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Arveiller, Raymond; Gouiran, Gérard. L’œuvre poétique de Falquet de Romans, troubadour. Aix-en-Provence: C.U.E.R. M.A. - Université de Provence, 1987.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2013.

156,002- Falquet de Romans

vv. 1-2. Ces vers sont incorrects dans le manuscrit unique L, puisque le mot rime novella n’est pas accordé avec le nom flor qu’il qualifie : Aucels no truob chantan ninouej flors novella. Une conclusion parait s’imposer : Falquet a écrit flor novella et le copiste, qui n’a pas compris que ce singulier était un collectif, ou qui ne s’en est pas satisfait, a fait passer le nom au pluriel, mais a été contraint par les exigences de la rime de respecter la forme de sing. -ella. Aussi, plutôt que de supposer que chantan soit un gérondif (il n’est accordé ni avec le sujet du verbe truob, ni avec son objet Aucels), il semble préférable d’admettre que le mécanisme que nous avons vu à l’œuvre dans le second vers avait déjà joué dans le premier dont il est l’exact parallèle. Nous corrigeons donc avec Zenker en Aucel no truob chantan, où chantan représente le part. prés., Ni no vey flor novella.
 
v. 6. Zenker fait de hom un objet, ce qui n’est pas impossible, et de ora une variante de era, ce qui serait assurément exceptionnel. Il aboutit ainsi à l’expression d’une pensée qu’il qualifie lui-même d’étrange, éd. cit., 84. A. Mussafia critique l’interprétation de Zenker. Il lit quora·s et traduit : ‘car l’homme ne sait quand il meurt’, “Zur Kritik und Interpretation romanischer Texte”, dans Sitzungsberichte der Philosophisch-Historischen Classe der Kaiserlichen Akademe der Wissenschaften, Vienne, CXXXIV, 1895, 31. De même C. Appel : ‘personne ne sait quand il meurt’, Literaturblatt, XVII, 1896, 168. Mais peut-on faire de sai une 3º pers. du singulier ? C’est bien la forme du ms. et Appel lui-même ne relève pour cette personne que sap, sab, sat, sa, les deux derniers uniquement dans le Girart de Roussillon, Chrest. XXXIVb. Il paraît plus satisfaisant de voir dans hom un cas sujet, selon la norme, dans qoras la forme à -s, usuelle, de cora ‘quand’ et dans mor une première pers. du singulier : ‘(en tant qu’) homme, je ne sais quand je meurs = le moment de ma mort’.
 
v. 17. De Bartholomaeis comprend : ‘mi sarà onore si per lei muoio’, op. cit., II, 42. Plus vraisemblablement, mor est une 3º pers. de l’indicatif présent, avec ‘mon cœur’ pour sujet. De fait, lai paraît bien reprendre en tal et la métaphore du cœur qui meurt se retrouve dans les strophes III et IV, aux vv. 28 et 39. Il est même dit la seconde fois, avec le même adverbe : es lai qe mor. Cette idée d’une mort d’amour rendue honorable par la qualité de la personne à laquelle on a prétendu se retrouve chez Guilhem de Montanhagol : Don mi son tan aut pujatz Qe·l morirs neis m’es onratz, Tan es de nobla ricor, XII, vv. 33-35, éd. P. T. Ricketts, 122, et chez Peire Vidal : Mas conort n’ai qu’es trop rics e valens ; Si m’aucizetz, honratz sui e jauzens, XVIII, vv. 31-32, éd. D’A. S. Avalle, 153.
 
vv. 18-20. Cf., pour l’alliance de mots, Bernart de Ventadorn : Aquest’amors me fer tan gen Al cor d’una dousa sabor, I, vv. 25-26, éd. M. Lazar, 60.
 
v. 21. Sur cette juxtaposition, v. l’article d’O. Schultz auquel renvoie Zenker, op. cit., 84 : “Unvermitteltes Zusammentretten von zwei Adjektiven oder Participien im Provenzalischen”, ZrP XVI, 1892, 513-517, particulièrement 514.
 
v. 22 : fos. L’emploi du subj. imparfait n’est pas rare dans les souhaits : Ai ! Mala fos reis Lozoicx, Marcabru, XX, v. 26 dans M. de Riquer, Los Trovadores, 204. Il est moins fréquent de le trouver précédé de la conjonction que. V. toutefois la Comtesse de Die : Bels amics, avinens e bos, Cora·us tenrai e mon poder ? E que jagues ab vos un ser E qe·us des un bais amoros !, CLV, vv. 17-20, dans M. de Riquer, op. cit., 799 ; et le Moine de Montaudon : E si merces no·m pot valer Ab vos, domna, c’us messagiers privatz Parles per mi, qu’ieu no·n sui azinatz, V, vv. 37-39, éd. M. J. Routledge, 62.
 
v. 24 : ressautella. Zenker lit ressaucella, une forme problématique, ignorée des lexiques, qui serait, selon lui, l’équivalent de resarcellar, dérivé d’un verbe dont la forme d’oïl est resarcir ‘reprendre de la force, de la vigueur’, éd. cit., 84. A. Mussafia en rapproche l’afr. sancier, resancier ‘rendre la santé’, art. cit., 31. En fait, si, à première vue, on lit dans le mot un c, la lettre est pourtant tout à fait semblable, dans le même texte, aux t de truob, v. 1, mte, v. 7, foldat, v. 62. Raynouard a donc probablement raison de proposer ressautellar ‘bondir, tressaillir’, L. r. V, 143b, 20.
 
v. 32 : sofren. C’est un thème traditionnel que l’amoureux doit souffrir, c’est-à-dire beaucoup endurer avec patience et constance, pour l’emporter finalement. V. supra III, v. 19 et la note.
 
vv. 38-43. Le ms. présente mieus sans article. Si l’on conserve ce texte, on se heurte à des difficultés. Si l’on fait de mieus un attribut de qe mis pour cor, on aboutit à l’expression d’une évidence, parfaitement plate. C’est ce qu’admet De Bartholomaeis : ‘il mio cuore che è mio fino alla morte’, op. cit., II, 42. Encore est-il obligé de traduire lai qe par ‘fino’, alors que le sens habituel en est ‘quand, alors que’. Si, malgré le meillzdu v. 31, on fait de mieus une variante de melhs, on admet l’utilisation d’une forme que ne relèvent ni Raynouard, ni Levy, ni les chrestomathies de Bartsch et d’Appel dans leurs lexiques. En outre, la suite des idées est difficile à saisir. Zenker traduit, en hésitant : ‘Herrin, nehmt hier mein Herz, denn besser ist es, dass es dort (d. i. bei Euch) stirbt (oder : besser ist es dort als dass es sterbe ?)’, éd. cit., 84. On est donc amenéàune correction. Le passage a été élucidé, très probablement, par A. Mussafia, art. cit., 32, et C. Appel, art. cit., 168. Le premier corrige qe en qe·l, au v. 39 (suivi par Levy, S. W. IV, 438a). Tous deux comprennent : ‘Madame, ayez votre cœur ici (près de moi), car le mien est là-bas (près de vous) en train de mourir’. Il s’agit d’un échange de cœurs et la prière était déjà annoncée au v. 22.
Loignar a le sens 3 de l’article du S. W. IV, 437b, soit ‘s’éloigner de, quitter, fuir’. Il est transitif direct dans cette acception, comme son correspondant d’oïl esloignier ; v. Gdf. III, 486a et T. L. III, 1102. Pour nom, les deux savants hésitent entre no·m avec un pronom au datif (‘mir’, Appel ; “Dat. commodi”, Mussafia), et nom ‘ne ... pas’ (à lire peut-être non, Mussafia).
 
Strophe V. À propos de l’attitude de Falquet à l’égard de la croisade et de l’empereur, on consultera Gianfelice Peron, “Temi e motivi politico-religiosi della poesia trobadorica in Italia nella prima metà del Duecento”, Storia e cultura a Padova nell’età di sant’Antonio, Padoue 1985, 273-279.
 
v. 44. Il manque un pied à ce vers. Au lieu de changer desirs en desiriers, comme le fait Zenker avec la caution de Bartsch, éd. cit., 84, il est plus économique de développer l’enclise qe·l en qe lo.
 
v. 49 : Dieus. Le ms. présente die suivi du signe us. Nous conservons cette forme de cas sujet en fonction de régime, car elle se retrouve ailleurs. Dans un poème de la fin du XIIIº siècle, copié en 1372-1375, C. Chabaneau relève plusieurs fois Dieus, cas régime (une fois à la rime, totz li sieus : par lauzar trastug Dieus, vv. 847-848), et aussi Verges, cas régime. Il remarque : “Ces formes, dont la dernière est citée et tenue dans ce rôle pour légitime, quand on l’applique, comme ici, à la Mère de Dieu, par les Leys d’amors, sont celles qui ont prévalu dans quelques dialectes ; fortune qu’elles doivent à l’emploi continuel de ces noms au vocatif”, Sainte Marie Madeleine dans la littérature provençale, Paris 1887, 66.
 
vv. 50-54. Dans ces vers, l’ordre des mots surprend : le sujet est li destret, auquel se rapportent les adjectifs sarrazi e mor, ce qu’a bien compris Zenker, puisqu’il écrit ces mots sans majuscules. Le verbe han tengut a pour compléments les substantifs des vv. 53-54 : la terra ... e·l monumen. Les difficultés métriques peuvent bien expliquer une certaine souplesse laissée à l’ordre des mots dans les vers courts, comme le montrent par exemple les vers de Palais cités par G. Bertoni : Mas mezer Ot m’a conqis Del Carret q’es francs e pros, I Trov. d’It., 21. Cela rend inutile, à notre avis, la correction d’Appel, art. cit., 168 ; celui-ci proposait d’amender li en lai, ce qui permet de voir dans destret un adjectif employé adverbialement. Le nom destret est bien attesté au sens de ‘domination’. Levy cite ainsi sous destrech, sens 4 : “Vespasias l’emperaire ... tenia en destrech Jherusalem. Prise Jér., Rv. 32, 582 Z. 9” et “E ges nom pes Qu’elham degues Aucir, nim veg Naleg, Ans deg Per dreg Virar de son destreg Mon cor e estraire, Prov. Ined. S. 174 V. 95 (Joyos de Toloza)”, S. W., II, 173b. On rencontre chez Bertran de Born : Puois Esaudun a tornat deves sei Lo reis Henrics e mes en son destrei, XXIX, vv. 18-19, éd. G. Gouiran, 602. On remarquera enfin que le e final de destret est fermé alors que la rime demande un e ouvert. Mais le poète ne paraît pas disposer d’un grand choix de mots en -èt : à part l’adjectif let, toutes les rimes sont fournies par des verbes à la 3º pers. du sing. de l’ind. pft. De telles licences poétiques ne sont pas rares, v. Levy, Literaturblatt, IV, 1883, 319.
 
v. 63 : bo. C’est bien ce que porte le ms., en dépit des éditions précédentes.
 
v. 66 : franchamen. G. Bertoni traduit : ‘con maggiore lealtà’, I Trov. d’It., 21. Mais il n’est pas question ici de loyauté. La première tornada a brossé le tableau du malvatz ric, qui sert de faire-valoir à Othon del Caret : l’homme d’avol cor, pour amasser du bien, a manqué à l’une des vertus fondamentales du seigneur courtois selon le cœur des troubadours : la générosité. Au contraire, se comporter francamen ‘noblement’ sous-entend ici ‘généreusement’. Cf. Bertran de Born : Rassa, rics hom que ren non dona Ni honra ni acuoill ni sona ... M’enoia, e tota persona Que servize non gazardona, I, vv. 34-39, éd. cit., 20.
 
vv. 67-68. Le ms. indique ōbret, avec une barre de nasalisation sur le o et un point sous le b. Aussi ne faut-il pas lire obret avec Zenker, ce qui provoque d’ailleurs des difficultés considérables, mais onret. Dès lors, le texte est simple : c’est le devoir d’un seigneur courtois d’onrar les gens de valeur, ainsi que le fait l’empereur Conrad de Jean Renart : “Ne voloit autre moeble avoir Mes grant plenté de chevaliers. Joiax, dras de soie et destriers Lor donoit il a grant plenté ... Il ne lessoit bon chevalier, En son païs por qu’il errast, Qu’il ne retenist ou donast Selonc son pris terre ou chastiax”, Le Roman de la rose ou de Guillaume de Dole, vv. 92-95 et 100-103, éd. F. Lecoy, Paris 1962, 4. Au rebours, la Vilanie de Guillaume de Lorris semblait “fame qui petit seüst D’anorer ceus qu’ele deüst”, Le Roman de la rose, vv. 167-168, éd. F. Lecoy, Paris 1966-1970, I, 6.
Il serait tentant de corriger en gencheis le genchers du ms. pour en faire un adverbe : ‘ne s’est comporté plus noblement ni n’a mieux honoré un homme de valeur’. Nous conservons pourtant genchers, pourvu, comme il arrive souvent, d’un -s analogique, encore que paraisse un peu gênant l’emploi d’un adjectif qualifiant le plus souvent les dames.

 

 

 

 

 

 

 

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