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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,033- Bertran de Born

v. 1.
Ventadorns : Eble IV Archambaud, attesté selon Appel (O. C. Die Lieder, p. 143) jusqu’en 1184, l’un des quatre vicomtes du Limousin, était “le seigneur le plus puissant des hautes terres limousines” (M. Boussard, O. C., p. 142). Ventadour est aujourd’hui un hameau de la commune de Moustiers-Ventadour (Corrèze).
Comborns: “Dans les vallées de la Vézère et de la Corrèze, et peut-être jusqu’à la Dordogne, s’étendait la puissante vicomté de Comborn, dont la famille vicomtale a des origines communes avec celle de Limoges” (M. Boussard, L. C., p. 140). Le vicomte était alors Archambaud V, qui est attesté jusqu’en 1184. Il subsiste aujourd’hui quelques ruines du château dans la commune d’Orgnac (Corrèze).
Segur : Le château de Ségur (Corrèze) appartenait alors aux vicomtes de Limoges, en la personne d’Aimar V, vicomte de 1148 à 1199, l’un des ennemis les plus déterminés de Richard.
 
v. 2.
Torena : “L’extrémité méridionale du Limousin était occupée par une grande seigneurie, la plus importante de la contrée : la vicomté de Turenne... Ses seigneurs, chefs d’une maison illustre et apparentés aux plus grands feudataires du royaume de France, faisaient figure de souverains” nous dit M. Boussard (Ibid. p. 143), qui a depuis encore précisé que l’autorité des vicomtes de Turenne “s’étend sur le territoire compris entre la Vézère et la Dordogne et, au sud de cette rivière, depuis les environs de Brive jusqu’à ceux de Grammat et de Rocamadour... Ils paraissent n’avoir avec le duc d’Aquitaine, leur seigneur, que des rapports sans doute plus lâches que ceux qu’entretiennent les autres maisons nobles du Limousin” (“Les origines de la vicomté de Turenne” in Mélanges Crozet, Poitiers, 1966, p. 111). Jusqu’en 1191, le vicomte de Turenne était Raimon II.
Monfortz : Selon Thomas (O. C., p. 12), le seigneur de Monfort (Dordogne) était Bernard de Casnac, gendre de Raimon de Turenne.
Gordo : Le seigneur de Gourdon (Lot) était Guilhem (cf. 16. 15). Il semble, selon Stroński (O. C. Légende, p. 57-58), que des liens aient existé entre les seigneurs de Gourdon et de Monfort.
 
v. 3.
Peiregors : Hélias VI Talairan, comte de Périgord jusqu’en 1203, fut lui aussi un farouche opposant à Richard.
 
v. 9.
Selon Stroński (Ibid. pp. 121 & 138), Grignols (Dordogne) passa sous le pouvoir des comtes de Périgord lors du mariage d’Aïna de Montignac et Grignols avec Boson III, comte de Périgord, après 1032. Le titre en sera porté par Boson IV. Le fief de Puy-Guilhem (Dordogne) se trouvait lui aussi dans la mouvance des comtes de Périgord, puisqu’un frère de Boson IV de Grignols se nommait Audebert de Poi-Guillem. En fait, il s’agissait sans doute d’apanages de la famille comtale. Clérans (commune du Causse de Clérans en Dordogne) était, selon le Dictionnaire topographique du départenent de la Dordogne (Paris 1873), une ancienne châtellenie dont au XIVe siècle dépendaient dix paroisses.
 
v. 10.
À propos de Saint-Astier (Dordogne), le même ouvrage nous apprend que la “justice était commune entre le chapitre et le comte de Périgueux” (p. 284). Stroński relève la présence d’un Arnaud de Saint-Astier, soldat, comme témoin d’une donation faite par le comte de Périgord (Ibid. p. 24).
 
v. 11.
On rencontre une formule comparable chez Raïmbaut de Vaqueiras (éd. Riquer, Trovadores, 167, v. 32 : e cavalguem la nueg apres sopar, Vos e Guiot e Hugonet del Far E Bertaldo, que gent nos saup guidar, E mi meteys, que no mi vuelh laissar).
 
v. 12.
A : Et a sobrier totz Engolmes maior, C  (Et) a sorbier Engolesme maior, DFIK  E Torena et Engolmes maior. Stimming et Thomas ont écrit  Et a sobrier Engolesmes major, à quoi M. De Poerk (Romania nº 77, 1956) a préféré  et a sobrier en Engolmes, major en expliquant : “il s’agit d’ailleurs à chaque fois du même mot e, que nous corrigeons aux vers 12 et 35 en en”, tout en reconnaissant que ce point laisse à désirer (p. 441).
Je vois mal pourquoi le seigneur d’Angoulême serait seul qualifié par en. Il semble plutôt que dans ce sirventés le en n’est utilisé que pour les seigneurs appelés par leur nom (vv. 19 et 43). De plus, il serait plus juste de parler de seigneur d’Angoulême que de seigneur d’Angoumois. Le vers consacré au comte se justifie si l’on songe qu’à l’été 1182, après la reddition du comte de Périgord et du vicomte de Limoges, la famille comtale d’Angoulême restait seule face à son suzerain.
Pour une étude de la famille du mot sobrier, voir Stroński : Le troubadour Elias de Barjols, Toulouse, 1906, pp. 69-71.
 
v. 13.
Tout le monde s’accorde à reconnaître le Jeune Roi, sous ce qui est un sobriquet plutôt qu’un senhal, mais comment savoir à quoi Bertran fait allusion ? L’auteur de la razon explique que Richard avait enlevé à son aîné la taxe qu’il percevait sur les charrettes, mais cela semble bien une simple glose du sirventés. Il est peu probable que Richard eût admis que son père donnât à son frère une taxe à prélever en Aquitaine et l’on voit mal comment il aurait pu empêcher son frère de la lever sur les autres terres d’Henri II. Plus probable semble l’hypothèse de M. Lefèvre (cf. p. XLIV de l’Introduction) selon lequel notre En Charretier serait un souvenir des vers 683-4 du Chevalier de la Charrette : Et lors a dit li chevaliers, cil qui ot esté charretiers (éd. Frappier). On pourrait supposer que par guerpis la charreta, Bertran veut dire que le Jeune Roi, qui était monté dans la charrette en s’engageant à combattre Richard, l’avait abandonnée, perdant ainsi le bénéfice d’y être monté et n’en gardant que la honte, lorsqu’il s’était réconcilié avec son frère.
 
vv. 17-18.
Gaston VI, vicomte de Béarn (1173-1215), était aussi vicomte de Gabardan, un petit pays qui avait pour centre Gavarret (Landes). Au XIVe siècle, le comte de Foix prêtait encore hommage au roi d’Angleterre pour le Marsan-Gabardan.
 
v. 19.
Vézian VI, vicomte de Lomagne (1178-1221, d’après Appel), avait eu maille à partir avec Richard pendant la campagne que celui-ci avait menée en Gascogne en 1181. Richard ayant occupé Lectoure, Vézian était allé implorer son pardon à Saint-Séver, après quoi Richard l’avait armé chevalier le 15 août (cf. Alfred Richard, Histoire des comtes de Poitou, Paris 1903, t. II). Bernardos est sans doute Bernard IV, comte d’Armagnac (1160-1190).
Je pense avec Appel (Bertran von Born, p. 24) que si·s vol se rapporte, pour le sens, à tous les personnages des vers 17-20.
 
v. 20.
seigner d’Aics : selon M. Boussard (O. C., p. 30, note 2), “En fin décembre 1176, Richard assiégea et prit Dax et Bayonne, en luttant d’une part contre Pierre, vicomte de Bigorre, de l’autre contre le vicomte Arnaut-Bertrand.” Selon Kate Norgate (L. C.), c’est en 1178 que Richard aurait enlevé sa capitale au vicomte Pierre de Dax qui était allié au vicomte de Bigorre, Centule d’Astarac, comme le dit d’ailleurs M. Boussard (p. 519).
Cel cui es Marsans: “Le Marsan, pays de Gascogne, qui a eu pendant quelques temps des vicomtes particuliers. À l’époque de notre sirventès, il appartenait à Centule, comte de Bigorre, qui en 1177 & 1178 avait été comme le vicomte de Dax, en guerre avec Richard” (Thomas, O. C. p. 14). Kate Norgate précise que Centule fut capturé une première fois par Richard en 1178 ; selon A. Richard, les Dacquois, qui l’avaient pris, le livrèrent en 1179 à Richard auquel il dut remettre deux forteresses.
 
v. 25.
A : Sin taillaborc enponz delezinans, C : Si talhaborc e pont e lezinha, D : S itailliborcs epons elizignans, F : Si taillaborcs e pons ele signans, IK : Si tailliborcs elezignans. Il semble que le copiste de A ait été égaré par le mot Ponz qui est aussi un nom de personne : il a sans doute alors créé un Ponz de Lezinans qui a reçu le En accordé ensuite à Taillaborc. Il me semble préférable de suivre ici les autres manuscrits.
Taillaborc: “Le formidable château de Taillebourg était aux mains des Rancon” (Boussard, O. C. p, 127). Cette forteresse, qui passa longtemps pour imprenable, appartenait à Geoffroy de Rancon, un autre ennemi acharné de Richard, entre les mains de qui elle tomba le 8 mai 1180 selon K. Norgate et A. Richard (en 1176 selon M. Boussard).
Ponz: Ce château était tenu par un chevalier de Geoffroy de Rancon. Après la chute de Taillebourg, Geoffroy dut s’engager à livrer à Richard le château de Pons, mais cela ne l’empêcha pas de lutter jusqu’à sa mort contre Richard, allant même jusqu’à faire passer son hommage au roi de France en 1194. Taillebourg et Pons se trouvent aujourd’hui en Charente-Maritime.
Lezinans: Lusignan, “la plus notable seigneurie du cœur du Poitou” (Boussard, Ibid. p. 118) se trouve aujourd’hui dans la Vienne. Geoffroy de Lusignan, qui devait se rebeller en février 1188 avec Aimar d’Angoulême et Geoffroy de Rancon, se considérait comme lésé en tant qu’héritier de la Marche que son seigneur, Adalbert, avait vendue à Henri II en 1178.
 
v. 26.
Malleos: aujourd’hui Châtillon-sur-Sèvre (Deux-Sèvres). Comme le dit la razon, le seigneur en était Raoul de Mauléon, le père de Savaric. A. Richard (L. C.) nous signale sa présence dans l’entourage de Richard vers octobre 1182, dans le Talmondais.
Taunais: “Les ‘princes’ de Tonnay-Charente tenaient un fief encore plus considérable” (Boussard, Ibid. p. 126). Selon Thomas, le seigneur de ce château s’appelait Jaufré et, de fait, en 1185, on voit Geoffroy et Raoul de Tonnay mandés par Henri II (A. Richard, L. C.).
fos en pes: c’est ce que lisent AD et C (fos em pes) alors que les manuscrits FIK indiquent fossen pres, à quoi Stimming 3 s’est rallié. Thomas (Romania nº 22, 1893, p. 591-2) explique que “la locution esser en pes, ‘être sur pieds’, doit être gardée, car elle est en harmonie avec l’image du vers suivant...” Kastner (O. C., M. L. R. nº 28, 1933, p. 48) pense que le sens est davantage “être en train” que “être en bonne santé”. Le Petit Dictionnaire de Levy (p. 284) indique : d’en pes, de sos pes, en pes : “sur pied, debout” et c’est bien ainsi que Martín de Riquer traduit la locution dans un passage de Raïmbaut de Vaqueiras : Empres Er la ciutat en pes (O. C., Trovadores, nº 162, vv. 41-2).
 
vv. 26-28.
L’emploi du subjonctif imparfait fos dans les protases, de l’indicatif futur creirai dans l’apodose et la reprise du subjonctif imparfait dans la complétive régie par le futur montre quelle est la souplesse de l’occitan médiéval. Le français moderne ne permet pas de respecter une telle liberté.
 
v. 27 : Siurac
Civray (Vienne) se trouvait dans la Marche.
 
v. 28 : nos
A : vos, CDFIK : nos. Je ne vois pas pourquoi Bertran s’exclurait des bénéficiaires de l’aide des barons du Centre-Ouest. Une erreur de copie transformant nos en vos n’a pas de quoi surprendre. Tous les éditeurs ont suivi CDFIK, sauf M. De Poerk qui écrit vos, sans doute parce qu’il lit vos dans A et dans C, où je vois nos.
 
v. 29 : Cel de Toartz
“Quant au vicomte de Thouars, c’était sans contredit le plus puissant vassal du comte de Poitiers” (Boussard, Ibid. p. 115). Selon Thomas, le vicomte de Thouars (Deux-Sèvres) était alors Aimeri VII. Selon A. Richard (L. C.), Henri II avait rasé en 1158 le château de Geoffroy, vicomte de Thouars, et avait donné après 1160-61 le pays conquis à un Angevin, Aymeri de Bernezay. On retrouve d’ailleurs aussi un vicomte Aimeri de Thouars dans l’entourage de Richard en octobre 1182.
 
v. 33 : Peitau
AI : Peitau, C : Peytieus, D : Peiteu, F : Peteus, K : Poitou. Si Stimming 1 à suivi AI, en revanche, tous les autres éditeurs ont préféré Peiteus et M. De Poerk (O. C. p. 284) parvient à la même conclusion. Il est vrai qu’il n’y a dans ce texte que des noms de villes et aucun de province. Je crois néanmoins qu’il faut conserver le Peitau de AI : le vers 33 détermine un premier ensemble avec d’une part le Poitou, possession de Richard, et, de l’autre, la seigneurie de l’Île-Bouchard, sise en Touraine (cf. Boussard, Ibid. p. 102). Le vers 34 en dessine un autre qui a la particularité de former un tout entre ces deux zones puisque Chinon, en Touraine, et Loudun et Mirebeau, aux confins du Poitou, relevaient directement du roi d’Angleterre. À partir du règne de Geoffroy le Bel, ces trois villes formaient l’apanage des cadets de la maison d’Anjou et Henri II dut le céder à son frère Geoffroy. Le poète veut dire entre Poitou et Touraine (représentée par l’Île-Bouchard) pour situer cette zone particulière. La ville de Poitiers est trop écartée pour fournir un point de référence géographique convenable.
 
v. 35.
On trouve au début du vers A (AIK) et E (CDF). M. De Poerk pense qu’il faut lire E (= en). Comme les copistes de CDF ont fort bien pu continuer sur la lancée de l’énumération : e Mirabel e Laudun e Chinon e Clarasvals, je m’en tiens au texte de A.
 
v. 40 : Matafellon
“La seigneurie de Matthefelon comprenait des terres à Azé, Gouis et Gennes” (Boussard, Ibid. p. 100). Aujourd’hui Mateflon, commune de Seiches, se trouve dans le Maine-et-Loire. Outre que ce château était situé dans le Maine, héritage futur d’Henri le Jeune, son nom évocateur était tout un encouragement.
 
v. 41 : paireia
AIK : paireia, C : panteya. La dérivation en -eia me semble assez courante pour ne pas voir dans ce mot “une expression propre à Bertran” (Thomas). Cf. Mistral, Trésor p. 520 : Peireja, paireja : “ressembler à son père”. C’est ainsi qu’on rencontre chez Marcabru (éd. J. M. L. Dejeanne, nº III, v. 33) Doncx no pairejon li derrier et dans la pièce Pois la fuoilla revirola (ms. C à R) : E jamais non creyrai filh S’aquest non contra paireya (vv. 55-56). On a de même sur raço un composé raceja : “Tenir de sa race, chasser de race, se reproduire avec les défauts et les qualités de sa race” (Ibid. p. 684).
Dans sa thèse, La formation du comté de Champagne v 950 - v 1150, Nancy, 1977, M. Bur explique comment, par sa mère, Adèle, sœur d’Henri le Libéral, Philippe réunissait en lui le sang capétien de ses ancêtres paternels et celui des carolingiens dont descendaient les comtes de Champagne. C’est ainsi que Guillaume le Breton, dans sa Philippide, parle à propos du jeune Philippe de Vivida Karolide virtus. On peut imaginer combien ce thème pouvait toucher Bertran, si sensible à tout ce qui pouvait rappeler l’épopée carolingienne. Le roi français est à la croisée des chemins : il peut tenir du côté de sa mère et posséder les qualités de Charlemagne ou paireiar, ressembler à son père, le faible Louis VII, grand amateur de paix, comme l’indique un acte de Cartulaire de Dalon (Baluze, p. 60) daté de 1178 : regnante Lodovico Rege Francorum pacifico.
 
vv. 43-44.
Quand le comte Wulgrin d’Angoulême mourut le 29 juin 1181, Richard  vit l’occasion de s’emparer définitivement de sa terre, tandis que les frères du défunt, Guillaume et Aimar, désirant succéder à leur frère Wulgrin, implorèrent l’appui de leur frère Aimar, vicomte de Limoges (cf. Geoffroy de Vigeois, O. C. p. 326). Aucun chroniqueur ne parle d’un transfert d’hommage de Richard à Philippe, mais il n’y aurait rien d’étonnant à ce que Guilhem Talhafer, se considérant comme dépouillé par le duc d’Aquitaine, ait fait passer son hommage au roi de France, comme devaient le faire plus tard Bernard de Brosse et Geoffroy de Rancon. Comme Philippe resta en paix jusqu’à l’été 1182, il est possible qu’il ne s’agisse que d’un bon conseil donné par Bertran qui le présenterait comme un fait acquis pour mieux encourager Philippe à venir prendre parti dans les affaires aquitaines. Le texte est compliqué, car il suit étroitement le mécanisme féodal de l’hommage : c’est d’abord Talhafer qui reconnaît Philippe comme suzerain d’Angoulême avant que le roi ne lui donne cette ville en fief. “L’engagement personnel du vassal prend, dans ces conditions, presque l’allure d’une formalité préalable à l’obtention d’un fief” (F. L. Ganshof : Qu’est-ce que la féodalité ? Bruxelles, 1968, p. 139).

 

 

 

 

 

 

 

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