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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,040- Bertran de Born

vv. 1-2.
À propos de la construction esser poderos de, “avoir du pouvoir sur”, Stroński (O. C. Elias, pp. 62-3) cite Arnaut Peire d’Agange 31. 1 in Mahn Ged. 1082, strophe IV : Vos que sabetz qu’ieu no soi poderos De mi meteis que vostr’amor me lia, à quoi il faut ajouter les vers de Gaucelm Faidit : Si quez anc pois seigner ni poderos No fui de mi (éd. Mouzat, nº 17, vv. 19-20).
 
vv. 5-6.
C : qual mortz e quals dans e quals dols es, R : cal mort e cal dans e cal dols es, a : qal dolor e cal dan e qals dols es. C’est l’unique passage où C indique une rime en -ans alors que la structure de la chanson demande -an ; cela se produit sept fois sur douze dans R. D’autre part, seul le manuscrit a donne le décasyllabe attendu : il manque une syllabe à C et R. Pour obtenir une rime en -an, il faut que le mot dan soit au cas sujet pluriel ; or le verbe de la proposition est es au singulier. Même si l’on peut admettre que ce verbe soit accordé avec le sujet qui le précède immédiatement, dols, qui est singulier, il n’en est pas moins surprenant que les trois termes abstraits énumérés ne soient pas du même nombre. Levy (Lit. Blat. 1890, nº 6, p. 143) propose d’écrire : e qual dol son, mais outre que l’harmonie en souffrirait, tous les manuscrits sont d’accord pour lire es. Devant la répétition dolor/dol, on serait tenté de corriger en qal dolor ab cal dan e qal mort es qui aurait du moins l’avantage d’introduire une certaine progression. Je corrige en suivant le texte de a et en changeant e en ab, ce qui permet d’écrire dan.
 
v. 7.
Le contexte prouve que la leçon de CR : Peyteus vai ab Fransa merman est fautive : Bertran reproche bien à Fransa (Philippe) de se laisser diminuer, mais il est bien éloigné d’adresser la même critique à Peiteus (Richard). La leçon de a : vai si Franza merman s’impose.
 
v. 8.
CR : E si, a : E sen, que Stimming 1 et 3 corrigent en sai, sans doute pour créer un parallélisme avec lai (v. 15). Je suis C, car si a parfois le sens de “ici” (Levy, P. D. p. 343). Kastner (M. L. R. nº 32, 1937, p. 194) pense qu’il faut suivre a et écrire : Es En Richartz.
La fin du vers est altérée : que pren lebres bos fos (C), pren lebres e leos (R), chassa lebre ab leos (a). Kastner (Ibid.) propose une correction hardie : pren ab lebres leos qui s’appuie sur a et sur le contexte : cette idée est en effet reprise par le vers 13 où les émerillons l’emportent sur les grands aigles et les vers 15-16 où Bertran reproche au roi Philippe d’utiliser des oiseaux de valeur, les faucons, pour chasser les petits oiseaux. La valeur personnelle de Richard est si grande qu’avec peu de troupes, il est capable de grandes conquêtes, à la différence de Philippe qui, avec de grands moyens, obtient de maigres résultats (cf. note au vers 42 de la chanson nº 1).
 
v. 14 : metre en soan
Si l’idée générale est claire, le sens de cette expression l’est moins. Levy (S. W.) propose de comprendre : “faire fi de, ne pas vouloir de, refuser” et reconnaît que le passage est obscur. Appel (Lieder, glos. p. 125) indique : “mit Nichtachtung behandeln” (“manquer de respect, mépriser”). Martín de Riquer entend de la même façon ce vers de Bernard Marti : qi ja nul mes met en soan (Trovadores, nº 31, v. 44) et, dans ces vers de Peirol : Mas era estau en doptansa Que per non cur’o per viltansa M’oblit o qe·m met’en soan (nº 17, vv. 12-14), S. C. Aston traduit le groupe par “disdain”.
 
v. 16.
C : quel te sobre deman, E : quel te sobre demans, a : qe·il tol sobre desman.
Thomas prend sobre au sens de “malgré” (glos. p. 200), ce qui permet de comprendre : “et Toulouse que Richard tient entre ses griffes, malgré la protestation de Philippe”. Kastner approuve cette interprétation tout en reconnaissant qu’une expression équivalente au français moderne “sur demande” est parfaitement admissible. Chabaneau (R. L. R. nº 31, p. 610) écrit : “Je ne pense pas que Tolosa soit, comme l’a cru M. St, un second régime direct de l’a tolgut. Ce vers 21 forme, à mon avis, une proposition entière qu’il faut entendre : “Et Toulouse (c’est-à-dire le comte de Toulouse) se montre envers lui (Philippe Auguste) exigeant outre mesure ; qu’el doit naturellement être écrit quel (que li), et que est explétif... Écrire aussi sobredeman en un seul mot.” Je ne suis pas sûr que, comme l’affirme Kastner, l’interprétation de Chabaneau soit contredite par le contexte historique : le comte de Toulouse avait, comme on l’a vu, capturé deux chevaliers anglais de retour de Compostelle et exigeait qu’on lui rendît, en échange de leur liberté, son conseiller que Richard avait emprisonné. Personne ne pouvait admettre que l’on se servît de pèlerins comme otages ; Richard refusa de rendre Peire Seilun, et Philippe ne put lui donner tort, malgré qu’il en eût : il en fut même si furieux qu’il s’en alla, renonçant à réconcilier ses deux vassaux (Gesta, t. II, p. 35). En ce sens, on pouvait dire que Raimon émettait des prétentions démesurées.
Bertran voudrait-il insinuer que Richard prendra Toulouse sur demande, c’est-à-dire dès que le roi Henri II le lui demandera ? Ce serait alors se ranger à l’avis de Philippe qui considéra que le roi était responsable des actes de son fils et attaqua en conséquence le Berry d’Henri II.
Pour ma part, j’attribue au présent ten le sens d’un futur proche et je comprends : “Toulouse qu’il tient (qu’il est sur le point de prendre), malgré sa protestation.”
 
v. 23.
Selon M. Boussard, “l’engagement pris par Richard d’épouser Alis, devait devenir par la suite, entre les mains du roi de France, l’instrument d’un odieux et profitable chantage” (O. C. p. 544). Ce ne fut qu’à Messine, sur le chemin de la croisade, que Richard exposa à Philippe les raisons qu’il avait de ne plus vouloir épouser sa sœur et le roi de France les admit et permit à Richard, contre une compensation de mille marcs et des ajustements de frontières, d’épouser qui il voudrait.
On remarquera que, dans ce passage, Bertran force le sens des mots pour rendre les injures plus douloureuses : en effet, Richard n’a jamais été le mari d’Alix (v. 23) et le roi de Navarre n’a pu que le fiancer et non le marier à sa fille, puisque les noces n’eurent lieu qu’en 1191 à Chypre. Peut-être faut-il voir ici le procédé habituel de Bertran qui considère comme accomplies des actions qui doivent avoir lieu parce qu’il le souhaite (cf. 9. 37 ; 21. 19 et peut-être 29. 21).
En ce qui concerne la construction, on rencontre marit dans CR, tandis que a indique : Remembre li Gissort e sa seror. Stimming 1 (p. 211) a corrigé en maritz, alors que Chabaneau (Ibid.) note : “Rétablir marit. Le sujet de membre est le pronom neutre sous-entendu”. Kastner (Ibid. p. 195) fait remarquer que, pour ce verbe, à côté d’un emploi transitif : membrar alcuna re, on rencontre les constructions suivantes : alcuna res me membra, où alcuna res est sujet, et membra me d’alcuna re, mais pas de construction me membra alcuna re. Remarquons que le manuscrit a, où figure une version très différente du texte, présente pourtant le même type de construction avec le verbe remembrar, ce que confirme l’exemple suivant de Raimon Vidal : Aras vuelh doncx queus remembretz Aquesta cobla per intrar (K. Bartsch, Chrestomathie Provençale, 1868, 220, 18). Il est parfaitement possible que se soit produit un croisement entre deux constructions, et, dans ces conditions, je m’en tiens au texte de base.
 
v. 26 : tot ades que
Dans le glossaire, Stimming 3 indique : ades que : “besonders da” (p. 221) et Thomas : tot ades que : “maintenant surtout que” (p. 162). Kastner (L. C.) récuse ce sens et préfère, avec Appel (“Beiträge II”, p. 36) donner à tot ades le sens de “en même temps” qu’il a parfois en ancien français et faire dépendre la conjonction que du verbe sembla : “il me semble qu’il y a de quoi être mécontent et que, dans le même temps...” Tout en conservant pour tot ades le sens proposé par Appel, je préfère voir en que, non une conjonction dépendant de sembla, qui me paraît enfermé dans une parenthèse ironique, mais un relatif lié à celui du vers 24 : “le mari qui l’abandonne et qui, en même temps (= ce faisant), se parjure sur ce point envers lui”, ou un de ces relatifs qui ont à peu près perdu leur rôle grammatical pour n’indiquer qu’une relation vague, si fréquents encore en occitan moderne.
 
vv. 31-32.
CR : non aian bon esper Quar an (car am R) lor tot qu’om (c’om R) sol sai (say R) tan temer ; a : no·i haian bon esper que·ls obs lur es per qe·l deion temer.
Stimming 1 corrige en quar an lor tout (p. 211) et Thomas en quar om lor tolt (p. 75). Appel (“Beiträge II” p. 36) suggère quar a lor tout et Kastner (Ibid. p. 196) l’approuve, tout en recommandant de préférer pour le vers 31 la leçon de a : non aver esper en alcu à celle de CR : non aver esper, puisque logiquement le sujet du verbe devrait être Philippe Auguste.
Levy (Lit. Blat. nº 6, p. 231, 1890) propose de voir dans ce passage une construction apo koinou, ce qui permet de conserver la leçon des manuscrits CR : quar an (ou am) lor, tot qu’om sol sai tan temer no preson re... : “puisque chez eux on n’apprécie pas tout ce qu’on a coutume de tant craindre ici, ici on n’apprécie pas...”
 
v. 35.
La chanson exige une rime en -an que les manuscrits ne fournissent qu’au prix d’une incorrection grammaticale : quan (cant R, qant a) son ensems En Richart (e Richars a) e·N (e a) Bertran. Je suis Levy (Ibid.) qui propose de corriger en ab Bertran, bien qu’une faute de déclinaison sur un nom propre ne soit pas extraordinaire (cf. 21. 37 où le sentiment d’un surnom composé joue peut-être un rôle dans l’absence de -s à fer.)
 
v. 36.
On rencontre la même formule chez Guillem de Berguedà (éd. Riquer, nº 23, v. 6) : Que vos vim far a las primieras flors.
 
v. 38 : Gastos
Il s’agit sans doute ici de Gaston VI de Béarn (1173-1213) dont il a déjà été question (cf. 18. 24 ; 22. 27) et avec lequel Bertran semble avoir été en relation. Lors de son expéditon au secours de Dax, Richard l’avait vaincu et lui avait sans doute imposé sa suzeraineté (cf. Boussard, pp. 153 et 391). Faute de renseignements sur une quelconque rébellion de Gaston VI contre Richard, l’un de ses suzerains, l’autre étant Alphonse II d’Aragon, et sur une éventuelle alliance qu’il aurait conclue avec Philippe Auguste, on est conduit à se demander avec Kastner s’il ne vaudrait pas mieux suivre le manuscrit a : Ni ja Gascos no·i poiran pro tener plutôt que CR. Il est vrai qu’il y a une faute de déclinaison dans a où l’on attendrait Gasco sans -s au cas sujet pluriel, mais il y en a une autre dans CR où figure Guasto (C) ou Gasto (R) au lieu de Gastos qu’exige la syntaxe. Du point de vue de la paléographie, la confusion entre c et t est des plus fréquentes ; de plus, alors qu’il faut corriger le no·ns de CR, simple confusion avec la négation du vers suivant, le no·i du manuscrit a est parfaitement logique : “les Gascons ne pourront pas lui (à Philippe) être utiles au point que nous ne prenions pas...” Enfin, du point de vue historique, la version Gasco se justifie parfaitement, car, comme les seigneuries de la Gascogne centrale et orientale, entre autres celle du comte de Bigorre, avaient le caractère de terres immédiatisées, se trouvant dans la mouvance directe du roi de France, attaquer Mont-de-Marsan était un défi direct à Philippe Auguste. Dans ces conditions, il me paraît logique de corriger : Gasco no·i poiran.
 
v. 40.
Il s’agit sans doute de Roquefort-de-Marsan (Landes). Selon les Gesta de Benoît de Peterborough, qu’appuie Raoul de Dicet (O. C. p. 43), en avril 1186, Henri II avait donné de l’argent à Richard pour qu’il allât attaquer, en dépit des vives représentations de Philippe, le comte de Toulouse. Cette expédition était-elle motivée par des soulèvements en Gascogne ? Nous l’ignorons. Selon Kastner, en 1188, Richard alla lever des troupes en Gascogne avant d’envahir le Toulousain : cela ne nous renseigne pas sur d’éventuels empiètements des Gascons ou de Gaston de Béarn sur les biens de Richard, mais, s’il n’allait en Gascogne que pour lever des troupes, pourquoi attaquer Mont-de-Marsan, ce qui aurait fourni une excellente justification à Philippe ? Au même vers, je suis Kastner qui préfère le E du manuscrit a au A de CR. De fait, l’emploi de la préposition signifierait que le Mont se trouve à Roquefort, dont il est en fait assez éloigné.
 
vv. 41-42.
La rime exige -os et comme le verbe figurant dans les trois manuscrits est esser, brandos doit être un cas sujet singulier. On doit en conséquence écrire le verbe sera·n et accorder le participe passé : alumnatz. Comme, d’autre part, le vers 42 compte un pied de trop dans C, il me faut le corriger en tuit o veyran, car la forme de cas sujet, totz indiquée par R est bien rare, et le pluriel los de a ne peut renvoyer au singulier brandos.

 

 

 

 

 

 

 

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