Notes - Anmerkungen - Notes - Notas - Notes - Note - Nòtas

Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,013- Bertran de Born

v. 7 : N’Aenrics
On rencontre dans les manuscrits les formes N’Aenrics (DIK), N’Aenricx (R), N’Aenric (N), N’Ainrics (M), Enrics (G) et N’Aimerics (A) pour ce vers ; pour le v. 51 de la chanson nº 35 : N’Aenris (A), N’Ahenrics (F) et N’Aenrris (DIK) ; pour le v. 9 de la chanson 29, on trouve lo reis Henrics (ABF) ou lo reis Enrics (DIK). La forme Aenrics peut surprendre, comme ce fut sans doute le cas du copiste de A, toutefois elle est fort bien attestée : dans le recueil de Clovis Brunei, on lit Aenric (60. 1 ; 111. 3 & 8; 205. 1 & 4 ; 222. 1 & 21) et Aienrics (114. 5 avec Enrici à la ligne 10) dans des chartes rouergates datées de 1150 à 1183. Plus net encore est le Cartulaire de l’abbaye de Beaulieu (en Limousin) édité par M. Deloche (Paris, 1859) où l’on relève, pour le roi Henri de France, les appellations suivantes : Aenrico (XC, CIV), Ainrico (XCIV), Aianrico (LXXX, CXXI) et Aienrico (CXIX) pour des chartes datées de 1031 à 1060.
 
v. 8 : malvatz
Kastner (O. C., M. L. R. nº 31, 1936, p. 20) pense que le sens de “lâche” que les éditeurs ont donné à ce mot est mal adapté à ce passage. Il faut dire que Levy, dans son Petit Dictionnaire (p. 234), accompagne ce sens d’un point d’interrogation. Il se demande d’ailleurs (S. W.) si ce mot ne signifie pas plutôt “pitoyable, pauvre diable, misérable compagnon”, ce que la langue familière nomme un minable. Thomas (O. C. p. 17, note 2) fait remarquer que le poète ne devait pas faire une grande différence entre lo reis dels malvatz et lo rei tafur dont il parle ailleurs. M. Bergin (L. C.) traduit par “meschini”. Je pense que ce mot souligne la médiocrité de ceux qu’il caractérise, mais cette notion ne doit pas être séparée de la lâcheté, comme le montrent ces vers de Jaufré : Car ja pros on non tardara De parlar lai on loc sera, Mais lo malvat estai segur Aqui on troba ren d’atur (vv. 8066-8070 dans l’édition C. Brunel qui indique “mauvais” dans le glossaire).
 
vv. 12-13.
Comme souvent chez Bertran, la critique des grands est appuyée par la comparaison avec les héros épiques : il cite ici en exemple Hernaut de Beaulande, fils de Garin de Monglane, et son petit-fils Guillaume d’Orange. Le troubadour fait allusion à la prise d’Orange, mais il appelle la tour de la ville Tor Mirmanda et non Gloriete, comme dans la version que nous connaissons de cette chanson. Thomas cite à ce sujet deux vers d’Uc de Saint-Circ : C’aissi fo Guillems conqueren De Tor Milmand’e d’Aureng’eissamen (p. 17, note 5). Chabaneau, qui renvoie au Trésor, pense qu’il faut rattacher ce mot à “marmando”, au sens de “merveille”. Peut-être s’agit-il de la même version de la chanson, où Louis le Pieux vient secourir Guillaume dans Orange, qui est citée par le fils de notre troubadour (Martín de Riquer, O. C., Trovadores, nº 187, strophe IV).
 
v. 15 : truanda
Les manuscrits indiquent : e lor truanda (AF), e lur truanda (C), e los atruanda (IKN), e·ls entruanda (M), e·ls atruanda (D) et ni·ls atruanda (R). Stimming a choisi la construction transitive du verbe qu’il traduit par “mendier”, dans sa première édition, et par “se conduire comme un gueux”, dans les suivantes. Thomas adopte la même lecture et traduit par “traiter en truand”. Levy (O. C., S. W. t. VIII p. 506) fait remarquer que cette leçon n’est pas assurée ; il montre que atruandar, que Mistral connaît au sens de “acoquiner, rendre paresseux”, signifie également “réduire à l’état de truand, de mendiant, de chemineau”. Enfin, Appel (Bernart von Ventadorn... Halle, 1915, p. 154) à propos de : Be doussamen me truanda, adopte le sens de “tromper, agir en truand” qui convient parfaitement ici.
 
Strophe II.
Bertran passe rapidement en revue les territoires gouvernés par Henri II Plantagenêt en 1182 dont la mollesse du Jeune Roi risque de le priver. Le domaine insulaire est représenté par deux acquisitions récentes : le Cumberland, longtemps disputé entre les rois d’Angleterre et d’Ecosse, fut rattaché par Henri II à son royaume, dont il formait la limite septentrionale ; l’Irlande, dont Henri II avait envisagé la conquête dès 1154. L’entreprise fut menée, sans son aveu, par un de ses vassaux, Richard de Clare, en 1170, et le roi n’intervint personnellement qu’un an après. Pendant l’hiver 1171-1172, les prélats irlandais lui jurèrent fidélité et le reconnurent comme souverain du royaume dont le pape lui confirma la possession (cf. M. Boussard, O. C. p. 458 sq.). Henri avait transmis la couronne d’Irlande à son dernier fils, Jean, au concile d’Oxford, en 1177.
Parmi les possessions continentales, figurent d’abord les terres d’où les Plantagenêts tiraient leur origine : Angers, Montsoreau, Candes, puis le Poitou, possession de Richard. Il est question ensuite de la Normandie, duché qu’Henri le Jeune avait demandé à son père de lui donner en toute propriété. Les dernières terres mentionnées se trouvent encore dans le domaine de Richard et elles représentent l’autre extrémité de l’empire angevin : la Gascogne. On notera l’habileté de Bertran qui omet de rappeler que le pouvoir du Jeune Roi devrait aussi s’étendre sur la Bretagne de son frère Geoffroy.
 
v. 19 : Monsaurel ni Canda
Montsoreau et Candes, aujourd’hui dans le Maine-et-Loire, sont si proches qu’on les trouve également nommées de conserve par Rabelais (Gargantua, éd. Pléiade, p. 136).
 
v. 20.
La tour Miranda se trouvait à Poitiers et Kastner cite à ce propos un sirventés d’Amoros del Luc (Schultz-Gora, Prov. Studien II, p. 131, v. 13).
 
v. 22 : Ni de Bordels
Les manuscrits indiquent : Ni (AF), Ja (CN), Sai (DIKMR). On peut penser que l’accumulation des négations dans la strophe a conduit certains copistes à remplacer Sai par Ni, mais Sai n’emporte pas non plus l’adhésion : il ne semble pas indispensable pour opposer Bordeaux et la Gascogne. Je m’en tiens au texte de A.
Selon M. Boussard (Ibid. p. 27 sq.), le domaine d’Aliénor dans cette région se limitait à la Gascogne occidentale : Bordelais, Agenais, Maremne et Béarn.
 
v. 24.
L’évêque de Bazas (Gironde) reconnaissait l’autorité du duc d’Aquitaine (Boussard, Ibid. p. 29).
 
v. 25.
Il est rare qu’un troubadour nous renseigne avec autant de précision sur la musique qu’il a empruntée pour son sirventés : il faut croire que la chanson de Giraut de Bornelh : Si·us quer conselh, bel’ami’Alamanda (éd. Kolsen, nº 57, p. 366) jouissait d’une grande popularité.
 
v. 28.
Bertran, sur le mode ironique, conseille à Richard de ne pas ménager ses vassaux, car il n’a pas à craindre d’intervention de son frère en Aquitaine. Puis il revient à la réalité pour constater que le duc n’a pas attendu son conseil pour les dépouiller. C’est ainsi qu’en 1180 il avait détruit les châteaux de Jaujac, Marcillac, Gourville et Anville, avant de prendre Taillebourg et de raser le château de Wulgrin d’Angoulême.
 
v. 31.
Les manuscrits indiquent : E·l reis tornei lai ab cels (sels DIK, selç N) ADFIKN, E·l reis tornei ab aqells (M), E·l reys torn lai ab aiselhs (C), E·l venha·l rey ab totz sels (R). Seul le copiste de R a donné au vers un sens offensif, tous les autres manuscrits opposent l’attitude active de Richard à la mollesse d’Henri le Jeune, en faisant allusion à son séjour à la cour française dans la seconde moitié de 1182, ce qu’appuie l’adverbe lai. La présence de ce même adverbe empêche de donner un sens belliqueux au texte de C. Le subjonctif, soit venha, soit tornei ne peut s’expliquer que par un nouveau conseil de Bertran : que le Jeune Roi retourne en France pour s’y livrer à sa distraction favorite, conseil qui est en réalité une critique méprisante, qui atteint au passage le roi de France dont l’attitude fut prudente pendant cette guerre, car il venait à peine de sortir vainqueur de celle qui l’avait opposé à ses grands vassaux, et cela grâce à l’appui que les Plantagenêts ne lui avaient pas marchandé.
Cels de Garlanda (seul le ms. A lit Guislanda) correspondent à la famille briarde de Garlande, qui possédait également des biens à Paris, dont trois membres se succédèrent aux fonctions de sénéchal de France ; elle représente ici l’ensemble des Français.
 
v. 33.
La forêt de Brocéliande, qui joue un rôle si important dans les romans bretons, représente ici le duché de Geoffroy de Bretagne. On notera que l’éloge d’un personnage se fait tout naturellement par une notation épique ou romanesque.

 

 

 

 

 

 

 

Institut d'Estudis Catalans. Carrer del Carme 47. 08001 Barcelona.
Telèfon +34 932 701 620. Fax +34 932 701 180. informacio@iec.cat - Informació legal

UAI