Appel (O.C. “Beiträge  II”  pp. 42-46) et par Kastner (L. C.) à cette strophe, notre ignorance des règles du jeu de tables, le prédécesseur du trictrac au moyen âge, nous empêche de saisir les détails de ce passage. Une de ses difficultés majeures provient du verbe baratar, auquel Appel (L.C.) consacre une remarquable étude. C’est en s’inspirant du contexte que Stimming 3 lui donne le sens de “gagner” que Thomas précise par “au jeu” et M. Lafont par “sans peine”. Bien que Appel, qui signale la possibilité de comprendre “tricher”, l’écarte, faute d’exemples parallèles, au profit de “emprunter”, je lui préfère les sens de “trafiquer, frauder”, bien attestés (3). On peut citer par exemple : promiserent e ju (r)erent los dichs frayres esser bons e leyals et luy rendre bon et leyal conte al dich mess. Guillem et as sieus, et non lo mescontentar ne barratar en sa dicha mitat de touts los profiechs sobredichs (4).
Le second malheur consiste à ne pas même parvenir à entrer dans le jeu, parce que les tables sont prises, c’est-à-dire, comme l’indique Kastner, parce que, les cases étant occupées par les pions de son adversaire, on ne peut y placer les siens. On relèvera à ce propos l’allusion plaisante au même accident du jeu que l’on rencontre dans Flamenca (éd. Nelli-Lavaud, v. 302): Tuit van jugar a taula mesa.
Enfin, au surplus, loin de réaliser le coup de dés qui lui permettrait de faire avancer ses pions, Bertran répèterait indéfiniment le plus mauvais coup, celui qui vous contraint à faire marche arrière. À propos du vers d’Arnaut Daniel Torn ieu en reirazar (III, v. 28), l’éditeur, M. Toja note : “il vocabolo composto (reir, retro, e azar, dado, dall’arabo az-zahr) indica una mossa in perdita al gioco dei dadi, in seguito alla quale si deve spostare indietro la pedina” (p. 209) (5).
Ainsi donc l’accumulation des malédictions serait la suivante : ne pas pouvoir tricher, ne pas pouvoir entrer dans le jeu à cause de la forte position de l’adversaire et vous heurter toujours au chiffre qui fait reculer votre pièce, alors même qu’elle n’a pas encore réussi à entrer en jeu.
 
v. 23.
Ce vers présente dans AB une césure épique. Le groupe DIK lit : S’ieu autra domna (dompna F) deman ni enquier (enqier F). R propose : S’ieu mais autra dona am ni enquier et T : Si domna pret ni razon ni enquier. Thomas a corrigé : S’ieu autra en S’autra (p. 108) tandis que Stimming 3 (p. 121) et Appel (p. 9) suppriment le mais, solution qu’appuie Kastner (L. C.) qui fait remarquer que tout au long de la chanson Bertran insiste sur le ieu, toujours exprimé après la conjonction.
 
vv. 25-26.
Bertran ne manque ici ni d’esprit, ni d’ironie : en effet, cette douloureuse situation de copropriétaire d’un château indivis était précisément la sienne. Le malheur qu’il se souhaite ne consiste donc qu’à augmenter d’une ou deux unités (on se demande si le troisième frère, Itier, était aussi copropriétaire d’Hautefort) le nombre des copartageants. On sait que cette situation n’avait rien d’extraordinaire, et le biographe de Raimon de Miraval nous apprend que non avia mas la quarta part del castel de Miraval (6).
Parsonier fait difficulté : si cela signifie “copartageant” (Raynouard, Lexique roman, t. IV, p. 434), “copropriétaire” (Thomas, Stimming, Riquer, Lafont), comme le ferait penser l’article parsounie du Tresor de Mistral, il faut alors admettre que Bertran a sacrifié la déclinaison aux nécessités de la rime. Il ne me semble pas possible d’adopter la correction de Kolsen Segnor ai’eu de castel parsonier, au sens de “Puissé-je avoir un seigneur copartageant”, puisque le poète précise qu’ils sont quatre dans la tour. Je préfère suivre l’interprétation de Diez, Levy, Jeanroy et Appel qui donnent à cet adjectif le sens de “partagé, commun à plusieurs personnes” en s’autorisant de l’afr. parçonier que Godefroy traduit par “commun, mitoyen”, même si Stimming 3 (p. 200) fait remarquer que l’on ne trouve pas de confirmation de ce sens en langue d’oc et qu’on ne le rencontre que dans des textes non littéraires en afr. On peut penser comme Appel qui, dans son glossaire, indique pour ce mot tout à la fois le sens de “copropriétaire” et celui de “qui se trouve en copropriété”, qu’il y a là un seul sens, mais deux emplois (cf. envios 40.9), selon les mots de M. Sindou.
Enfin, pour l’argument de Stimming selon qui on ne saurait parler du seigneur d’un château indivis, il n’empêche pas le biographe de Gui d’Ussel d’écrire : el e sei fraire e sos cosins N’Elias eron seingnor d’Uisel (Boutière, Schutz, Clusel, O. C. p. 202) ni celui de notre troubadour de nous informer qu’il était seigner d’un castel que avia nom Autafort (p. 1).
 
v. 31.
Pour Kastner, le sens de ce vers serait : “et puis, que je ne sache pas ce qui me serait d’une quelconque utilité” (lbid.). Selon M. Bergin (7), il faut comprendre : “e poi che io non sappia a chi rivolgermi”. Enfin, M. Lafont (Trobar, p. 173) traduit : “et que j’aie besoin, je ne sais de quoi”. Je me demande à qui il serait le plus désagréable de devoir recourir pour le poète, à la dame qui l’a abandonné ou à son rival plus heureux ?
 
v. 34
Chabaneau (O. C.) se demande si le grand amateur de littérature épique qu’est Bertran ne pense pas ici au roman d’Aïol.
 
v. 35.
C’est se souhaiter une terrible honte, comme le montrent les vers 2440-2441 de Raoul de Cambrai : Mal dehait ait qi ... de l’estor premerains s’en fuira.
 
v. 37.
M. Benoist parle des “autours très estimés dans la France du midi” (8). Cf. notes à 8,59 et 20, strophe V.
 
v. 41 : gaillinier
Signifie : “qui chasse les poules” (Levy, S. W. t. IV, pp. 24-25). On trouve après le nom de l’oiseau de proie un adjectif formé sur le nom de l’oiseau qu’il est affaité pour chasser. “La fauconnerie française, enrichissant son vocabulaire de multiples manières, utilisa aussi les termes appropriés au dressage, au genre de chasse pour lequel un oiseau de proie était destiné. L’affaitement même lui assigna son nom : l’oiseau du héron devint le héronnier, celui de la grue, le gruier” (9). On trouve ainsi chez Bertran austor anedier (v. 37), austor e falcon gruier (20.29).
 
Strophe VIII.
Sallar a, selon Levy, le sens de “revêtir, mettre”. Pour Chabaneau (O. C., R. L. R. nº31, p. 606), cela signifie “couvrir, abriter” et il veut donner un sens actif à cette forme passive qu’il souhaiterait traduire par “pour m’abriter”. En ce qui concerne traversier, Chabaneau suggère le sens de “qui est ou peut être traversé” par la pluie. Levy, qui préfère comme Raynouard et Stimming le sens de “posé de travers”, rétorque que la capo traversiero (Mistral, Tresor) est une “cape noire que les prud’hommes pêcheurs portent sur l’épaule”, et non pas une cape que la pluie traverse.
M. Sindou me communique que sagulum, “petit manteau” R.E.W. 7515 a donné prov. saile, avec à Saint-Afrique (abbé Vayssié) la variante salle “manteau en général, mais spécialement roulière”. Qu’était salle, ou mieux saile, pour Bertran ? Nous ne savons : en Haut-Quercy, c’est un carré de toile de sac que l’on met sur le dos d’un bœuf. Pour se garantir d’une pluie de tempête (ab tempier au vers d’avant), notre homme met sur sa tête, qui est coiffée, sinon une misérable toile de sac, du moins quelque chose d’assez piteux et là-dessus ou plutôt là-dessous la coiffure se met de travers ; comprendre donc : “et porter sous un saile un chaperon qui s’est mis de guingois”.
Dans le vers 49, la malédiction est double : porter des étriers longs sur un cheval courtaud rend sûrement ridicule le cavalier, avec ses pieds qui traînent à terre ; les étriers longs sur un cheval qui trotte enlèvent au cavalier tout point d’appui qui lui permette d’éviter les inconvénients de cette allure. Le moine de Montaudon devait dire dans un enueg : et enueia·m rossi trotaire (éd. Routledge, X, v. 5).
 
 
Notes:
 
(1) Mme Lindfors-Nordin pense que le lanier serait le faucon “affaité pour le vol de l’âne, c’est-à-dire du canard sauvage”. Cité par Dafydd Evans. ()
 
(2) Dafydd Evans, Lanier, Histoire d’un mot, Genève, 1967, pp. 41-42. ()
 
(3) Levy, Petit dictionnaire ... p. 41. ()
 
(4) Pansier, Histoire de la langue provençale à Avignon, p. 136. ()
 
(5) Pour plus de précision, Cf. Semrau, Würfelspiel. ()
 
(6) Boutière, Schutz, Clusel, Biographies des Troubadours, p. 375. ()
 
(7Bertran de Born, Liriche, Varese, 1964, pp. 74-75. ()
 
(8) J. O. Benoist : “La chasse au vol. Techniques de chasse et valeur symbolique de la volerie” in la chasse au Moyen Age, actes du colloque de Nice, 1980, p. 120. ()
 
(9) Mme Lindfors-Nardin, citée par Dafydd Evans, O. C. ()

 

 

 

 

 

 

 

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