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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,034- Bertran de Born

vv. 4-8.
Dans ces quatre vers, Bertran joue sur l’homophonie entre les radicaux de auzel et auzar d’une part, et de l’autre, de voler et volar, ce dernier terme n’apparaissant pas : ausel (4), auzel (5), aus (6), voler (6 et 7), aus (7) et volon (8). Ce jeu de mot trouvera son aboutissement dans la tornada où la dame, comparée à l’alérion, s’élève au-dessus des oiseaux.
 
v. 6.
Il serait sans doute audacieux de vouloir reconnaître en ce mieills q’el mon es Guicharde de Beaujeu, célébrée dans les poésies amoureuses sous le senhal de Mielhs-de-Be. Il est néanmoins intéressant de noter que notre sirventés a été composé dans la période qui suivit l’arrivée en Limousin de la future vicomtesse de Comborn.
 
v. 9.
On remarque une tournure similaire chez Bernart Marti (éd. Appel, I, vv. 47-48) : Ieu so suy drutz ni drutz no·m fenh Ni nulhs joys d’amor no m’esjau. Le sens du verbe se fenher n’est pas clair. Si l’on pense à cette gradation qui conduit du fenhedor au drut (cf. p. CXX - CXXII de l’Introduction), la présence des deux termes dans le même vers ne paraît pas accidentelle. Se fenher représente le premier degré de l’amour et je le traduis par “soupirer” plutôt que par “s’occuper” (Levy, Petit Dic. p. 186), ce que confirme le vers 7076 de Flamenca : Sembla que·us vuillas d’Alis feiner que Nelli et Lavaud, les éditeurs, traduisent par “il me semble que vous vouliez faire la cour à Alis”. Ils précisent en note : se f. de “se donner pour amoureux de”. M. Bergin (O. C. p. 41) traduit ce passage : “né tanto pretendo dall’amore, da rivolgermi e fare appello ad alcuna donna al mondo”.
 
v. 10.
A : Qieu enrazon ges dompna nin apel ; DIK : Qen (Quen I) rason domna damor nin (nim IK) apel ; C : Quel mon domna non razon nin apelh ; F : Qel mon dompna no razo nil apell ; T : causar dem an arescos nimapell ; St. 1 : Qu’el mon domna no’n rason ni n’apel ; Th : Qu’el mon domna n’enrazon ni n’apel ; St. 3 : Qu’e·l mon domna n’enrazo ni n’apel ; Ap. : Qu’ie·n enrazo ges domna ni n’apel.
Je m’en tiens au manuscrit A et lis : en razon, avec en = d’amor, au sens de “au point que je parle d’amour en quelque façon à une dame ou la prie d’amour”.
 
v. 17.
Levy (Archiv nº 143, 1922, p. 98) fait remarquer que le développement manque de logique : Bertran nous dit dans la première strophe qu’il est amoureux du mieills q’el mon es à qui il n’ose pas exprimer ses sentiments ; dans la seconde, il explique qu’il s’abstient de tout rôle amoureux et reproche aux médisants d’avoir fait croire qu’il recevait les faveurs de la gensser del mon ; enfin, il en arrive à se définir comme un om ses dompna. En fait, on peut se demander si cette problématique amoureuse préoccupe réellement Bertran dont le but semble de donner un prétexte galant à la composition de son sirventés.
 
vv. 22-23.
Levy (Ibid. p. 92) trouve ces vers peu clairs. Kastner (M. L. R. nº 32, 1937, p. 175) comprend : “cela ne sera pas convenable de sa part s’il ne se montre pas maintenant si grossier que chacun des barons puisse être heureux si Richard daigne lui donner une réponse.” En fait, le texte dit : “que chacun ait du plaisir s’il lui répond”, ce qui n’est pas exactement la même chose. Peut-être faut-il entendre : “que chacun ait du plaisir, s’il en obtient une réponse” (car celle-ci sera comique par sa grossièreté). M. Bergin (L. C.) traduit : “egli male ne avrà (se ancor non è villano) finché ciascun di loro avrà gioia della sua riposta”.
 
v. 24.
À côté de ces vers de Guillem de Berguedà : Non pot faillir, qan m’en irai, Q’om no·m pel o no·m tonda (XXV, 33-34), l’éditeur, Martín de Riquer note des citations de Giraut de Bornelh : Mais volh pelar mo prat c’altre·l me tonda (242, 69 ; éd. Kolsen) et du coms de Blandra : Pois vezem qu’el tond e pela, Falkez, eno gara cui (181, 1 ; éd. Bertoni, I trovatori d’Italia, p. 260).
 
v. 25.
Cette strophe explique nettement que l’on dépouille Richard du Limousin ; cela confirme donc que Bertran a composé ce sirventés après le printemps 1185.
 
v. 34.
ADIK : Monsaurel ; C : Monmaurelh ; T : Monmaurell. Comme Montsoreau (Maine-et-Loire) se trouve en Anjou, province qui est restée fidèle à Henri II pendant tous ces troubles, il semble préférable de suivre CT et de lire Monmaurel, puisque Montmoreau (Charente) faisait partie du comté d’Angoulême dont les titulaires prirent une part notable à toutes les révoltes.
 
v. 36.
Il s’agit d’Aimar V, vicomte d’Angoulême et de Raimon II, vicomte de Turenne.
 
v. 37.
A
C
D
IK
T
Taillafer
Tallafer
Maclafers
Taglafers
Talafer
Rostans
Folcaus
Golfauz
Golfautz
Folcaut
Golfiers
Jaufres
Golfiers
Jofres
Jaufres
 
La rime exclut le Golfiers de AD et impose le Jaufres des autres manuscrits. Le surnom de Taillafer désigne Guillaume V d’Angoulême qui mourut en 1187. Si l’on se souvient de la liste des conjurés que donne Geoffroy dans sa chronique (cf. Introduction à chanson nº17), on se rend compte que l’énumération de Bertran la recoupe : il est donc probable que Jaufres est Geoffroy de Lusignan et qu’il faut adopter le Folcaus de CT, qui désigne Foucault d’Archiac, un puissant baron, seigneur d’Archiac (Charente-Maritime) “dont les possesseurs, alliés à la maison de Pons, comptaient dès le XIe siècle parmi les principaux barons de la région” (Boussard, O. C. p. 123).
 
v. 41.
Selon Martín de Riquer (Guillem de Berguedà, t. I, § 71), notre troubadour parle avec sympathie de Ramon Galceran qui devait lutter dans un parti hostile au roi Alphonse d’Aragon, auquel appartenait également Pons de Cabrera, l’époux de Marquesa de Cabrera. Un Gaucerand de Pins figure en 1185 parmi les arbitres choisis en cas de conflit entre eux par Raimon de Toulouse et Alphonse d’Aragon (Dom Vaissète, O. C., t. VI, p. 66). San Pablo de Pinos, petite localité de Catalogne, tout près de Berga, province de Barcelone” (Thomas, p. 59)
 
v. 42.
A : qen ma razon lespel ; C : que ma ra/zon espels ; DIK : en ma razon lespel ;  F : e ma razo les ples ; T : qe ma rason espell ; Stimming et Thomas suivent DIK, Appel laisse en blanc la première syllabe. Le passage est obscur : espel ne vient sans doute pas d’un espelar que cite le F. E. W. et qui possède un équivalent dans l’afr. espeler, mais plutôt du verbe espelir, auquel, outre le sens de “éclore”, Mistral (Trésor) attribue la signification de “découvrir, avouer, dire un secret” qu’il confirme par l’expression “acabo de l’espeli = finis de le dire”. Le verbe possède également ce sens dans l’ancienne langue, comme l’indique le F. E. W. (art. spellon, t. XVII, 177a) et le confirment les vers de Peire Cardinal : Cel qui no val ni ten pro per semblan Pro ni valen no·s tanh que hom l’apel, Ni dreiturier, quan met dreg en soan, Ni vertadier quan vertat non espel, cités par Kastner (M. L. R. nº 32, 1937, p. 176), auxquels on pourrait ajouter ceux de Grimoart : E vec vos del vers la fi, Qu’En Grimoartz vos espelh (éd. M. de Riquer, Trovadores, nº 36, vv. 60-61).
Mais quel est le sens de l’expression en ma razon ? Levy ne croit pas qu’on puisse comprendre comme l’a fait Stimming “comme étant mon opinion”, et préfère suivre les indications de Thomas qui conduisent à “dans mon discours” ou “dans les circonstances où je me trouve”, mais qu’un poème soit désigné par le mot razon le gêne. Kastner propose de donner à razon le sens de “discours”, à tan celui de “très” (cf. Schultz-Gora, Archiv 433 a 1, 32) et de prendre quar comme conjonction introduisant une complétive, ce qui donne : “dans mon discours, je lui déclare que ses paroles et ses demandes sont très hautes”. Comme je ne pense pas que l’interprétation de M. Ehnert (O. C. p. 95) “den ich zu Recht nenne” (= que je nomme à bon droit) soit plus satisfaisante, je me contente de suivre Kastner.
 
vv. 45-46.
Stroński (Le Troubadour Folquet de Marseille, Cracovie, 1910, p. 30) énumère les occurrences du senhal Fraire chez Raïmbaut d’Aurenga (389, 32), Peire Vidal (364, 24 ; 40 ; 47) et Pons de Chapduelh (375, 16) et se sert de notre passage, beaucoup plus explicite que tous les autres, pour reconnaître sous ce senhal de Fraire, c’est-à-dire confrère en activité poétique, le seigneur-troubadour Guillem de Berguedà.
Ainsi donc, cette strophe, divisée en deux parties par Appel, qui trouve sans doute qu’elle manque de continuité, trouve sa logique dans son sujet : elle s’adresse aux seigneurs catalans, probablement hostiles à Alphonse II, avec lesquels Bertran entretenait des relations d’amitié. Selon le mot de M. de Riquer (Ibid. §§, 71 et 80), cette strophe fait apparaître tout un environnement de nobles catalans, liés de relations étroites et cordiales. De même que Guillem connaissait, probablement par Bertran, les seigneurs aquitains au point de célébrer Alix de Turenne (Riquer, Ibid. § 57), le seigneur d’Hautefort avait pu entendre parler de Marquesa d’Urgel que chante aussi Guillem de Berguedà. D’ailleurs Peire Vidal a lui aussi pris la défense de cette vaillante dame contre Alphonse : Chanso, vai t’en al bon rei part Cerveira, Que de bon pretz non a el mon egansa, Sol plus francs fos ves mi dons de Cabreira, Que d’autra re no fai desmezuransa (XIII, 43).
 
v. 48.
On ignore totalement à quoi Bertran fait allusion. Martín de Riquer tire argument de ce passage pour considérer que Guillem de Berguedà avait quitté Bertran de Born peu avant la composition de ce sirventés, pour lequel il admet la date de 1184.
 
v. 49.
Cette métaphore s’explique mieux à la lecture de ces vers de Guillem Faidit (éd. Mouzat, nº 65, vv. 37-40) : E pero pogei tant amon Que penre cuidei l’aurion, Q’om non pot penre ab ren viven De tant fort manieira·is defen.
 
Strophe VII.
L’ensemble du domaine des Plantagenêts est représenté, puisque les possessions continentales sont : Bretagne, Normandie, Anjou, Poitou et Maine. D’autre part, Ostasvaus est probablement, comme l’a indiqué Thomas (Annales du Midi 1890, II, 14), Ostabat dans les Pyrénées, ce qui désigne la Gascogne. Pour rester dans la même logique, il faut abandonner le vers 54 de M : E del Tibre entro a San-Marcell pour celui de C : E de Roziers entro lai Mirabelh. Il s’agirait d’un des nombreux Rosiers, selon Thomas, probablement celui qui se trouve près d’Uzerche (Corrèze), et du château de Mirebeau qui se trouve dans le triangle des forteresses situées à la frontière du Poitou. Ainsi, avec Monferran (l’actuelle Clermont-Ferrand), seraient représentés l’Auvergne, à laquelle les Plantagenêts n’avaient pas encore renoncé, le Limousin et cette région si souvent disputée. Il ne manque plus que les territoires d’outre-Manche et Bertran encourage Richard à revendiquer la terra saint Aimon, c’est-à-dire l’Angleterre, désignée du nom de saint Edmond, “roi d’Estanglie, martyr du IXe siècle à Framlingham” (Thomas, p. 59).
Kastner tire argument de cette strophe pour dater ce sirventés de 1184, puisque Bertran pousse Richard à demander sans délai d’être couronné roi, comme l’avait été son frère Henri. Cela n’a rien d’évident : si nous ignorons à partir de quelle date Richard a commencé à formuler cette revendication, nous savons qu’il ne l’avait toujours pas abandonnée en 1188-1189. Il est étrange que cette strophe ne figure que dans CM. Pourrait-on supposer que cette chanson a été remaniée ?
 
v. 59.
Martín de Riquer (Ibid. § 80) rapporte que, sur une donation de 1183, la signature de Gaucerandi de Urg suit celle du roi Alphonse II et que celle de Raimondi de Urg voisine avec celle de Gauceran en 1185.

 

 

 

 

 

 

 

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