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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,014- Bertran de Born

v. 2.
On lit dans les manuscrits : al auzen de mon menassat (C) et al auzen de mon menalsat (a). Raynouard (O. C., L. R. t. IV, p. 192) considère qu’il s’agit d’un senhal. Stimming et Thomas ont pris ce mot pour un substantif qui signifierait soit “ma menace”, soit “mon chant de guerre”, ce qui suppose que l’on considère D’un sirventes comme une chant de guerre, s’il est bien question ici du chant précédent. Stimming 3 finit par parler en note de “blâme”, ce que ne saurait signifier ce mot. Je préfère suivre Levy (Archiv nº 143, 1922, p. 89) qui propose de corriger en del mon menassat et donne plusieurs exemples de al auzen au sens de “aux oreilles de, en présence de, devant”, comme c’est le cas dans ces vers de Flamenca : E puec vezer tot lo tornei Auzen de mon seinor lo rei (vv. 7761-2) que les éditeurs, Nelli et Lavaud, interprètent : “j’ai pu voir tout le tournoi en présence de monseigneur le roi.”
Il faut noter la proposition de A. Kolsen (Dichtungen der Trobadors, III, p. 224, note) qui veut adopter le texte du manuscrit Campori : de mon enalsatenalsat serait le participe passé de enalsar, enausar au sens de “élever en honneur”, et de traduire “mein Rehabilitierter”, car le Jeune Roi, appelé reis dels malvatz dans le sirventés précédent, s’est pretz donat De Burcx troqu’en Alamanha. Outre que enausar signifie “hausser” et non “réhabiliter”, le manuscrit indique : menalsat et non enalsat.
 
v. 4 : juec
Si la métaphore du jeu est fréquente chez Bertran, il la file ici avec un réel bonheur : entaulat (v. 4), joguat (v. 5), matat (v. 7), essenhat (v. 8), juec (v. 31), guazanhat (v. 31), envidat (v. 32), pezos (v. 33), escachier (v. 34). On notera l’apparition de la même image dans la Croisade des Albigeois (éd. Martin-Chabot, t. III, laisse 204, vv. 124-125) : Pus que dins e deforas es lo jocs entaulatz Oimais no pot remaner tro l’us sia matatz.
 
v. 7 : essenhat
Lorsque Bertran dit que Richard a appris à jouer à son frère, il fait sans doute allusion à la campagne de 1176, pendant laquelle le Jeune Roi était venu assister son cadet contre le comte d’Angoulême et les vicomtes de Limoges, de Ventadour et de Chabannais, et avait participé à la prise de Châteauneuf. De fait, si Richard s’était illustré par ses actions militaires, le Jeune Roi avait surtout brillé dans les tournois (cf. Benoît de Peterborough, Gesta, p. 120).
 
v. 9.
On lit Mas aissi·ls clau e·ls enserra dans C et Pois aissi·l claus e esserra dans a. La strophe n’oppose que Richard et Henri, mais le pluriel ·ls de C s’explique aisément si l’on songe que Bertran parle du comte et de ses troupes.
 
v. 10-11.
Seul Geoffroy de Vigeois fait allusion à cette action d’Henri le Jeune sur l’Angoumois : Eius filius Henricus tenuit Engolismam cum multitudine malignantium (O. C. p. 336).
 
v. 12 : Finibus-Terra
Selon Thomas, il s’agit du Finistère (Romania, nº 22, 1893, p. 592). M. Ehnert (O. C. p. 39) traduit ce vers par “wird er sich bis dort ins Finistère zuruckziehen” : “il va se retirer jusque là-bas au fond du Finistère” et propose en note une autre possibilité : “wird er ihm das Finistère anbieten” (p. 432), “il va lui proposer le Finistère” ou le verbe partir signifierait partir un joc, “proposer un enjeu”. Je ne vois dans part qu’une préposition. Cf. p. XL de l’Introduction.
 
v. 14.
On ignore qui sont ces alliés de Richard dont Bertran, en précurseur de la guerre psychologique, met en cause la fidélité.
 
v. 18 : mai
C’est bien ce qu’indique le seul manuscrit où figure cette strophe. Stimming 2 (p. 72) et Thomas (p. 20) ont corrigé en mas. Chabaneau (O. C., R. L. R. nº 32, p. 203) se demande s’il ne faut pas songer à une faute de syntaxe, à un emploi abusif de l’indicatif au lieu du subjonctif après mas signifiant “pourvu que”. Je crois que Levy (O. C., S. W. t. III, p. 128, errar) a raison de comprendre mai ... no = “ne... jamais” et de penser que le comte, comme le sanglier furieux, se précipitera tout droit sur ses adversaires, sans se laisser arrêter par le danger ou les obstacles. Il faut ajouter que, à la différence du sanglier, la fureur de Richard ne lui enlèvera pas son intelligence et ne le fera pas tomber dans les pièges de ses adversaires. On relève assez curieusement la même image à propos du même personnage : Li reis Ric. remest en ire Si quil ne pout un sol mot dire, Ains boufa e fu irascuz ; ausint comme sengler feruz Entra en sa chambre boufant(Histoire de Guillaume le Maréchal... éd. P. Meyer, p. 55, vv. 11655-59).
 
v. 22.
Selon Benoît de Peterborough, le roi Henri était arrivé sur le continent le 4 mars 1182 (O. C., t. I, p. 285).
 
v. 23.
Del tot(C), De totz (a). Le parallélisme avec le vers suivant mai quan de Johan impose la lecture de a.
 
v. 25 : Guizan
Guazam(C), Gascon (a). Il est certain que la solution de a serait la plus facile si les Gascons avaient pris part au soulèvement de 1183, où leur rôle est très réduit : les chroniques ne signalent pas d’opérations dans le sud de l’empire angevin. En revanche, Guian e Gasco sont mentionnés en 13. 63. Aussi, je crois qu’il faut accepter la suggestion de Thomas (O. C. Addenda, p. 207) : li Guizan. (cf. Anglade, O. C. p. 150, metipsu-mezeis).
 
v. 27.
Il s’agit d’une allusion à la ligue des cités lombardes rebellées contre l’empereur d’Allemagne à la même époque.
 
vv. 28-30.
On s’est demandé si lor renvoyait au roi et au comte ou aux Aquitains. Levy (Archiv 143, 1922, p. 89) comprend : “en ce qui les concerne, je me porte leur garant, i. e. je peux l’affirmer pour eux”. À mon avis, Bertran continue à se faire le propagandiste du Jeune Roi et il garantit aux Aquitains, qui préfèrent être bien traités par un roi que maltraités par un comte, que tel sera le cas, qu’ils seront mieux traités par Henri le Jeune que par le comte Richard.
 
v. 32 : envidat
Pour Chabaneau (O. C. p. 203), “C’est un terme de jeu ; il faut entendre : ‘Je tiens la partie pour gagnée et deux fois gagnée.’ M. Th. traduit ‘engagé’. On pourrait songer à corriger par renvidar (fr. renvié)”. Levy (O. C., S. W. t. III, pp. 109-110) traduit envidar par “provoquer à un jeu, ouvrir ou offrir la mise” et refuse d’interpréter “renvier”, comme Raynouard (O. C. t. III, p. 132).
Je crois que envidar peut avoir bel et bien le sens de “renvier”, “entreprendre une seconde partie”, comme le montrent ces vers de Flamenca : Soven envidon e revidon Lo jorn, la mostra e la presa (vv. 6506-7 de l’édition Nelli-Lavaud dont la traduction est : “souvent ils offrent puis remettent au jeu dans cette journée la ‘mise’ et le ‘gain’”), où un premier jeu amoureux précède le verbe envidar et la version du ms. T pour l’Escondich indique aux vers 17-18 : Failla·m poders deves mon companhier Que segon juoc non puesca envidar. De même Rabelais, au chapitre V de Gargantua, parle de “trippes de jeu et guodebillaux d’envy”, ce que l’éditeur traduit en note par “trippes dignes d’enjeu et godebillaux dignes de relance” (éd. Pléiade).
 
v. 33.
Bertran joue sur le mot pezon qui signifie tout à la fois “pion” et “fantassin”. Thomas nous apprend que la “Valée” est le nom d’une partie de l’Anjou qui s’étend sur les bords de la Loire, depuis la Touraine jusqu’aux Ponts-de-Cé. (cf. l’actuelle Beaufort-en-Vallée, M. & L.). Il s’agit donc des fantassins angevins du roi Henri II.
 
vv. 37-42.
Bertran prouve ici que sa vision des opérations dépasse les horizons d’Hautefort. Non seulement il prévoit l’entrée en guerre du roi de France (qui se contenta d’envoyer des mercenaires à son beau-frère), mais aussi de Philippe d’Alsace : le conflit entre le Français et le Flamand, apaisé en 1182, ne devait être résolu qu’en 1185. De plus, le troubadour sait parfaitement que la guerre aura pour prétexte l’éternelle question de Gisors et que le Vexin sera le champ de bataille où les troupes s’affronteront en poussant leurs cris de guerre : “Arras” pour les Flamands, “Montjoie” pour les Français et “Dieu aide” pour les Normands, Thomas (Ibid.) cite à ce propos les vers 4666-7 du Roman de Rou : Franceis crient : Montjoe ! e Norman : Diex aïe ! Flamenc crient : Araz !
 
v. 38.
C : de sai, a : aillors. On ne peut suivre C, car Bertran emploie toujours sai pour désigner le Limousin, qui est ici opposé à la Normandie ; il faut donc soit adopter aillors de a comme l’a fait Appel, soit corriger en de lai avec Stimming et Thomas, solution qui permet de rester plus près du manuscrit de base. Je corrige le es du ms. C en er, dans l’esprit du ms. a : sera.
 
v. 43.
On rencontre une idée semblable chez Peire Rogier (éd. Appel, 356, 7, vv. 31-2) : Qu’en tal luec vos valra foudatz On sens no·us poyria valer.
 
v. 46.
À propos des vers de Guilhem de Peitieus : C’anc non ac norman ni franses Dins mon ostau, Bezzola se demandait : “Est-ce une allusion au caractère peu courtois des Normands et Français qui chercheraient tout de suite un avantage matériel, ou simplement au manque de fantaisie des hommes du nord ?” (cité par M. de Riquer, O. C. Trovadores, à propos de I, v. 29).
 
v. 51.
À propos d’un vers de Guillem de Berguedà, Car so dauratz c’autra poestatz stagna (XXI, 34), Martín de Riquer note : “Es frecuente, entre los trovadores, oponer daurar, “hacer algo de valor” a estanhar, “hacer algo insignificante”.
 
v. 52.
Il est nécessaire de corriger le texte de C: que·l valrion qui donne un vers hypométrique.
 
v. 55.
L’auteur de l’Histoire de Guillaume le Maréchal nous dit de même : Les Franceis nomerai avant ; Dreitz est qu’il sient mis devant Por lor hautesce e por lor pris E por l’enor de lor païs (éd. P. Meyer, vv. 4481-4).
 
v. 59.
C répète prezat qui se trouve déjà au vers 56. Je corrige en honrat en suivant le manuscrit a.
 
vv. 73-74.
Si l’on s’en tient au déroulement des faits, le seul souhait que l’on puisse prêter à Bertran est celui-ci : que le Jeune Roi ajoute le comté de Poitou à la Bretagne dont Geoffroy est déjà le maître. Pour parvenir à ce sens, le verbe creiser fait difficulté. Dans son glossaire, Thomas le traduit par “donner en accroissement de fief”, sens qu’Appel semble admettre dans sa traduction “diese Grafschaft hier geb’Euch der König zur Bretagne” (O. C., Bertran von Born, p. 33). Kastner propose une construction transitive du verbe avec une personne et cite un passage de Dauphin d’Auvergne (Choix IV, p. 25) : Englaterra ama el ben e fai gran felonia, Que lo reis l’a cregut de mais qu’el non avia. En conséquence, il voudrait corriger en D’aquest et comprendre : “au moyen de ce comté, puisse le roi vous augmenter, i. e. augmenter vos possessions, avec la Bretagne (que vous possédez déjà)”. En fait, la meilleure solution me paraît de suivre J. Mouzat qui traduit les vers 64-65 de la chanson 53 de Gaucelm Faidit : E chascun jorn creissetz als trobadors Avinens faitz, don crescan las lauzors par “vous offrez aux troubadours un surplus d’actions aimables, dont puissent les louanges grandir”. On rencontre encore cette construction chez Cerveri de Girone (éd. Riquer, nº 47, vv. 3-4) : Que·ls enemics te bais ez encantatz, E sos amics creix d’amor ez afina.

 

 

 

 

 

 

 

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