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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,002- Bertran de Born

vv. 2-3.
La compréhension de ces vers est rendue difficile par la présence de deux hapax : elesta et s’escontentar. Si l’on adopte la leçon de ADFIKN au vers 3 : Don, la proposition introduite par ce relatif exige un verbe que l’on ne peut tirer que de la forme ses contenta, ainsi que la notent tous les manuscrits. En revanche, si l’on suit CEa, qui lisent Del au même endroit, on n’a besoin d’aucun verbe et l’on peut considérer que ses contenta est une simple cheville. On peut penser que le copiste de C a voulu simplifier un texte difficile, transformant la elesta Don lo nous temps s’escontenta en la festa Del novelh temps ses contenta. Le vers 2 devient alors hypométrique, ce qui explique que le copiste de a ait préféré conserver elesta. D’ailleurs, il me semble que C et E lisent sesta et non festa, qui figure a la rime au vers 9. Raynouard (Lexique roman t. II, p. 467) et Stimming 1 (p. 128) admettent l’existence d’un verbe s’escontentar signifiant “se réjouir”. La seconde difficulté vient de l’autre hapax, elesta. Raynouard (Ibid. t. IV, p. 41) cite notre v. 2 et traduit “l’élue (la beauté)”. Chabaneau (R. L. R. nº 31, p. 604) pense que “ce mot, qui est une des formes du part. passé de elegir, pris substantivement, signifie peut-être ici l’annonce, le prélude de la belle saison. Elegir, en effet, paraît avoir eu, entre autres significations, celle de deviner, prédire”. Thomas (p. 177) adopte le sens de “annonce”. Je m’en tiens au manuscrit A, vois en conséquence le verbe s’escontentar au v. 2 ; pour elegir, je lui laisse son sens ordinaire et traduis donc elesta par “choix, élite”, comme le fait Appel dans le glossaire des Lieder (“Auswahl, das Beste ?”).
 
v. 9 : festa
Si ce mot fait bien allusion au terme de la trêve fixée le 5 avril 1187, il s’agirait de la Saint-Jean.
 
v. 10.
Cliché assez fréquent dont Stimming 1 donne plusieurs exemples (p. 231) : C’uns sols dias me dura cen (BdV 15. 49), Quecs jorns mi sembla plus d’un an, car non la vei (Uc de St. Circ 9. 38), Mas .II. jorn ni sembleran .VIII. entro qu’eu sapcha (Flam. 5327), .I. jorns mi tenra un an entro qu’eu sia justa lui (Flam. 6181).
 
v. 14.
Seule la rime justifie la présence d’un -s final à Cambrais.
 
v. 15.
Cette malédiction semble avoir connu une certaine vogue chez les troubadours si l’on se réfère a la liste que donne Stimtning 1 (Ibidem) : Piustel’hui sus en sa gronha ! (R. d’Or. 31. 39), Pustel’en son oil e cranc, qui (GdBorn. 59. 43), Pustela en sa barba qui so pesset (Ross. 2984), Aja en son olh postella (Folq de Rom. 2. 32), Pustella en sa gauta cel qu’ab lieis si desacorda (Arn Dan 5. 26), que perdatz los huolls amdos de cranc (ibid. 17. 42).
 
v. 16 : l’en amonesta
Levy (Archiv O. C.) fait remarquer qu’on ne voit pas à qui se rapportent l et en ni ce que signifie amonestar. Appel résout la difficulté en adoptant un ordre strophique 1 2 5 3 4 etc. qui ne correspond à celui d’aucun des manuscrits, mais qui paraît plus logique.
Je crois que l’on peut conserver l’ordre des strophes de A, sans pour autant donner à amonestar un autre sens que celui de “exhorter” qu’il présente ordinairement. En effet, la strophe II s’est achevée sur les vers E non vuoill sia mieus Doais Ses la sospeisson de Cambrais où Bertran conseillait de ne pas se contenter de ce que l’on avait ; on peut penser que Bertran s’en prend au conseiller prudent qui exhorte le souverain à se satisfaire de ses conquêtes, sans pousser plus loin son avantage.
 
v. 17.
Il existe un lien étroit entre la guerre et l’argent. Ainsi la guerre permet l’accomplissement suprême de deux qualités fondamentales : largesse et bravoure. Aussi malvestat, que le Petit Dictionnaire traduit par “méchanceté, lâcheté”, s’oppose à mession, “dépense” et ne va pas sans avarice.
 
v.19.
À propos de ce mot que Levy (P. D. p. 349) traduit par “séjour ; repos, délassement ; divertissement, plaisir, joie”, on peut rappeler avec M. Duby (O. C. “Les Jeunes...) les vers de l’Histoire de Guillaume le Maréchal : Que nus qui velt en pris monter N’amera ja trop long sejor... Ains s’esmovit en mainte terre Por pris e aventure quere (1890) et Car errer plus lor pleüst Q’a sejorner s’estre pleüst Quer bien saciez, ce est la somme Que lonc sejor honist giemble homme (2399). À ce propos, M. Duby écrit : “ce refus du ‘séjour’, cette errance se révèle comme un trait fondamental, au centre de toutes les descriptions que l’on conserve de l’existence du jeune” (p. 836).
 
v. 21 : Roais
Ce nom fait difficulté, car il ressort clairement de la fin de la chanson que la leçon de bravoure ne saurait s’adresser qu’à Philippe Auguste. Il faut donc écarter une forme, qui serait  assez abusive, de Rouen ainsi que le Roais de la chanson de Jordan de Confolens citée par Chabaneau (R. L. R. nº 32, p. 205) : Car no mi pot far remaner Ab tot quant a trosc’a Roais En Angleterra oltra mar, dont le seigneur serait de toute façon Henri II et non Richard. Appel (Lieder, glos. p. 137) propose “vielleicht Arrouaise, lat. Aroasia (Pas-de-Calais), mais comme me l’indique M. Sindou, “Roais ne saurait être Arrouaise ; qui plus est, il n’existe pas de seigneur mais bien un abbé de Saint-Nicolas d’Arrouaise, au dioc. d’Arras”. M. Sindou récuse également la proposition de Thomas (p. 71) en faveur de “Rouy, dans l’Île de France (Aisne)”, car “Roai, moins une -s postiche, coïnciderait avec Roeum 1027 Rouy, hameau d’Amigny et chef-lieu d’une seigneurie relevant du prévôt de la Fère, donc du comte de Marle, qui est le sire de Coucy, non le roi de France”. En fait, il ne reste dès lors à voir sous cette forme Roais que le nom traditionnel de la ville d’Edesse (cf. note à 3. 23). Mais quel sens pouvait alors prendre une telle périphrase ? Traiter Philippe Auguste de “seigneur d’Edesse”, alors que la ville avait été reprise par les musulmans en 1144 et que l’expédition que Louis VII  avait conduite pour la délivrer s’était achevée calamiteusement, n’était sûrement pas un éloge. On peut formuler l’hypothèse que Bertran met en garde le roi de France : s’il continue à ne pas se battre, son royaume lui échappera aussi bien que le comté d’Edesse dont il aurait dû hériter si son père s’en était emparé, et il deviendra en quelque sorte un souverain in partibus infidelium.
 
v. 22.
Doit-on interprêter en comme un complément d’agent ou de nom ? La première solution me paraît la plus probable.
 
v. 24.
La répétition du mot-rime dolenta, déjà rencontré au vers 27, est justifiée par son emploi dans un sens différent.
 
v. 26.
Outre les exigences de la rime, on peut voir ici une allusion aux campagnes de Louis VII qui, dans le passé, avait brûlé Sées et mis le siège devant Rouen.
 
v. 31.
Deux traditions manuscrites s’opposent : ADDcFIKN lisent Cui tandis que Ca indiquent Q’us et E : C’uns. Ensuite DDcFIK rejoignent CEa pour introduire coms, alors que AN ont hom. La précision du titre est-elle bien indispensable quand Bertran donne une valeur générale à son propos avec de rei ni de gran poesta ? Gênés par la coordination d’un indicatif avec un subjonctif, Appel (Lieder, p. 67) propose de corriger en laidisqu’e, et Kastner indique qu’en suivant les manuscrits CE, on pourrait utiliser o au lieu de ni et écrire laidisc’o desmenta. En fait, s’il est exact que CE écrivent o au lieu de ni (E : ho), c’est au vers précédent.
 
v. 33.
Il s’agit encore une fois d’un cliché ; on le rencontre aussi chez Gaucelm Faidit : q’en als no·m sojorn ni engrais (éd. Mouzat, nº 72, v. 50) et chez Giraut de Bornelh (éd. Kolsen, nº 45, v. 61) : Era sojorn et engrais.
 
v. 37.
Selon M. Boussard (O. C. p. 251 note 4), “En cas de guerre, pour sa défense, on pouvait lever une taille appelée questa”. Le même auteur précise (p. 431) que, “au cours de l’été” 1167, “à Tours, ville partagée entre la domination des deux rois, les collecteurs des deniers destinés à la Terre sainte, sujets, les uns d’Henri, les autres de Louis VII, se querellèrent et finirent par incendier la ville”. On peut penser que cette opposition persistait par la suite.
 
v. 48 : assais
Kastner (M. L. R. nº 32, 1937, p. 188) propose de traduire par “actes héroïques” et cite le Carros de Raïmbaut de Vaqueiras (vv. 100-101) : Hueimais veirem de grans assais, que Martín de Riquer (O. C. Trovadores, p. 831) traduit par
“acometidas”.
 
v. 51.
Dans une note à propos du monastère de Grandmont, J. Mouzat (O. C. p. 540) rappelle que “les frères étaient appelés bons hommes comme le furent aussi les Parfaits cathares, et avaient un grand renom de sainteté”.
 
Pierre, né en 1102, fut le premier abbé de Tamié avant d’être élu en 1141 archevêque de Tarentaise. Sa charité le fit vénérer pendant sa vie même. Il figure parmi les signataires de l’accord entre Henri II et Humbert de Maurienne (Gesta t. I, p. 35). Selon la chronique de Robert de Torigny (éd. Howlett, Londres, réimp. 1964), Archiepiscopus Tarentasiae, qui fuerat monachus de ordine Cisterciensi, per quem in nostris temporibus in exhibitione miraculorum Deus benedicitur, cum abbate Cisterciensi Alexandro, missus a domino papa venit ad regem Francorum, pro reformanda pace inter regem Angliae Henricum et filium ejus, regem juniorem. Peu de temps après la mort de ce saint homme, survenue à Bellevaux le 14 septembre 1174, pendant le même voyage, il fut canonisé par Célestin III, le 10 mai 1191 (Cf. J. M. Chevray, La vie de saint Pierre II, archevêque de Tarentaise, Baume-les-Dames, 1841 et A. Dimier, Un moine de Tamié, saint Pierre de Tarentaise, Ligugé, 1935). C’est, à mon sens, par erreur que M. Paden écrit à son propos (“De monachis rithmos facientibus”, Speculum, octobre 1980, p. 681) que Bertran “scornfully referred to the Cistercian Peter of Tarentaise as a figure of cowardice only shortly before Peter was canonised in 1191”. La perfection n’exige pas le même comportement de la part d’un archevêque et d’un roi. Bertran n’a en vue que la réconciliation qui s’était produite en 1174 et dont il ne voudrait à aucun prix.
 
v. 53.
Kastner (Ibid. pp. 188-9) souhaiterait écrire fai, car le plus connu des frères, Martin Algai était bien vivant du temps de Bertran. On ne mit en effet fin à “ses déprédations, sa dureté et son ardeur belliqueuse” qu’au temps de la Croisade des Albigeois, comme le raconte la Chanson : Martin Algai aucizon a mort desonorea A chival l’en fan traire, so es veritat proea, E puis si fon pendutz, vezen totz, en la prea (éd. Martin-Chabot, t. I, p. 260). Peire Cardenal allait écrire encore : Dieu prec que trachors barrei E los degol e los abais Aissi con fes los Algais, Quar son de peior trafei (éd. Lavaud, nº 69, vv. 19-22).

 

 

 

 

 

 

 

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