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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,008- Bertran de Born

vv. 3-4.
A : Car desplantavon boissos Tant amon ortz e jardis, DIK : C’ades plantavon boisos Tan amen orz (ort IK) e jardis, F : E platz onnortz e boisos Tan lor platz praz et jardis.
Tous les éditeurs ont suivi DIK pour le vers 4, supposant sans doute que l’amour des jardins conduisait à planter des buissons ; Peire Vidal ne disait-il pas : Et am mais bosc e boisso No fatz palais ni maizo (éd. Anglade, nº 33, v. 45-6) ? Je crois que l’on peut fort bien conserver la leçon du manuscrit A, car, pour créer des jardins, il faut commencer par défricher en arrachant les buissons. Citons la pièce nº18 ou le même Bertran écrit au vers 33 : Qui·s vol fassa de bos issartz, l’essart étant, selon Hatzfeld et Darmesteter, “une terre dont on a arraché les arbres, les arbrisseaux, les broussailles, les racines, pour la défricher”. Si le verbe desplantar n’est pas attesté dans les dictionnaires, on rencontre en revanche son équivalent français chez Godefroy.
Y a-t-il une différence entre ort et jardin ? On n’en trouve pas trace dans le Tresor de Mistral, mais, dans son Étude sur le parler de Monaco (Monaco, 1967), M. Arveiller écrit : “le jardin (...) était à la fois “un jardin potager” (...) et un jardin d’agrément”. De plus, on remarquera que le dérivé de “ort”, le collectif “ourtoulaio” est réservé aux plantes potagères (Tresor). Il faut également noter la forme nord-occitane jardin présente dans tous les manuscrits.
 
v. 6 : Ansessis
Kastner (M. L. R. nº32, 1937 p. 206) explique qu’il ne peut s’empêcher de penser que Bertran songeait à la secte fanatique des Assassins (ou mangeurs de haschisch, proprement : Hashshashiyun), établis dans les chaînes du Liban, qui étaient envoyés, sous l’influence de cette drogue, par leur chef, connu comme le Vieux de la Montagne, pour tuer ses ennemis. Deux ans seulement avant ce sirventés, son nom avait été sur toutes les lèvres, deux de ses émissaires ayant poignardé à mort Conrad de Montferrat, alors qu’il venait d’être élu roi de Jérusalem (28 avril 1192) ; et, à la fin de la même année, était parvenue en France la rumeur que certains de ses sectateurs avaient été envoyés, à l’instigation de Richard, assurait-on, pour tuer Philippe. À ce propos, Rigord écrit : Et quia animus ipsius regis pro hujusmodi rumoribus multum turbatur, et sollicitudo magis ac magis crescebat in dies, habito cum familiaribus consilio, misit nuncios suos ad Vetulum Arsacidarum regem, ut per ipsum rei veritatem diligentius et plenius cognosceret. Interim tamen instituit rex ad majorem cautelam custodes corporis sui, clavas ereas semper in manibus portantes, et per totam noctem alternatim circa ipsum vigilantes (Œuvres de Rigord et Guillaume Le Breton, éd. H. François-Delaborde, Paris 1882). Les allusions aux Assassins sont fréquentes dans la littérature occitane : Ai, plus mal assesi Noca·m saup envirar (G. de Bornelh, éd. Kolsen, nº48, vv. 75-6), L’autre dis con fan l’Ancessi Per gein lo Veil de la Montaina (Flamenca, éd. Nelli-Lavaud, vv. 692-3) et dans son introduction à Aimeric de Péguillan, M. de Riquer cite les vers de ce troubadour : Car mieills m’avetz ses doptanssa Qe·l Vieills d’Asasina gent, à propos desquels il renvoie à The Troubadours and the assassins de Sheppard et Chambers (Modern Language Notes, 1949, pp. 245-51 et 1950, pp. 343-4).
 
v. 12 : barbarin
À partir de la fin du XIe siècle, l’abbé de Saint-Martial disputa au vicomte de Limoges le droit de frapper monnaie et commença à émettre des barbarins. Ils portaient ce nom, selon Thomas (p. 90 note), “à cause de la figure barbue de saint Martial qui y était représentée”. Le vicomte, qui jusque là frappait des marabotins, essaya de contrefaire les barbarins au château d’Aixe. On rencontre curieusement chez Peire Cardenal une comparaison tout à l’avantage du maravédis : Car si·l metias en la ma Per ver dir un maraboti E per mentir un barbari, Lo barbaris gazanhera (éd. Lavaud, nº22, vv. 15-18). De toute façon, l’aire de circulation de ces monnaies était restreinte.
 
v. 13.
On ne peut voir dans remaigna, tel qu’il figure dans A ou dans DIK, qu’une 1ère pers. du sing., car l’on ne connaît pas de locution impersonnelle reman ab alcu au sens de “l’emporter”. Or, l’idée que Bertran puisse songer à demeurer du côté de ces barons alliés au roi de France, comme le marque le cri de guerre du vers suivant, contredit l’ensemble de la chanson. On ne peut malheureusement pas suivre pour autant le copiste de F : s’il plai q’om ab lor remaigna où l’on attendrait un pronom lor, ou tout au moins une forme appuyée ·ls. Une fois de plus, nous devrons nous résoudre à trouver dans ces vers l’expression de l’ironie de Bertran.
 
v. 17 : ressis
Pour Levy (S. W. t. VII, p. 262), le sens de ce mot est “faible, impuissant, misérable” ; pour Bartsch (Chrestomathie), “lâche”, et pour Mouzat (glos. de l’édition de G. Faidit), “veule”. Le texte de Gaucelm Faidit sur lequel s’appuient Bartsch et Mouzat, Vos eis vos etz aucis ! Qu’avers e manentia Vos tol paradis ; Qu’avar etz e ressis, Tan c’us far non poiria Q’a dieu abellis oppose, comme celui de Bertran de Born, le mérite à la peur qu’ont les riches de perdre de l’argent ; je crois que le sens de “avare” s’impose nettement.
 
v. 26 : e que passes sai mest nos
Ce vers permet de situer ce sirventés par rapport à notre pièce nº36. En effet, passar a souvent le sens de “traverser” la mer. L’autre sirventés annonce au futur, comme assurée, l’arrivée de Richard, alors qu’ici on ne peut encore que la souhaiter, avec le subjonctif.
 
v. 33.
AD : Ben volgra len ma chausis, IK : Ben volgra len mas chaucis, F : E volgra lom esi auzis.
Stimming 1 suit AD ; Stimming 3 corrige en : en ma·l chausis, ce qui aurait le sens de “je voudrais que Richard le vît en son pouvoir”, mais Levy (S. W. t. V, p. 77) n’admet pas un tel sens pour cette expression. Thomas corrige en Ben volgra lo mal chausis, “je souhaiterais que Richard vit le mal”, ce qui a l’inconvénient de ne rien apporter de nouveau par rapport à la strophe précédente. Appel (“Beiträge II” pp. 33-4) propose une interprétation intéressante, que Kastner considère comme définitive : partant de la constatation que sur les deux strophes se développe une métaphore fondée sur le vocabulaire des soins donnés aux chevaux, il conclut que Limozin n’est pas ici le Limousin, mais le cheval appelé Limougeaud, qui boîte, atteint qu’il est d’un suros (sobros). Avant que le suros ne devienne dur, il faut soigner le cheval en passant deux sétons, petits cordons de soie (sedos), à travers la tumeur. Ainsi, il faut retrouver dans len ma chausis de AD ou len mas chaucis de IK ou lom esi auzis de F un verbe signifiant les soins apportés au cheval. Le copiste, perplexe devant ce mot rare, a tenté de l’interpréter. Ce verbe correspondrait à l’ancien français mareschaucir (Godefroy, t. V, p. 170), formé sur marescal, le vétérinaire. Levy (P. D. p. 242) cite un verbe menescalcir, “panser (un cheval)” qui est évidemment formé sur menescal, une des variantes de manescal, à côté de manescalc, marescal, merescal. On peut donc supposer une forme ·l maneschausis pour ne pas s’éloigner de A.
 
v. 33.
Selon Kastner, la conjonction coras est temporelle et le subjonctif s’expliquerait par le souhait exprimé dans la principale. On rencontre cora que suivi du subjonctif dans ces vers de Jaufre : Que volontiers m’en devendrai Cora c’armas puosca trobar (vv. 6552-5) et, dans le glossaire, C. Brunel la traduit par “à quelque moment que”.
 
v. 38-39.
Selon Thomas (p. 92), “Aimar et Gui sont très probablement les deux fils du vicomte de Limoges, Aimar ou Adhémar V, qui, dans les dernières années de la vie de leur père, participèrent à l’administration de la vicomté. Aimar mourut avant son père en 1195, Gui succéda à Aimar V en 1199. “C’est ainsi que la bataille d’Ahun se déroula en 1186 en présence de Guy et Aimar, les fils du vicomte de Limoges (cf. Abbé Arbellot : “Extraits d’un spicilège limousin : défaites des Brabançons en 1186”, B. S. A. H. L. t. IV, 1849, p. 207).
 
v. 41.
On relévera que la forme de A : Mainier, est dissyllabique, ce qui conforterait l’hypothèse d’un senhal Mainier, confondu avec le senhal Marinier. Cf. pp. LXVI-LXVII de l’Introduction.
 
strophe V
Cette strophe, qui paraît consacrée à de proches voisins de Bertran et à des événements qui ont dû se dérouler pendant la captivité de Richard, est d’une obscurité totale. Le cartulaire de Dalon (Thomas, O.C. appendice) mentionne Aimericus Chanzis à une époque située entre 1159 et 1169 (fol. 2), Ramnaldus Malmiros en 1184 (fol. 89), 1189 (fol. 5) et 1197 (fol. 34), Aimericus Malmiros en 1184 (fol. 89), Ademarus Malmiros en 1202 (fol. 125). Dans la copie Baluze, après Bernardus Chanzis et Guido Chanzis, on relève les noms de Guido, fils du précédent, et ceux de Aimericus et Guido et Bernardus et Helias fratres, filii Bernardi Chanzis (fol. 36, p. 57) : l’un de ces nombreux Guido pourrait fort bien être notre Gui du vers 46. Enfin, il ne manque pas de Petrus de la Cassania (fol. 5), Cassana (fol. 19), Cassaina (Ibid.). On sait même que la femme de l’un d’entre eux s’appelait Tibbors. Comme on le voit, il s’agit de familles proches de Dalon avec lequel elles entretiennent d’incessants rapports, comme la famille des Born.
 
v. 49 : Frederis
Frédéric Barberousse (1122-1190), empereur d’Allemagne.
 
v. 51 : N’Aenris
Henri VI (1165-1197), empereur d’Allemagne qui avait retenu Richard Cœur de Lion prisonnier. Pour la forme cf. note à 11. 7.
 
v. 53.
La répétition du mot pres a conduit Thomas et Stimming 3 à le corriger en pert au dernier vers. Kastner, qui propose d’adopter conqes de F, rappelle que l’énorme rançon extorquée à Richard servit à Henri VI à lever la grande armée avec laquelle il conquit l’Italie du sud et la Sicile en 1194. Il cite sur le même sujet les vers 19-22 de Bon’aventura don Dieus als Pisans de Peire Vidal : E si·m creira Richartz, reis dels Engles, En breu d’ora tornara per sas mans Lo regisme de Palerm’e de Riza, Car lo conquis la soa rezensos.

 

 

 

 

 

 

 

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