v. 1 : Nostre Seinher
Stimming 3 (p. 184) pense que ce titre désigne Richard. Comme celui-ci n’était pas roi à ce moment-là, il est peu probable que Bertran l’ait qualifié ainsi. Appel (“Beiträge II” p. 59 note) songe à Henri II et Kastner appuie cette solution en rappelant que Bertran appelle le roi d’Angleterre mossenhor lo rey annat (12. 19) et Mon seignor lo rei (17. 52).
Pourtant, on rencontre également E Nostre Senher gazanhat (22. 37) à propos de Dieu. Thomas suggère qu’il s’agit de “Notre-Seigneur, c’est-à-dire de Jésus Christ lui-même”. Cette hypothèse est séduisante, mais comment comprendre en ce cas les vers 3 et 4 ?
Si nous admettons qu’il y a une différence entre le traitement de la vraie croix qui est presa et celui du saint sépulcre qui a de secors fraichura, la chanson de Bertran a dû être composée alors qu’Henri II n’avait pas encore pris la croix. D’autre part, dans les vers supplémentaires de IKd, Bertran n’est pas tout à fait assuré de l’attitude de Philippe, car je ne pense pas que les vers suivants prétendent rapporter fidèlement les paroles du roi de France : elles répondent simplement à la vision épique de Bertran. Comment le troubadour pourrait-il annoncer dans la même chanson que le Plantagenêt convoque ses vassaux pour la croisade tout en doutant de l’attitude du Capétien, alors qu’ils ont pris la croix dans la même occasion ? Enfin, pourquoi Bertran soulignerait-il par el meteis l’auteur de la convocation ? Y a-t-il vraiment quelque chose d’extraordinaire à ce qu’elle parte du seigneur légitime ? L’appel au départ ne serait-il pas plus pathétique et plus extraordinaire, plus légitime aussi, en venant de Dieu lui-même ? Le cri des croisés était bien “Dieu le veut”!
Dans ces conditions, Bertran, par les vers 3-4 voudrait dire que les intérêts de Dieu n’ont été mis en jeu par aucune des batailles précédentes : c’est le cas depuis Tibériade ; la présence même des chrétiens en Palestine et le culte chrétien sont en question.
vv. 7-9.
La légende, fortement corroborée par les chroniqueurs, voulait que les cierges placés sur le saint sépulcre s’allumassent spontanément le Samedi Saint. À propos de Pâques 1106, un chroniqueur raconte: Sabbato autem Sancto illuscente, omnes cum cereis et lampadibus basilicam Sancti Sepulchri ingressi sunt. Est enim consuetudo, ut attendius ea die et obnixius quam aliis diebus Christiani orationibus insistentes ad templum Sancti Sepulchri conveniant, et lumen coelitus illic dimissum in cordis sinceritate tamquam inenarrabile misterium humiliter expectent... Necdum templum Sepulchri ingressi essent, ecce nuntiatur lumen advenisse et lampadem quae ante Sepulchrum erat accendisse (Recueil des Historiens des croisades, Historiens occidentaux, Anonymi Rhenani Historia et Gesta Ducis Gotfridi, t. V). De même en 1120, ignis de coelo, gratia dei, ad corroborandam fidem Dominicae resurrectionis, in lampade olei in sepulchro Dominico reposita, flammam in momento suscitat ad incendendum hac nocte paschali cereum... (Alberti Aquensis, Historia hierosolymitana, livre XII, p. ap. 33, p. 712).
v. 11.
Ce fait a si bien marqué les esprits que Gaucelm Faidit (éd. Mouzat, nº52, vv. 61-4) y fait lui aussi allusion : Al comte mon seinhor, vueilh dire Qu’aissi cum ac primiers l’onor, Gar que Dieus li sia grazire, Qu’al passar comt’om la lauzor.
v. 12 : lei
“Lei en el sentido de “religión, creencia”. Cf. Folquet de Lunel : Quar anc non ateys Domna de las doas leys En tan haut pretz (citado en Levy, SW, IV, p. 357)” écrit Martín de Riquer, à propos d’un vers de Guillem de Berguedà : E la genser de nuilla lei (O. C. III b, v. 19). |