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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,044- Bertran de Born

v. 1.
Les manuscrits présentent trois versions : on (A), don (M), cui (F), qe (D), que (IK). Pour compléter le sens de que, IK précisent : ill et D : i.
 
v. 2 : aill
“Cette façon d’augmenter la force de la négation en y joignant la mention d’une chose sans valeur est fréquente au moyen âge, en français comme en provençal. Raimbaud de Vaqueiras dit de même : El coms non es d’un alh cregutz” (Thomas, O. C. p. 8). On rencontre aussi chez Marcabru (éd. Riquer, Trovadores, nº 19, v. 41) : en mil marcs non daria un aill. On trouvera bien d’autres exemples dans l’ouvrage de M. Mohren (O. C. p. 40).
 
v. 3 : art
Kastner (O. C., M. L. R. nº 29, 1936, p. 144) pense que, mieux que la traduction littérale du mot, convient ici le sens de “comportement, attitude, propriété”. Il cite à l’appui cet exemple (Choix, IV, p. 328) : Ieu ai vist donas demandar Ab plazers et ab honramens, Pueys venia un desconoyssens Abrivatz de nesci parlar Qu’en avia la meilher part. Esguardatz si son de mal’art.
 
v. 5 : meailla
En ce qui concerne l’évolution du t intervocalique latin, cf. la note à 9. 38. Stimming 3 préfère écrire medalha (p. 61). La maille est une pièce de monnaie de peu de valeur, d’un demi-denier. Stimming 3 cite un poème didactique où figure le même couple : Si porretz vous saun faille Perdre les eofs e la maille (p. 155). Plutôt que de croire que ce mot soit employé pour signifier un objet presque dénué de valeur, comme c’est le cas dans les vers de Cercamon que cite Stimming 3 : no pretz mealha So que·m dizes, ce qui donnerait au texte le sens de “je partage avec lui jusqu’à mon dernier sou”, ou que la maille soit employée par synecdoque pour désigner l’argent, comme le comprend Thomas : “les vivres et l’argent”, il me semble nécessaire de mettre l’accent sur l’idée de partage. La maille est la plus petite pièce de monnaie, il est donc impossible de la partager (cf. l’expression “avoir maille à partir”) ; diviser un œuf n’est, évidemment, pas plus facile. Bertran veut donc dire qu’il est tellement porté au partage qu’il est prêt à partager même ce qui ne peut pas être divisé.
 
v. 6 : l’en
Les leçons de A (la) et de C (la·lh) montrent que, selon ces copistes, c’est la part de Bertran qui est placée hors de la communauté et non son frère qui en est exclu.
 
v. 10.
Ce vers montre bien que, pendant la période qui précède notre sirventés, Bertran avait affaire à ses deux suzerains, Aimar de Limoges et Richard, sans doute pour avoir expulsé d’Hautefort son frère Constantin. On peut se demander s’il aurait été opportun en 1183 de rappeler à Aimar les dissensions qui l’avaient opposé à Bertran, alors qu’ils étaient, à ce moment, tous deux dans le camp du Jeune Roi.
 
v. 11 : tengut en regart
Levy (O. C., t. VII, p. 174, regart 6) donne pour ce mot le sens de “crainte”, mais il se demande à propos de notre passage s’il convient bien et s’il ne faut pas comprendre comme Stimming, Diez et Appel “danger”. Jeanroy (Anthologie des Troubadours, p. 91) traduit : “tenir en souci” et Kastner (Ibid.) demande qu’on interprète ce mot en analogie avec l’afr. soi regarder, “se tenir sur ses gardes”. C’est également le sens choisi par l’Introduction à l’étude de l’ancien provençal de Hamlin, Ricketts et Hathaway (p. 84, n. 11) : “... m’ont fait me tenir sur mes gardes”. M. Bergin (L. C.) comprend “m’ han tenuto d’occhio”. Selon la strophe IV, Bertran a depuis longtemps dépassé l’expectative ; dans ces conditions, je préfère le sens de “crainte” qui est de beaucoup le plus courant.
 
v. 14 : coralha
Raynouard (L. R., t. II, p. 476) propose “entrailles (fig.)”et traduit : “auront part à la querelle”, ce qui renvoie sans doute à la leçon de C : crialha et à celle de A : auran part. Les interprétations de ce mot sont diverses : “cœur” pour Stimming 1, “ventre, poitrine, cœur” pour Thomas ; Schultz-Gora (L. C.) pense que coralha signifie, comme l’afr. coraille, “les entrailles” et traduit : “dass sie genug daran zu verdauen haben werden”, ce que reprend en note Stimming 3 : “sie werden genug davon im Leibe haben” (p. 155). Appel écrit : “sie werden genug davon genug im Herzen, im Sinn haben (= sie werden noch daran zu denken haben) ?”. Mais dans sa Chrestomathie, le même auteur donne dans le glossaire à coralha le sens général de “Eingeweide”, et à avec (sic) en la c. celui de “zu verdauen haben”. Enfin, il traduit dans Bertran von Born (p. 29) “noch ihre Kinder es in ihren Eingeweiden spüren”, ce qui n’est pas très éloigné de la traduction de Jeanroy (L. C.) “leurs enfants, si le roi ne les sépare pas, en auront encore dans le ventre” ni de celle de Hamlin, Ricketts et Hathaway. Toutes ces interprétations tournent autour de l’idée que quelque chose subsistera dans les entrailles, que ce soit avec une idée de digestion chez Appel, ou avec celle du plus profond de l’être, ce qui me paraît plus satisfaisant. La même idée apparaît dans Raoul de Cambrai (O. C., v. 2403-4) : As fix Herbert feront dolor si grant Q’apres les peres en plour(r)ont li effant.
 
v. 15.
Si l’on en croit l’auteur de la razon, Bertran morigénerait Guilhem de Gourdon, auquel Richard aurait enlevé Gourdon et qui aurait promis de se joindre aux barons révoltés contre Richard. Les sources historiques ne nous apprennent rien sur ce que fut l’attitude de Guilhem de Gourdon (cf. Stroński, O. C. Légende pp. 57-58). En fait, le texte de la strophe est fort peu clair. On lit en effet au vers 15 : fol baraill (A), fol bataill (DIK), fol badaill (F), fort matailh (M), foll batall (N). Seuls Raynouard et Thomas ont préféré fort de M à fol. Mais que signifie un fol bataill ? Stimming 3 traduit en note : “vous avez fait un tour de fou” (p. 155). Appel s’interroge dans sa Chrestomathie : “vous avez commis une folie ?”, mais il s’abstient de traduire ce passage dans Bertran von Born. M. Ehnert (O. C. p. 32) semble combiner la leçon de M à celle des autres chansonniers : “einen verrück grossen Klöppel”. Selon P. Rajna (Romania nº L, 1924, p. 247, note), le mot fol a ici une acception semblable à celle qu’on lui voit dans certaines expressions comme “folle avoine”, “vigne folle” ou en prov. moderne “espigo folo”, “épi vide” : il s’agirait donc d’un battant muet. Kastner (O. C.) reprend l’interprétation de Rajna et en tire les conclusions suivantes : Bertran veut dire que Guilhem de Gourdon est resté muet aux avances des vicomtes, qui attendaient de lui qu’il rejoignît leurs rangs, ce qu’il avait promis de faire par traité (v. 19), contre Bertran qui était alors en lutte contre son frère Constantin. Bien loin de blâmer Guilhem, comme le pense Stimming 1 et comme l’auteur des razos l’affirme longuement, Bertran est tout à fait enchanté que Guilhem, en mettant dans sa cloche un battant qu’on n’entend pas, n’ait pas apporté son appui à ses ennemis les vicomtes (v. 17). Cette solution, acceptée par Hamlin, Ricketts et Hathaway, est refusée par M. Bergin (O. C. note p. 100). L’interprétation de Kastner est séduisante, mais je crains qu’elle ne fasse la part trop belle à l’intuition. En fait, tous les exemples donnés par Rajna sont empruntés à la botanique et, dans chaque cas, fol signifie “stérile, qui ne produit pas”. Il semble impossible de passer de là à “muet” en parlant d’un objet tel qu’un battant de cloche. En revanche, une boussole ou une aiguille folle est celle qui ne s’arrête plus à un point fixe ; une balance folle, celle dont le fléau est en équilibre instable et bascule au moindre excès de poids sur l’un des plateaux ; une roue folle, celle qui ne fait plus corps avec l’axe et tourne n’importe comment. Ainsi donc, un battant de cloche fou serait celui qui s’agite sans loi précise, qui frappe n’importe quand ou sans arrêt. Malheureusement cette précision ne saurait suffire pour permettre de comprendre l’attitude de Guilhem.
Je ne crois pas que l’expression parallèle qu’on rencontre chez Montanhagol : Qu’en tal sonalh An mes batalh Don non tanh pretz los vuelha puisse éclairer la question (éd. J. Coulet, Toulouse, 1898, nº III, vv. 22-24).
 
v. 18.
A : Pero per fol e per ausart, M : Pero per bric e per moissart, DFIKN : Mas per savi (nesi D) e per moissart (musart DF, moisart N). Il n’y a pas de raison pour abandonner moissart, “faux, trompeur, perfide” (Levy, P. D. p. 250) pour musart, bien attesté dans le couple fol e musart (Jaufre, éd. Brunel, vv. 2250, 4073, 6012), mais curieusement absent du Petit Dictionnaire. En revanche, savi, “sage, avisé, savant” (Ibid. p. 336) est surprenant : peut-être a-t-il poussé les copistes à modifier le texte. Il serait intéressant de corriger ce mot en savai, si cela pouvait avoir le sens de “lâche, fourbe” que lui accordait Raynouard (L. R. t. V, p. 160), mais que Levy (S. W. t. VII, p. 489) met en question.
 
v. 20 : li vescomte
Kastner pense qu’il s’agit sans doute d’Aimar V de Limoges et de son fils : outre qu’il est d’usage de donner le titre à toute la famille, Guy partagea un certain temps le pouvoir avec son père. Rajna (Ibid.) note simplement que ce ne pouvait être Richard et Aimar, comme l’indiquait Stimming 1, puisque Richard était comte.
 
v. 23 : tartaill
Dans l’article que Levy lui consacre (S. W. t. VIII pp. 69-70), il passe en revue les diverses hypothèses sur le sens de ce mot : Raynouard comprend : “se démener”, Stimming : “se disputer, se chamailler”, Thomas, soutenu par Chabaneau (O. C. nº 32 p. 302) : “se débattre”, Andresen : “être tremblant”, Appel (Chrest.) : “s’agiter çà et là” ; en conclusion, Levy se demande si l’on ne pourrait pas traduire : “se débattre”. Il faut encore ajouter les sens de “se trémousser” (Jeanroy, O. C. p. 92), “se défendre” (Appel, B. von Born p. 29), “se débattre” (Appel, Lieder, glos.). Enfin, Rajna (O. C. p. 247) donne une explication imagée : “Era il tartalhar, balbettare e peggio, largamente romanzo e bien verosimilmente onomatopeico, e il tartalhar-se del verso..., da intendersi “armeggiare”, non manca una certa analogia. In un caso s’agita la lingua ; nell’altro una spada, o qualche cosa di simile ; e potrebbe darsi che il secondo significato fosse stato dedotto dal primo, sotto l’azione de talhar. Si noti come, con evoluzione inversa, il secondo ed uno affine al primo si trovino congiunti nell’armeggiare nostro : “Maneggiare armi... confondersi, avviluparsi nel discorso.”
 
v. 28.
A : que no, M : qe no, F : qui no, C : qu’er no, DIK : qu’era no. Comme il est impossible de conserver le texte de DIK qui donne un vers hypermétrique, j’adopte la leçon C, pour une fois proche de DIK, ce qui permet de conserver l’idée de K et de respecter les exigences du vers.
 
v. 29 : resoli e retaill
Dans les vers 29 et 30 figurent des verbes signifiant la transformation que l’on fait subir à une matière et qui sont empruntés au vocabulaire de la vie quotidienne, sinon plus précisément de l’artisanat (cf. pp. LXXXVIII-LXXXIX de l’Introduction). Chabaneau (R. L. R. nº 31, p. 611) reproche à Stimming 1 de voir en resoli un verbe ressolvre qu’il interprète par “verunreinigen”. D’autre part, le même auteur admet pour retalhar le sens donné par Diez de “verbinden”. C’est sans doute à partir de ces interprétations que Hamlin, Ricketts et Hathaway traduisent ce passage par “je résous (sépare) et rattache (réunis)”. En fait, resolar signifie “ressemeler” et retalhar “recouper”. La métaphore artisanale se poursuit au vers suivant avec refon e·ls caill, “je les refonds et je les fais durcir”, ou caill vient plus probablement de calhar, ainsi que le pensent Stimming, Thomas et Appel, que de caler que propose Chabaneau.
 
v. 31 : metre a issart
On peut penser que le sens de cette formule est suffisamment différent de fa de mos albres issart du vers 35 pour que le poète n’ait pas l’impression de répéter le mot-rime. Ainsi Thomas (Ibid.) pense que “le mot eissart, qui est au vers ... avec le sens propre d’abattis d’arbres, est ici employé au figuré pour désigner le carnage d’une mêlée : metre en eissart signifie donc pousser à la bataille, mettre aux prises”. Reconnaissons que la fin de la note adapte l’acception de l’expression à notre contexte. Peut-être avons-nous ici la même idée que dans les vers précédents, mais avec une autre métaphore : pour transformer les barons en guerriers, il est nécessaire de les ressemeler et tailler comme le cordonnier, de les refondre et les faire durcir comme le forgeron, de faire un essart afin de les cultiver comme le paysan. Cela expliquerait le texte des manuscrits qui exigent une première personne: cuiava (ADIKN), cuizava (F), cugiei (C) et cug (M) et que les éditeurs ont voulu corriger en quem cujavo (Chabaneau) ou que·m cujavan (Appel, B. von Born p. 84 et Ehnert). Pio Rajna (L. C.) pense qu’il faut écrire ·m cujava ou cujava·m et interpréter : “Io faccio strazio dei baroni che credevano di distruggermi. Ma ho ben torto di darmene pensiero, perchè valgono meno del ferro di S. Leonardo” (p. 247). Enfin, M. Hamlin (L. C.) écrit à propos de qe cujava metre en eissart que ce vers exprime la destruction dont Bertran menaçait les barons et qu’il ne convient donc pas de traduire, comme l’a fait M. Wilhelm, “For I want to send them hot to war”. Pour ma part, je pense que Bertran, à travers toute la strophe, exprime la même idée sous des formes diverses : les barons sont de si mauvaise qualité qu’il a beau s’épuiser au travail, il ne pourra rien en faire de bon : il ne s’agit donc pas de les détruire, mais bien de les “travailler”. Cette interprétation permet de respecter la tradition des manuscrits.
 
v. 34 : lo fers san Launart
Peut-être à cause de la métaphore refont e·ls caill, Chabaneau pense que comme “le Limousin, il ne faut pas l’oublier, était un pays, naguère encore couvert de forges (.) il est probable qu’on fabriquait à St-Léonard du fer de qualité inférieure” (L. C.). Après avoir défendu l’opinion contraire, Thomas (Romania nº 22, 1893, p. 591) se range à l’opinion de Chabaneau, “ayant relevé récemment, dans l’inventaire des archives de la Haute-Vienne, l’autorisation donnée à un marchand de St-Léonard de bâtir un moulin sur la Vienne pro faciendo ferrum (D 991) : l’acte est assez récent (1491), mais il est vraisemblable que depuis longtemps on travaillait le fer à St-Léonard.” On pourrait objecter que, si le Limousin était jusqu’à une date récente un pays si riche en forges et en fer, on ne voit pas pourquoi on se serait obstiné à travailler un fer d’aussi mauvaise qualité que le dit Bertran.
Il existe une seconde possibilité : san Launart peut être un datif et il s’agit alors de saint Léonard de Limousin dont le prieur de Vigeois écrit : “Les habitants de Noblac se glorifient de posséder saint Léonard, issu de sang royal et renommé presque dans tout l’univers à cause de ses prodiges : il délivra miraculeusement Boémond de la captivité où le retenait Danismanic, émir Sarrazin” (trad. F. Bonnélye). On lit en effet dans l’ancienne vie de saint Léonard, datée du Xe ou du XIe siècle (L’ancienne légende de saint Léonard, éd. Abbé Nimal, Liège, 1901) : In tantum denique magnificabat Dominus Sanctum suum, quod si quis in carcere positus invocasset nomen ejus ruptis catenis liber fiebat, neque aliquis eum impedire valebat et son hymne le nomme : O salvator captivorum et confractor carcerum (cité par l’abbé Arbellot, Vie de saint Léonard, Paris, 1963). On avait une telle foi dans la capacité de ce saint à briser les fers que “en 1193 (sic), Richard Cœur de Lion, duc d’Aquitaine, délivré comme prisonnier de l’empereur d’Allemagne, se rend à Saint-Léonard et fait édifier et réparer l’église ainsi que certaines portes de la ville” (J. Tixier, Le Sépulcre de Saint-Léonard, 1908).
 
v. 37 : Arenaill
Boso comes Petragoricensis supra locum Arenarum Petragorae magnam turrem et excelsam construxit (“Chronique des évêques de Périgueux” in Recueil des Historiens de la Gaule, t. XII, p. 392). Stroński a le premier montré le lien entre l’Arenaill de Talairan et ce château fort des Arenarum Petragorae (O. C. Légende, p. 168).
 
v. 39 : lombart
“Les Lombards, c’est-à-dire les Italiens, étaient surtout connus en France comme marchands. C’est dans ce dernier sens que Bertran de Born emploie le mot, avec une intention méprisante qui se comprend bien dans sa bouche” (Thomas, Ibid. p 10, n. 1). Cet ethnique, comme en ancien français, désignait probablement les usuriers ; toutefois, l’interprétation d’Appel me semble la plus intéressante: il note dans le glossaire des noms communs de son édition “Kramer, unkriegerischer Mensch”. En effet, l’Altfranzösiches Wörterbuch de Tobler et Lommatzch donne pour lombart le sens de “Feigling” en citant le Roman de Thèbes : Tydeus est de la ramee, L’auberc vestu, ceinte l’espee, L’eaume lacié, l’escu al col, Ne semble pas lombart ne fol.
 
v. 41 : compart
Il semble que ce verbe ait gêné les copistes qui ont tenté de le remplacer par le verbe simple partir qui donne un pied de moins au vers, ce qui cause le vers hypométrique de C (quant autra gent so part). A y remédie en introduisant Greu m’es au début du vers, mais il n’est plus alors relié à ce qui le précède et le copiste doit aussi modifier le début du vers 42. Dans les autres manuscrits, on trouve des chevilles : un hiatus dans N (la orra), un mot de plus dans M (tot autra gent s’espart) qui introduit un verbe de même sens que se partir. DFIK ont conservé le verbe compartir se, mais certains copistes devaient le comprendre comme un doublet de partir, comme le montre l’emploi de en par IK. La vérité est sans doute à chercher dans D (se) et F (si), mais le sens de ce verbe compartirse fait difficulté et il ne figure que dans ce passage (Levy, S. W. t. I, p. 303). Stimming 3 propose de comprendre “plier bagages tous ensemble” tandis qu’Appel indique dans son glossaire (Lieder) “sich in Parteien teilen” qu’il avait accompagné d’un point d’interrogation dans sa Chrestomathie, et le complète par “gegeneinander” dans son Bertran von Born où il arrive au sens de “se séparer en partis opposés”, ce que reprend M. Ehnert (O. C. p. 32) avec “sich in Parteien spalten”. De son coté, Pio Rajna (O. C. p. 248, note) explique : “Il ‘compartire’ e ‘scompartire’ italiano suggerisce agevole la spiegazione ‘si divide in ischiere’, ‘si ordina a battaglia’ ; e ne resulta un senso quanto mai opportuno ed efficace”. Cette conjecture, adoptée par Hamlin, Ricketts et Hathaway (O. C. p. 85) : “peut-être se met en ordre de bataille”, me semble être la plus satisfaisante.
 
v. 43.
Le texte n’est pas assez explicite pour savoir si les Poitevins sont dans la ville ou devant elle, d’autant que, selon Boisonnade (“Les comtes d’Angoulême”, Annales du Midi, 1895) il y avait peut-être une double enceinte et la garnison aurait pu n’en occuper qu’une seule.
 
v. 44 : maill
Chabaneau (R. L. R. nº 32, p. 202) pense qu’il s’agit du jeu de mail. En fait, Bertran parle du mail d’armes, comme l’ont compris Levy (S. W. t. V, p. 65), Stimming 3 (p. 156) et Appel (Lieder, glos.). Le mail ne se jette pas au loin, mais on peut le jeter sur quelque chose (ou surtout sur quelqu’un), en en gardant l’extrémité a la main.
 
v. 45 : Baiart
On peut se demander si l’on doit écrire ce mot avec une majuscule : pour Raynouard, il s’agit simplement d’un cheval bai ; de fait, les chevaux portaient fréquemment des noms dérivés de la couleur de leur robe. Selon Thomas, il s’agirait du nom du cheval (cf. p. XLVIII-L de l’Introduction).
 
v. 53.
Cf. p. XLI de l’Introduction. Thomas ajoute : “Gralha veut dire corneille, & non geai comme le latin graculus ; c’est également le corbeau, lo corp, que l’anonyme de M. Rajna met aux prises avec le paon. On peut considérer comme un commentaire de ce derniers vers ce que Bertran dit ailleurs en parlant de Richard Cœur de Lion : E demandem, tro que el dreit nos fassa, Dels osmenés quens a traitz d’entrels mans”. Selon Rajna (“Varietà provenzali” in Romania nº L, 1924, pp. 246-253), Bertran se réfère à une version particulière de la fable, celle de Gautier l’Anglais, où so que·l paus dis a la grailla est : Ascensor nimius nimium ruit... Qui plus posse putat suam quam natura ministrat, posse suum superans, se minus esse potest, à quoi Rajna veut qu’on ajoute la morale : Cui sua non sapiunt, alieni sedulus auceps Quod non est rapiens, desinit esse quod est.

 

 

 

 

 

 

 

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