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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,039- Bertran de Born

v. 2.
La construction faire a apparaît à deux reprises dans cette chanson. Elle est impersonnelle au vers 2 et personnelle au vers 27 où le verbe a pour sujet rics hom.
 
v. 6.
À propos de la réputation de courtoisie des Catalans, cf. note au vers 31 de la chanson nº 2.
 
v. 12.
La même expression apparaît chez Guillem de Berguedà : Mas Arnautz del Vilar m’a mes er en la via (éd. Riquer, nº I, vv. 2-3) et chez Raïmbaut d’Aurenga, (éd. Pattison, p. 167, 389, 11). Martín de Riquer renvoie à ce propos à Bertoni, I trovatori d’Italia, p. 574, note 48.
 
v. 15 : joigna
Ce verbe marque ici l’union charnelle, comme dans les vers de Raïmbaut d’Aurenga : Si noc’ai poder que·i joigna En jazen, ades engrais Solament del desirier (éd. Riquer, Trovadores, nº 73, v. 45) et de Guillem de Berguedà : c’ab los moillers ai jon (éd. Riquer nº 4, v. 22).
 
v. 17.
Il existe toute une littérature qui traite du recours à un messager. Ainsi le Moine de Montaudon explique : E si merces no·m pot valer ab vos, domna, c’us messagiers privatz parles per mi, qu’ieu no·n sui azinatz (éd. Routledge, nº 5, vv. 37-39). Bernart de Ventadorn ne semble pas considérer qu’il s’agisse d’un moyen normal : Messatger, vai, e no m’en prezes mens, s’eu del anar vas midons sui temens (éd. Lazar, nº 20, vv. 57-58), opinion que partage Giraut de Bornelh : Be lo·i volria mandar si trobava messatger, Mas si·n fatz altrui parlar, eu tem qu’ilh me n’ochaizo ; car non es ensenhamens c’om ja fass’altrui parlar d’aisso que sols vol celar (éd. Kolsen, nº 4, strophe V).
 
v. 22.
A : antre beira, DIK : antre Bera, Stimming 1 : Ant-rebeira (p. 210), Thomas : Anc Ribairac (p. 144), P. Meyer : Entre Auvezera (Romania nº 21, pp. 458-9), Andresen : Autr’Ebera (Zeitschrift f. r. Phil. nº 14, 1890, p. 216). Chabaneau (R. L. R. nº 31, p. 610) écrit : Antre Beira “(est-ce la Vézère ?)”. Il refuse la correction de Thomas et ajoute : “il faut chercher là un nom de rivière. La dame qui avait donné le rendez-vous auquel manqua Geoffroy demeurait sans doute entre la... (Vézère ?) et la Dordogne.”
Selon O. Schultz (Zeitschrift f. r. Phil. 1892, pp. 228-9), le poète veut définir par ces deux noms un territoire aussi vaste que possible dans le sud de la France, à l’intérieur duquel pourraient se produire diverses rencontres. Il comprend : “vous ne vous seriez soucié d’aucun danger dans le pays situé entre la Bera et la Dordogne, c’est-à-dire : vous n’auriez pas eu peur, même si la distance était aussi grande que celle qui sépare les fleuves en question.” C’est pourquoi Schultz a recherché dans l’ouvrage de Bescherelle les rivières du nom de Bera ; il en a trouvé deux : l’une est un affluent du Rhône, de quarante kilomètres, qui se trouve dans la Drome, et l’autre, qu’il pense être la bonne, une rivière de vingt-cinq kilomètres dans l’Aude. J’ai beaucoup de mal à croire que notre Périgourdin, pour cultivé qu’il fût, ait connu l’existence de ces deux modestes cours d’eau. Si l’on admet l’hypothèse de départ d’O. Schultz, mieux vaudrait songer à l’étang de Berre, ce qui rappellerait le Cercat ai de Montpeslier Tro lai part la mar salada de la chanson nº20. L’étang de Berre joue d’ailleurs à trois reprises ce rôle de point de repère géographique dans les poésies de Guillem de Berguedà (éd. Martín de Riquer, nº 8, v. 28 ; nº 11, v. 25 ; nº 20, v. 33).
Selon M. Paden (“Compte-rendu de... W. Wiacek et de... F. Chambers”, Romance Philology, vol. 28, nº 3, février 1975), “Beira need not be the name of a river (Ch.). If it is the town of Beira-Ribairac in Dordogne (W.) the sense is satisfactory : with characteristic irony B. de Born tells Geoffrey of Brittany that he should have feared no danger between Beira and the Dordogne, a distance of only some 25 miles.”
Je crois qu’il faut en revenir au contexte historique de ce sirventés. S’il a été écrit pendant le siège de Limoges, alors que Geoffroy s’était réfugié en Bretagne, le danger qui le fait hésiter à venir au secours de la ville qui le réclame est représenté par les armées d’Henri II et Richard qui se trouvent devant Limoges. Dans ces conditions, la meilleure solution me semble d’adopter la correction suggérée par Andresen (Zeitschrift frz. Spr. u. Lit. 42, II, p. 41) qui pense que le b de beira est un ancien l qui a été mal formé : c’est bien le pays entre Leira e Dordonha qui sépare la Bretagne de Geoffroy de la cité assiégée.
 
v. 23.
Les manuscrits AIK lisent daratz et non deratz (Stimming 3, p. 136) et D indique dara et non dera (Stimming 1, p. 210 ; Thomas, p. 144). Appel (O. C. “Beiträge... II”) pense que l’on n’a pas le droit de modifier cette tradition. Pourtant, ce futur coordonné à degra (v. 24) surprend, d’autant que la subordonnée est au subjonctif imparfait : acsetz (v. 21). La syntaxe du français moderne, moins souple que celle de l’occitan médiéval, oblige à traduire de toute façon par un conditionnel.
 
v. 25.
Appel (Ibid.) rappelle que la question de savoir si un riche est susceptible d’amour a souvent été discutée et renvoie à son édition de Raïmbaut d’Aurenga (p. 16 sq.). On en trouve la trace dans ces vers d’Alphonse d’Aragon : Pero be vos tenh a folor, Si·us cudatz que per ma ricor Valha menhs a drut vertader (éd. Riquer, Trovadores, nº 105, vv. 13-15).
 
v. 27.
Même si C. Brunel, dans le glossaire de Jaufre, indique pour faire ad amar le sens actif de “mériter d’aimer”, le texte : C’om ne pusca melor trobar Ni qe tan fassa ad amar (vv. 3763-4) admet parfaitement l’interprétation : “mériter d’être aimé”.
 
v.32 : ses temer e ses celar
Ces deux termes apparaissent joints pour symboliser les sentiments amoureux : Car tuich li miei afar major Son en celar et en temer (G. Faidit, éd. Mouzat, nº 52, vv. 5-6), C’anc servirs ni plazers No mi pot esser bos, Ni preiars ni chansos Ni celars ni temers (R. de Miraval, nº 14, vv. 13-16, où l’éditeur, L. Topsfield traduit : “discrétion et réserve”). M. G. Lavis (L’expression de l’affectivité dans la poésie lyrique française du Moyen Âge, Paris 1972, p. 105) écrit que “la crainte est, en fait, une composante essentielle de l’amour courtois”, avant de citer Gace Brûlé : Et false est amours qui ne crient (XLIII FR 1578 v. 24). C’est ce que confirment ces vers de Bernart de Ventadorn : Mas greu veiretz fin’amansa Ses paor e ses doptansa, C’ades tem om vas so c’ama falhir, Per qu’eu no·m aus de parlar enardir (éd. Riquer, Trovadores, nº 62, vv. 13-16).
 
v. 38.
Appel (O. C. “Beiträge... II”) propose de comprendre : “je préfère que ma dame me fasse rire et faire des bons mots, plutôt que...”, ce qui suppose une construction très libre. Je pense que le subjonctif introduit dans la relative une nuance de possibilité ou de souhait.
 
strophe VI.
Cette formule qui annonce ordinairement un changement dans le cours des chansons (cf. 25. 41) introduit une strophe obscure qui contient malheureusement la clef du sirventés. Au vers 43, le sens de car fait difficulté : selon Stimming 1, il s’agirait du verbe cardar ; outre que cela n’aurait guère de sens, on attendrait un subj. cart. Mieux vaut suivre Andresen qui propose carar, une variante de cairar (Appel cite le Donat Proensal : carar = quadrare) dont le sens serait “couper en quartiers”, à mettre en rapport avec le français “équarrir”. Peut-être faut-il songer à ce sujet à l’expression mermar una crestesa ou una tesa (29. 21).
Au vers 46, on trouve : ni broigna (AD) et ni sen broi(n)gna (IK). Raynouard traduit ce verbe par “revêtir la cuirasse” ; Chabaneau (L. C.) pense qu’il s’agit d’une variante d’embroncar : “il ne s’émeut ni ne s’effraie”, et Thomas le suit. Ce verbe correspondrait à l’ancien français s’embronchier, “baisser la tête d’un air triste, s’assombrir”.
Resoignar est également un hapax. Stimming 1 et Thomas le traduisent par “avoir peur”, Chabaneau par “veiller sur” et Stimming 3 par “veiller à”. Appel, reprenant la comparaison de Stimming avec l’ancien français ressoignier, montre que si ce mot a bien le sens de “donner tous ses soins à”, il signifie généralement “se faire du souci, avoir peur pour” ; il conclut qu’on ne peut traduire ce mot qu’en fonction de l’interprétation du vers suivant. Appel suggère la possibilité de deux métaphores : dans la première, le Limousin serait un cheval, comme dans la pièce nº 35 ; le sens des vers 47-48 serait alors : “il s’inquiète pour le Limousin (version de IK) et lui fait fermement serrer la sangle.” Dans la seconde, Limotge (version de AD) correspondrait au nom latin de Lemogia ; la ville serait personnifiée et comparée à une dame. Cette interprétation a le mérite de rendre compréhensible l’emploi de domneiar qui, au vers 45, est lié à des questions purement politiques où le service d’amour n’a que faire. Partant de cette constatation, Appel se demande si toute la chanson n’est pas politique; Limoges serait la dame qui a appelé le comte et auprès de laquelle il ne s’est pas précipité, comme aurait dû le faire un amant respectueux des règles de la fin’amor, car il a peur du danger qui le menace entre Leira e Dordoigna. Le sujet de la poésie serait donc le siège de Limoges pendant lequel le comte, auquel elle s’adresserait, se tenait à l’écart. Appel conclut sur son hypothèse en disant que Bertran ne se tient naturellement pas du côté du comte, mais de celui du roi d’Angleterre et que la tornada est ironique, comme l’ensemble de la chanson. Dans ce cas, le sens du passage serait : “il s’inquiète pour Limoges et la fait bien sangler”, ou “corseter”.
Kastner (O. C., M. L. R. nº 31, 1936, p. 26) penche en faveur de l’interprétation d’Appel, mais considère que le ·l dans Limotg’e·l ne peut être la forme enclitique du pronom la (pourtant indiquée pour l’accusatif singulier du pronom féminin de la 3e pers. par Bartsch, dans le tableau sommaire des flexions provençales de sa Chrestomathie ; il est vrai qu’il n’en indique pas d’exemple). Kastner pense que le sens de reserar, autre mot rare, n’est pas clair ; il récuse le sens de “assiéger” que lui donne Stimming 3 et admet difficilement celui de “lacer, corseter”. Il préfère, s’appuyant sur le français “resserrer = serrer davantage”, l’interpréter : “investir plus étroitement”.
Devant l’extrême difficulté de cette strophe, je propose d’admettre la seconde hypothèse d’Appel et de comprendre ainsi : après avoir raillé Geoffroy, qui ne vient pas au secours de Limoges, Bertran fait la leçon à Aimar : “Je tourne ma chanson du côté d’Aimar qui pourrait en apprendre ce qu’exige son honneur, lui que notre seigneur pourrait mettre en pièces”. Puis, opposant à Geoffroy qui pèche contre la fin’amor en ne venant pas auprès de la dame qui l’appelle, c’est-à-dire en ne venant pas au secours de la ville assiégée, l’attitude du roi Henri II qui se comporte en amant assidu auprès de sa pauca Lombardia, la ville révoltée, comme les Lombards l’étaient à la même époque, Bertran remarque : “Il sait si bien faire la cour aux dames qu’il ne change pas, ne baisse pas la tête à cause des menaces ; au contraire, il redouble de soins pour Limoges et l’enferme plus étroitement”. Je vois dans les verbes resoignar et reserar les verbes simples avec le préverbe re- qui pourrait marquer soit l’intensité, soit la répétition, ce qui soulignerait encore la constance d’Henri II qui no·s camja. On pourrait parvenir à une autre interprétation en mettant un point à la fin du vers 44, en faisant d’Aimar le sujet de toute la strophe et en corrigeant en Lemotg’e·s le début du vers 48. Dès lors, Bertran s’en prendrait à Aimar, accusé d’être si amoureux qu’il refuse de bouger de sa cité, attitude passive que Bertran condamnait déjà dans la strophe VI de la chanson nº 16 : “... à qui notre seigneur pourrait mettre en pièces sa petite Lombardie. Il sait si bien faire la cour aux dames qu’il ne change pas, ne baisse pas la tête à cause des menaces : au contraire, il redouble de soins pour Limoges et se laisse enfermer plus étroitement.”
Évidemment, comme le disait déjà Appel, tout cela n’est qu’hypothèse et seule une razon contemporaine pourrait nous permettre de savoir si cette chanson représente la raillerie d’une banale histoire galante ou s’il s’agit d’une originale satire politique.
Il faut encore ajouter une pièce à l’insoluble débat sur le sens de cette chanson. Dans son édition de Gace Brûlé (Mémoires de la société néophilologique de Helsinki, 1951, pp. 30-31), Petersen Dyggve rapproche notre chanson, dans laquelle, selon lui, “le poète reproche au comte d’avoir manqué, retenu par sa timidité, à un rendez-vous que lui avait donné une dame”, de l’envoi de la chanson R. 1867 (XVI) de ce trouvère : Ci puet ma chançon definer D’amour que si m’a essaié. Le conte Joiffroi ai proié Que laist envie de fausser ; Mort seriom par son péchié”. Je laisse la parole à Petersen Dyggve : “Or il nous semble entendre l’écho de ce reproche dans l’envoi en question de Gace Brûlé et y voir une allusion à ce même intermède. Dans les deux chansons il est question d’une “envie de fausser”, d’une tendance à “fausser”, c’est-à-dire à ne pas tenir sa parole. Comme c’est une accusation très grave que d’être regardé comme un homme de mauvaise foi, surtout quand elle s’adresse à un personnage du haut rang du destinataire, on croit devoir comprendre que le poète vise ici, en raillant avec bonhomie, quelque petit incident dont les amis avaient déjà parlé maintes fois en plaisantant. La chanson étant une chanson d’amour, la “fausseté” dont il s’agit dans l’envoi et que le poète reproche au comte Geoffroi ne pourrait avoir trait qu’à une faute commise envers les conventions et les lois du code de l’amour. Ainsi on est directement amené à penser à la “fausseté” dont parle Bertran de Born. Si notre hypothèse est fondée, il s’ensuit d’abord que la chanson R 1867 (XVI) de Gace Brûlé doit dater de la même époque que celle de Bertran de Born, à savoir de 1184. Secondement il en résulte que les deux poètes, le troubadour et le trouvère, ont très probablement séjourné en même temps à la cour du comte, et par conséquent qu’ils se connaissaient et – on ose peut-être le dire – que les deux confrères étaient unis par des liens d’amitié. Et c’est ainsi qu’on aurait ici un nouvel indice de relations directes entre les anciens troubadours et les trouvères. À ce propos, on pourrait même se demander s’il ne serait pas permis de voir dans la complication de la versification de cette même chanson de Gace Brûlé – les couplets l-II, III-IV, et V-VI rimant sur les mêmes mots – un résultat direct du contact du poète du Nord avec un des représentants des courants littéraires du Midi.”
Pour intéressante que soit cette hypothèse, elle paraît peu fondée : en effet, son argument principal, le reproche qui serait commun aux deux chansons d’une “envie de fausser... c’est-à-dire de ne pas tenir sa parole” n’apparaît pas dans la chanson du troubadour.

 

 

 

 

 

 

 

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