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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,020- Bertran de Born

v. 3.
Thomas (O. C. Addenda p. 207) a proposé de lire : ai, et Appel le suit : Ez ai. Kastner propose, au cas où l’on admettrait cette version, qui est celle de CE, de prendre sort au sens de “bonne chance”, qui n’est malheureusement pas attesté. Je m’en tiens donc à la leçon e sai de A.
 
v. 8.
Cette chanson nous est parvenue en très mauvais état et il est bien difficile de choisir un manuscrit de base. Tous les éditeurs ont jusqu’ici préféré le manuscrit K, qui a l’avantage de présenter des leçons plus faciles ; j’ai préféré l’écarter, car il me paraît assuré que le copiste de K a souvent simplifié le texte. Ainsi au vers 8, A lit : que comte ni rei nom forssan ni grei ; la leçon de F n’en est pas trop éloignée : qe comte ni rei nom forsaran rei, alors que tous les autres manuscrits s’accordent, sauf variations de graphie, sur : que·il comte nil rei nom forfe(i)ron rei.
Toute la difficulté de la version de A réside évidemment dans le mot grei. Il est impossible de le faire venir du verbe greujar ou greiar, dont le sens, “charger ; peiner, torturer, molester” selon Levy (O. C., P. D. p. 212) conviendrait bien au passage. En effet, pour qu’on pût admettre no·m forssa·n ni grei au sens de “ne me force ni ne saurait me nuire”, il faudrait que le sujet ne fût pas au pluriel comme c’est le cas pour ·l comte ni·l rei. En revanche, on peut se demander si grei n’est pas un substantif coordonné par ni avec ·l comte ni·l  rei, même si Levy (Ibid. p. 212) ne cite que greug, greuch, greuge et greuja. Dans L’aura amara d’Arnaut Daniel (éd. Toja, nº 9, vv. 28-34), on lit : Pero deportz /m’es ad auzir /volers, /bos motz ses grei /de liei, don tant m’azaut /q’al sieu servir /sui del pe tro c’al coma. À propos de ce mot, l’éditeur écrit en note : “non da grejar, ma da greviar, greujar. Il Canello intende bene (p. 219) nella note (“buone parole senza i /soliti/ gravami o accuse”), ma poi traduce troppo liberamente :  “parole di pace”. Dans le glossaire, on trouve : “grei : s. m. (da greujar), pena, peso (in senso morale)”. Martín de Riquer (O. C., Trovadores t. II, p. 624) traduit ce passage par “pero me es agradable oír los deseos y las buenas palabras sin agravio de aquella que tanto me gusta”. De même, à propos de ce texte, le glossaire de Hamlin, Ricketts et Hathaway indique : “grei : grief, peine” (p. 275). Seule la Chrestomathie de Bartsch donne dans le glossaire : “grei-s : grâce, Gunst”, un sens qui ne semble guère convenir au passage.
Il me semble que, quelle que soit l’origine de grei (Levy n’indique que le verbe greujar, son doublet grejar et un verbe grevar : “vexer, peiner ; préjudicier, causer du dommage”), le sens en est assez clair : “dommage, tort, vexation”. Il existe bien un grei = “troupeau”, mais je ne crois pas qu’on puisse proposer de lire : Ni·l comte ni·l rei no·m forssan ni·n grei au sens de “les comtes ni les rois, même en troupe, ne me font pas violence”.
 
v. 10 : maltalans
A est seul à lire maltalans en un seul mot, tous les autres copistes ont écrit mals, ce qui implique deux mots. C. Brunel appuie le copiste de A en écrivant maltalans (glossaire de Jaufre, p. 241) “intention hostile” ; en ancien français, le terme parallèle est des plus courants.
 
v. 11 : N’Aichartz
Le manuscrit A est sûrement fautif, puisqu’il répète le nom de Richard déjà présent au vers 9 et qu’il indique à la rime N’Aguirans, alors qu’elle exige un mot en -artz. La correction n’est pas facile, car les copistes ont fait preuve de fantaisie : Guirautz et Audoartz (CE), Aimars et Aichartz (DIK), Azemars et Amblarz (F). Ce que nous savons par les chroniqueurs et par Bertran lui-même (chanson nº 16) conduit à penser qu’un des personnages doit être Aimar V de Limoges. Pour le second, entre les diverses possibilités, je choisis N’Aichartz, car, paléographiquement, c’est le nom qui explique le mieux la répétition de Richartz dans A. La présence d’un Amlardus d’Ans dans le Cartulaire de Dalon, pas plus que la promotion de cet Amblard au rang de comte de Périgueux par la razon, ne me paraissent des arguments décisifs pour admettre qu’il est question ici de ce personnage (cf. p XXIII-XXIV de l’Introduction).
 
v. 14 : ort
On rencontre, dans une pièce de Peire Cardenal : Per fols tenc Polhes e Lombartz (éd. Lavaud, nº 20) qui suit le schéma de ce poème et lui emprunte nombre de mots-rimes, les vers : Que n’aion estort Lo valen d’un ort (vv. 37-38).
 
v. 17-18.
Les copistes ont bien maltraité ces vers : la distance est considérable entre F qui reprend l’idée du vers 3 avec : Tant sui fis devas totas artz, et D : Puois qe fins es de totas parz, pourtant on entrevoit comment un tel glissement a pu s’effectuer. A est le seul manuscrit à employer un mot différent de fis : Tant sui fortz devas totas partz. Comme A et F, E utilise un adjectif, mais le verbe “être” est désormais à la 3e pers. du sing. : Tant es fis deves totas partz. Si l’on suppose une erreur de copie qui aurait transformé un c en t, on retrouve le texte de C : Quant es fis deves totas partz où l’adjectif devient un nom. La conjonction a été modifiée dans IK qui inversent deux mots : Puois fis es devas totas partz. Il semble donc qu’à partir de la formule de C on puisse comprendre l’ensemble des leçons. Elle a en outre le mérite de nous éloigner du sens du vers 3 pour créer un rapport étroit avec le vers 18.
Le mot fortz de A est surprenant : on s’attendrait plutôt que Bertran expliquât qu’il restait en état de belligérance à cause de son excessive fidélité (fis) que de sa force. Ce n’est pas la seule originalité de A ; il est seul à mettre tant en relation avec une conjonction consécutive et à écrire : Q’en mi resta de gerra·l pans. Tous les autres manuscrits indiquent a mi. Mais qu’est ce pans de guerra ? CE auraient-ils raison d’écrire vans de guerra avec le mot vanc dont on trouverait le descendant dans le Trésor de Mistral “Vanc : élan, ardeur” ? Rien n’est moins sûr. Il faut remarquer que DFIK lisent uns panz alors qu’on a l’article défini dans A : ·l pans. Si ce mot pans signifie “morceau” ou “empan” (Jeanroy), on attend alors un article indéfini ou même l’omission de l’article. En fait, on ne peut comprendre les vers 17-18 qu’en trouvant le sens du mot pan. Peut-être  signifie-t-il tout simplement “pain”, mais “pain de guerre” dans un sens métaphorique n’est pas attesté. Faute de parvenir à trouver un sens satisfaisant au texte de A, j’adopte la correction suggérée par les copistes de DIK.
 
v. 20 : o
Kastner (O. C., M. L. R. nº 32, 1937, p. 172) pense que le pronom neutre renvoie de façon générale à la querelle entre Bertran et Constantin à propos d’Hautefort.
 
v. 30.
A : mas ja per nuill sort, CE : e ja us per fort, DIK : et jab mi per fort, F : e ja mi per fort. On ne peut conserver la leçon de A qui accorde le masculin nuill avec le féminin sort, qui, de plus, se trouve déjà à la rime au vers 5. Levy (Archiv nº 142, 1921, p. 217) propose de corriger en E ja mais per fort, ce qui paraît satisfaisant.
 
v. 32 : correi
On remarquera que les trois emplois de ce mot par Bertran correspondent bien à la “ceinture” où l’on place l’argent. Ici le sens serait : “à trois, ils ne parviendront pas à conquérir le prix de la ceinture dans laquelle ils n’auront, à plus forte raison, pas d’argent à mettre”.
 
v. 33.
Les copistes ont défiguré ce vers. En effet, il se présente dans A sous la forme Qui que fassa de bos issartzbos est le résultat de bosc + s, comme l’explique Levy (Ibid.). Le vers a été transformé en Qui qe fassa sos bos eissarz (F), Quals que fassa sos bos yssartz (C) et Cals que·s fassa sos bos isartz (E), puis bos, pris pour un adjectif a été remplacé par bels par les copistes de DIK.
 
v. 39 : assaut
A est seul à écrire guerra qui est plat et plus facile que assaut qu’indiquent tous les autres manuscrits.
 
v. 41.
Comme le château appartenait en commun à Bertran et Constantin, ils étaient donc parsonier. Le dernier mot fait difficulté : AEF écrivent gaillar(t)z, ce qui ne convient guère ici, puisque cet adjectif est laudatif (cf. Levy, S. W. “audacieux, hardi”), comme le montre son emploi en 36. 3. Le ms. C indique gualarz, qui n’est sans doute guère différent. Le mot juste se cache probablement dans gaina(r)tz de DIK. Le Dictionaire étymologique de l’ancien français de Baldinger (p. 46) indique : “gaignart : terme d’injure : cruel, impitoyable, méchant, malicieux (en parlant de personnes)”, en précisant : “il est impossible de déterminer dans chaque cas la signification précise”. Levy cite ce terme dans le S. W. avec le sens de “pillard, avide de gain” (Raynouard, III, 449). Il est probable que le mot avait été mis en rapport avec gazanhar, qui a, entre autres, le sens de “faire du butin”. Il n’est pas sans intérêt de noter que, selon Levy, le copiste du manuscrit Oxford 9430 ou se trouve ce mot a écrit gaillarz.
 
vv. 43-44.
A écrit au vers 43 la·il ; tous les autres manuscrits introduisent un partitif : l’en, sauf C : lui. Au vers 44, le tuich flacs En Bertrans s’oppose à mals es Bertranz de CDE-FIK. Pour la grande majorité des copistes, le sens général est celui-ci : alors que Bertran est disposé à faire des concessions, à donner une partie du bien de ses enfants (l’en), on l’accuse injustement d’être belliqueux (mals). Pour le copiste de A, Bertran s’insurge à l’idée qu’on veut dépouiller ses enfants et il se récrie à l’idée qu’il pourrait abandonner leur bien (la·il), donnant ainsi au public le droit de mettre en cause sa fermeté (flacs), ce qui rappelle tout à fait la dernière strophe de la chanson nº 15 où l’on accusait le poète d’être malvatz lorsqu’il ne résistait pas aux torts qu’on lui faisait. La clef de l’énigme se trouve dans le mot gartz que Raynouard traduit par “misérable”, Stimming par “celui qui oublie son devoir” et Thomas par “bon garçon”. Thomas a évidemment choisi ce sens en fonction du contexte de la plupart des manuscrits. Kastner (Ibid. p. 173) rappelle que le Donat Proensal (43 b 11) traduit ce mot par vilis homo et que, appliqué aux valets d’armée – qui précisément n’allaient pas au combat –, le terme avait un sens péjoratif. Ainsi la signification n’en serait pas “mauvais” au sens de “méchant”, ce qui conviendrait, pris ironiquement, au contexte de CDEFIK, mais dans le sens de “lâche”, ce qui ne convient qu’à l’interprétation de A.
 
vv. 45-48.
A : Mas sal tot lo tort. Cre qamalvatz port. Venra sous autrei. Anz cab mi plaidei ; C : quar tot non loy port. mas amalvat port. venra sous autrey ans quab mi plaidey ; D : Tant ca malvaz port. nauran lalor sort. Eu loli autrey. Qals cab mi plaidei ; E : quar tot no lo port. mais amalvais port. venra sous autrei ans cabmi plaidei ; F : Qar tot noillo port Mas amalvatz port. venrai fe qeus dei. Qals qab mi plaidei ; IK : Tant ca malvatz port Nauran la lur sort. Eu lo li autrei. Quals cab mi plaidei.
Une fois de plus la lectio difficilior se trouve dans A. Qu’est ce sal ? Il me semble malaisé d’y voir la préposition salv ou sal, au sens de “sauf”, même si l’on trouve fréquemment en afr. l’expression sal les droiz, sau le dret (cf. Godefroy, t. X, p. 615) et si Tobler-Lommatsch cite saulf nostre droit et l’autrui au sens de “sans préjudicier les droits de personne”. On pourrait supposer que Bertran parodie une expression juridique : sal lo dreit, pour dire : “sans préjudice de tout le tort”, i. e. “sans chercher à savoir qui a tort ou raison”, ce qui irait tout à fait dans le sens de l’envoi. Je préfère néanmoins voir dans sal la 1ère pers. du verbe salvar que je prends au sens de “être exempt de” avec mas = “puisque”, ce qui peut s’interpréter : “puisque je suis exempt de tout le tort”.
 
v.49-50.
Levy (S. W. t. II, p. 299 drech 9) propose d’interpréter ainsi ce passage : “en ce qui concerne Hautefort, je n’ai plus besoin de m’engager dans rien, car je me fie au jugement de monseigneur le roi.” Kastner admet cette interprétation : “je n’ai plus besoin de faire quoi que ce soit de bien ou de mal”. Enfin, Appel (B. von Born, p. 39) prend caler au sens ordinaire et comprend : “À propos d’Hautefort, peu m’importe le droit, peu m’importe le tort”, interprétation qui me paraît la plus satisfaisante.

 

 

 

 

 

 

 

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