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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,026- Bertran de Born

v 14.
Il semble que saint Jean ait occupé une place particulière dans le paradis, tel que l’imaginait le moyen âge. Stimming 1 (p. 275) cite les exemples suivants : “els metatz lai on esta sanhs Joans (P. Card. 67. 48) ; n’arma en fora escricha lai on es sans Johans (Alb. de Sest. 11. 10); al nobl’en Guiraut... per conpanhia done lo bar san Johan”. À propos du texte de Peire Cardenal (nº36, v. 48), Lavaud écrit en note (p. 227) : “c.-à-d. tout près du Fils. Il n’existe pas de texte sur une place privilégiée de Saint Jean au ciel”. Cf. à ce propos mon article sur “La prière comme indice ...” in La Prière au Moyen-Age, CUER MA, 1981, p. 287.
 
v. 22 : pan
D’après Raynouard (O. C., t. IV, p. 408), il s’agit des “pennons” et, selon les glossaires de Stimming et Thomas, de “vêtements”. Martín de Riquer (O. C., Trovadores, t. II, p. 703) note que l’on donnait le nom de pan à la jupe de mailles qui pendait du haubert. C’est aussi pour un sens militaire que penche M. Bergin (O. C., pp. 24-25) qui traduit les vers 20-22 par “corazze, elmi e stendardi, indumenti de guerra”. Faut-il suivre Foulet qui, dans son glossaire, indique pour pan (p. 214) “large morceau d’étoffe”, et s’agit-il simplement du drap, qui serait coordonné avec un autre nom d’étoffe, le bel bocaran, afr. bouqueran et “bougran” en français moderne, que M. de Riquer traduit par “sobrevestas” ? Il me semble préférable de suivre Stimming et Thomas.
 
v. 25.
DK : reveigna, I : reveingna, mais ABF : reteigna et C : retenha. Outre que le verbe revenir, au sens de “ranimer, ressusciter” figure déjà au vers 53, il serait illogique que le poète, après avoir employé le verbe maintenir, qui suppose que tous les éléments cités existent toujours, lui adjoignît le verbe revenir qui signifie qu’ils ont déjà disparu. Je corrige donc en suivant ABCF.
 
v. 30 : e ben siais vengut
Cette expression, qui apparaît comme l’équivalent d’un substantif, représente, par la phrase qui en est caractéristique, la notion d’aculhir. Stimming 1 (p. 276) cite un emploi semblable chez Aimeric de Pegulhan : Quel sieus solatz era guais e chausitz E l’aculhirs de ben-siatz-vengut (22. 18).
 
v. 38. c’ap vos teingna
Selon Stimming 1 (Ibid.) tener est ici employé intransitivement au sens de “rester” et il cite plusieurs exemples de ce cas. L.evy (O. C., S. W. t. VIII, pp. 154-5 tener 22) n’accepte sans doute pas la démonstration puiqu’il nie l’existence de passages semblables et il propose de donner au verbe le sens de “prendre son chemin, se rendre, aller, venir.” Kastner (O. C., M. L. R. nº 31, 1936, p. 27) propose d’écrire c’ab vo·s tenha, avec chute de la sifflante finale de vos pour permettre l’enclise, ce qui nous ramènerait à la construction bien attestée de se tener ab alcu au sens de “rester auprès de quelqu’un”, et M. de Riquer accepte cette suggestion (Ibid.). Je suis Stimming, car la construction de tener intransitif au sens de “demeurer, rester” n’est pas si surprenante : la Chrestomathie d’Appel en fournit un exemple chez Sordel (113, 66-68) : e lai o la balanza mais pendra, Tenez, quar be vos en prendra.
 
v. 43 : Seingner en vos
IE : qu’en, DK : q’en. Il est difficile de garder ce qu’ ; en effet, s’il s’agit d’une conjonction, la principale doit être Non vi hom tan etc. et le lien logique est des plus faibles. Pourrait-on songer à une relative superflue comme en ancien français (cf. M. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux, 1976, p. 95) ?
 
v. 52 : s’enpeingna
sen / preingna (DI), sen preigna (K), se preigna (F), senprenha (E), sempeigna (A), sen/ peigna (B), sempenha (C). La leçon de DEFIK n’offre pas de sens satisfaisant, que l’on songe à se prendre ou à s’emprendre. Je suis donc les éditeurs précédents et corrige en utilisant le verbe empenher que Raynouard O. C., t. III, p. 115) traduit par “se pousser”, Stimming par “se propager”, Levy (O. C., S. W. t. II, p. 387) par “pénétrer plus avant, s’élever” et M. de Riquer (Ibid.) par “s’imposer”.
 
v. 53 : reveingna
Levy (Ibid. t. VII, p. 314, revenir 14) trouve que le sens de ce passage n’est pas clair ; Stimming comprend “stimuler, animer”, Thomas, suivi par Appel, “réparer”, et M. de Riquer : “renouveler”. Le sens exact est “rendre la vie, la santé”, comme le montrent les passages suivants : Garis e·m reven e·m sana (Peire Vidal, éd. Anglade, Paris 1965, VI, v. 14) ; Que·l seus bels douz semblans me vai al cor, que m’adous’e·m reve (Bernart de Ventadorn, éd. Lazar nº 40, v. 43-4).
 
v. 54 : Neis qui l’an sercan
A : qaisil van cercan, B : Qaissil van cercan, C : ni quel an sercan, D : ni qels an serqan, E : ni quels ans sercan, F : ni qels an cercan, IK : Ni aquels an sercan. Stimming 1 suit le manuscrit C et Thomas, qui écrit : Neis que l’an cercan, note : “les manuscrits ont ni au lieu de neis” (p. 26). Kastner (L. C.) pense qu’il faut nécessairement corriger ni que l’an de C en neis qui l’an. Il propose également d’amender la leçon ni que san cercan, qu’il attribue à D en suivant Stimming, en neis que·s an, mais la leçon de ce manuscrit est différente. Avec Kastner et Martín de Riquer, je corrige en neis qui l’an.
 
v 55 : a garan
M. de Riquer écrit agaran, qu’il traduit par “escudriñándolo”, au sens de “scruter, passer au crible”, comme le proposait Kastner à la suite de Levy (S. W. t. IV, p. 416 garan 3), mais ce dernier reconnaissait que agarar ne se trouvait pas au sens de “chercher”, mais de “attendre”. Je préfère donc lire a garan avec les éditeurs précédents, ainsi que le conseille Levy. Le savant allemand a sans doute raison de donner à cette expression le sens de “complètement, parfaitement” plutôt que celui de “avec soin” qu’ont choisi les éditeurs.
 
v. 56 .
On rencontre la même utilisation du Nil comme marque de l’orient chez Arnaut Daniel (éd. Toja, nº XVI, v. 36) : De part Nil entro c’a Sanchas et chez Giraut de Bornelh (éd. Kolsen, nº XIX, v. 52) : De lai on s’abriva·l Nils Tro sai on sols es colgans.
 
v. 61-64.
Les leçons de IK : Eiau preechan et D : Eiau pre / echan du vers 61 où ABCE indiquent Engles e Norman, tandis que F semble emprunter aux deux traditions avec Ançaup e Norman, sont évidemment fautives. Il faut les mettre en rapport avec le vers 64 où AB lisent : Et aiman (aman B) prezan, Ma : Et Angeus presan et CE : Et Angiers (Angieu E) pren dan, alors que DFIK s’accordent pour introduire le Poitou dans la première partie du vers (DIK : Peitou, F : Piteu), s’ils divergent pour la seconde : a dan (DIK) s’oppose à ab Scan (F). Il n’est pas facile de reconstituer la liste des provinces sur lesquelles le Jeune Roi était appelé à régner et qui déplorent sa mort (vv. 61-65). Il ne fait pas de doute que la série de jambages du mot anjaus est à l’origine des hésitations des copistes. Il a été quelque peu modifié par E (Angieu) tandis que C préférait au nom de la province celui de la cité (Angiers). À l’intérieur d’un ensemble de mots-rimes en -an, A et B ont sans doute pris ce nom pour un participe présent et sont passés sans mal de anjaus ou anjau à aman (B) ou aiman (A). Il est plus malaisé de comprendre comment DIK sont parvenus à Ejau et F à Ançaup ; il semble que ce copiste adapte les lettres d’un manuscrit du groupe DIK au nom de la province tel qu’il ressort du groupe CE. Pourrait-on supposer qu’un copiste a commencé le vers 61, dont la première lettre est le E de Engles, puis sauté au vers 64 en intégrant au mot anjau le E déjà écrit ? Pure hypothèse. Il n’est pas non plus possible de dire pourquoi l’ordre des vers 61-64 est différent dans les groupes ABCE et DFIK.
On est toutefois troublé en constatant que les Anglais et les Normands, partie essentielle de la puissance des Plantagenêts, et qui figurent au premier rang dans le texte de ABCE, sont absents de DIK. N’oublions pas qu’en Bretagne, Irlande, Aquitaine, Poitou et Gascogne, si complaisamment énumérés par la suite, Henri n’aurait jamais été que le suzerain de ses frères, alors qu’il aurait exercé une autorité directe sur l’Angleterre, la Normandie, l’Anjou, le Maine et la Touraine. On objectera que, si l’on adopte la version de ABCE, les Poitevins disparaissent. Toutefois, la présence de Giena (DIK) ou des Guian (ABC), c’est-à-dire des sujets du duc d’Aquitaine, nommés selon la “forme populaire” (Thomas, Ibid. note, p. 26), ne rend-elle pas inutile la présence du Poitou qui en fait partie, de même que l’Angoumois, l’Aunis, la Saintonge, la Marche, le Périgord et une partie de l’Auvergne et du Berry (cf. M. Boussard O. C. pp. 113-155) ? Cette hypothèse ne souffre même pas de la présence des Gascos qui sont bien sujets du duc, mais outre le fait qu’une bonne partie de la Gascogne, comme le Béarn, ne faisait pas réellement partie de ce duché, les nécessités de la rime pourraient bien expliquer leur présence. Pour toutes ces raisons, et parce que les formes preechan de DIK, presan de Ma et prezan de AB me conduisent à préférer pren dan (CE) à a dan (DIK), je corrige le texte en : Engles e Norman, Breton et Irlan, Guian e Gasco Et Anjaus pren dan...
 
v. 69.
AB : desai a Guisan, C : Trol port den Guinssan, DIK : daqui ( -qi D) aguizan ( gi / zan D), F : de qui an Guizan, E : trol port daguan, Ma : *rol port de Quintan. Puisque Bertran parle de la Flandre, il est impossible qu’il dise de sai ou d’aqui, ce qui signifie pour lui le Limousin. Il faut donc corriger en Tro·l port de Guizan. “Wissant, petit bourg entre Boulogne & Calais, souvent mentionné dans les chansons de geste françaises, par exemple dans la chanson de Roland, vers 1429: De Besençun très qu’es porz de Guitsand” (Thomas, Ibid. note 1, p. 27). P. Meyer note : “C’était le port le plus fréquenté pour aller de France en Angleterre et réciproquement” (O. C. t. III, p. 36, n. 1).
 
v. 70 : li Aleman
Selon Kastner (Ibid.), Bertran veut dire que la mort du Jeune Roi parviendra à émouvoir même un peuple rude comme les Allemands. Il renvoie à ce sujet à l’ouvrage de F. Wittenberg, Die Hohenstaufen im Munde der Troubadours, 1908, pp. 14-16.
 
v. 71.
AB : Loier, C : Lorench, D : Loirec, E : Loirenc, F : Loiarenc, IK: Loairenc, Ma : Lorenchs. Peut-on supposer que la forme de IK se prononçait en deux syllabes en faisant du o une semi-consonne ? Il paraît plus sûr d’adopter la leçon du manuscrit E, plus usuelle.
 
v. 75 : cop
ABCMa : cop, F : cap, DEIK : colp. Selon Andresen (Zeitschrift für romanische Philologie, 1890, nº XIV, p. 192) et Levy (O. C. Lit. Blatt. XI, p. 229, qui cite le Donat Proensal : cobs, testa capitis) il s’agirait de la cupule ou coupe du gland. Levy pense que ce mot rare n’a pas été compris des copistes de DEFIK. Cela ne convainc pas Kastner (L. C.) qui pense que l’on attendrait plutôt copa et note qu’il existe des expressions utilisant l’idée d’un petit coup pour signifier l’indifférence. C’est également l’opinion de Martín de Riquer (Ibid.) qui note : “No puede significar otra cosa que el golpe de una bellota ; está como una expresión que denota insignificancia, aunque es difícil de explicar”. Notons enfin que M. Bergin (O. C., pp. 32-33) suit Levy et traduit “scorza d’una ghianda”. Mais s’agit-il bien ici de signifier l’indifférence par cette métaphore ? C’est le groupe no pretz qui marque ce mépris et, de même qu’un besan, le second complément représente une quantité infime. En ce sens, s’il est souvent question de gland, il n’est jamais parlé de coup (cf. M. Möhren, Le renforcement affectif de la négation, Tübingen, 1980). De plus, en dépit des scrupules de Kastner, la forme cop, au sens de “cupule” semble bien être la bonne : la Flore Populaire d’E. Rolland (t. X, pp. 131-4, rééd. Paris, 1967) donne pour “la cupule dans laquelle le gland est enchâssé” cop d’aglan (anc. langued.) que l’auteur fait suivre de diverses dénominations dialectales, parmi lesquelles le dérivé masc. coupett (Bass. Pyr., Landes, Gironde).

 

 

 

 

 

 

 

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