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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,023- Bertran de Born

v. 1 : mogut
Le verbe mover présente ici le sens de “mettre en mouvement, proposer, inciter à” alors que mandar signifie “commander, faire savoir par l’entremise de”. À propos de ce mot, Levy (O. C., Lit. Blatt. nº6) s’interroge sur la répétition des mots-rimes, en principe interdite, mais particulièrement fréquente dans ce poème. C’est ainsi que l’on rencontre mogut (vv. 1 & 24), romput (vv. 6 & 34), tendut (vv. 16 & 36), vengut (vv. 19 & 25) et atendut (vv. 7 & 44). Même si l’on admettait de faire appel aux leçons des divers manuscrits, on ne pourrait éviter totalement la répétition de mots-rimes, puisque tous les copistes répètent romput.
 
v. 2 : N’Araimon
Il est difficile de savoir si l’on doit écrire Na Raimon ou N’Araimon. Comme la forme Na surprend devant un nom masculin, Thomas (Romania, nºXXII, p. 591) a vu dans ce prénom un gasconisme, dû à l’origine de ce Raimon d’Esparron, ingénieuse explication qu’ont admise Chabaneau (O. C., R. L. R., nº32, p. 202) et Kastner (O. C., M. L. R. 1933, nº28, p. 38-39). On sait qu’une des caractéristiques du gascon consiste à placer une voyelle prosthétique devant le r initial. Cette hypothèse serait confortée par le vers 41 de la chanson nº21 : Sirventes, vai a·N Raimon Gausseran où un noble catalan reçoit le prénom ordinaire de Raimon. Toutefois, Levy (O. C., S. W., t. II, p. 410) fait remarquer que cette forme na apparaît devant d’autres prénoms masculins sans que de semblables considérations puissent intervenir. Toutefois, comme la forme W. Aramon est attestée dans le recueil de Clovis Brunel (306. 28) pour une charte d’Agen en 1197, la meilleure solution me paraît être d’accepter cette forme. Pour une discussion du cas de N’Aenrics, cf. note à 11.7.
 
v. 5 : alcoto
Selon Martin-Chabot (glossaire de la Chanson de la Croisade), le hoqueton est une casaque de forte toile qui, portée sous le haubert, protégeait le corps.
 
v. 7 : l’
Ce pronom, qui représente sans doute le comte, ne figure que dans les manuscrits A (l’o-) et DFIK (li o-) ; c’est, à mon sens un complément de l’impersonnel sia atendut.
 
vv. 11-12.
blastimariant(A) présente un pied de trop ; les autres manuscrits indiquent : blastimaron (DIK), blastemaran (F), blasmarion (C), blasmerian (M) et blasmarian (R).
Le raisonnement n’est pas très clair. Levy (Archiv ... 1921, nº142, p. 265) se demande pourquoi ce seraient précisément les Gascons qui pourraient reprocher ses hésitations au poète, pourquoi il se sent obligé envers eux. On pourrait suggérer que, comme les barons gascons apparaissent parfois aux côtés des Aquitains (cf. chanson nº10, strophe III), c’est par leur intermédiaire que Bertran se sent lié au comte de Toulouse.
 
v. 13.
Cet étrange moyen de situer Toulouse doit sans doute beaucoup à la rime. De la même façon, Peire Vidal (éd. Anglade, nº43, v. 68) indique : A Tholoza part Caramanh. Il s’agit pour Appel de Montagu-de-Quercy et pour Thomas d’une commune du canton de Grenade, située à 22 km. de Toulouse. Thomas cite encore deux communes du nom de Montégut dans la Haute-Garonne.
 
v. 15.
“Il y avait en effet à Toulouse un emplacement qu’on appelait le Prat comtal, qui est mentionné notamment par Guilhem Pélisso, dans sa chronique, sous le nom de Pratum comitis ... On a encore aujourd’hui ... la rue & la place du Peyrou ...” (Thomas, O. C. p. 4, note 5). D’ailleurs, Peire Vidal parle également de ce quartier : E lonhat del Peiro (éd. Anglade, XX, 88).
 
v. 17.
L’apparat critique rend compte de la diversité des leçons des manuscrits. Le texte de A serait cohérent, n’était, comme le fait remarquer Levy (L. C.), que Bertran n’a jusqu’à présent mentionné que le comte de Toulouse, ce qui rend le lor surprenant. Selon lui, il est vraisemblable qu’ait existé une leçon initiale : E nos lotjarem. On aurait ensuite lu par erreur lor pour lot-, ce qui rendait incompréhensible la suite du mot. Certains copistes l’ont laissée telle quelle (IK), d’autres l’ont remplacée par un autre verbe. M a renoncé au E du début et a suppléé la syllabe manquante en introduisant alotjar, tandis que C, lisant mal lotjarem, l’a remplacé par lo penrem et, délaissant le E introductif, y a remédié en introduisant tot enviro. Ainsi donc l’hypothèse d’une leçon initiale E nos lotjarem permet d’expliquer toutes les leçons et d’écarter l’incompréhensible lor. L’explication de Levy est tout à fait séduisante, mais on peut en contester la prémisse : lor n’est plus incompréhensible si, à côté du comte de Toulouse, on place les Gascons du vers 11. Au demeurant, Bertran peut fort bien songer au comte, accompagné de ses hommes : un tel passage du singulier au pluriel n’est pas rare. Ainsi, dans la Croisade des Albigeois (éd. Martin-Chabot, t. II, p. 12, vv. 22-25), on lit : Puis ira a Bezers per forsa e per vigor No laissara crozat en castel ni en tor De lai de Monpesler entro a Rocamador Que no·ls fassan morir a dol e a tristor. Il en est de même dans Flamenca (éd. Nelli-Lavaud, vv. 7489-91) : No·us penses pas ses lum anes Guillems de Nivers, ni de pes, Ans foron tut em palafres ... ; on pourrait encore citer un exemple emprunté à Bertran lui-même en 12.9. Pour des exemples en langue d’oïl, cf. S. Sandqvist dans la Revue de Linguistique Romane, nº43, 1979, p. 292 sq.
 
v. 18 : nut
On a proposé pour ce mot les sens de “sans toit” et “sans armes”. Levy (Ibid. p. 266) fait remarquer que ce terme n’a le sens de “sans toit” en aucune langue romane. Thomas (O. C. p. XXI) explique nut par “sur la terre nue”. Enfin Kastner (O. C. p. 39) donne l’interprétation suivante : les gens du camp sont si nombreux qu’il faudra attendre trois jours avant qu’on ait dressé le nombre de tentes nécessaires. Toutefois, les questions de Levy restent posées : qu’est-ce qui empêche donc de dresser les tentes ? Et que peut faire à une troupe en campagne de bivouaquer à la belle étoile ? Peut-être faut-il remarquer que, dans le vers précédent, Bertran annonçait que le comte avait déjà planté son pavillon : n’y aurait-il pas une note amusante à opposer le sort du grand seigneur dont on se préoccupe immédiatement des aises et celui des autres, ces guerriers pauvres auxquels Bertran aime tant à s’assimiler (Cf. nº20, strophe III), qui devront attendre trois jours avant qu’on dresse une tente pour eux ?
 
vv. 23-24.
A et F indiquent precs, de même que R (precx) et M (prec) ; on trouve pretz dans les autres manuscrits. L’emploi de prec après somo paraît quelque peu redondant, à moins qu’en donnant, comme le glossaire de Thomas, à somo le sens de “appel adressé par le seigneur féodal à ses vassaux”, on n’oppose ceux que le droit féodal contraignait à venir et ceux que leur seule volonté a conduits au combat. De toute façon, je ne peux que partager l’opinion de Levy, selon qui, en faisant les comptes, on n’aime pas avoir la mauvaise surprise de constater l’absence de ceux qui combattent pour la plus noble cause qui soit pour un chevalier, la gloire. Pour la forme distributive, Kastner renvoie à la Grammaire des Langues Romanes de Meyer-Lübke (III, p. 223).
 
v. 26 : mesclar s’a
Kastner renvoie à G. Rohlfs (Archivum Romanicun VI, p. 105 sq.) à propos du futur séparable.
 
v. 30 : drut
Selon Kastner, si l’on prend ce mot comme un adverbe au sens de “dru”, cela entraîne une redondance avec le vers 28. Il propose en conséquence d’y voir un nom signifiant “ami fidèle”. Il pense même qu’il pouvait avoir le sens de “fort, robuste”. Comme un tel emploi n’est pas attesté en occitan médiéval, on serait tenté de s’en tenir à la forme adverbiale qui complète bien la description des coups, à la fois puissants (grans) et redoublés (drut), mais en fait cela revient alors à répéter à une très courte distance l’expression soven e menut du vers 28 (peut-être ces adverbes n’ont-ils que le sens de “souvent”, comme inciterait à le croire l’emploi de la même formule par Chrétien de Troyes, dans le Cavalier au Lion : de garçons avra un millier avoec lui sovent e menu, qui seront poeilleus et nu (vv. 4115-6) que Mario Roques, l’éditeur, traduit dans son glossaire par “à nombreuse reprise” ?). Il me paraît préférable de supposer que l’adj. gaulois drut, “vigoureux”, qui a abouti en oc. moderne à la forme drut de même sens, a dû, même si celle-ci n’y est pas attestée, passer par la langue médiévale. On trouve dans le Trésor du Félibrige pour l’adjectif drud le sens “rude” pour le Limousin. On arriverait ainsi à “nous frapperons, rudes (= avec rudesse), de si grands coups”. M. Sindou explique que cet emploi de l’adjectif à la place de l’adverbe n’est pas rare en occitan, comme le montre en 11. 9 la formule malvatz fai : “il se comporte comme un médiocre”.
L’emploi de los pour le cas oblique indirect est rare, mais bien appuyé par les manuscrits  ; de plus, on rencontre la même forme chez Gaucelm Faidit (éd. Mouzat, 50, 45) et un pronom appuyé -ls dans la Chrestomathie de Bartsch (390, 29).
 
vv. 33-34.
À propos de ces tissus, Françoise Piponnier (“À propos de textiles anciens” in Annales Économie, Société, Civilisation, nº VII/VIII, 1967, 22º année, nº4) note : “il semble que ces ... termes aient désigné d’abord des draps précieux façonnés : cendal et samit ont déjà un long passé derrière eux au début du XIVº lorsqu’apparaissent le taffetas et le satin.” Il semble qu’il s’agisse dans les trois cas d’étoffes de soie : le cendal comporte une armure de toile, le samit est un sergé sur six fils comportant des chaînes cachées à l’intérieur de la pièce et le siglaton est un “brocart de soie très riche, fabriqué à Bagdad, en Perse et en Arménie, que désignait le mot arabe siklatoun” (Chanson de la Croisade, éd. Martin-Chabot, t. I, p. 29).
 
vv. 35-36.
Dans Flamenca, on rencontre ces vers : Assaz i ac tendas e traps Et alcubas de divers draps E paballos de manta guiza (205-207) que Nelli et Lavaud, les éditeurs, traduisent par : “Il y eut là un grand nombre de tentes à cordes, à poutrelles, tentes à panneaux de draps divers, et pavillons de mainte guise”.
 
v. 37.
Rien ne confirme que le roi Alphonse ait jamais perdu Tarascon ; comme la Provence est l’enjeu de cette guerre, sans doute cette ville la représente-t-elle. Il pourrait bien s’agir alors d’une forfanterie : Bertran donne le combat pour déjà gagné, aussi le roi d’Aragon est-il qualifié de vencut au vers 52 et a-t-il perdu Tarascon.
 
v. 38 : Mon-Albeo
Dans le Pouillé de Toulouse, on rencontre dans le glossaire des formes Mons Albedo 653 c et Mons Arbedo 640 c, et dans les textes : monte albadone (653 c) et monte arbedone (640 c). La forme monte arbedone semble bien être à l’origine du Mont Arbezo de C. On pourrait supposer qu’une forme intermédiaire monte albedone avec chute complète de la dentale intervocalique, ce qui est un traitement caractéristique du Limousin (Cf. Anglade, Grammaire, p. 155, nº2), pourrait aboutir au Mon(t) Albeo(n) des autres manuscrits. Il s’agirait alors du couvent de Monterbedon ou Monterbezo qui se trouvait à quelques kilomètres de Montpellier. Cette appellation désignerait alors Guilhem VIII de Montpellier. Kastner (O. C. p. 40-41) pense que la leçon originale était Monalio et qu’il est question de Bernard d’Alio, baron d’Usson et vassal d’Alphonse II.
 
v. 39.
Rotgiersest sans doute Roger II, vicomte de Béziers et de Carcassonne ; le fils de Bernard Aton est Bernard Aton VI, vicomte de Nîmes et Agde jusqu’en 1187.
 
v. 40.
Peire de Lara fut désigné par Ermengarde comme son héritier en 1177 et lui succéda de 1192 à 1194.
 
v. 41.
Roger-Bernard fut comte de Foix de 1149 à 1188 ; Bernard IV fut comte de Comminges de 1181 à 1226.
 
v. 42.
Sancho, frère d’Alphonse II, succéda à son frère Ramon-Berenguer comme lieutenant du roi d’Aragon en Provence de 1181 à 1185.
 
v. 44 : atendut
Pour Kastner, Bertran dit ironiquement aux alliés d’Alphonse qu’on s’occupera d’eux. Selon M. Ehnert (Möglichkeiten politischer Lyrik in Hochmittelalter. Bertran de Born und Walther von der Vogelweide, Francfort, 1976, p. 9) le sens serait : “on leur préparera des tentes”.

 

 

 

 

 

 

 

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