v. 1 : marrimen
Selon Martín de Riquer (O. C., Trovadores, t. I, p, 82), les mots-refrains ira et marrimen sont l’écho d’une formule très fréquente que le vassal employait dans ses affaires avec le seigneur ; il cite en exemple : habeant licenciam faciendi quod voluerint de predicto castro de Begur et de predicto fevo sine marrimento et sine ira de predicto Dalmacio (année 1062), sine ira et marrimento de jam dicto Girberto et de suis (année 1065), sine ira et ullo marrimento de predicto Mirone (année 1069) etc.
v. 7 : tieins
Thomas traduit, dans son glossaire, “assombri”, Stimming : “obscur” et Levy (O. C., S. W. t. VIII, p. 168 tenher 5) : “sombre, ténébreux”. Peut-être faut-il comprendre “livide” en ayant en mémoire les propos de Gougengeim (Les mots français dans l’histoire et dans la vie, Paris 1966, t, I, p. 113) : “pour l’antiquité et le moyen âge, l’absence de couleur (la pâleur) est foncée et tire même sur le noir”.
v. 8 : ira
Je partage l’opinion de M. Hamlin (Compte rendu de Seven Troubadours de M. Wilhelm) qui pense que le mot ira n’a pas un sens aussi précis que l’anglais “spite” et s’emploie pour n’importe quelle émotion fortement ressentie.
v. 17 : estenta
T : Senta, a : Estenta, c : Estent a. L’existence et le sens du mot estenta ont provoqué bien des discussions ; voici un résumé des diverses interprétations et des difficultés auxquelles elles se heurtent. Selon Bartsch (Chrestomathie), extenta de extendere aurait le sens de “puissante”, mais, selon Chabaneau (R. L. R. nº 31, p. 610), “la signification doit en être la même que celle de l’italien stento, maigre, décharné. Aucune épithète ne convient mieux à la mort. Le vieux fr. avait dans le même sens estens”. Stimming 3 (p. 166) objecte que pour ce verbe et ses composés ne sont attestés que les participes tes et tendut, tout en concédant que le substantif tenta, tente en français, pourrait se rattacher à tendre, aussi bien qu’à tensar ou tenser. D’autre part, Diez fait remarquer que la forme italienne stento doit être rattachée à un abstentare, formé sur abstinere, ce qui empêche estenta d’avoir le sens que lui attribuait Chabaneau. Kolsen (O. C. p. 540, note) pense que extentus, en analogie avec extendi, pourrait avoir pris le sens de “fier, arrogant”. Enfin, M. Wilhelm reprend l’hypothèse extenta au sens de “étendue” et traduit avec une très belle image, par “O boundless death” (O. C. Seven Troubadours).
Ce mot ne peut pas non plus dériver d’extincta ou d’un composé de tenher, car on devrait alors avoir une forme esteinta. En fin de note, Stimming 3, qui a conservé dans son texte l’estenta des manuscrits, reconnaît que la correction estolta proposée par Suchier, soutenue par Andresen qui cite à l’appui deux textes d’afr. où la mort est qualifiée de “hardie”, et acceptée par Thomas, est bien tentante. Enfin, Levy (O. C., S. W. t. III, p. 317) place notre passage sous la rubrique estenher en rappelant qu’on trouve destent chez Raynouard (O. C. t. III, p. 216) et il se demande si l’on ne pourrait pas voir en estenta un participe passé à sens actif que l’on pourrait traduire par “meurtrière”. C’est sans doute cette solution qu’ont adoptée Appel, qui écrit dans son glossaire “erloschen ; öde ; verödend ?” et Martín de Riquer, qui traduit par “destructora”. Il n’est guère possible de trancher, mais je conserve la forme estenta des manuscrits en admettant le sens actif de “meurtrière, destructrice, funeste”.
v. 19 : de nulla gen
On trouve une formulation semblable dans Flamenca (vv. 6946-7) : Pel meillor cavallier lo tenc Ques uncas fos de nullas gens ; Nelli et Lavaud, les éditeurs, traduisent : “le meilleur chevalier qui fût jamais dans aucune nation du monde”.
v. 23.
Doit-on donner à razos le sens de “raison”, comme le font M. Press (Anthology of troubadour lyric poetry, 1971, p. 169) et M. Bergin (O. C. p. 37), ou celui de “paroles”, avec M. de Riquer qui traduit : “si Dios hubiese escuchado (mis) palabras” en supposant que Bertran se place avant la mort du Jeune Roi ? C’est dans ce sens que vont les traductions d’Anglade (Anthologie des Troubadours, p. 67) : “s’il plaisait à Dieu”, de Berry (Anthologie de la poésie occitane, p. 23) : “Si Dieu m’en voulait croire” et de M. Bec (Nouvelle anthologie de la lyrique occitane, p. 130) : “si la parole plaisait à Dieu”. Je crois, pour ma part, que ces mots sont destinés à atténuer la desmezura du propos de Bertran (cf. nº 30, v. 12). Le sens serait donc : “si mes paroles plaisaient à Dieu”, ou, mais c’est peut-être aller un peu loin, “s’il était permis de discuter les volontés de Dieu”.
v. 26 :S’amors
Selon Kastner (L. C.), dans ce groupe de mots, le S’ est le possessif employé en pléonasme avec le complément de nom D’aqest segle. Je vois en S’ la conjonction et comprends : “Si l’amour s’en va de ce monde (= l’abandonne)... je tiens la joie (de ce monde) pour mensongère, car il n’y a rien (en ce monde)...” etc.
v. 29 : se mir
Le sens exact est “se regarder dans un miroir”, puis “prendre en exemple” (cf. Levy, S. W., t. V, p. 285, mirar 4 ). Cf. Stimming 1, p. 297, 41, 29.
v. 33.
Le copiste de a, ayant remplacé marrimen, qui est pourtant un mot refrain, par salvamen que les autres ms. introduisent au v. 35, a dû remplacer ce mot par le synonyme garimen.
v. 38.
On rencontre la même idée chez G. de Calanson (éd. Riquer, Trovadores, t. II, nº 216, vv. 49-50) : E Dieus, vers perdonaire, Perdon a lui et chez Gaucelm Faidit (éd. Mouzat, nº 50, v. 55) ; Ai ! Seigner Dieus ! vos q’etz vers perdonaire.
v. 40.
Le paradis est présenté d’une façon semblable par Peire Vidal (éd. Anglade nº 42, vv. 9-10) : Que·l saint Paradis que·ns promes, On non a pena ni tormen... |