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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,029- Bertran de Born

v. 1.
On retrouve la même construction qui recouvre une conception identique de l’inspiration poétique chez Bernart de Ventadorn (éd. Lazar, nº 13, vv. 5-6) : No posc mudar no prenha cura D’un vers novel a la frejura.
 
v. 4 : bomba
Le sens de ce mot n’est pas clair. Pour Stimming, il s’agit de “déploiement (guerrier)”, pour Thomas, Appel (Lieder) et M. de Riquer (Trovadores t. II p. 727) de “pompe, faste”, mais Appel cite dans son glossaire Mistral : “boumba, heurter avec force, agiter l’eau avec une perche”. M. De Poerk (“Bertran de Born : Non puosc mudar “ in Romania Gandensia nº 7, p. 57) propose de traduire ce mot par “heurt, choc” ou même, eu égard au vers suivant, par “agitation, remue-ménage”.
 
v. 5 : pom
Il s’agit de la pomme ou boule, souvent dorée, que l’on plaçait au sommet des tentes. Stimming 3 cite Girart de Roussillon (v. 114) : e en cascu (sc. Trap) ac pom d’aur et Flamenca :las aiglas son e·ls poms dauratz (v. 208).
 
v. 8.
Je conserve la leçon du manuscrit de base, même si elle fait pléonasme. À ce propos, Thomas cite la Chanson de Roland (vv. 1013-4) : Or guart cascuns que granz colps i empleit : Male cançun ja cantée n’en seit.
 
v. 9 : colps receubutz
M. De Poerk conserve colp receubut de la majorité des manuscrits. Il me semble bien difficile de considérer colp comme un collectif et je préfère donc corriger en admettant le pluriel, avec tous les éditeurs précédents.
 
v. 12.
La même métaphore apparaît chez Marcabru éd. Riquer, Trovadores, nº 22, vv. 27-28) : De sos datz C’a plombatz Vos gardatz, chez Peire Vidal (éd. Anglade, nº 26, vv. 41-44) : Ab us datz menutz plombatz Nos a trichatz malvestatz, Don escarsetatz Nais et chez Arnaut Daniel, dans la chanson même dont Bertran a repris le schéma métrique : Mas be vei qu’un dat mi plomba. Le dat plombat est, selon Thomas, “ce qu’on appelle aujourd’hui un dé chargé, c’est-à-dire garni d’un petit poids à l’intérieur, de façon à tomber sur un côté déterminé.” M. de Riquer (Ibid. note au nº 113, v. 26) ajoute : “me pone plomo en un dado” significa “me hace trampas, me engaña”.
 
v. 13 : Lezinan ni Rancom
“La plus notable seigneurie du cœur du Poitou est celle de Lusignan... Les Lusignans étaient maîtres de la Gâtine orientale et leurs possessions s’étendaient, semble-t-il, de la région située au sud de Poitiers, jusqu’au Niortais. Au milieu de ces terres, se dressait la formidable forteresse de Lusignan...” (Boussard, O. C. pp. 118-9). Le seigneur de Rancon, dans le comté de la Marche, possédait également le château de Taillebourg en Saintonge. Bertran rappelle à Richard le soulèvement des deux puissants barons, Geoffroy de Lusignan et Geoffroy de Rancon, qui s’opposèrent au comte de Poitiers en janvier 1188.
 
vv. 15-16.
Voici comment M. De Poerk (Ibid. p. 58) expose la discussion sur de mos conoissens : “La préposition de se lit dans ADIK + FUVa’, tandis que CRTM ont a. St 1, sur la base de son stemma, écarte cette dernière leçon au profit de de, et rend conoissens dans son glossaire par “Kenntnis” ; de mos conoissens signifie donc chez lui quelque chose comme “de mes ressources intellectuelles”. Th ne change rien au texte établi par St 1, remarque en note que “le participe présent conoissen s’emploie en provençal, comme en ancien français, dans le sens de voisin, ami, connaissance”, et paraphrase dans sa notice introductive : “Il faut que le poète rappelle à Richard qu’il ne possède ni Lusignan ni Rançon, et que s’il peut, l’écu au col et le casque en tête, donner un coup de main à son voisin, les maigres ressources d’Hautefort ne lui permettent pas d’aller guerroyer au loin sans argent.” En somme il traduit comme si le texte se présentait avec a ou sans préposition. St 3 reprend la nouvelle traduction de conoissen “Bekannter, Freund”, et remplace de par a ; il ne s’arrête ni à la difficulté de concilier son choix avec son stemma, ni à celle de justifier aidar a, construction indirecte peut-être impliquée, il est vrai, dans lo coms Peire lor n’ajut de St 1 23. 40, aj. des exemples de Jaufre et de P. Raimond de Toulouse dans Raynouard, III, 608 vº voler. App Beiträge paraît accepter cette interprétation ; dans Bertran de B. il tire argument de la formule eu conosc e dic que ... commençant les reconnaissances de dette pour voir dans conoissen “der, der sich als verpflichtet anerkennt und sich erkenntlich erweisen will”, l’obligé, qui veut manifester sa reconnaissance ; il rattache ce sens à Levy, SW, I, 328, vº conoiser 12 “erkenntlich, dankbar”. D’où sa traduction : “Doch denen, die sich mir erkenntlich zeigen, kann ich zur Hilfe sein, den Schild am Hals und auf dem Haupt den Helm”. Kastner résume la discussion sans rien apporter de neuf. Je crois que c’est mos qui est le mot important, qu’il faut lire motz, et que conoissen est ici adjectif ou participe. Même dépourvu des ressources nécessaires, Bertran accepte de donner un coup de main à Richard dans la guerre qui vient de commencer, mas aiudar puosc ..., mais ce sera avec des motz conoissens, entendons par là “clairvoyants”, perspicaces, pénétrants, dirigés comme des traits cruels contre Philippe-Auguste, l’ennemi de son suzerain (qui est l’objet de la strophe suivante), mais qui n’épargneront pas tout à fait Richard lui-même (dans la strophe IV). Seule cette explication peut rendre compte de la préposition de et du sens obvie du vers suivant. L’aide de Bertran consiste précisément dans le sirventés que nous sommes en train de lire.” M. De Poerk appuie cette interprétation sur le sens qu’il attribue au vers suivant : pour lui, en effet, le vers 16 n’a jamais été correctement compris et le mot capel sans détermination signifie “chapeau” et non “casque” (cf. Levy, P. D.). En choisissant d’employer ce mot, Bertran donnerait clairement à entendre qu’il n’envisage pas de participer autrement au combat que par ses vers. C’est ce que confirmerait l’escut al col : “au combat le chevalier a le bras gauche passé dans les énarmes de son bouclier, qu’au repos, il porte suspendu à son cou par le moyen d’une courroie dite guige”.
Tel n’est pas l’avis de M. Paden (O. C. Italian Literature ... p. 245). Il renvoie pour capel à Viollet le Duc, Dictionnaire raisonné du mobilier français, V, 266-7 et fig. 3 et à Rajna qui reconnaît comme un “cappelo” le casque à salade montré dans le fragment Romegialli où il est coloré en rouge. De même, dans les notes de la Chanson de la Croisade (éd. Martin-Chabot), on relève “dans un compte de la première moitié du XIIIe siècle... des chapeaus de fer de Toulose” ; on lit dans Fierabras (v. 1476) : El fort capel d’acier es lo bran arestat. En ce qui concerne la manière de porter le bouclier, tout n’est pas aussi net que le dit M. De Poerk, puisque, dans la Continuation de Perceval (éd. Oswald), Gerbert de Montreuil conte que, alors que son héros prend congé, Lors monte et a par les enarmes L’escu pris, a son col le pent (vv. 16 122-3), mais le même auteur, décrivant un combat, nous dit : Si s’entredonent molt grans colps Sor les escus, qu’il ont as cols (vv. 15 819-2). On peut toutefois se demander, et c’est la solution que j’adopte, s’il ne faut pas donner à chapel le sens où l’entend régulièrement M. Roques en afr. de “capuchon de mailles porté sous le heaume”. Ainsi, Bertran, avec le capuchon de mailles, mais non le heaume, avec son bouclier à l’épaule et non au bras, se dépeindrait en tenue de route ou de campagne, mais non de combat ; on pourrait même se demander si cette attitude où l’on prête consilium, mais non auxilium n’est pas comparable à celle du roi d’Aragon devant Hautefort (cf. nº 23 & 24). Au demeurant, cela n’infirme pas pour autant l’hypothèse formulée par M. De Poerk à propos de de mos conoissens.
 
v. 17 : n’agues ars una barga
Cet n’ ne peut être la négation élidée, car cela supposerait alors que Philippe ait accompli les actions rapportées dans la conditionnelle, or il n’y a pas eu à cette époque la moindre tentative contre Rouen. Il faut donc comprendre n’ = en au sens de “pour cela”.
On peut se demander si la présence d’une barga à Gisors, où l’Epte n’est pas navigable n’est pas la marque de l’ironie de ce texte. (cf. pp. L-LII de l’Introduction).
 
v. 18 : crebat un estanc
Appel (B. von B. p. 54) comprend : “percer la digue d’un étang”, ce qui permettrait selon M. De Poerk de priver l’ennemi de son eau potable ou d’avoir plus facilement accès à ses défenses.
 
v. 21 : traire breu ses colom
La ville serait si étroitement assiégée que les défenseurs devraient avoir recours à des pigeons voyageurs pour rester en relation avec l’extérieur. À propos de l’utilisation de ces oiseaux, Stimming 1 cite la Prise de Damiette (306) : cant vic le soudans que per l’ayga no lay podia hom entrar, trames sas letras per coloms.
 
v. 23-24.
Nous retrouvons l’habituelle comparaison avec Charlemagne que le Capétien revendiquait pour ancêtre (cf. note au vers 41 de la chanson 10) et qui est pour Bertran le parangon de toute chevalerie. Thomas rappelle que la conquête des Pouilles est relatée par la Chanson d’Aspremont et celle de la Saxe dans l’ancienne chanson de geste de Guiteclin. M. De Poerk se demande s’il n’y a pas ici une allusion aux Saisnes de Jean Bodel.
 
v. 26.
AD : hom en, CFR : hom non, IK : trop lo, M : hom no, UV : cui non, a : om non e. Je pense que le en ou -n que l’on trouve dans les manuscrits AD et T, et que l’on peut supposer dans CFRUVa, représente gerra. Je comprends, à la suite d’Appel (“tuchtig”), franc au sens de “hardi” avec M. De Poerk et Martín de Riquer. Sans doute les copistes de AD ont-ils compris franc par “dépourvu de”, ce qui les a conduits à supprimer la négation.
 
v. 27.
Bertran se réfère évidemment à la conquête du Quercy, que Richard avait enlevé au comte de Toulouse au printemps 1188. Je ne pense pas qu’on puisse pour autant en tirer la certitude que ce refus de rendre cette conquête est caractéristique de la conférence de Bonmoulins (18 novembre 1188), après laquelle il faudrait donc placer la composition de notre sirventés : il est tout à fait probable que Philippe demandait la restitution du Quercy depuis le moment de sa conquête et qu’il avançait cette revendication à chaque conférence.
 
v. 28 : trastomba
Selon Thomas, c’est “l’art de faire des tours de force et d’adresse” ; “Richard pratique l’art des tumbeors, il sait plus d’une pirouette, il s’y entend à retomber toujours sur ses pieds, entendez par là à éluder les justes revendications présentées à Bonmoulins” (M. De Poerk écrit “Conmoulins” à la suite d’une coquille de l’édition de Thomas p. 78).
 
v. 29.
“Le trésor conservé à Chinon semble être celui qui doit alimenter une très vaste région” (Boussard, O. C. p. 358). Vers le mois de septembre 1187, Richard s’était emparé de ce trésor avant de s’enfuir dans ses domaines poitevins (Gesta, t. II, p. 9). Le vers de Bertran est donc fort ironique. Selon  Thomas, Bertran voudrait désigner par ces mots “le titre de roi et les avantages qui s’y rattachent”.
 
v. 33 : barga
Comme ce mot se trouve déjà à la rime au vers 17, M. De Poerk se demande s’il convient bien ici. Je le crois, car on lit une comparaison similaire dans une chanson de Gace Brûlé (éd. Dyggve, Helsinki, 1951, * 2, vv. 5-7, p. 412) : Plus sui pour li en grant torment Que d’estre sans batel en mer Et sanz nul autre garnement, ce que M. Dragonetti (La technique poétique des trouvères dans la chanson courtoise, Bruges 1960, p. 222) paraphrase ainsi : “Gace Brûlé déclare de sa dame, qu’à cause d’elle, son tourment est plus grand que d’être en mer sans bateau de sauvetage et sans autre engin de protection.”
On rencontre cette comparaison avec les dangers de la mer chez Bernart de Ventadorn (éd. Riquer, Trovadores nº 56, vv. 38-39) : C’atressi·m ten en balansa Com la naus en l’onda et chez Giraut de Bornelh (éd. Kolsen, nº 60, vv. 24-26) sobregabaire, Dins o defors son repaire, A peior perilh : que naus ; ce troubadour emploie même cette métaphore dans un contexte semblable à celui de notre pièce: E d’altra part mi plus despers Per sobramar Que naus, can vei torban per mar Destrecha d’ondas e de vens (nº 12, vv. 35-38). L’origine de cette image serait à rechercher dans le vers d’Ovide : Auferor ut rapida concita puppis aqua (Schrötter cité par Kolsen, Ibid. t. I, p. 35).
 
v. 34.
Je corrige en urtar le virar de A qui n’offre guère de sens et dont la mauvaise lecture s’explique aisément en paléographie. Ce verbe urtar des manuscrits CDFIKRTUVa est encore confirmé par le ferir de M.
 
v. 38.
Selon Glynnis M. Crop (O. C. p. 192) estre retengut pour le chevalier, c’est ici “être accepté parmi ses dépendants (sc. de la dame) et jouir de sa compagnie, mais en plus avoir l’espoir et le droit de devenir l’amant privilégié de la dame”.
 
v. 40.
ADFMUV : bisesta, CR : bissesta, IK : besesta, T : bistensa, a : tempesta.
Thomas, se souvenant peut-être du v. 7 de la pièce nº 41 où le gel mata l’albre folhat que·s cocha, a voulu donner à ce mot un sens opposé à florit et le traduit donc par “se flétrir ?”, sens et point d’interrogation repris par le Petit Dictionnaire de Levy. Suchier (Lit. Blat. nº 4, 1880, p. 143) pense qu’il faut partir du lat. bissextus, le jour bissextile, et comprend que, comme la dame ne s’en tient pas au terme fixé, la joie du poète, qui était en fleur, devient aussi rare qu’un jour bissextile ou est repoussée au jour bissextile, comme on dit aux calendes grecques.
Kastner (M. L. R. nº 32, 1937, p. 193) propose d’écrire bis s’esta ou bis estabis (brun sombre, noir) contrasterait avec floritz (que ses fleurs rendent blanc) et cite un emploi de bis au figuré chez Blondel de Nesle (VVI, 4 : devient ses cuers noirs e bis). M. De Poerk récuse l’interprétation de Thomas comme la suggestion de Kastner et pense que rien ne permet de rejeter bisesta : “tout appelle un mot chargé de sens évocateur du mauvais sort”. À l’appui de cette thèse, il faut rappeler que le verbe “bissesta” existe chez Mistral (Tresor, t. I, p. 293) au sens de “être bissextile, retarder”, tandis que le mot “bissèst” est traduit par “Bissexte, jour qu’on ajoute tous les quatre ans au mois de février ; guignon, mauvaise fortune, malheur, désastre”. On peut encore relever l’expression : “te pagarai l’an dou bissèst : je te paierai aux calendes grecques.” Ainsi, il est probable que figure ici un hapax, le verbe bisestar, dont le sens premier est “être bissextile”, et on peut noter que ce sirventés fut composé en 1188, mais il est difficile de dire à quel sens métaphorique il aboutit dans notre texte. Je suppose une équivalence bisestar = “avè lou bissèst”, “jouer de malheur” (Mistral).
 
v. 42 : Traïnac
“Treignac, chef-lieu de canton (Corrèze). Une charte du cartulaire de Dalon (fol. 97) nous montre Bertran de Born, déjà moine, présent à une donation faite à son abbaye, dans cette même ville de Treignac, le 8 janvier 1197, par Archambaud, vicomte de Comborn” (Thomas).
 
v. 43 : Rotgier
Nous ignorons qui était ce personnage et, dans ces conditions, il est impossible de dire si l’on doit préférer sos (FMUVa) à mos (ADIKT) ; je m’en tiens donc au manuscrit de base.
 
v. 44 : omba ni om ni esta
Très probablement, le troubadour veut dire qu’il ne trouve pas davantage de ces difficiles mots-rimes en -omba, -om et -esta qui forment l’armature de la chanson. Stimming 1 cite un exemple tiré de Barbazan et Méon, II, 443 : E prist a dire ineslepas : – Dixit dominus domino meo ... – Mais ge ne vos puis pas en o – Trover ici consonancie. Comme dans la chanson nº 15, le copiste de A, qui n’avait sans doute pas compris le sens du texte, a voulu le transformer pour lui donner une signification qui lui parût convenable : que no·i trob plus ombrar ni olm ni resta, où il faudrait peut-être corriger ombrar en ombral et écrire n’i resta, pour parvenir au sens de “je n’y trouve plus de lieu ombragé et il n’y reste pas d’orme”. Il faut dire que la rencontre entre ce texte de A et l’affaire de l’orme que Philippe fit abattre a bien de quoi troubler.

 

 

 

 

 

 

 

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